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Gérer la fatigue, c’est plus sécuritaire que d’essayer de la combattre

Par Missy Rudin-Brown
Bureau de la sécurité des transports du Canada

L’article qui suit a été publié dans le numéro juillet-août 2019 du magazine Wings.

Combien d'heures avez-vous dormi la nuit passée?

Si vous êtes comme la majorité des gens, vous répondrez probablement « pas assez ». En effet, selon une étude réalisée par Statistiques Canada en 2017, environ un tiers des adultes canadiens disent dormir moins que les 7 à 9 heures recommandées par nuitNote de bas de page 1.

La fatigue est omniprésente dans les sociétés modernes, qui comptent énormément sur des secteurs en activité 24 heures sur 24, sept jours sur sept, comme le secteur du transport. La fatigue que l'on ressent en raison d'un manque de sommeil ou d'un sommeil de qualité insuffisante peut dégrader des aspects de la performance humaine, ce qui peut mener à des accidents. Dans le secteur du transport, la fatigue est encore plus probable à cause du travail par quart et de la traversée de plusieurs fuseaux horaires, qui perturbent le rythme circadien (ou quotidien) du corps humain.

Lutter contre la fatigue lorsqu'elle est présente, c'est mieux que rien, mais gérer les risques de fatigue dans le but de la prévenir est encore plus sécuritaire. C'est pourquoi la gestion de la fatigue dans les secteurs du transport ferroviaire, maritime et aérien figure sur la Liste de surveillance 2018 du BST.

Pourquoi maintenant? Dans le secteur des transports, les membres d'équipes et d'équipages travaillent fréquemment durant de longues heures et selon des horaires irréguliers, parfois dans des conditions difficiles ou en traversant plusieurs fuseaux horaires, ce qui n'est pas toujours propice à un sommeil réparateur. C'est pourquoi depuis le début des années 1990, le BST a déterminé que la fatigue due au manque de sommeil a été un facteur contributif ou un risque dans au moins 90 événements, dont 43 étaient dans le secteur de l'aviation. Reconnaissant que la réglementation canadienne sur la gestion de la fatigue dans les opérations aériennes n'est pas fondée sur les plus récents principes de la science de la fatigue et qu'elle ne respecte pas les normes internationales, l'organisme de réglementation (Transports Canada) a travaillé pendant plusieurs années à moderniser ses règlements sur le temps de vol et de service. Toutefois, en octobre 2018, la version définitive de la réglementation n'avait toujours pas été publiée.  

L'événement mettant en cause la fatigue qui a le plus attiré l'attention récemment est sans doute celui survenu en juillet 2017, à l'aéroport international de San Francisco (SFO), lorsqu'un avion d'Air Canada qui avait été autorisé à atterrir sur la piste 28-A s'est plutôt aligné sur la voie de circulation parallèle adjacente. L'avion n'était plus qu'à 100 pieds au-dessus du sol lorsque l'équipage s'est rendu compte de la méprise et a remis les gaz. Pendant ce temps, plus bas, quatre autres avions étaient alignés sur la même voie de circulation et attendaient de partir. L'enquête a révélé que l'espacement minimal entre l'avion en cause et ceux sur la voie de circulation était de 10 à 20 pieds.

À la suite de l'enquête menée par la suite sur ce quasi-accident, et d'après le rapport publié par le National Transportation Safety Board des États-Unis (NTSB), on a conclu que le commandant de bord et le copilote étaient tous les deux fatigués [traduction] « en raison du nombre d'heures consécutives pendant lesquelles ils étaient restés éveillés et de la perturbation de leur rythme circadien ». Le commandant de bord, un pilote réserviste, était éveillé depuis plus de 19 heures et le copilote, depuis plus de 12 heures. Le rapport mentionnait également que les exigences stipulées dans la réglementation canadienne alors en vigueur ne permettaient pas un repos suffisant et, par conséquent, qu'il y a des risques que les pilotes aux commandes soient fatigués. Dans l'une des recommandations émises par la suite, on demande à ce que Transports Canda révise le règlement actuel afin [traduction] « d'atténuer les risques de fatigue chez les pilotes réservistes devant effectuer des vols de nuit qui empiètent sur leur phase de dépression circadienne ».

En décembre 2018, le ministre des Transports du Canada a annoncé qu'on avait mis la dernière main aux changements à la réglementation sur les temps de vol et de service. Ces changements réduiront les limites annuelles, mensuelles et hebdomadaires de temps de vol, ainsi que les temps de service maximaux.

Bien qu'il reste à voir quel effet auront ces nouvelles mesures, la Liste de surveillance indique clairement qu'il faut faire plus. Plus précisément, les exploitants aériens canadiens doivent mettre en place des systèmes de gestion des risques liés à la fatigue (SGRF) visant à atténuer les risques propres à leurs activités.

À quoi ressembleront ces systèmes? Ce qui est certain, c'est qu'il faudra que les entreprises, leurs dirigeants et leurs employés – et même les familles de ceux-ci – apprennent à voir la fatigue sous un jour entièrement nouveau pour en réduire les risques.

D'abord, tous les employés qui occupent un poste essentiel à la sécurité doivent être conscients des risques de la fatigue et apprendre à en réduire les effets. Que ce soit grâce à des cours pratiques ou à des formations de sensibilisation, ils doivent savoir ce qui peut arriver lorsque l'on tente de travailler alors que l'on est fatigué. Ils doivent également connaître les facteurs qui peuvent aggraver leur fatigue et les mesures qui peuvent l'atténuer.

Ensuite, les employeurs et les exploitants doivent mettre au point un plan de SGRF qui ne se limite pas à des généralités. Ça ne suffit pas de dire aux employés qu'ils devraient se reposer davantage. Le plan doit plutôt aborder précisément les facteurs qui produisent ou exacerbent la fatigue dans leurs activités.

Pendant ce temps, le BST continuera d'être à l'affût des signes de fatigue et de ses effets sur la performance humaine dans toutes ses enquêtes sur des événements. Lorsque nous constaterons que la gestion des risques de fatigue s'est améliorée, nous le communiquerons. S'il faut en faire plus, nous le communiquerons aussi. La sécurité des passagers, des gens au sol et même de toute la communauté de l'aviation en dépend.