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Rapport d'enquête ferroviaire R99E0023

Collision en voie principale
entre le train numéro A-428-51-30 du Canadien National
et le train facultatif de manoeuvre numéro 0830
du Canadien National
Point milliaire 0,2, subdivision Albreda
Jasper (Alberta)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Le 31 janvier 1999 vers 10 h 23, heure normale du Pacifique, un train à la dérive, le train no A-428-51-30 (train 428) du Canadien National, est entré dans le triage par la voie principale sud, à Jasper (Alberta), et a heurté de plein fouet le train facultatif de manoeuvre no 0830. Onze wagons et cinq locomotives ont déraillé. Le chef de train du train 428 a été légèrement blessé.

This report is also available in English.

1.0 Renseignements de base

1.1 L'accident

Le 30 janvier 1999 vers 21 h 15, heure normale du Pacifique (HNP)Note de bas de page 1, le train no A-428-51-30 (train 428) du Canadien National (CN) part de Prince George (Colombie-Britannique) à destination de Jasper (Alberta). Avant que les locomotives soient placées dans le train, les membres de l'équipe, en l'occurrence un mécanicien et un chef de train, vérifient les documents de la locomotive et procèdent aux contrôles d'équipement conformément aux Instructions générales d'exploitation (IGE) du CN. Aucune anomalie n'est signalée. Les membres de l'équipe font ensuite rouler le train de Prince George à McBride (Colombie-Britannique), où ils remettent le train à une autre équipe qui le mènera à Jasper. Pendant le parcours entre Prince George et McBride, l'équipe du train ne remarque aucune anomalie dans la conduite du train, et elle en avise l'équipe montante.

Le train 428 part de McBride vers 3 h le 31 janvier 1999. En cours de route vers Redpass Junction, point milliaire 43,7 de la subdivision Albreda, le mécanicien se sert des freins à air et des freins rhéostatiques du train pour se conformer à la limite de vitesse imposée sur la subdivision et pour engager le train sur une voie d'évitement.

De Redpass Junction à Jasper, point milliaire 0,0, les rails sont couverts de neige, de sorte que le chasse-pierres de la locomotive fait office de chasse-neige. L'équipe doit faire fonctionner les essuie-glace de la locomotive pour débarrasser le pare-brise de la neige poussée par le vent, afin de voir vers l'avant.

À environ 13 milles de Jasper, le mécanicien serre les freins à air pendant environ deux minutes en réduisant de 16 livres au pouce carré (lb/po²) la pression d'air dans la conduite générale. Le mécanicien desserre ensuite les freins et recharge le circuit de freinage à air. Dans une pente située à une dizaine de milles de Jasper, le mécanicien actionne les freins rhéostatiques du groupe de traction et parvient à se conformer à la limite de vitesse de la subdivision. Conformément à la méthode habituelle de conduite des trains, il entend utiliser le freinage rhéostatique pour contrôler la vitesse du train à l'entrée dans Jasper. À environ neuf milles de Jasper, l'équipe communique sur le canal 3 de télécommunication radio du train pour demander et obtenir les instructions du poste du triage Jasper. Aux environs du point milliaire 4,0, le mécanicien emploie le canal 5 pour communiquer par radio avec les membres de l'équipe montante à Jasper pour les informer que le train 428 va arriver dans une dizaine de minutes. Après avoir parlé avec l'équipe de relève, le mécanicien change de canal et vient sur le canal 1__ le canal de travail du train.

Aux environs du point milliaire 1,5, pendant que le train roule à environ 34 mi/h sur la voie principale sud, le mécanicien et le chef de train constatent que leur train ne ralentit pas comme prévu. Le mécanicien serre les freins de 7 lb/po². Constatant que cela ne sera pas suffisant, il réduit de nouveau la pression dans la conduite générale de 6 lb/po². Quelques secondes après avoir augmenter l'intensité du freinage, le mécanicien ne remarque aucune augmentation de l'effort de freinage et serre alors les freins d'urgence. Au moment où le train sort d'une courbe, le mécanicien aperçoit une manoeuvre stationnaire sur sa voie d'entrée. Il transmet alors un message radio sur le canal de travail (canal 1) pour aviser la manoeuvre de libérer la voie, étant donné que son train n'est pas en mesure de s'immobiliser. Ni les employés de chemin de fer au triage Jasper ni le bureau de contrôle de la circulation ferroviaire n'entendent cette transmission. Immédiatement après cette dernière transmission, le mécanicien sort de la locomotive. Le chef de train est déjà sorti. Les données du consignateur d'événements indiquent que le train roulait à 25 mi/h au moment de l'impact, soit à 10 h 23, c'est-à-dire 2,5 minutes et environ 1,5 mille après le serrage des freins d'urgence.

Le mécanicien de la manoeuvre n'a eu aucun contact radio avec le train 428 avant que ce dernier arrive à Jasper et n'a pas non plus entendu la communication radio indiquant que le train 428 entrait dans le triage et était incapable de s'arrêter. Toutefois, il a vu que le train 428 approchait de Jasper très rapidement et a constaté que sa manoeuvre, immobile au point milliaire 0,2, serait heurtée. Il a transmis un avertissement sur le canal radio du triage (canal 8) à l'intention du serre-freins posté au bout de la rame de wagons qu'ils manoeuvraient et a quitté la locomotive en toute sécurité. Le serre-freins a entendu le message radio d'avertissement et s'est éloigné prudemment des wagons avant que la collision se produise. Le chef de train, qui était à déneiger des aiguillages en prévision de leur mouvement, n'a pas été menacé par le déraillement.

La collision a fait dérailler 5 locomotives et 11 wagons.

1.2 Victimes

Le chef de train du train 428 a subi de légères blessures pendant qu'il se déplaçait dans la neige épaisse pour s'éloigner des wagons qui déraillaient.

1.3 Dommages

1.3.1 Dommages au matériel roulant

Les trois locomotives et deux wagons du train 428 ont été lourdement endommagés, ainsi que deux locomotives et un wagon de la manoeuvre.

1.3.2 Dommages à la voie ferrée

La collision a causé des dommages à la voie sur une distance de 520 pieds environ, ainsi qu'à quatre aiguillages.

1.4 Renseignements sur le personnel__Train 428

1.4.1 Mécanicien

Le mécanicien était basé à Jasper, il répondait aux exigences de son poste et avait l'expérience de la subdivision Albreda. Il a pris son service à Jasper à 23 h, le 27 janvier 1999. Il est arrivé à McBride à 4 h le lendemain matin, où il a immédiatement pris un autre train à destination de Jasper; il est arrivé à la maison à 9 h 30 et a fait une sieste de deux heures environ. Par la suite, il a dormi de 22 h à 7 h le 29 janvier 1999. Le 29 janvier, il a pris son service à 8 h 20 et est arrivé à McBride à 14 h 30. Il n'a pas pris de repos et il a été appelé au travail à McBride pour 18 h 50, et est arrivé à Jasper à 24 h. Il a dormi de 2 h à 9 h le 30 janvier. Il a ensuite été de service et a roulé de Jasper à McBride entre 15 h 30 et 22 h 30. À son arrivée à McBride, il a fait une sieste dans le dortoir pendant une pause de 3,5 heures entre les quarts de travail. Puis, il a été de service le 31 janvier 1999, pour un parcours entre McBride et Jasper couvrant la période de 3 h à 10 h 30, soit l'heure où l'accident est survenu.

1.4.2 Chef de train

Le chef de train était basé à Jasper, il répondait aux exigences de son poste et avait l'expérience de la subdivision Albreda. Il a été appelé au travail à Jasper pour 14 h, le 27 janvier 1999, et est arrivé à McBride à 20 h 40. Il n'a pas pris de repos, a été appelé au travail à McBride pour 22 h 45 et a quitté le service à Jasper à 3 h 30, le 28 janvier. Par la suite, il a dormi pendant environ huit heures et a été appelé au travail à Jasper le 29 janvier pour 0 h 55, arrivant à McBride à 6 h 40. Il a ensuite fait un parcours haut-le-pied de McBride à Jasper entre 6 h 40 et 10 h. Il n'a pas dormi pendant le reste de la journée et est allé au lit à 21 h le 29 janvier, et s'est réveillé le 30 janvier à 9 h. Il a été de service entre Jasper et McBride de 15 h 30 à 22 h 30. Le chef de train n'a pas fait de sieste pendant une pause de 3,5 heures entre les quarts de travail. Il a ensuite été de service le 31 janvier, et a roulé entre Jasper et McBride de 3 h à 10 h 30, soit l'heure où l'accident est survenu.

1.5 Train 428 et locomotive 5432

Le train 428 était composé de 3 locomotives du CN, nos 5410 (en tête), 5432 et 2452, de 81 wagons chargés et de 4 wagons vides. Il pesait 9 445 tonnes et mesurait 5 936 pieds. La locomotive 2452 ne fonctionnait pas et était remorquée jusqu'à Edmonton (Alberta), où elle devait être réparée. Une inspection autorisée des wagons et un essai de freins à air effectués à Prince George n'ont révélé aucune irrégularité.

Les deux locomotives qui fonctionnaient étaient arrivées à Prince George en provenance de Jasper avec un train roulant vers l'ouest (train 837), la locomotive 5432 en tête, et avaient été envoyées sur une voie de garage avant d'être affectées au train 428. L'équipe qui avait conduit le train 837 de Jasper à McBride avait signalé au contrôleur de la circulation ferroviaire__Mécanique (CCFM) chargé de surveiller les mouvements au bureau de contrôle de la circulation ferroviaire d'Edmonton que le moteur de traction no 1 de la locomotive 5432 ne fonctionnait pas. Les instructions concernant la communication avec le CCFM sont affichées dans la cabine de la locomotive à l'intention de l'équipe. Les CCFM sont des spécialistes de la mécanique des locomotives qui travaillent en conjonction avec les contrôleurs de la circulation ferroviaire (CCF) et fournissent des conseils en mécanique aux équipes 24 heures sur 24. Suivant les conseils du CCFM, l'équipe avait isolé le moteur de traction en suivant la procédure normale. Une fois le moteur de traction isolé, le dispositif de freinage rhéostatique de cette locomotive a cessé de fonctionner. Le CCFM rédige un avis de défaut qui est transmis à l'installation d'entretien par laquelle la locomotive doit passer ultérieurement.

Les IGE exigent qu'en cas de mauvais fonctionnement d'une locomotive, on remplisse un rapport du mécanicien (imprimé 538-D), agrafé au pupitre de la locomotive, pour indiquer la nature de la panne. Ce rapport est laissé à bord de la locomotive, de façon que les équipes suivantes soient informées de la panne de la locomotive et soient avisées de la nature du mauvais fonctionnement. L'imprimé constitue aussi une référence pour le personnel de l'atelier, qui s'en sert pour s'assurer que les réparations nécessaires sont faites. À l'arrivée du train 837 à McBride, les membres de l'équipe descendante n'ont pas inscrit l'information sur l'imprimé 538-D placé dans la cabine de la locomotive 5432, et ne se sont pas souvenus de la raison pour laquelle ils ne s'en sont pas chargés. Ils savaient tous deux qu'il fallait remplir l'imprimé. L'équipe montante et l'équipe descendante du train 837 à McBride n'ont pas discuté de la panne du frein rhéostatique de la locomotive 5432, même si la défectuosité était apparente pour l'équipe de relève, étant donné la position des interrupteurs du tableau de distribution électrique. L'équipe montante à McBride n'a pas noté la panne sur l'imprimé 538-D quand elle a laissé les locomotives sur la voie de garage à Prince George.

Quand les membres des équipes prennent en charge une locomotive dont les moteurs sont en marche dans une voie de garage, les procédures de la compagnie les obligent à vérifier les dispositifs de commande des freins à air de la locomotive, le compresseur d'air et les indicateurs de pression d'air, et à serrer et desserrer les freins à air pour s'assurer qu'ils fonctionnent bien. De plus, les équipes sont censées vérifier l'état des phares avant, des feux de signalement, du feu de marche arrière, de la cloche et du sifflet, et doivent s'assurer qu'il y a un extincteur et de l'équipement de signalisation dans la locomotive. Les instructions ne précisent pas qu'il faut faire une vérification dans toutes les locomotives du groupe de traction. Les membres de l'équipe montante du train 428 à Prince George ont indiqué qu'à ce sujet, la compagnie enseignait qu'il ne fallait vérifier que la locomotive de tête.

Les vérifications et les essais exigés ont été faits sur la locomotive 5410. L'équipe a vérifié si les freins à air Fonctionnaient comme ils le devaient et a procédé à une inspection visuelle des éléments extérieurs de tout le groupe de traction; ces contrôles n'ont révélé aucune anomalie.

L'équipe descendante du train 428 à McBride n'avait pas remarqué la panne de la locomotive 5432. Les membres de l'équipe montante ont pris le train en charge pendant qu'il était près du dortoir. Ils ont cru que tous les dispositifs du groupe de traction fonctionnaient comme ils le devaient.

1.6 Renseignements sur le lieu de l'événement

1.6.1 Renseignements sur la voie

La subdivision Albreda est constituée d'une voie principale double à l'ouest, du triage Jasper jusqu'au point milliaire 43,7. Entre le point milliaire 0,4 et le point milliaire 1,7, la vitesse autorisée sur la subdivision est de 30 mi/h pour les trains de marchandises et, entre le point milliaire 1,7 et le point milliaire 5,2, elle est de 35 mi/h. La voie descend une pente de 0,4 p. 100 en entrant dans Jasper et décrit une courbe d'un degré au point milliaire 0,9.

Photo 1. Triage Jasper
Triage Jasper

1.6.2 Lieu de l'accident

Les six premiers wagons du train 428 ont déraillé du côté sud de la voie et deux wagons se sont renversés sur le côté. Les locomotives ont déraillé mais sont restées sur leurs roues. Les cinq wagons suivants sont restés sur la voie, et les cinq wagons qui les suivaient ont déraillé, dont trois wagons qui ont quitté complètement la voie et se sont arrêtés sur leurs roues dans la neige épaisse, sur la plate-forme de la voie.

Les deux locomotives du train facultatif de manoeuvre 0830 ont déraillé.

La timonerie des freins à air et le dessous des wagons du train 428 étaient bourrés de neige. Les tiges des pistons de frein avaient atteint leur longueur maximale et la course des pistons était en deçà des limites acceptables. À ce moment-là, on a noté que les surfaces des semelles de frein étaient appliquées fermement contre la table de roulement et qu'elles étaient débarrassées de neige ou de glace, étant donné les efforts considérables entre les semelles de freins et les roues occasionnés par le serrage des freins d'urgence qui avait commencé aux environs du point milliaire 1,5. Les essais des freins à air menés après l'accident par le CN ont indiqué que le circuit de freinage fonctionnait de la façon voulue.

1.7 Méthode de contrôle du mouvement des trains

Sur la subdivision Albreda, le mouvement des trains est régi par le système de commande centralisée de la circulation (CCC). La zone de CCC se termine au point milliaire 0,4. Le CCF chargé de superviser la circulation est posté à Edmonton.

Sur la voie principale du triage Jasper (du point milliaire 0,4 au point milliaire 0,0), le mouvement des trains est régi par la règle 105, Instruction spéciale (1), du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada (REF), qui oblige les trains à rouler à une vitesse maximale de 10 mi/h. Tous les mouvements de trains sont régis par la règle 105 du REF, qui stipule : « …les trains ou les locomotives qui utilisent une voie autre que la voie principale doivent rouler à vitesse réduite, prêts à s'arrêter avant le drapeau ou le feu rouges… » La vitesse réduite est une « vitesse permettant de s'arrêter en deçà de la moitié de la distance de visibilité d'un matériel roulant ».

1.8 Communications

1.8.1 Communications radio au triage Jasper

Les opérations ferroviaires à Jasper et dans les environs utilisent des fréquences radio désignées pour l'exécution de tâches précises. Le canal 1 a été désigné comme le canal d'attente (opérations générales) pour les mouvements de trains dans le triage Jasper, et le canal 3 a été désigné comme celui que les commis responsables des mouvements et les commis principaux des centres de services utilisent pour communiquer avec le personnel affecté aux opérations dans le triage Jasper et aux environs. Le canal 5 est le canal désigné dont les équipes des trains arrivant au triage ou partant du triage se servent pour se communiquer les renseignements relatifs aux trains. Quant au canal 8, il s'agit de la fréquence désignée dont les équipes de triage se servent pour communiquer entre elles afin de faciliter les opérations de triage. En plus de ces canaux radio, les trains pouvaient utiliser le canal 2 pour entrer en contact avec le CCF.

1.8.2 Procédures relatives aux communications radio d'urgence

Les IGE précisaient que, pour lancer un appel d'urgence, il fallait employer « le canal d'attente désigné pour le service de ligne et de manoeuvre, afin d'alerter les équipes des trains ou des locomotives qui se trouvent dans les environs. » La personne qui envoyait l'appel devait ensuite répéter immédiatement la communication d'urgence sur le « canal d'attente désigné du CCF ». Dans l'accident à l'étude, ces instructions s'appliquaient aux équipes de triage et aux équipes de ligne.

1.9 Conditions météorologiques

La température était de moins cinq degrés Celsius et le secteur de Jasper avait reçu environ 41 cm de neige au cours des trois jours précédents.

Entre McBride et Jasper, la voie ferrée était très enneigée. Le couvert neigeux avait environ 30 cm d'épaisseur au-dessus des champignons des rails, et on avait de la neige à la taille au bout des traverses.

1.10 Autres renseignements

1.10.1 Fonctionnement du freinage rhéostatique

Le freinage rhéostatique utilise l'effet retardateur des moteurs de traction lorsque ces derniers sont utilisés comme des « génératrices » qui produisent du courant plutôt que comme des moteurs qui en consomment. La puissance générée est convertie en chaleur et est évacuée par des grilles de ventilation placées dans le châssis de la locomotive.

Le freinage rhéostatique s'ajoute à l'action des freins à air du train et a un effet positif sur la consommation de carburant et sur l'usure des roues et des semelles de frein des locomotives et des wagons, et permet en outre de contrôler la vitesse du train et le jeu des attelages. La plupart des compagnies ferroviaires, et notamment le CN, exigent qu'on se serve du freinage rhéostatique le plus possible. Les mécaniciens peuvent utiliser uniquement le frein rhéostatique, ou s'en servir en même temps que les freins à air des trains et des locomotives. Le dispositif de freinage rhéostatique est conçu de telle façon que tous les moteurs de traction d'une locomotive doivent fonctionner, faute de quoi le frein rhéostatique de la locomotive en question ne fonctionnera pas.

Le mécanicien utilise l'ampèremètre pour connaître le rendement du dispositif de freinage rhéostatique de la locomotive menante. Toutefois, il n'y a dans la cabine de la locomotive menante aucune indication pouvant montrer l'état des locomotives menées. Ni les normes de conception ni le règlement n'exigent que cette information soit disponible dans la cabine de la locomotive menante.

1.11 Autres instructions générales d'exploitation

1.11.1 Instructions sur la conduite des trains

Les IGE demandent aux équipes d'utiliser surtout la manette des gaz pour contrôler la vitesse des trains. Le frein rhéostatique doit servir comme moyen de freinage initial, étant donné qu'il réduit l'usure et endommage moins les pièces du matériel roulant et améliore l'efficience énergétique. Les IGE demandent aux mécaniciens de se conformer aux instructions relatives aux économies de carburant et de recourir à des techniques de conduite qui permettent de réduire les frais de carburant.

Les IGE disent aussi : « En hiver, le mécanicien ou la mécanicienne doit serrer les freins à air à des intervalles assez rapprochés pour empêcher la glace ou la neige de s'accumuler sur la table de roulement des roues et sur les semelles de frein, de façon à toujours garder le système de frein en état de fonctionner. »

1.11.2 Prise en charge ou immobilisation de locomotives

Les IGE exigent qu'à des points de relève comme celui de McBride, les mécaniciens montants examinent l'imprimé 538-D de la locomotive de tête et vérifient le phare avant ainsi que les feux de signalement. Il n'y a pas d'exigences voulant qu'on inspecte les locomotives du train ou qu'on fasse l'essai de l'un ou l'autre de leurs dispositifs, ou qu'on remplisse ou signe quelque document que ce soit.

Les IGE disent aussi que, si une locomotive doit être immobilisée avec le moteur en marche à un endroit dépourvu de personnel d'atelier, comme à Prince George, on doit remplir l'imprimé 538-D avant de quitter les locomotives. Les IGE précisent aussi la façon de procéder pour immobiliser la locomotive et pour s'assurer qu'elle continuera d'être en bon état de fonctionnement.

1.11.3 Exigences en matière de repos

Au Canada, les compagnies ferroviaires de compétence fédérale exercent leur activité sous le régime d'une réglementation qui fixe un temps maximal de service et prévoit une période de repos obligatoire pour les équipes des trains.

L'équipe en cause dans l'accident était régie par la réglementation relative à la période de repos obligatoire. Les employés visés par ces exigences qui sont en service pendant plus de 10 heures ne sont pas tenus d'être affectés de nouveau en service en commun durant au moins huit heures.

Les exigences quant au nombre maximal d'heures de service s'appliquent aux employés itinérants de toutes les classes de services des trains. Elles précisent qu'aucun employé ne doit être en service pendant plus de 18 heures au cours d'une période de 24 heures; le nombre maximal d'heures de service par tour est de 12 heures, ou de 16 heures dans le cas d'une affectation à un train de travaux ou en cas d'urgence.

2.0 Analyse

2.1 Introduction

Entre le départ de McBride et l'arrivée près du triage Jasper, le mécanicien du train 428 a eu peu souvent l'occasion de serrer les freins à air du train lesquels étaient tout à fait fonctionnels pour faire ralentir le train. Le freinage rhéostatique semblait fonctionner normalement. Toutefois, quand le mécanicien a eu besoin d'un effort de freinage considérable, ni l'un ni l'autre des systèmes n'a répondu à ses attentes.

L'analyse se penchera sur les raisons pour lesquelles le système de freinage du train a été inefficace, mais elle s'intéressera aussi à des facteurs comme la conduite du train, la fatigue, l'absence de documentation sur une panne mécanique et les procédures de communication radio, étant donné qu'ils ont aussi eu un rôle à jouer.

2.2 Conduite du train et stratégie de freinage

Le train 428 est arrivé près de Jasper après avoir parcouru une trentaine de milles dans des conditions extrêmes de poudrerie. Dans ces conditions, et compte tenu du fait que les freins à air n'avaient pas été serrés périodiquement de façon à faire fondre la neige accumulée sur les semelles de frein, le principal moyen de freinage a été rendu inefficace. À l'insu du mécanicien, la stratégie consistant à utiliser le freinage rhéostatique n'a pas pu s'appliquer puisque le frein rhéostatique de la deuxième locomotive ne fonctionnait pas. Le mécanicien n'a donc pas pu appliquer la stratégie qu'il avait mise au point pour entrer dans le triage Jasper.

2.3 Évaluation de l'efficacité du freinage

L'exposition prolongée à des conditions extrêmes de poudrerie devrait amener l'équipe à se préoccuper de la capacité de freinage de son train. Cette exposition devrait l'inciter à prendre soin de garder les freins en état de fonctionner, aussi bien en cours de route qu'au moment de se préparer à un arrêt. Il semble que les membres de l'équipe du train 428 n'aient pas apprécié l'effet que la poudrerie aurait sur leur train. Le freinage de deux minutes qui a eu lieu à environ 13 milles à l'ouest de Jasper n'a pas suffi pour déneiger et déglacer les surfaces de freinage. Il se peut que ce freinage relativement bref n'ait fait que faire apparaître une pellicule d'eau sur les surfaces des semelles de frein et que cette eau ait ensuite gelé, ce qui aurait dégradé encore davantage l'efficacité des freins.

2.4 Fatigue et heures de travail et de repos

La personne fatiguée est portée à oublier de faire les vérifications ou à décider de ne pas les faire, ou à ne pas suivre les procédures. Elle est également portée à reprendre ses anciennes habitudes et peut mal se rappeler les événements. Elle peut être moins attentive, c'est-à-dire qu'elle peut être portée à oublier ou à intervertir des éléments de tâche séquentiels, à se concentrer sur une tâche au détriment d'une autre et à être moins vigilante. La personne moins vigilante parce qu'elle est fatiguée est portée à se concentrer sur un problème mineur (même si un problème majeur est susceptible de se poser), à ne pas bien prévoir les dangers et à avoir un comportement automatique. Son habileté à résoudre les problèmes peut également en souffrir, et un manque de jugement peut l'amener à poser des gestes inappropriés.

Même si la fatigue ne peut pas expliquer à elle seule les gestes que le mécanicien a posés dans la conduite du train, ses gestes concordent avec des erreurs attribuables à une réduction de l'attention et de la mémoire qui se produisent couramment chez des personnes fatiguées. Le chef de train a dû aussi être susceptible de faire des erreurs vers la fin de son quart de travail.

La fatigue résulte de deux causes, à savoir un sommeil inadéquat au point de vue quantitatif ou qualitatif, et une perturbation des rythmes circadiens. Ces facteurs peuvent faire suite à la combinaison et à l'interaction de l'horaire de travail (horaires de travail irréguliers, durée de service prolongée ou modification des horaires de travail et de repos) et des pressions sociales et domestiques qui ont une incidence sur le mode de vie d'une personne. La fatigue est d'ailleurs identifiée comme étant un facteur contributif de nombreux accidents industriels.Note de bas de page 2

La recherche porte à croire qu'il est impossible d'emmagasiner du sommeil. Lorsqu'une personne est éveillée, le besoin de sommeil croît progressivement, même si la personne était bien reposée au début du cycle d'éveil. La plupart des personnes ont besoin entre 7,5 et 8,5 heures de sommeil. Quelqu'un qui ne dort pas assez pour ses besoins en vient à manquer de sommeil et risque de voir son rendement se détériorer.

Compte tenu de son cycle de travail et de repos au cours des trois jours précédents, on estime que le mécanicien avait accumulé un déficit de sommeil de sept heures lors de l'accident. Même si le mécanicien a fait une sieste pendant la nuit du 30 janvier, il a dû entreprendre son quart de travail du 31 janvier 1999 alors qu'il avait un déficit de sommeil.

Au moment de l'accident, le chef de train était éveillé depuis 26,5 heures. Le besoin de dormir se manifeste généralement au bout de 15 à 16 heures, même chez une personne bien reposée.

Les horaires de travail et de repos irréguliers et le manque de sommeil qui en découle vont de pair avec la fatigue, mais ils ne sont pas suffisants pour prouver que les erreurs commises sont nécessairement dues à la fatigue.

2.5 Réglementation concernant les périodes de repos

Les membres de l'équipe du train 428 se conformaient aux paramètres concernant le temps de repos obligatoire et le nombre maximal d'heures de service des équipes; pourtant, au moment de la collision, le mécanicien avait dormi pendant environ 3,5 heures au cours des 25 heures précédentes et le chef de train n'avait pas dormi au cours de cette même période. Les exigences en vigueur concernant le temps de repos obligatoire et le nombre maximal d'heures de service visent à faire en sorte que les employés affectés à l'exploitation des trains soient reposés et dispos avant de prendre leur service et qu'ils ne restent pas en service pendant des durées excessives. Le temps de repos ne correspond pas nécessairement au temps de repos réparateur. Or, comme celui ou celle qui est le moins en mesure de faire une évaluation exacte de son état__la personne__est celui ou celle qui doit faire cette appréciation, il peut arriver que des employés fatigués conduisent des trains, et ce même s'ils se conforment au règlement et s'ils ont l'impression d'être en état de s'acquitter de leurs fonctions.

2.6 Transfert d'information

L'imprimé 538-D vise à fournir aux équipes qui se succèdent et, en bout de ligne, au personnel du service de la mécanique, un document dans lequel figurent toutes les défectuosités des locomotives. Alors que dans la plupart des cas, cette information revêt une importance primordiale pour ceux qui réparent les locomotives, il arrive que certaines défectuosités, comme on l'a vu lors de cet accident, aient une incidence sur la sécurité. Le fait de continuer de faire rouler la locomotive 5432 alors que son dispositif de freinage rhéostatique ne fonctionnait pas n'a pas eu d'incidence fâcheuse pour la sécurité jusqu'à ce qu'une occasion se présente où l'on a eu besoin de toute la puissance de freinage rhéostatique et l'on s'attendait à l'avoir. Le mécanicien ignorait que la puissance de freinage rhéostatique était inexistante. Le fait qu'une équipe n'ait pas rempli l'imprimé 538-D pourrait être considéré comme un manquement aux exigences relatives au transfert de cette information, mais la vérification dont le groupe de traction a fait l'objet à Prince George (c'est-à-dire que l'équipe montante n'a pas fait de vérification dans la cabine de la locomotive menée, soit la locomotive 5432) a fait en sorte que l'équipe montante n'aurait pas été informée de la défectuosité même si l'imprimé avait été rempli. Il semble donc que non seulement on n'a pas insisté suffisamment sur l'obligation et sur l'importance de remplir l'imprimé 538-D, mais qu'on a accepté comme étant une procédure normale une notion erronée et potentiellement dangereuse selon laquelle la locomotive de tête est la seule qu'il faut vérifier quand on prend un train en charge à des endroits comme à Prince George.

Il convient aussi de signaler qu'à deux reprises, on a laissé la locomotive 5432 défectueuse aux soins d'équipes de relève à McBride, sans avoir pris dûment compte de l'état mécanique du groupe de traction. Même si l'on s'est rapidement rendu compte de cette défectuosité lors de la première occasion, on l'ignorait lors de la seconde. Le processus de changement des équipes et la prise de contrôle d'une machine aussi complexe ne sont pas structurés et ne sont pas propices à la sécurité ferroviaire.

2.7 Affichage des renseignements des locomotives

Quand le mécanicien en cause dans l'accident se servait de la manette des gaz ou du frein rhéostatique pour contrôler la vitesse du train, la seule indication dont il disposait pour s'informer du rendement du groupe de traction était la façon dont le train semblait répondre aux commandes. Comme le train maintenait une vitesse appropriée et semblait répondre au freinage rhéostatique, en partie en raison de la neige épaisse, le mécanicien n'avait aucune raison de soupçonner qu'un moteur de traction et que l'ensemble du dispositif de freinage rhéostatique de la locomotive 5432 n'étaient pas disponibles.

Bien qu'une alarme se déclenche dans la cabine de la locomotive menante quand certains systèmes mécaniques sensibles des locomotives menées sont défectueux, p. ex. la pression d'huile, les normes actuelles n'exigent pas qu'il y ait un affichage de l'état de fonctionnement des systèmes des locomotives menées, bien que l'affichage de ces données soit techniquement réalisable et qu'il soit disponible dans certaines locomotives neuves.

Il est évident que, dans l'accident à l'étude, il aurait été avantageux pour les deux équipes qui ont conduit le train 428 de Prince George à Jasper de compter sur la présence d'instruments indiquant que la puissance motrice était réduite et que la capacité de freinage rhéostatique avait fortement diminué. Le mécanicien aurait été davantage au fait de la situation et, partant, aurait été mieux informé et aurait été en mesure de prendre des décisions éclairées quant à la conduite du train.

2.8 Communications

Les autres employés de la compagnie n'ont pas entendu le message radio d'urgence que le train 428 a transmis sur le canal de travail des trains. Il semble que personne dans le secteur ne syntonisait ce canal. Dans l'accident à l'étude, l'équipe du train n'a pas eu assez de temps pour entrer en contact avec le CCF, lequel aurait pu se servir des possibilités de communication à canaux multiples pour signaler l'arrivée d'un train à la dérive à tous ceux qui étaient dans le triage et qui étaient munis de postes radio. Dans bien des situations d'urgence, les équipes disposent de peu de temps pour transmettre des messages d'urgence. Certes, l'utilisation du canal de travail vise à protéger le trafic qui emprunte la voie principale, mais cet accident démontre que les avertissements radio au sujet d'un risque pour la sécurité pourraient s'adresser à d'autres domaines des opérations ferroviaires. Dans de telles circonstances, le système de communication radio, de par sa conception, ne peut pas communiquer un avertissement de danger à tous les employés susceptibles d'être affectés.

On remarque aussi que le train facultatif de manoeuvre 0830 faisait des manoeuvres sur la voie d'entrée et se trouvait directement en conflit avec le train 428. Même si la règle 105 du REF régit ces activités et, en théorie, assure la protection des manoeuvres, un contact radio entre les deux équipes aurait peut-être fait en sorte qu'on libère la voie principale sud avant l'arrivée du train. L'équipe du train 428 avait utilisé le canal 5 de la radio du train pour converser avec l'équipe montante et le canal 3 pour s'enquérir des instructions de triage auprès du poste de triage. Un commis du poste de triage aurait par exemple facilement pu utiliser le canal 8 pour alerter toutes les manoeuvres de l'arrivée imminente du train. Il semble donc qu'un meilleur usage du système de communication radio permettrait d'améliorer la sécurité au triage Jasper.

3.0 Faits établis

3.1 Faits établis quant aux causes et facteurs contributifs

  1. Comme l'équipe du train 428 n'avait pas serré les freins périodiquement pour les garder en état de fonctionner, le circuit de freinage a été rendu inopérant en raison de la forte poudrerie.
  2. En raison de l'effet nuisible des conditions météorologiques sur le fonctionnement des freins à air et du fait qu'il ignorait l'état du dispositif de freinage rhéostatique, le mécanicien n'a pas pu appliquer la stratégie qu'il avait établie pour entrer dans le triage Jasper.
  3. On n'a pas insisté suffisamment sur la nécessité de remplir le rapport du mécanicien, et on en est venu à accepter comme étant une procédure normale une notion potentiellement dangereuse qui consiste à n'inspecter que la locomotive de tête quand on prend un train en charge.
  4. L'échange d'information entre les équipes et la façon de prendre un train en charge aux points de relève ne sont pas structurées et ne sont pas propices à la sécurité ferroviaire.

3.2 Faits établis quant aux risques

  1. Comme le train 428 n'était pas équipé d'instruments montrant que la puissance motrice était réduite, l'équipe ignorait que la capacité de freinage rhéostatique du groupe de traction avait considérablement diminué.
  2. De par sa conception, le système radio ne transmet pas toujours un avertissement d'une condition dangereuse à tous les employés susceptibles d'être affectés.
  3. On pourrait améliorer la sécurité au triage Jasper grâce à un meilleur usage du système de communication radio.
  4. Le cycle de repos et de travail des membres de l'équipe, en particulier celui du chef de train, était propice à la fatigue et présentait par conséquent un risque d'altération du rendement.

4.0 Mesures de sécurité

4.1 Préoccupations liées à la sécurité

L'enquête sur cet accident a relevé des anomalies en matière de sécurité qui préoccupent le Bureau.

L'identification des défectuosités des locomotives et le transfert de l'information sur les défectuosités, le manque de structure qui préside aux changements d'équipes et la nature sommaire des inspections des groupes de traction avant le départ sont des questions qu'il convient d'examiner. Les horaires de travail irréguliers, les périodes de service prolongées et les besoins bien identifiés en matière de repos ont encore une fois été des sujets de préoccupation et tendent à poser un problème de sécurité dans bien des accidents.

Le Bureau est aussi préoccupé par le fait que les mécaniciens ne soient pas renseignés sur l'état de fonctionnement des locomotives menées et que la locomotive menante ne soit pas équipée d'instruments qui permettent de prendre connaissance de ces renseignements. Cet accident a encore une fois amené le Bureau à examiner le concept de conscience de la situation chez les employés des chemins de fer, surtout en ce qui a trait à la variété des groupes d'employés et à la façon dont on pourrait utiliser un système de communication, par exemple des radios portatives, pour améliorer la conscience de la situation ainsi que la sécurité.

Le Bureau entend continuer d'étudier les accidents dans lesquels ces questions sont présentes, afin d'élaborer des mesures de sécurité le cas échéant.

Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .

Annexes

Annexe A - Sigles et abréviations

BST
Bureau de la sécurité des transports du Canada
CCC
commande centralisée de la circulation
CROR
Canadian Rail Operating Rules
CCF
contrôleur de la circulation ferroviaire
CCFM
contrôleur de la circulation ferroviaire__Mécanique
cm
centimètre
CN
Canadien National
HNP
heure normale du Pacifique
IGE
Instructions générales d'exploitation
lb/po²
livre au pouce carré
mi/h
mille à l'heure
REF
Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada
UTC
temps universel coordonné