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Rapport d'enquête aéronautique A94Q0114

Perte de contrôle au décollage
Zenair CH701 C-FFEW
Lac Croche (Québec)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Après plusieurs tentatives infructueuses, l'appareil équipé de flotteurs a décollé avec pleins volets du lac Croche (Québec). Après le décollage, le pilote a conservé l'angle de montée initiale en gardant une vitesse entre 40 et 45 milles par heure (mph) pour franchir les montagnes en bordure du lac. Le pilote a mentionné qu'à environ 20 pieds au-dessus du lac, l'aile gauche s'était soulevée sous l'effet d'une bourrasque de vent. L'appareil a piqué vers le lac en tournant à grande inclinaison vers la gauche. Le flotteur gauche a heurté l'eau, et l'avant du flotteur s'est cassé. Les flotteurs se sont logés sous les ailes. L'aéronef est demeuré à l'endroit, avec la cabine à demi-submergée. Le pilote et le passager n'ont pas été blessés et se sont hissés sur un des flotteurs. Pensant que l'appareil allait sombrer rapidement, ils ont décidé de nager vers le rivage. Ni le pilote ni le passager ne portait de gilet de sauvetage. Le pilote a atteint la rive mais le passager a été retrouvé noyé, le lendemain. L'accident s'est produit vers 8 h 45, heure avancée de l'Est (HAE)Note de bas de page 1.

Renseignements de base

Le pilote avait accumulé 32 heures de vol sur appareil équipé de flotteurs et il possédait la licence pour le vol entrepris. Il a cependant souligné son peu d'expérience de vol. Un vidéo amateur, montrant l'arrivée du pilote et du passager au lac Croche deux jours avant l'accident, révèle un contact initial brutal de l'appareil avec la surface de l'eau, suivi d'un rebond d'environ 20 pieds. La surface du lac était en conditions d'eau miroitante. Durant le rebond, l'amplitude du tangage des flotteurs par rapport au fuselage dépassait 15 degrés. Le choc a été suffisant pour fissurer le pare-brise et fausser légèrement l'attache du montant arrière droit au flotteur. Le pilote n'a pas considéré l'événement comme anormal. Outre l'attache du flotteur, le pilote n'a remarqué aucun autre élément de l'appareil qui aurait pu être affecté par l'amerrissage.

Le pilote a indiqué que, lors du décollage du lac, la charge de l'appareil était de 410 livres (lb). La première tentative s'est effectuée vers l'ouest avec 10 degrés de volets. Comme les vents semblaient tournoyer, il a fait une autre tentative infructueuse, cette fois vers l'est avec 20 degrés de volets. L'appareil a finalement décollé vers l'ouest avec 30 degrés de volets. Selon le pilote, la course au décollage a utilisé la moitié du lac, soit environ 2 500 pieds.

Une étude météorologique mentionne que la région du lac Croche était sous des conditions de vol à vue. Les vents, provenant du nord-nord-ouest, étaient estimés à moins de 10 noeuds. Les témoignages recueillis confirment que le vent était faible, de direction changeante et ne produisait que de petites vagues à la surface du lac.

Lorsque l'aile droite s'est soulevée, le pilote a appliqué l'aileron opposé et sollicité à fond la gouverne de profondeur, mais l'appareil a piqué et tourné vers la gauche à grande inclinaison. Le pilote n'a pas utilisé les palonniers. L'appareil ne transportait pas de gilets de sauvetage tel que requis par la réglementation. Les occupants utilisaient des ceintures munies d'un baudrier.

Lorsqu'ils ont quitté l'épave à la nage, les deux occupants se trouvaient à environ 200 pieds de la rive, et le pilote avait l'impression que le vent les éloignait du rivage. Il a souligné que, sans gilet de sauvetage et avec son habillement, il a rapidement senti ses forces diminuer. Il a déclaré que les encouragements que le passager lui a fournis ont été déterminants à sa survie. Le passager, malgré ses aptitudes à la nage, une apparente maîtrise de la situation et une bonne forme physique, n'a pas atteint la rive. Son corps a été retrouvé à environ 25 pieds du rivage, à une profondeur de cinq pieds d'eau. L'hydravion est resté à flot pendant plus de six heures.

Le manuel du propriétaire de la compagnie mentionne que, sur roues, avec un moteur Rotax 912 développant 80 HP, un poids de 960 lb, la vitesse de décrochage avec volets (Vso) est de 30 mph et le meilleur angle de montée (Vx) est obtenu avec demi ou pleins volets à une vitesse de 35 mph. Le manuel mentionne également que le meilleur taux de montée (Vy) est obtenu avec volets rentrés à la vitesse de 40 mph. Cependant, le tableau des performances de l'appareil indique qu'un taux de montée de 1 300 pieds par minute (pi/min) peut être obtenu à une vitesse de 48 mph.

Un dépliant (publicitaire) d'information montre l'avion sur flotteurs amphibies avec un tableau de performances. Avec le même moteur et au même poids, le taux de montée augmente à 1 400 pi/min. Ces différences n'ont pu être expliquées par la compagnie.

Le rapport de montée soumis à Transports Canada par le propriétaire indique que l'avion sur roues avait un taux de montée de 666 pi/min. Un instructeur ayant volé avec plusieurs avions de ce type a observé les performances suivantes : vitesse de décrochage de 35/38 mph, et meilleur taux de montée d'environ 500 pi/min obtenu à 50 mph sans volets. Les essais qu'il a effectués avec pleins volets sur le même appareil, à des poids inférieurs à 960 lb, ont donné des taux de montée inférieurs à 300 pi/min, quelle que soit la vitesse. À moins de 40 mph, le taux de montée était presque annulé et l'hydravion devenait très instable. L'instructeur a aussi noté que la gouverne de profondeur sur cet appareil perdait son efficacité à des vitesses inférieures à 65 mph et un apport de puissance était nécessaire pour relever le nez. Sur l'eau, le nez des flotteurs était presque submergé et il préférait utiliser de la puissance pour le maintenir hors de l'eau. Le constructeur de l'avion n'a pas publié de correctif au manuel du propriétaire pour indiquer ces différences.

L'hydravion de construction amateur était équipé d'un moteur Teledyne Continental 0-200 développant 100 HP et d'une hélice McCauley en métal. Ce type de motorisation est accepté par la compagnie, mais celle-ci ne possède pas de données sur les performances de l'appareil. Cet ensemble moteur/hélice était de 138 lb plus lourd qu'avec le moteur Rotax avec hélice en composite. Selon la compagnie, le plus léger des appareils assemblés avec ce moteur et cette hélice pesait 530 lb. De plus, la compagnie mentionne que le poids des flotteurs, avec gouvernail et montants de fixation, est d'environ 95 lb. L'enlèvement des roues soustrait environ 34 lb, pour une nette augmentation de 61 lb sur flotteurs. La compagnie et Transports Canada avaient autorisé que la masse maximale de l'appareil soit augmentée de 960 lb à 1 107 lb.

Le rapport de poids et centrage de l'appareil indique que, sur roues, l'appareil pesait 521 lb, et 568 lb avec des flotteurs de 81 lb, soit une augmentation de 47 lb après l'enlèvement des roues. Sur flotteurs, seul un rapport de poids est fourni, sans aucune indication de changement sur le centre de gravité pour cette configuration. Aucun rapport d'installation de flotteurs n'apparaît au dossier de l'appareil et, bien que le carnet de route indique que l'appareil était exploité alternativement d'une piste ou d'un lac, aucune indication d'installation ou d'enlèvement des flotteurs n'a été notée. L'installation des flotteurs n'a pas été mentionnée sur les rapports annuels d'information sur la navigabilité depuis la construction de l'appareil en 1989. Les composants des flotteurs avaient été achetés de la compagnie Zenair en pièces précoupées, et ces pièces avaient été assemblées par le constructeur de l'avion.

L'appareil a été pesé, ce qui a permis d'établir que le poids du moteur avec l'hélice était de 278 lb et que les flotteurs pesaient 127,5 lb. L'ensemble des pièces disponibles de l'appareil pesait 836 lb. Aucun bras de levier n'étant disponible, un centrage du poids n'a pu être effectué.

L'apport d'un vent de travers lors d'un décollage peut apporter un supplément de portance en augmentant la vélocité de l'air sur l'aile exposée, mais n'impose aucun mouvement de piqué à l'appareil. Un avion offre plus de surface latérale exposée au vent de travers à l'arrière du centre de gravité qu'à l'avant et est donc porté à tourner vers le vent, plutôt qu'à tourner en direction opposée au vent. La portance d'un avion au décollage est augmentée par l'effet de sol. Cet effet est annulé à une hauteur correspondant à environ la moitié de l'envergure de l'avion.

Analyse

Le pilote possédait la licence pour le vol entrepris. La technique de décollage avec pleins volets et les vitesses utilisées correspondaient aux indications du manuel de vol de l'appareil.

Le poids de l'appareil au décollage, selon le rapport de poids du constructeur, était de 977 lb. Cependant, le poids réel de l'hydravion étant de 836 lb, le poids au décollage était donc de 1 266 lb, soit 159 lb au-dessus de la masse maximale autorisée, et 306 lb au-dessus du poids pour lequel les données de performances étaient disponibles de la compagnie.

Même si un centrage de poids n'a pu être fait, le manque d'efficacité de la gouverne de profondeur à une vitesse deux fois supérieure à la vitesse de décrochage ainsi que l'assiette des flotteurs sur l'eau indiquent que le centrage dépassait la limite avant de l'hydravion. Un centrage avant excessif réduit les performances. Les performances de montée de l'appareil, malgré un moteur de 20 HP plus puissant, étaient la moitié de celles publiées.

L'absence de données de performances avec un moteur 0-200, et le manque d'explications par la compagnie sur les données contradictoires concernant les taux de montée optimum, invalident leur application sur l'appareil accidenté. Les performances que l'instructeur a observées, et qui semblent les plus plausibles, ont été retenues; elles indiquent qu'au décollage, la vitesse inférieure à 45 mph utilisée par le pilote a maintenu l'appareil près de la vitesse de décrochage. L'appareil étant en surcharge, la vitesse de décrochage était augmentée, et le centrage avant excessif réduisait l'efficacité de la gouverne de profondeur.

Il est plausible qu'un changement de la vitesse du vent ait pu augmenter la portance de l'aile droite et la soulever; cependant, l'effet de girouette aurait fait tourner l'hydravion vers le vent et n'aurait pas occasionné un mouvement de piqué. L'avion a décroché lorsqu'il est sorti de l'effet de sol. Il est fréquent qu'un décrochage soit suivi d'une vrille lorsque le mouvement de lacet n'est pas contré avec les palonniers. Le virage serré à gauche, en vent arrière, indique que l'appareil amorçait une vrille.

L'enquête a donné lieu au rapport de laboratoire suivant :

Faits établis

  1. Le poids de l'hydravion était de 269 livres au-dessus du poids indiqué dans le rapport de poids et centrage.
  2. La limite de centrage avant était dépassée.
  3. Aucun centrage des poids sur flotteurs n'avait été inscrit dans le rapport de poids et centrage.
  4. L'installation des flotteurs n'était pas annotée dans le carnet de l'appareil et n'avait pas été signalée à Transports Canada.
  5. Les performances en montée de l'avion étaient deux fois inférieures à celles publiées par le concepteur pour les avions équipés du moteur Rotax.
  6. Il n'y avait pas de gilets de sauvetage à bord de l'appareil.

Causes et facteurs contributifs

Lors de la montée initiale, la surcharge et le centrage avant excessif de l'aéronef ont causé un décrochage à une vitesse supérieure à celle publiée par le concepteur.

Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. La publication de ce rapport a été autorisée le par le Bureau, qui est composé du Président, John W. Stants, et des membres Zita Brunet et Hugh MacNeil.