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Rapport d'enquête ferroviaire R95T0092

Incident mettant en cause
des marchandises dangereuses
CN Amérique du Nord
Wagon-Citerne CGTX 20922
Point Milliaire 0,0, subdivision Halton
Toronto (Ontario)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Le 31 mars 1995, vers 1 h 15, heure normale de l'Est, on a découvert, lors d'une inspection régulière, que du toluène s'échappait du wagon-citerne CGTX 20922 au triage MacMillan du CN Amérique du Nord (CN) à Toronto (Ontario). Environ 23 litres de produit ont été déversés. Personne n'a été blessé.

Autres renseignements factuels

Le wagon-citerne CGTX 20922, propriété de la CGTX Inc. de Montréal (Québec), contenait un chargement d'environ 130 000 livres (60 000 kg) de toluène qui était expédié de Sarnia (Ontario) à Brampton (Ontario). Durant une inspection régulière, on a découvert que du produit s'échappait de la soudure entre la plaque de montage du cylindre de frein et le fond de la citerne à une vitesse d'environ cinq gouttes par minute. On n'a pas réussi à colmater la fuite et on a dû suspendre les activités autour du wagon par mesure de précaution. L'expéditeur a immédiatement été avisé et des arrangements ont été faits pour transborder le produit dans un autre wagon-citerne. Une fois le produit transbordé sans problème, le wagon-citerne a été amené à la CGTX Inc. à Montréal pour y être réparé.

Le toluène, no UN 1294, est un liquide inflammable incolore dont le point d'éclair est de quatre ° C (40 ° Fahrenheit). La limite inférieure d'explosivité des vapeurs de toluène en suspension dans l'air est de 1,27 p. 100. Sa limite supérieure d'explosivité est de 7 p. 100. Le toluène est un liquide classé comme toxique. Il agit sur le système nerveux central et peut causer des hallucinations, des problèmes de perception et des altérations de l'activité motrice. Il possède des effets tératogènes et génésiques et provoque des changements au niveau de la moelle osseuse. Des mutations ont été attribuées à l'exposition au toluène. Il irrite aussi les yeux et la peau.

Le wagon-citerne no CGTX 20922 a été construit selon la spécification DOT-111A-1000W1 par la Hawker Siddeley Canada Inc.<1> de Trenton (Nouvelle-Écosse) en 1970. Il s'agit d'un wagon-citerne polyvalent non pressurisé et non enveloppé conçu pour le transport des liquides inflammables. Les derniers essais sur la citerne et ses soupapes avaient été effectués en 1988.

Le cylindre de frein est boulonné à une fixation soudée à deux supports tubulaires eux-mêmes soudés sur des plaques de montage soudées à la citerne. Les plaques de montage ont environ six millimètres d'épaisseur. La distance entre le bord du support tubulaire et le bord des plaques est d'environ 1,5 à 2,0 fois l'épaisseur de la plaque de montage.

Les dispositifs de fixation du matériel de freinage ont fait l'objet de nombre d'études et de changements au cours des 10 dernières années. En 1986, un déraillement et un incendie survenus à Miamisburg (Ohio) aux États-Unis et mettant en cause un wagon-citerne chargé d'un liquide inflammable qui s'était rompu au niveau de la soudure entre le dispositif de fixation de frein et la citerne ont entraîné une révision des spécifications de montage des freins. Sur le wagon en question, les supports tubulaires avaient été soudés directement sur la paroi de la citerne, comme c'était permis avant 1971. En octobre 1987, l' Association of American Railroads (AAR) a ordonné qu'avant août 1988, tous les wagons-citernes sous pression ou transportant des marchandises dangereuses soient équipés de plaques de renfort au niveau de la fixation entre la citerne et le support tubulaire.

Les wagons construits après décembre 1971 devaient avoir des plaques de renfort de 1/4 de pouce d'épaisseur. La distance entre le bord de ces plaques et le bord du support tubulaire devait être de 1,5 à 2,0 fois l'épaisseur de la plaque de montage.

En juillet 1992, le National Transportation Safety Board (NTSB) des États-Unis a avisé l'AAR qu'on avait découvert plusieurs ruptures fragiles de parois à proximité des plaques de renfort. Le NTSB s'inquiétait de la qualité des soudures, du piètre rendement à basse température de l'acier utilisé, et de la pertinence des spécifications relatives à l'épaisseur des plaques de renfort (1/4 de pouce).

En mars 1994, les normes de l'AAR ont été révisées encore une fois. À l'heure actuelle, les nouveaux wagons doivent répondre aux exigences suivantes :

  1. Les plaques ne doivent pas avoir moins de 1/4 de pouce d'épaisseur et ne doivent pas excéder de plus de 15 p. 100 l'épaisseur de la paroi de la citerne sur laquelle ils sont soudés. L'installation de plaques de moins de 7/16 de pouce ne doit se faire que sur des structures légères.
  2. Les plaques doivent être fixées à la citerne par des soudures d'angle continues, à l'exception des dispositifs de mise à l'air libre. La résistance au cisaillement limite de la soudure entre la plaque et le support ne doit pas dépasser 85 p. 100 de la résistance au cisaillement limite de la soudure entre la plaque et la citerne. L'épaisseur de la soudure d'angle entre la plaque et la citerne ne doit pas dépasser l'épaisseur de la paroi.
  3. Les coins des plaques doivent être arrondis selon un rayon minimum de un pouce.
  4. La distance entre le support et le bord de la plaque de renfort sur laquelle il est fixé ne doit pas être inférieure à trois fois l'épaisseur de la plaque.

Aucune disposition ne prévoit la révision des wagons construits avant 1994 aux normes actuelles.

À proximité de la fuite, on pouvait voir des traces de corrosion importante, tant au niveau de la soudure entre la plaque de montage du cylindre de frein et le fond de la citerne qu'au niveau de la soudure entre le support tubulaire et la plaque de montage du cylindre de frein. Une fissure s'était amorcée dans la soudure entre la plaque de montage du cylindre de frein et le fond de la citerne, sur environ 270 ° autour de la plaque. La fissure avait pénétré la paroi de la citerne sur environ 120 ° autour de la soudure.

Une partie du wagon-citerne, comprenant la plaque de montage du cylindre de frein et le support tubulaire, a été coupée et envoyée au Laboratoire technique du BST pour être analysée. Le Laboratoire technique du BST (rapport LP 61/95) a conclu que :

  1. La fuite s'est produite à la suite de la formation d'une fissure due à la fatigue dans la partie inférieure de la soudure périphérique entre la plaque de montage du support tubulaire et la paroi de la citerne.
  2. La fissure due à la fatigue avait plusieurs points d'amorce et on a estimé à au moins 30 000 le nombre de cycles de chargement nécessaire pour que la fissure se propage à travers la paroi.
  3. Les deux soudures (entre la plaque et la citerne, et entre le support tubulaire et la plaque) étaient de qualité inférieure, et il se peut qu'elles aient contribué au processus d'amorçage de la fissure par fatigue. Il se peut qu'un recuit de détente inadéquat au point de soudure ait contribué à l'accident.
  4. Le matériau de construction du wagon-citerne répondait à la spécification en vigueur au moment de sa construction.
  5. On a découvert que d'autres wagons du même type avaient des fissures semblables et il faudra revoir les méthodes de conception pour éviter des ruptures éventuelles semblables.

Le 12 mars 1995, des inspecteurs ferroviaires du triage MacMillan ont effectué une inspection d'avant chargement du wagon-citerne CGTX 20922. On a remarqué à ce moment-là que le marchepied de sécurité était défectueux; le wagon a été réparé et mis en entreposage. L'expéditeur a aussi effectué une inspection d'avant chargement le 31 mars 1995; aucune anomalie n'a été relevée.

À la suite de la découverte de la fuite, la CGTX Inc. s'est lancée dans un programme d'inspection qui lui a permis d'apprendre que les seuls wagons de son parc susceptibles d'avoir ce problème avaient été construits par la Trenton Works avant 1982 et que les supports tubulaires de cylindre de frein de ces wagons étaient montés sur des plaques de six pouces de diamètre. En tout, la CGTX Inc. a identifié 1 937 wagons qui répondaient à ces critères parmi son parc : 906 wagons polyvalents non isolés, 694 wagons polyvalents isolés, et 337 wagons pressurisés. Le 9 novembre 1995, la CGTX Inc. avait inspecté 126 wagons. On a trouvé que des ruptures avaient traversé la paroi sur trois wagons (y compris le wagon CGTX 20922), que des fissures pénétraient de 1 p. 100 à 29 p. 100 de l'épaisseur de la paroi sur 16 wagons et de plus de 50 p. 100 de l'épaisseur de la paroi sur un wagon. Les 20 wagons ont été réparés ou retirés du service. Les données (sur la fréquence et la profondeur des fissures et sur le millage des wagons) ont été analysées par la CGTX Inc. et on a évalué que les fissures peu profondes croissaient à un rythme de 1/64 de pouce à tous les 100 000 milles et qu'elles ne progresseraient donc pas jusqu'à une profondeur critique au cours de la vie prévue des wagons. La CGTX Inc. a affirmé que toute fissure peu profonde non détectée ne représentait pas un risque important pour l'intégrité des wagons. Son programme d'inspection se poursuit néanmoins.

D'après les renseignements obtenus de l'exploitant actuel de l'installation de construction de wagons de Trenton, 4 553 wagons-citernes de modèle semblable au wagon CGTX 20922 ont été construits. Comme on l'a déjà mentionné, 1 937 de ces wagons (42 p. 100) ont été vendus à la CGTX Inc.; 2 616 (58 p. 100) ont été vendus à diverses entreprises du Canada, du Mexique, de la Tanzanie, du Mali, de la Zambie et probablement des États-Unis et d'autres pays. À l'heure actuelle, il n'y a pas moyen de savoir si certains des 2 616 wagons se sont rompus ou s'ils ont aussi des fissures de ce genre. De telles ruptures n'auraient été signalées que si elles étaient survenues au Canada et seulement si les wagons transportaient des marchandises dangereuses.

Un grand nombre de ces wagons-citernes ont été construits pour transporter des gaz liquéfiés sous pression comme le chlore, le propane et l'ammoniac anhydre. Le 9 novembre 1995, la CGTX Inc. avait inspecté 26 de ses wagons affectés au transport de produits sous pression et aucune fissure n'a été trouvée. Les wagons destinés au transport de gaz liquéfiés sous pression ont des parois plus épaisses que les wagons destinés au transport de produits (liquides) non pressurisés.

Analyse

Une fissure peu profonde s'est amorcée dans la soudure entre la plaque de montage du cylindre de frein et le fond de la citerne. On a déterminé que la soudure était de qualité inférieure. La fissure a lentement progressé avec le temps jusqu'à ce qu'elle perce éventuellement le fond de la citerne et permette au produit de s'échapper.

Il est évident que les wagons construits avant 1994 qui ne sont pas conformes à la norme révisée de l'AAR sont susceptibles d'être touchés par ce genre de rupture et que de tels incidents sont bien documentés et fréquents.

Les inspections régulières d'avant chargement effectuées sur le wagon-citerne n'ont pas révélé la présence de la rupture, même si cette dernière était nettement visible. La présence de corrosion à proximité de la rupture aurait dû porter les inspecteurs à examiner plus attentivement la zone touchée.

Le degré d'intensité du danger créé par la rupture dans la paroi de la citerne est proportionnel au danger que représentent la composition chimique et les caractéristiques physiques du produit. Dans le cas d'un liquide, la rupture n'entraînerait qu'un lent déversement sans grandes conséquences du produit transporté. Par contre, dans le cas d'un gaz liquéfié sous pression, la dernière étape qui transforme une fissure en rupture pourrait déclencher une rupture catastrophique de la citerne. De plus, une fissure par fatigue qui progresse continuellement pourrait être à l'origine d'une rupture fragile qui, dans certaines conditions, pourrait conduire à la rupture catastrophique de la citerne.

On arrive habituellement à contrôler les lents déversements de produit et à limiter le danger, mais le déversement catastrophique d'un chargement de gaz liquéfié sous pression est extrêmement dangereux. En pareil cas, jusqu'à 50 p. 100 du chargement déversé pourrait se vaporiser instantanément pour former un nuage dangereux et incontrôlable.

Les caractéristiques et l'identité chimique du produit déversé sont très importantes. Si, par exemple, on est en présence de dioxyde de carbone liquéfié, le danger serait minimal. Par contre, si le produit déversé est un gaz toxique ou corrosif liquéfié, comme le chlore, les risques pour la vie sont extrêmes, même à grande distance du point de déversement.

L'inspection effectuée par la CGTX Inc. a permis de découvrir qu'aucune des 26 citernes pressurisées inspectées n'était fissurée. Il faut toutefois se rendre compte que 26 wagons sur l'ensemble du parc, qui compte 337 wagons, représentent un échantillonnage relativement petit. À chaque fois que les freins sont serrés, on transmet une charge à la paroi de la citerne par le biais du support du frein. La dissipation de cette charge est fonction de l'épaisseur de la paroi. On peut formuler des hypothèses et dire que, comme la paroi des wagons sous pression est plus épaisse, il ne s'amorcera jamais de fissure par fatigue, ou que des fissures s'amorceront si tard au cours de la vie prévue des wagons qu'elles ne progresseront pas en rupture avant que les wagons ne soient retirés du service. Les conséquences d'un déversement catastrophique d'un gaz liquéfié sous pression peuvent toutefois être suffisamment graves pour justifier l'exigence d'une confirmation additionnelle de l'intégrité des wagons pressurisés.

Compte tenu de l'historique de ce problème et des mesures prises au fil des ans pour constamment améliorer les montages, il serait peut-être pertinent de modifier le parc existant pour qu'il soit conforme aux normes de construction actuelles de l'AAR en matière de plaques de montage des nouveaux wagons.

Faits établis

  1. On a découvert que le wagon-citerne CGTX 20922 laissait fuir son produit par la soudure entre la plaque de montage du cylindre de frein et le fond de la citerne.
  2. Une fissure par fatigue s'est formée avec le temps dans une soudure de qualité inférieure entre la plaque de montage du cylindre de frein et le fond de la citerne et s'est transformée en rupture.
  3. De par sa conception d'origine, la plaque de montage du cylindre de frein n'offrait pas assez de résistance aux contraintes de service.
  4. Les inspections régulières n'ont pas permis de détecter la fissure par fatigue qui aurait été nettement visible.
  5. La CGTX Inc. continue à étudier le problème des fissures par fatigue sur les wagons-citernes de modèle semblable au wagon CGTX 20922.
  6. Une rupture semblable sur un wagon-citerne sous pression peut entraîner le déversement catastrophique de marchandises dangereuses; il est donc justifié d'exiger la confirmation de l'intégrité de ces wagons.
  7. Il serait peut-être pertinent de modifier le parc existant pour le rendre conforme aux exigences actuelles de l'AAR en matière de plaques de renfort des nouveaux wagons.
  8. Il se peut que des propriétaires de wagons-citernes de modèle semblable au wagon CGTX 20922 ne soient pas au courant des problèmes possibles de fissuration par fatigue.

Causes et facteurs contributifs

La fuite s'est produite à la suite d'une rupture causée par une fissure par fatigue d'une soudure entre la plaque de montage du cylindre de frein et le fond de la citerne. La soudure était de qualité inférieure et peut avoir contribué au processus d'amorçage de la fissure. De par sa conception d'origine, la plaque de montage du cylindre de frein n'offrait pas assez de résistance aux contraintes de service. La fissure, nettement visible, n'a pas été détectée lors des inspections régulières d'avant chargement.

MESURES DE SÉCURITÉ

Mesures prises

À la suite de cet événement, le BST a envoyé un Avis de sécurité ferroviaire à Transports Canada pour aviser ce dernier de la question des fissures dans les soudures entre les plaques de montage des cylindres de freins et le fond des citernes. Dans l'Avis de sécurité, on a suggéré à Transports Canada de mettre en place un programme d'inspection continu des plaques de renfort sur tous les wagons-citernes construits avant l'entrée en vigueur de la nouvelle norme de l'AAR. On a aussi demandé à Transports Canada de mettre les autres organismes de réglementation intéressés au courant des détails concernant les soudures des plaques de renfort.

En réponse, Transports Canada a laissé savoir que :

  1. la Federal Railroad Administration et Transports Canada collaboraient pour trouver des solutions au problème des soudures de plaques de renfort;
  2. les compagnies ferroviaires membres de l'AAR, parmi lesquelles on compte le CN, ont commencé à identifier les wagons suspects et cet examen devrait se terminer en 1996;
  3. le propriétaire du wagon-citerne mis en cause dans cet événement continuera d'inspecter les autres wagons de son parc pour voir s'ils n'auraient pas des fissures, des ruptures ou d'autres défaillances possibles;
  4. les agents régionaux de la sécurité de Transports Canada porteront une attention particulière aux problèmes inhérents aux soudures des plaques de renfort.

En outre, le propriétaire du wagon-citerne mis en cause dans cet événement a commencé à modifier toutes les plaques de montage des cylindres de frein des wagons construits à Trenton avant 1982 de façon à ce qu'elles répondent aux spécifications actuelles de l'AAR.

Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. La publication de ce rapport a été autorisée le par le Bureau, qui est composé du Président, Benoît Bouchard, et des membres Maurice Harquail et W.A. Tadros.