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Rapport d’enquête sur la sécurité du transport aérien A21O0066

Sortie en bout de piste
Thunder Airlines Limited
Beechcraft King Air A100 (C-GKAJ)
Aéroport de Moosonee (Ontario)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Déroulement du vol

Le 6 août 2021, l’aéronef Beechcraft King Air A100 (immatriculation C-GKAJ, numéro de série B232) sous immatriculation commerciale au nom de Thunder Airlines Limited (Thunder Airlines) effectuait le vol régulier THU107 à partir de l’aéroport Victor M. Power de Timmins (CYTS) (Ontario) à destination de l’aéroport de Moosonee (CYMO) (Ontario), avec 2 membres d’équipage et 7 passagers à bord. L’aéronef a décollé de CYTS à 8 h 31.Note de bas de page 1

Pendant que l’équipage de l’aéronef à l’étude préparait une approche vers la piste 06 à CYMO, un autre aéronef exploité par Thunder Airlines sous le numéro de vol THU106 a tenté la première de 2 approches aux instruments vers la piste 06. Malgré les conditions météorologiques difficiles, l’aéronef a pu atterrir à la seconde approche à 9 h 16.

Au moment de l’événement, il y avait de fortes pluies dans les environs de CYMO. L’aéronef a effectué une première approche, qui a été infructueuse. Il a ensuite effectué une approche interrompue à 9 h 22 suivie d’une seconde approche, cette fois pour atterrir sur la piste 24. Pendant la courte finale, l’équipage a pu obtenir les références visuelles requises pour poursuivre l’approche en vue de l’atterrissage. Après s’être posé à peu près à mi-longueur de la piste 24, l’aéronef a poursuivi sa route le long de la piste, est sorti en bout de piste et s’est immobilisé à environ 50 pieds au-delà du seuil de la piste 06, vers 9 h 34. Personne n’a été blessé, et l’aéronef n’a pas été endommagé.

Équipage de conduite

Le commandant de bord, qui était le pilote aux commandes (PF), avait accumulé près de 2038 heures de vol, dont 1773 heures sur le Beechcraft King Air A100. La première officière, qui était la pilote surveillante, avait accumulé près de 1231 heures de vol, dont 114 heures sur le Beechcraft King Air A100.

Les membres de l’équipage de conduite dans l’événement à l’étude avaient des certificats médicaux valides et les licences appropriées pour effectuer le vol, conformément à la réglementation en vigueur.

Renseignements météorologiques

Les observations météorologiques de surface sous forme de messages d’observation météorologique régulière d’aérodrome (METAR) sont produites par des observateurs humains ou par un système automatisé d’observations météorologiques (AWOS). Un AWOS est installé à CYMO et, comme le prévoit le Supplément de vol – Canada, il s’agit d’un système METAR automatique (METAR AUTO). Le système METAR AUTO produit un METAR horaire ainsi que des rapports codés de messages d’observation météorologique spéciale d’aérodrome (SPECI) si les conditions météorologiques diffèrent beaucoup de celles indiquées dans le METAR. Les messages de l’AWOS pour CYMO sont diffusés 24 heures sur 24 sur la fréquence 124,8 MHz.

Avant le vol, l’équipage de conduite avait consulté les renseignements météorologiques pour la route du vol, notamment les NOTAM, les prévisions de zone graphique, les METAR, les prévisions d’aérodrome (TAF), les comptes rendus météorologiques de pilote, les AIRMET et les renseignements météorologiques significatifs. L’équipage avait aussi visionné les caméras météo disponibles pour les aéroports qui se trouvent le long de l’itinéraire prévu.

La TAF suivante a été émise pour CYMO le 6 août 2021 à 7 h 39 et couvrait la période de 8 h à 20 h :

L’équipage de conduite a examiné le METAR émis à 8 h, soit 36 minutes avant le départ de CYTS, qui indiquait ce qui suit :

Avant d’entamer la descente vers CYMO, l’équipage a écouté la transmission de l’AWOS à CYMO et a reçu l’observation météorologique suivante faite à 8 h 59 :

L’équipage de conduite n’avait pas reçu le SPECI pour CYMO émis à 9 h 18, soit 4 minutes avant l’approche interrompue de l’aéronef à l’étude, qui signalait ce qui suit :

À 9 h 30, environ 4 minutes avant que l’aéronef ne se pose sur la piste 24, le SPECI suivant a été émis pour CYMO, mais n’a pas été reçu par l’équipage de conduite :

D’après un examen des photos prises après l’événement, environ 20 minutes après la sortie en bout de piste, la piste semblait très mouillée et les précipitations étaient fortes.

Renseignements sur l’aéronef

Aucun problème relatif à l’équipement, à la maintenance ou à la certification de l’aéronef qui aurait pu empêcher ce dernier de fonctionner normalement pendant le vol à l’étude n’a été relevé au cours de l’enquête. La masse et le centre de gravité de l’aéronef se trouvaient dans les limites prescrites. Au moment de l’événement, l’aéronef totalisait environ 35 100 heures de vol.

L’aéronef de l’événement à l’étude n’était pas muni d’un dispositif de freinage antipatinage.

L’aéronef de l’événement à l’étude était doté d’un enregistreur de conversations de poste de pilotage. Toutefois, il n’était pas muni d’un enregistreur de données de vol, mais il n’était pas tenu de l’être selon la réglementation en vigueur.

Renseignements sur l’aérodrome

CYMO est situé à environ 9,5 milles marins (NM) en amont de la baie James, près de la rive nord de la rivière Moose, et son altitude d’aérodrome est de 30 pieds au-dessus du niveau de la mer.

CYMO compte 2 pistes. La piste 06/24, soit la piste dans l’événement à l’étude, est asphaltée et fait 4004 pieds de longueur et 100 pieds de largeur. L’autre piste, soit la piste 14/32, est recouverte partiellement de gravier et partiellement d’asphalte et fait 3554 pieds de longueur et 100 pieds de largeur (1872 pieds de gravier et 1682 pieds d’asphalte).

Cinq approches aux instruments sont publiées dans le Canada Air Pilot (CAP) pour CYMO : RNAV (GNSS)Note de bas de page 2 Rwy 06 [piste 06], RNAV (GNSS) Rwy 24 [piste 24], VORNote de bas de page 3 Rwy 06, VOR Rwy 24 et VOR Rwy 32 [piste 32].

Un indicateur de trajectoire d’approche de précision simplifié (APAPI) était installé pour chacune des pistes 06 et 24; toutefois, on avait signalé, par l’entremise d’un NOTAM, que les deux APAPI étaient hors d’usage de manière continue depuis le 22 novembre 2019. La réglementation n’exige pas que les APAPI soient fonctionnels.

Profil de vol

L’équipage de conduite a effectué 2 approches aux instruments à CYMO. Durant la première approche, RNAV (GNSS) Rwy 06, l’équipage de conduite n’a pas obtenu les références visuelles requises pour continuer la descente en vue d’atterrir sur la piste 06. La seconde approche, RNAV (GNSS) Rwy 24, a été effectuée vers la piste 24. Les minimums de performance d’alignement de piste avec guidage vertical (LPV) pour les 2 approches sont de 276 pieds au-dessus du niveau de la mer (250 pieds AGL), ce qui correspond à l’altitude (altitude de décision) à laquelle l’équipage de conduite doit effectuer une approche interrompue s’il n’a pas obtenu les références visuelles requises, et une visibilité recommandée de 1 SM. Pendant la seconde approche, l’équipage de conduite a pu obtenir les références visuelles requises alors qu’il se trouvait en finale à environ ½ NM de la piste 24 et a poursuivi la descente en vue de l’atterrissage.

Pendant la descente, lorsque l’aéronef est passé des conditions météorologiques de vol aux instruments aux conditions météorologiques de vol à vue, le PF a ralenti la vitesse d’approche de l’aéronef pour passer de 120 nœuds à la vitesse de référence d’atterrissage (Vref) Note de bas de page 4 de 105 nœuds, ce qui était la vitesse estimée au poser des roues.

L’aéronef s’est posé à mi-longueur environ de la piste de 4004 pieds. Après le poser des roues, le PF a sélectionné l’inversion de poussée et a enfoncé les pédales de frein. À environ 70 pieds de l’extrémité de la piste, l’aéronef avait une vitesse sol d’environ 40 nœuds. L’aéronef a continué à rouler sur la piste et a dépassé la surface dure.

Zone de poser et procédures d’exploitation normalisées

Transports Canada définit la zone de poser (TDZ) comme suit :

Les premiers 3 000 pi ou le premier tiers de la piste, selon le moindre des deux, mesurés à partir du seuil, dans le sens de l’atterrissageNote de bas de page 5.

Compte tenu de cette définition, en ce qui concerne la piste 06/24 à CYMO, les équipages de conduite devraient atterrir dans les 1335 premiers pieds de cette piste de 4004 pieds.

En 2020, le BST a publié son rapport d’enquête sur la sortie en bout de piste d’un Beechcraft King Air A100 à l’aéroport de Havre-Saint-Pierre (Québec) survenue le 26 février 2018Note de bas de page 6. Dans son rapport, le BST a mis en lumière la circulaire d’information (AC) 91-79A de la Federal Aviation Administration des États-Unis (FAA) qui fournissait [traduction] « aux pilotes et aux exploitants d’aéronefs des moyens de déterminer, de comprendre et d’atténuer les risques associés aux sorties en bout de piste à l’atterrissageNote de bas de page 7 » grâce à l’élaboration de procédures d’exploitation normalisées (SOP) précises. L’enquête a aussi permis de déterminer que la Fondation pour la sécurité des vols avait émis plusieurs recommandations en faveur de politiques et de SOP pour réduire les risques de sortie en bout de pisteNote de bas de page 8. Certaines de ces recommandations abordent précisément un certain nombre de lacunes et de risques qui étaient présents dans l’événement de 2018, comme la publication de renseignements et de procédures pour les atterrissages sur une piste contaminée et l’élaboration d’une politique qui interdit les atterrissages au-delà de la TDZ. Toutefois, la compagnie dans l’événement de 2018 n’avait pas incorporé ces recommandations dans ses activités, et il n’y avait aucune exigence à cet égard.

De même, Thunder Airlines n’exigeait pas que les équipages de conduite abordent, au cours d’un exposé, la TDZ, les procédures à suivre si l’aéronef dépasse cette zone ou les considérations relatives aux pistes contaminées.

Hydroplanage

L’hydroplanage, également appelé « aquaplanage », survient lorsqu’une couche d’eau se crée entre les pneus de l’avion et la surface de la piste, ce qui entraîne une perte d’adhérence et empêche l’avion de répondre aux commandes telles que la direction ou le freinage. Selon la FAA, [traduction] « un atterrissage à une vitesse supérieure aux vitesses de poser des roues recommandées expose l’avion à un plus grand risque d’hydroplanage. […] Une fois que l’hydroplanage a commencé, il peut se poursuivre jusqu’à des vitesses beaucoup plus basses que la vitesse d’hydroplanage initiale minimale.Note de bas de page 9 »

Selon le Manuel d’information aéronautique de Transports Canada :

Dans ces conditions, l’adhérence des pneus est négligeable et, dans certains cas, les roues peuvent même s’arrêter complètement de tourner; la capacité de freinage des pneus est nulle et ceux-ci ne permettent plus le contrôle directionnel de l’aéronef. Il est difficile d’évaluer précisément l’augmentation de la distance de freinage qui en résulte, mais selon les estimations, elle peut aller jusqu’à 700 %Note de bas de page 10.

En général, on distingue 3 types d’hydroplanage, décrits comme suit :

Un aquaplanage visqueux survient à une vitesse relativement faible sur une piste mouillée. La friction entre le pneu et la piste est réduite, mais pas au point d’empêcher la rotation de la roue.

Un aquaplanage dynamique survient à de plus hautes vitesses. Dans ce cas-ci, le pneu n’adhère plus à la piste et se déplace sur l’eau, ce qui empêche le freinage.

Un aquaplanage dû à la dévulcanisation du caoutchouc survient lorsqu’une roue bloquée se met à glisser sur la piste et génère assez de chaleur de façon à transformer l’eau en vapeur ainsi qu’à faire fondre le caoutchouc de manière à ce qu’il retrouve son état non vulcanisé. Seul ce type d’aquaplanage laisse une marque sur la bande de roulement du pneu qui ressemble à une brûlure (une marque de caoutchouc dévulcanisé) et possiblement des marques de chauffage à la vapeur sur la piste lorsque suffisamment de chaleur est générée par la friction entre le pneu et la piste pour transformer l’eau en vapeur.

Dans l’événement à l’étude, même si l’on n’a pas constaté de marques de chauffage à la vapeur sur la piste, les 4 pneus du train d’atterrissage principal de l’aéronef avaient des marques de caoutchouc dévulcanisé caractéristiques d’un aquaplanage dû à la dévulcanisation du caoutchouc.

Vitesse d’hydroplanage

[L]a vitesse minimale à laquelle commence l’aquaplanage pour un pneu qui n’est pas en rotation est inférieure à celle d’un pneu en rotation parce que l’eau s’accumule sous le pneu sans rotation, ce qui augmente l’effet d’aquaplanageNote de bas de page 11.

Thunder Airlines maintient la pression de gonflage des pneus du train d’atterrissage principal du Beechcraft King Air A100 entre 88 et 110 lb/po2. La pression des pneus après l’événement n’a pas été consignée.

Les vitesses d’hydroplanage minimales sont indiquées ci-dessous (tableau 1).

Tableau 1. Vitesses d’hydroplanage minimales
Pression des pneus (lb/po2) Vitesse d’un pneu sans rotation (nœuds) Vitesse d’un pneu en rotation (nœuds)
88 72,2 84,4
110 80,7 94,3

Liste de surveillance du BST

La Liste de surveillance du BST énumère les principaux enjeux de sécurité qu’il faut s’employer à régler pour rendre le système de transport canadien encore plus sûr.

Les sorties en bout de piste figurent sur la Liste de surveillance du BST depuis 2010. Chaque année au Canada, malgré les millions de mouvements sans incident sur les pistes d’aéroports, des aéronefs dépassent parfois l’extrémité de la piste au moment de l’atterrissage ou d’un décollage interrompu. De 2005 à 2019, on a enregistré en moyenne 9,7 sorties en bout de piste par année aux aéroports canadiens, dont 7,5 sont survenues au cours de l’atterrissage. De plus, au cours de la même période, le BST a enquêté sur 19 événements de ce genre et a émis 4 recommandations auprès des autorités canadiennes. Au moment de la rédaction du présent rapport, 3 de ces recommandations sont activesNote de bas de page 12 et 1 est ferméeNote de bas de page 13.

Un effort concerté est de mise pour réduire le nombre de sorties en bout de piste, effort qui doit comprendre des mesuresNote de bas de page 14 de la part des aéroports et de Transports Canada.

Mesures de sécurité prises

Le 25 août 2021, Thunder Airlines a publié une note de service sur les atterrissages longs et les approches de précision à l’intention de tous les équipages de conduite pour leur rappeler les points suivants :

Messages de sécurité

Il est important que, dans leurs exposés d’approche, les équipages de conduite incluent les dangers connus, comme un atterrissage au-delà de la TDZ et le risque d’hydroplanage durant un atterrissage sur une piste mouillée, ainsi que les stratégies d’atténuation, comme le fait d’être prêt à effectuer une remise des gaz.

Le présent rapport conclut l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le Le rapport a été officiellement publié le