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Rapport d'enquête aéronautique A98P0100

Incendie moteur en vol
Shadow Forest Services Ltd.
Piper PA-31 Navajo C-GBFZ
50 nm au nord-est de Port Hardy
(Colombie-Britannique)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Le Piper PA-31 Navajo, numéro de série 31-7752151, a quitté Machmell (Colombie-Britannique), vers 16 h 00, heure avancée du Pacifique, avec le pilote et un passager à bord. L'avion franchissait les 10 000 pieds au-dessus du niveau de la mer en montée, en route vers Nanaimo, lorsque le pilote a remarqué que l'indication de pression de carburant du moteur numéro deux avait baissé et fluctuait. Ce problème avait été relevé auparavant, et le service de maintenance de la compagnie avait tenté de le corriger en remplaçant le transducteur de débit carburant sur ce moteur. Le pilote a communiqué avec la compagnie pour discuter du problème et, pendant qu'il parlait au personnel de maintenance, il a entendu une explosion. Au même moment, le passager a signalé qu'il pouvait voir des flammes sortir des évents du capotage inférieur du moteur numéro deux. Le pilote a coupé le moteur selon la procédure de la liste des vérifications d'urgence de l'avion, mais il a fallu de trois à quatre minutes pour que l'incendie s'éteigne. Le pilote s'est alors dérouté vers Port Hardy et s'est posé sans autres problèmes alors que les services d'intervention d'urgence de l'aéroport l'attendaient. Personne n'a été blessé, mais l'avion a subi de graves dommages à cause de l'incendie.

Renseignements de base

Le PA-31 Navajo est équipé de deux moteurs Lycoming TI0-540-J2BD. L'avion en question totalisait 10 250 heures cellule, et le moteur numéro deux, 1 145 heures depuis la révision. Le carburant alimente le moteur par l'intermédiaire d'une pompe à carburant entraînée par le moteur et fixée sur le relais d'accessoires. La pompe à carburant est située à environ 8.5 pouces en avant et au-dessous du turbocompresseur de suralimentation et d'autres composants chauds du circuit d'échappement.

Une inspection technique de l'avion à la suite de cet accident a révélé d'importants dommages causés par l'incendie au relais d'accessoires du moteur, notamment à l'attache moteur et au capotage inférieur, ainsi que des dommages causés par le feu à la trappe du train d'atterrissage droit, au revêtement de l'intrados de l'aile et au compartiment à bagages intégré au fuseau moteur. Une partie en aluminium de la trappe du train, d'une dimension de six pouces sur six pouces, située à la partie antérieure de cette trappe, avait été consumée par l'incendie. Le bord d'attaque du volet présentait un trou de taille semblable causé par la chaleur de l'incendie. Une trace des flammes large de 14 pouces s'étendait du panneau du capotage, sous le relais d'accessoires du moteur, jusqu'à l'extrémité arrière du compartiment à bagages intégré au fuseau. Sur toute la longueur de la trace de la flamme, la peinture et la couche d'apprêt avaient été consumées, le revêtement était gondolé, il manquait certaines têtes de rivet, et le revêtement avait été perforé en deux endroits par la chaleur.

L'inspection a aussi permis de déterminer que la pompe, référence RG 9080 J4A, entraînée par le moteur avait laissé s'échapper du carburant par la garniture située entre le corps de la pompe et le capuchon de la soupape de décharge. Une analyse du Laboratoire technique du BST a montré que la fuite avait été causée par un serrage insuffisant des quatre vis de fixation du capuchon de la soupape de décharge. On a découvert que le serrage des vis se situait entre 0 et 3 livres-pouce, alors que le couple de serrage spécifié pour ces vis est compris entre 23 et 25 livres-pouce.

Le fabricant de la pompe à carburant, Crane-Lear Romec, était au courant de la fuite de la pompe causée par un desserrage des vis et il avait déterminé que le desserrage des vis était causé par le fait que la garniture située entre le corps de la pompe et le capuchon de la soupape de décharge se moulait dans une forme amincie, c'est-à-dire qu'elle s'écrasait sans conserver son élasticité. Ce problème était aggravé par la dilatation thermique de la pompe. À mesure que la température de l'air dans le voisinage de la pompe augmente, le corps de la pompe et le capuchon de la soupape se dilatent, ce qui comprime encore plus la garniture. Après refroidissement de la pompe, le corps de cette dernière et le capuchon de la soupape de décharge reviennent à leurs dimensions d'origine, tandis que la garniture a tendance à demeurer comprimée. Le serrage des quatre vis fixant le capuchon de la soupape de décharge au corps de la pompe s'exerce contre la surface de la garniture; toute réduction de la taille de la garniture sous l'effet de la compression réduit le serrage des vis et la fixation du capuchon de la soupape.

La température de l'air dans les compartiments moteur fermés du PA-31 Navajo s'élève, selon les informations obtenues, jusqu'à 200 degrés Fahrenheit (93 degrés Celsius), surtout après l'arrêt complet du moteur, lorsqu'il n'y a plus de courant d'air de refroidissement autour du moteur et dans ce dernier. Avec le temps, ce milieu à haute température a précipité le tassement de la garniture, le desserrage des vis de fixation et la fuite de carburant qui a alimenté l'incendie moteur en vol.

Lorsque la compagnie Lycoming a été mis au courant de ce problème, elle a publié le bulletin de service (BS) numéro 406, le 19 novembre 1976. Ce bulletin indique qu'il faut vérifier le serrage des vis et resserrer ces dernières au besoin. Plusieurs révisions de ce bulletin ont été publiées, et un nouveau BS, numéro 529, a été publié le 1er novembre 1997. Le BS 529 est semblable au BS 406 en ce qu'il prescrit de vérifier le serrage des vis et de resserrer ces dernières au besoin, mais le BS 529 ajoute que la conformité au BS doit être réalisée 5 heures de fonctionnement du moteur au plus tôt après la pose de la garniture, mais avant 10 heures. Cette pratique vise à exposer la pompe à carburant entraînée par moteur à la chaleur et aux contraintes d'un fonctionnement normal et amener ainsi la garniture à se tasser. Le tassement de la garniture s'accompagne d'un desserrage des vis. Le BS demande que les vis soient resserrées et de vérifier l'étanchéité de la garniture toutes les 50 heures ou à tous les 6 mois par la suite, et de la remplacer si l'on découvre des fuites.

Lors de la révision de la pompe à carburant, la pompe n'est pas montée sur le moteur et, par conséquent, on ne peut se conformer au BS à ce moment. Après la révision du moteur, ce dernier, pompe à carburant montée, fonctionne habituellement sur un banc d'essai pendant 1 heure ou moins avant que le moteur ne soit retourné à l'exploitant. Comme le BS demande un fonctionnement d'au moins 5 heures du moteur, le BS ne peut être exécuté lors de l'une ou de l'autre révision.

Au Canada, le Règlement de l'aviation canadien (RAC) n'oblige pas à se conformer à un BS. Par contre, lorsqu'on se conforme à un BS, le RAC demande que l'organisation exécutant la maintenance fasse une inscription appropriée dans le carnet technique pertinent pour indiquer la conformité au BS. Malgré cette exigence, il peut arriver qu'on se soit conformé à un BS, qu'on ait fait une inscription dans le carnet technique, puis qu'une pièce soit remplacée sans qu'il y ait trace indiquant que le BS doive être exécuté sur cette pièce de rechange. En passant en revue les dossiers de l'avion en question, les enquêteurs n'ont trouvé aucune indication attestant que le BS avait été exécuté.

La procédure de la liste des vérifications d'urgence intitulée «Incendie moteur en vol » que le pilote a utilisé comme première réaction à l'explosion et à l'incendie exige de placer le robinet coupe-feu du moteur touché à la position OFF, de couper les gaz, de mettre l'hélice en drapeau et de régler la commande de mélange sur IDLE CUT-OFF. La liste des vérifications d'urgence exige ensuite que le pilote suive les « Engine Securing Procedures » figurant au paragraphe 3.7. Cette vérification, en partie, demandait au pilote de « déclencher le disjoncteur de la pompe d'appoint en carburant ». Lorsque le pilote a voulu exécuter cette mesure, il s'est rendu compte qu'il ne pouvait avoir accès au disjoncteur de la pompe d'appoint haute altitude ni le déclencher parce que les fiches de son casque d'écoute, tel qu'elles sont placées, l'empêchaient d'accéder aux disjoncteurs. Il a du interrompre le cours normal de la liste des vérifications pour débrancher d'abord les fiches de son casque d'écoute de leurs prises et déclencher le disjoncteur de la pompe d'appoint. Il s'en est suivi que la réaction du pilote à la situation d'urgence a été ralentie, et ses communications radio ont été compromises.

Selon les informations obtenues, la configuration de l'installation des fiches de casque d'écoute est courante et touche toute la flotte des modèles Navajo produits après 1976. Elle pourrait aussi se retrouver dans les modèles d'avant 1976 dans lesquels des systèmes de pompes d'appoint haute altitude facultatifs ont été installés.

Analyse

Le pilote a remarqué des fluctuations de pression de carburant sur les instruments moteur du poste de pilotage. Ces fluctuations étaient probablement dues à la fuite de carburant au niveau de la pompe à carburant entraînée par moteur. Cette fuite avait été causée par les desserrage graduel des quatre vis fixant le capuchon de la soupape de décharge de la pompe à carburant au corps de cette dernière. Le problème avait été relevé auparavant, et des BS sur la pompe avaient été publiés par le constructeur du moteur dès le 17 novembre 1976. On n'a retrouvé aucune trace indiquant que ce BS avait été incorporé à la pompe à carburant de l'avion en question.

En raison de l'exigence visant à ce que la pompe à carburant entraînée par moteur fonctionne de 5 à 10 heures avant que l'on resserre les vis, il n'était pas possible de se conformer à ce BS lors de la révision de la pompe, et il est peu probable que le BS ait été incorporé lors de la révision du moteur. Il est plus probable que l'atelier de maintenance de l'avion aurait exécuté le BS après que le composant ait totalisé un temps en service supérieur à celui spécifié dans le BS. La fuite de la pompe d'appoint en carburant a été directement causée par la non-exécution du travail indiqué dans le bulletin de service.

La pompe à carburant entraînée par le moteur a fui dans le compartiment moteur, fournissant ainsi une source de carburant qui pouvait contribuer à un incendie en vol au contact de composants brûlants, comme le turbocompresseur de suralimentation ou le circuit d'échappement.

Pour réagir à cet incendie en vol, le pilote a dû débrancher les fiches de son casque d'écoute pour accéder au disjoncteur de la pompe d'appoint. Cette mesure supplémentaire a nui à l'exécution de sa liste des vérifications et a compromis ses communications avec l'atelier de maintenance et le contrôle de la circulation aérienne lors d'une grave situation d'urgence.

L'enquête a donné lieu au rapport suivant du Laboratoire technique :

Faits établis

  1. Le personnel de maintenance de la compagnie avait remarqué précédemment la fluctuation de pression de carburant sur le moteur numéro deux et avait tenté de remédier au problème en remplaçant son transducteur de débit carburant.
  2. Les constructeurs du moteur et de la pompe à carburant entraînée par moteur connaissaient tous deux les circonstances à l'origine de la fuite de la pompe et ils avaient publiés des bulletins de service (BS) pour remédier au problème.
  3. Aucun écrit n'attestait que le BS relatif à la fuite de la pompe à carburant avait été exécuté sur l'avion en question.
  4. Des bulletins de service peuvent être exécutés à l'égard de composants, attestés pour un aéronef, puis le composant peut être remplacé sans que le BS soit exécuté sur le nouvelle pièce, et il n'y a aucune trace indiquant cette situation.
  5. Au Canada, rien n'oblige à se conformer aux bulletins de service, même à ceux qui sont obligatoires.
  6. La pompe à carburant entraînée par moteur se trouve près du turbocompresseur de suralimentation et d'autres composants chauds du circuit d'échappement.
  7. La fuite de la pompe à carburant entraînée par moteur a été causée par le desserrage des vis fixant le capuchon de la soupape de décharge.
  8. Le carburant qui a fui a été probablement enflammé par le turbocompresseur de suralimentation ou le circuit d'échappement.
  9. L'emplacement des fiches du casque d'écoute a obligé le pilote à débrancher les fiches pour accéder au disjoncteur de la pompe à carburant, ce qui compromis sa capacité à communiquer pendant une situation d'urgence et nui à sa réaction face à l'urgence en vol.

Causes et facteurs contributifs

Une fuite de la pompe à carburant se trouvant dans le voisinage de composants chauds du circuit d'échappement a causé l'incendie du moteur en vol. La fuite de la pompe à carburant, qui a contribué à l'incendie, est une conséquence directe de l'omission d'effectuer le travail indiqué dans le bulletin de service.

Mesure de sécurité

Mesure de sécurité prises

L'atelier de maintenance de l'avion en question a présenté à Transports Canada un Rapport de difficultés en service en ce qui a trait à la fuite de la pompe à carburant entraînée par le moteur et à l'incendie qui s'en est suivi.

Le fabricant de la pompe, Crane-Lear Romec, avait publié le bulletin de service 101SB020, dès juillet 1997 demandant de resserrer les quatre vis sur la pompe après cinq heures de fonctionnement et de vérifier l'étanchéité de la pompe à chaque inspection du moteur par la suite. Transports Canada, en consultation avec la Federal Aviation Administration des États-Unis, a publié la consigne de navigabilité CN 98-18-12, laquelle rendait obligatoire la conformité au bulletin de service 529A de Textron Lycoming, daté du 2 août 1999. Le BS 529A est un bulletin de service « obligatoire » de Textron Lycoming qui exige la conformité au BS 101SB020, rév. 2, de Crane-Lear Romec.

Comme solution à long terme, le fabricant de la pompe a redessiné la pompe à carburant pour qu'elle accepte un joint torique, plutôt qu'une garniture. Ce joint torique permettrait à la pompe à carburant de se dilater et de se contracter sans que les vis ne se desserrent. Depuis octobre 1999, Crane-Lear Romec a rédigé un bulletin de service précisant les instructions de modification pour la pompe à carburant RG 9080 J4A entraînée par moteur, ce qui offre un autre moyen de se conformer au BS 101SB020. Ce dernier bulletin de service est en train d'être revu par Textron Lycoming et la Federal Aviation Administration.

Le BST a envoyé le bulletin d'événement aéronautique A98P0100 relativement à l'emplacement des fiches du casque d'écoute à l'atelier de maintenance de l'avion en question, à la National Transportation Safety Board des États-Unis, au constructeur de l'avion et à Transports Canada.

Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. La publication de ce rapport a été autorisée le par le Bureau qui est composé du Président Benoît Bouchard et des membres Charles Simpson et W.A. Tadros.