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Rapport d’enquête sur la sécurité du transport aérien A21O0006

Perte de maîtrise et collision avec le relief
Blackshape S.P.A. Prime BS100, C-GPOT
Immatriculation privée
Aéroport d’Ottawa/Carp (Ontario)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Déroulement du vol

Le 10 février 2021, vers 12 h 49,Note de bas de page 1 un Blackshape S.P.A. Prime BS100 sous immatriculation privée (immatriculation C-GPOT, numéro de série BPU025) a commencé à effectuer des circuits sur la piste 28 à l’aéroport d’Ottawa/Carp (CYRP) (Ontario) avec le pilote comme seul occupant à bord (figure 1).

Figure 1. L’aéronef à l’étude (Source : N. Horn, avec permission)
L’aéronef à l’étude (Source : N. Horn, avec permission)

Les 2 premiers circuits se sont déroulés normalement. Après le posé-décollé qui a suivi le 2e circuit, l’aéronef a effectué une montée droit devant pour probablement effectuer un 3e circuit. L’aéronef n’avait toujours pas atteint l’extrémité départ de la piste 28 lorsque le pilote a amorcé un virage à gauche. Au même moment, le pilote a effectué un appel radio sur la fréquence de trafic d’aérodrome de CYRP pour signaler un problème de moteur sans préciser lequel.

Vers 13 h, alors que l’aéronef était à environ 787 pieds (240 m) au sud de la piste toujours dans le virage à gauche, il y a eu une perte de maîtrise et l’aéronef a amorcé une descente quasi verticale avant de percuter le sol dans une zone boisée (figure 2). L’altitude exacte à laquelle la perte de maîtrise a eu lieu n’a pas pu être déterminée; toutefois, en se fondant sur les données de radar primaire fournies par NAV CANADA, il a été déterminé que la perte de maîtrise a eu lieu à une altitude de moins de 550 pieds au-dessus du sol (AGL).

Figure 2. Carte montrant les circuits de l’aéronef à l’étude et le lieu de l’accident (Source : Google Earth, avec annotations du BST)
Carte montrant les circuits de l’aéronef à l’étude et le lieu de l’accident (Source : Google Earth, avec annotations du BST)

Le pilote a subi des blessures mortelles. L’aéronef a été détruit dans un incendie qui s’est déclaré après l’impact. Aucun signal n’a été reçu de la radiobalise de repérage d’urgence de 406 MHz.

Renseignements sur l’aérodrome

CYRP est situé à environ 15 milles marins à l’ouest de l’aéroport international Macdonald-Cartier d’Ottawa (CYOW) et son altitude topographique est de 384 pieds au-dessus du niveau de la mer.

CYRP a 2 pistes. La piste 10/28, que l’aéronef à l’étude utilisait pour effectuer des circuits, est une piste asphaltée faisant 3936 pieds de longueur et 98 pieds de largeur. La piste 04/22 est une piste en gravier faisant 2205 pieds de longueur et 65 pieds de largeur qui n’est pas entretenue durant les mois d’hiver.

Renseignements météorologiques

Les conditions météorologiques étaient propices pour un vol selon les règles de vol à vue. Le message horaire d’observation météorologique régulière d’aérodrome émis à 13 h pour CYOW, l’aéroport le plus près du lieu de l’accident, indiquait un vent soufflant du 290° vrais à 10 nœuds, avec des rafales pouvant atteindre 17 nœuds. La visibilité était de 15 milles terrestres. Il y avait quelques nuages à 6000 pieds AGL, et la température était de −8 °C avec un point de rosée −18 °C. Le calage altimétrique était de 30,29 pouces de mercure.

Renseignements sur le pilote

Le pilote de l’événement possédait la licence et les qualifications nécessaires pour effectuer le vol conformément à la réglementation en vigueur. Il était titulaire d’une licence de pilote professionnel — avion, d’une licence de pilote — planeur et d’un permis de pilote — autogire. Son certificat médical était valide. Il avait accumulé environ 766 heures de vol, dont environ 70 heures sur le type d’aéronef Blackshape S.P.A. Prime.

Renseignements sur l’aéronef

L’aéronef à l’étude était un biplace à sièges en tandem et à aile basse majoritairement composé de fibre de carbone. Il était équipé d’un moteur Rotax 912 ULS3, d’un train d’atterrissage escamotable, d’une verrière bulle et d’un parachute balistique optionnel.

L’aéronef à l’étude a été fabriqué et a reçu son certificat d’essai en vol en Italie en 2015, et il a été importé au Canada en 2019. Il était l’un des 3 Blackshape S.P.A. Prime immatriculés au Canada. L’aéronef avait accumulé environ 65 heures de vol avant l’événement et le pilote de l’événement en était le propriétaire depuis août 2019. Un examen des dossiers techniques de l’aéronef a permis de déterminer que la dernière inspection annuelle a eu lieu en janvier 2021.

La masse maximale autorisée au décollage de l’aéronef était de 620 kg et, au moment de l’événement, sa masse était estimée à environ 538 kg. Une estimation de masse et centrage a été effectuée et il a été déterminé que l’aéronef était exploité à l’intérieur des limites de masse et de centrage au moment de l’événement.

L’aéronef était immatriculé auprès de Transports Canada et avait reçu un certificat spécial de navigabilité (CdN) – Limité. La désignation « limité » signifie que le modèle d’aéronef doit respecter des critères d’admissibilité précis énoncés dans la norme 507 du Règlement de l’aviation canadien (RAC) ou d’autres critères s’il est exempté de cette normeNote de bas de page 2. À moins d’indication contraire dans les limites d’exploitation, les aéronefs qui reçoivent un CdN, y compris ceux de la catégorie « limité », sont assujettis à la même réglementation en ce qui a trait à l’exploitation et à la maintenance que les aéronefs ayant un CdN normal, conformément à l’article 507.02 du RACNote de bas de page 3.

Parachute balistique

L’aéronef était équipé d’un système de parachute de sauvetage balistique Magnum 601 fabriqué par Junkers. Le système est conçu pour être utilisé en cas d’urgence en vol et peut être activé par le pilote à partir du poste de pilotage.

Lorsque le pilote active le système, une charge balistique se déclenche pour lancer le parachute, qui est fixé à la structure de l’aéronef au moyen de 3 points d’ancrage. Le système est conçu pour ralentir la descente de l’aéronef jusqu’au sol dans une assiette droite et de manière contrôlée.

Le parachute et la charge balistique associée sont montés dans un compartiment à l’avant de la verrière du poste de pilotage. Le manuel d’utilisation du pilote et manuel de vol du Blackshape S.P.A. Prime, Pilot’s Operating Handbook and Airplane Flight Manual, explique la séquence à suivre pour utiliser le système en cas d’urgence en volNote de bas de page 4. L’altitude minimale requise pour le déploiement du parachute balistique est de 80 mètres ou 262 pieds AGLNote de bas de page 5.

L’examen de l’épave dans l’événement à l’étude laisse croire que le pilote n’a pas activé le système de sauvetage d’urgence.

Affichage de vol et indicateur d’angle d’attaque

L’aéronef à l’étude était équipé d’un affichage de système d’instruments de vol électroniques Dynon Skyview Classic, lequel permet d’afficher les instruments de vol principaux ainsi qu’un indicateur d’angle d’attaque sur le même écran.

L’indicateur d’angle d’attaque fournit une indication visuelle de l’angle d’attaque et procure au pilote une meilleure conscience de la situation lorsque l’aéronef s’approche d’un angle d’attaque critique. Ces systèmes fournissent des renseignements visuels de manière continue sur la marge de décrochage, peu importe l’assiette, la vitesse indiquée ou la puissance, et ils peuvent aider les pilotes à prévenir un décrochage aérodynamique.

L’alarme sonore d’angle d’attaque peut être configurée comme une tonalité continue qui se fait entendre lorsque l’angle d’attaque est très près de l’angle attaque critique ou, comme dans le cas de l’aéronef à l’étude, comme des tonalités intermittentes générées par le système dont la fréquence augmente à mesure que l’angle d’attaque augmente jusqu’à devenir une tonalité continue lorsque l’angle d’attaque est très près de l’angle d’attaque critiqueNote de bas de page 6. Au-delà de ce point, l’aéronef amorcera un décrochage aérodynamique si aucune mesure corrective n’est prise.

Vitesse de décrochage

Le Pilot’s Operating Handbook and Airplane Flight Manual du Blackshape S.P.A. Prime contient une section sur la performance qui comprend un tableau (tableau 1) indiquant la vitesse de décrochage calculée pour l’aéronef pour deux masses différentes : 500 kg et 620 kg. Le tableau renvoie à 3 configurations de volets différentes : vol en palier, angle d’inclinaison de 30° et angle d’inclinaison de 60° Note de bas de page 7.

Tableau 1 . Vitesses de décrochage selon des masses et des configurations de volets différentes pour le Blackshape S.P.A. Prime BS100 (Source : tableau du BST fondé sur le Pilot’s Operating Handbook and Airplane Flight Manual du Blackshape S.P.A., tableau 5-1 : Stall Speeds)
Masse de l’aéronef Configurations des volets Angle d’inclinaison de 0°
(vol en palier)
Angle d’inclinaison de 30° Angle d’inclinaison de 60°
KCAS* km/h KCAS km/h KCAS km/h
620 kg Volets rentrés 50 93 54 100 71 131
Volets au décollage (10°) 48 89 52 96 68 126
Volets sortis (30°) 45 83 48 90 64 118
500 kg Volets rentrés 46 85 49 91 65 120
Volets au décollage (10°) 44 81 47 87 62 115
Volets sortis (30°) 41  76 44 82 58 108

* KCAS : vitesse corrigée exprimée en nœuds

Renseignements sur l’épave et profil de vol

L’événement s’est produit après le 2e posé-décollé, durant le départ du 3e circuit alors que le pilote effectuait un virage à gauche. L’aéronef a amorcé une descente quasi verticale et a percuté le sol au pied de grands arbres.

L’angle d’inclinaison maximal durant le virage à gauche n’a pas pu être déterminé, mais on a calculé que la vitesse indiquée approximative au moment de la perte de la maîtrise de l’aéronef était de 45 nœuds (±5 nœuds) en fonction de l’analyse d’un enregistrement vidéo d’une caméra de sécurité à proximité. Le taux de descente calculé de l’aéronef se situait entre 4000 et 6000 pi/min lorsqu’il a percuté le sol. L’épave a été examinée dans la mesure du possible, compte tenu du fait que l’aéronef a été presque entièrement détruit par l’incendie.

Étant donné l’étendue des dommages qu’a subis l’aéronef à l’étude, on n’a pas pu déterminer, dans le cadre de l’enquête, la position des volets au moment de l’événement. De plus, il n’a pas été possible d’effectuer une vérification de la continuité des commandes de vol en raison de l’étendue des dommages. Toutefois, aucun problème de circuit de commandes de vol n’avait été signalé. Le train d’atterrissage était abaissé au moment de l’événement.

La section sur les procédures d’urgence du Pilot’s Operating Handbook and Airplane Flight Manual indique une vitesse indiquée corrigée de 65 nœuds comme la vitesse à conserver durant une procédure d’urgence en cas de panne moteur après le décollage avec les volets réglés pour le décollageNote de bas de page 8.

Examen du moteur et de l’hélice

Le moteur Rotax 912 ULS3 a subi des dommages importants à la suite de l’impact au sol et de l’incendie subséquent. Il a été désassemblé et examiné dans la mesure du possible au Laboratoire d’ingénierie du BST à Ottawa (Ontario).

L’examen du moteur n’a pas permis de trouver de défaillances mécaniques sur le vilebrequin, les pistons, les soupapes, la boîte d’engrenages ou tout autre composant majeur du moteur. Il n’y avait aucune indication de défaillance catastrophique du moteur. Les dommages constatés sur l’hélice indiquaient qu’elle tournait au moment de l’impact; toutefois, la puissance générée par le moteur n’a pas pu être déterminée.

Il n’a pas été possible d’évaluer l’intégrité des composants liés au moteur dans le cadre de l’enquête, comme les circuits carburant et d’allumage, en raison de l’étendue des dommages dus à la chaleur. La raison du problème de moteur signalé par le pilote n’a pas pu être déterminée.

Décrochage aérodynamique durant un virage

Un décrochage aérodynamique survient lorsque l’angle d’attaque de l’aile excède l’angle d’attaque critique auquel l’écoulement de l’air commence à se décoller de l’aile. Il y a décrochage de l’aile lorsque l’écoulement de l’air se décolle de l’extrados et que la portance produite diminue sous le niveau nécessaire pour supporter l’aéronef.

La vitesse à laquelle se produit un décrochage varie en fonction du facteur de charge de la manœuvre en cours d’exécution. On définit le facteur de charge comme étant le rapport entre la force aérodynamique agissant sur les ailes et la masse brute de l’aéronef; le facteur de charge est une mesure des contraintes (ou de la charge) exercées sur la structure de l’aéronef. Par convention, on exprime le facteur de charge en gNote de bas de page 9.

En vol rectiligne en palier, la portance est égale au poids et le facteur de charge est de 1 g. Toutefois, dans un virage incliné en palier, il faut plus de portance. Pour augmenter la portance, on peut, entre autres, augmenter l’angle d’attaque (en tirant sur la commande de profondeur ou le manche), ce qui augmente le facteur de charge. Alors que le facteur de charge augmente avec l’angle d’inclinaison, la vitesse à laquelle le décrochage se produit augmente également. Par conséquent, un virage incliné en palier est souvent effectué avec une augmentation de la puissance moteur afin de maintenir la vitesse anémométrique. Un décrochage qui survient à une vitesse plus élevée en raison d’un facteur de charge élevé découlant, par exemple, d’un angle d’inclinaison supérieur à 30°, est appelé un décrochage accéléré.

Les décrochages en accélération sont généralement plus graves que les décrochages non accélérés, et ils se produisent souvent de façon inattendue. À titre d’exemple, un décrochage à un angle d’inclinaison prononcé (supérieur à 30°) peut entraîner le décrochage d’une aile avant l’autre, ce qui engendre une vrille au cours de laquelle l’aéronef perd rapidement de l’altitude.

Demi-tour à la suite d’une défaillance moteur

Dans l’événement à l’étude, un examen des trajectoires de vol des circuits précédents et du dernier départ de l’aéronef, conjointement au fait que le train d’atterrissage était toujours sorti, laisse croire que le pilote a peut-être essayé de faire demi-tour vers la piste après avoir signalé un problème moteur, sans préciser lequel, peu après que l’aéronef eut pris son envol.

Si un problème mécanique survenant au décollage nécessite un atterrissage immédiat, les pilotes sont obligés soit d’effectuer un atterrissage forcé dans un endroit qui ne convient pas – situation dans laquelle l’aéronef peut être endommagé et où le pilote peut subir des blessures – soit d’effectuer un virage de 180° pour revenir au point de départ.

Le Manuel de pilotage de Transports Canada énonce les faits suivants :

On compte de nombreux exemples de blessures ou de mortalités dans les accidents résultant d’un demi-tour pour se poser sur la piste de l’aérodrome après une panne de moteur suivant le décollage. Comme l’altitude est critique, on a alors tendance à essayer de garder le nez de l’aéronef relevé pendant le virage sans tenir compte de la vitesse et du facteur de charge. Ces mesures ressemblent étrangement à celles qui mènent à une vrille. Un demi-tour vers la piste ou l’aérodrome peut être couronné de succès dans certaines conditions. L’expérience et la prise en considération réfléchie des facteurs suivants sont essentielles pour réussir alors un demi-tour :

  1. l’altitude ;
  2. la finesse du vol plané de l’aéronef ;
  3. la longueur de la piste ;
  4. la force du vent ou la vitesse sol ;
  5. l’expérience du pilote ;
  6. l’expérience du pilote sur le type d’avion dont il s’agit.

Si vous avez une perte de puissance partielle, il est possible que vous puissiez compléter un circuit et un atterrissage d’urgenceNote de bas de page 10.

Message de sécurité

Dans l’événement à l’étude, le pilote a signalé un problème moteur, sans préciser lequel, peu après que l’aéronef eut pris son envol, et il a effectué un virage à gauche à basse altitude. De nombreux accidents mortels se sont produits où un pilote a fait demi-tour pour revenir à la piste ou à l’aérodrome à la suite d’une panne moteur après le décollage. Compte tenu de la faible altitude et de la basse vitesse d’un aéronef durant une montée initiale, faire demi-tour pendant cette phase de vol est une manœuvre très risquée qui entraîne souvent une perte de maîtrise de l’aéronef et une collision avec le relief.

Le présent rapport conclut l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .