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Rapport d'enquête aéronautique A13Q0098

Atterrissage forcé par suite d’une panne sèche
Aviation Flycie Inc.
Beechcraft King Air 100, C-GJSU
Aéroport de Montréal/St-Hubert (Québec), 8 nm est



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Le Beechcraft King Air 100 (immatriculation C-GJSU, numéro de série B-88) exploité par Aviation Flycie Inc. a décollé de l’aéroport de Montréal/St-Hubert (Québec) pour effectuer un vol local selon les règles de vol à vue avec 1 pilote et 3 passagers à son bord. Lors de l’approche de la piste 24R à l’aéroport de Montréal/St-Hubert, les 2 moteurs (Pratt & Whitney Canada, PT6A-28) se sont arrêtés par suite d’une panne sèche. Le pilote s’est dérouté vers l’aéroport de St-Mathieu-de-Beloeil (Québec), puis a tenté un atterrissage forcé dans un champ à 0,5 mille marin à l’ouest de l’aéroport de St-Mathieu-de-Beloeil. L’appareil a percuté le sol 30 pieds avant le champ choisi, à 17 h 25, heure avancée de l’Est. L’appareil a subi des dommages importants et les 4 occupants ont été légèrement blessés. La radiobalise de repérage d’urgence s’est déclenchée durant l’événement. Le vol a été effectué de jour et il n’y a pas eu d’incendie.

1.0 Renseignements de base

1.1 Déroulement du vol

Le vol avait pour objet de vérifier l'indicateur de compensation de la direction et de confirmer un problème potentiel de synchronisation entre le pilote automatique et le système mondial de positionnement (GPS). Le pilote a complété l'inspection extérieure prévol de l'appareil. Les moteurs ont démarré peu avant 16 h 53Note de bas de page 1. L'appareil, qui se trouvait à sa base à l'aéroport de Montréal/St-Hubert (Québec) [CYHU], a décollé à 17 h pour effectuer un vol d'une durée prévue de 15 à 20 minutes selon les règles de vol à vue (VFR). La personne responsable de la maintenance (PRM) de la compagnie, 2 passagers et le pilote étaient à son bord.

Vers 17 h 14, une fois les vérifications voulues terminées, l'appareil, qui se trouvait à environ 25 milles marins (nm) au sud de CYHU, a emprunté une trajectoire directe vers CYHU. À 17 h 16, le pilote a informé le contrôle de la circulation aérienne (ATC) que les vérifications étaient terminées et a demandé un retour à CYHU avec une approche simulée au moyen du système d'atterrissage aux instruments (ILS) vers la piste 24R (figure 1).

Figure 1. Trajectoire de l'appareil selon les données radar (Source : GoogleEarth, avec annotations du BST)
Image 1 du trajectoire de l'appareil selon les données radar

Après l'obtention de l'autorisation de l'ATC, sous guidage radar, l'appareil a bifurqué vers le nord. À 17 h 19 min 42 s, l'appareil a atteint le point équidistant entre CYHU et l'aéroport de St-Mathieu-de-Beloeil (Québec) [CSB3]Note de bas de page 2. Par la suite, alors qu'il était à 3000 pieds au-dessus du niveau de la mer (asl), l'appareil a suivi un arc dans un rayon d'environ 3 nm de CSB3.

À 17 h 22 min 52 s, une fluctuation du son des hélices a accompagné l'illumination du voyant principal d'alarme et du voyant RH FUEL PRESSURENote de bas de page 3. Le pilote a constaté que les jauges des réservoirs des nacelles moteurs indiquaient « E »Note de bas de page 4. Le pilote a mis en marche les pompes d'appoint auxiliaires gauche et droite et a ouvert le robinet d'intercommunication carburant [CROSSFEED]. À 17 h 23 min 44 s, l'appareil a intercepté l'alignement de piste 24R de CYHU à 2800 pieds asl. À 17 h 23 min 58 s, le son des hélices a fluctué de nouveau et le moteur droit s'est arrêté (figure 2).

Figure 2. Trajectoire de l'appareil selon les données radar (Source : GoogleEarth, avec annotations du BST)
Image 2 du trajectoire de l'appareil selon les données radar

À 17 h 24 min 4 s, alors que l'appareil se trouvait à 2,5 nm au nord-ouest de CSB3Note de bas de page 5 et à 2600 pieds asl à une vitesse sol de 190 nœudsNote de bas de page 6, le pilote a informé le contrôleur qu'ils allaient atterrir à CSB3 plutôt qu'à CYHU.

À 17 h 24 min 15 s, le contrôleur a autorisé le C-GJSU à virer à gauche en direction de CSB3.

À 17 h 24 min 34 s, alors que le C-GJSU était à 2400 pieds asl, à 7,4 nm de la piste, et toujours sur une trajectoire en direction de CYHU, le moteur gauche s'est arrêté. Le pilote a amorcé un virage à gauche vers la nouvelle destination. Au cours des 40 secondes suivantes, la vitesse sol du C-GJSU est passée de 180 nœuds à 110 nœuds.

À 17 h 24 min 47 s, le contrôleur a fourni de l'information de trafic au C-GJSU et l'a autorisé sur la fréquence en route. Le pilote a accusé réception aussitôt. Il n'y a pas eu d'autre communication du C-GJSU.

À 17 h 25 min 10 s, pendant le virage, alors que l'appareil était au sommet du virage, à 1600 pieds asl, le pilote a sorti le train d'atterrissage. À 17 h 25 min 36 s, alors que le C-GJSU était à 1000 pieds asl, le klaxon de l'avertisseur de décrochage a retenti, puis a retenti 3 autres fois au cours des 10  secondes suivantes (figure 2).

À 17 h 25 min 42 s, alors que l'appareil se trouvait à environ 450 pieds au-dessus du sol (agl) et à 0,85 nm du seuil de la piste 15, le pilote a décidé d'atterrir dans un champ situé à droite. À compter de 17 h 25 min 49 s, le klaxon de l'avertisseur de décrochage a retenti de façon continue jusqu'à ce que l'appareil percute le sol.

Douze secondes avant l'impact, le pilote a averti la PRM, qui occupait le siège du copilote, de l'imminence d'un atterrissage forcé. À ce moment-là, la PRM ignorait que les moteurs s'étaient arrêtés. La PRM a aussitôt alerté les 2 autres passagers de l'imminence d'un atterrissage forcé et les a averti de se retenir fermement.

Quatre secondes plus tard, le C-GJSU a subi un décrochage aérodynamique. L'aile droite a percuté le sol à un angle d'environ 45°, puis l'appareil a percuté une clôture et un arbre avant de sectionner 2 fils électriques et de heurter violemment le sol d'un terrain gazonné. L'appareil a poursuivi sa course sur 120 pieds et s'est immobilisé sur le ventre, à environ 0,5 nm au sud-ouest de CSB3.

Les 4 occupants, qui ont été légèrement blessés, ont évacué l'appareil par la sortie d'urgence située du côté droit de l'appareil, qui avait subi des dommages importants.

1.1.1 Événements significatifs en fonction du carburant à bord

Afin de déterminer à quel moment le C-GJSU ne pouvait plus atteindre l'aéroport de destination d'origine, les enquêteurs ont calculé la quantité de carburant à bord à divers moments clés ou événements clés du vol ainsi que le temps de vol nécessaire pour atteindre CYHU à partir de chacun de ces moments à une vitesse sol moyenne de 180 nœuds et sans allocation pour l'exécution d'un circuit avant l'atterrissage (tableau 1).

Tableau 1. Quantité de carburant à bord et temps de vol nécessaire pour atteindre l'aéroport de Montréal/St-Hubert (Québec) [CYHU] à des moments clés du vol
Moment clé du vol Heure Carburant à bord (en minutes et secondes) Temps de vol
pour atteindre CYHU (en minutes et secondes)Note de bas de page *
Décollage de CYHU 17:00:41 23 min 53 s S.O.
Position la plus éloignée de CYHU 17:13:37 10 min 57 s 9 min
Demande de retour pour approche ILS sur 24R 17:16:09 8 min 25 s 6 min 20 s
Équidistant entre CYHU et CSB3 17:19:42 4 min 52 s 2 min 44 s
Les jauges indiquent « E » 17:23:01 1 min 33 s 4 min 12 s
Arrêt du moteur droit 17:23:58 0 min 36 s 3 min 9 s
Informe ATC du déroutement à CSB3 17:24:04 0 min 30 s 3 min 3 s
Arrêt du moteur gauche, début du vol plané 17:24:34 0 2 min 33 s
Impact 17:25:58 S.O. S.O.

1.2 Tués et blessés

Tableau 2. Tués et blessés
  Équipage Passagers Tiers Total
Tués - - - -
Blessés graves - - - -
Blessés légers/indemnes 1 3 - 4
Total 1 3 - 4

1.3 Dommages à l'aéronef

Les 2 hélices s'étaient détachées de leurs moteurs et montraient des dommages correspondant à un moteur qui ne produisait aucune puissance au moment de l'impact. L'examen des hélices a indiqué que leurs pales étaient à un angle de pas fin. Les 2 moteurs étaient partiellement arrachés du bâti moteur à la hauteur de la cloison pare-feu (photo 1).

Photo 1. Vue de l'épave (Source : Régie intermunicipale de police Richelieu-Saint-Laurent)
Vue de l'épave

1.4 Autres dommages

En courte finale vers le champ, l'appareil a sectionné 2 fils électriques.

1.5 Renseignements sur le personnel

1.5.1 Généralités

Tableau 3. Renseignements sur le pilote
Licence Pilote de ligne
Date d'expiration du certificat de validation 1er janvier 2014
Heures de vol totales 4301
Heures de vol dans les 90 derniers jours 87,6
Heures de vol sur type dans les 90 derniers jours 87,6
Heures libres avant la prise de service 18

Le commandant de bord était le pilote en chef de la compagnie et effectuait le vol en tant que seul pilote à bord. Le pilote était titulaire d'une licence de pilote de ligne valide et détenait les qualifications nécessaires au vol aux termes de la réglementation en vigueur. Selon le curriculum vitae du pilote soumis à Aviation Flycie Inc., le pilote avait accumulé 4200 heures de vol totales, dont 1100 heures sur bimoteur en tant que commandant de bord et 400 heures sur le Beechcraft King Air comme copilote.

Une copie partielle du carnet de volNote de bas de page 7 du pilote indiquait que le pilote avait effectué 216 heures de vol sur le Beechcraft King Air à titre de copilote chez son employeur précédent bien qu'il ne détenait pas les qualifications nécessairesNote de bas de page 8. En outre, l'enquête a révélé que la formation n'avait pas été terminée et que ces heures n'avaient été effectuées qu'à titre d'observateur.

Faute de documentsNote de bas de page 9, l'enquête n'a pas pu déterminer avec précision l'expérience de vol du pilote sur le Beechcraft King Air. Au moment de l'accident, le pilote avait accumulé environ 88 heures de vol sur le Beechcraft King Air 100 (BE10)Note de bas de page 10, depuis qu'il était à l'emploi d'Aviation Flycie Inc., dont 65 heures en exploitation commerciale.

1.5.2 Antécédents du pilote

Le pilote a obtenu une licence de pilote professionnel en mars 1996, une qualification d'instructeur classe 4 en juillet 1997, puis une qualification d'instructeur classe 1 en mars 2001. En avril 2001, le pilote a obtenu la qualification multimoteur à sa deuxième tentative; le premier test en vol avait été un échec parce que le pilote n'avait pas mis en drapeau l'hélice du moteur en cause lors de l'exercice de panne moteur. Le pilote avait obtenu une qualification de vol aux instruments en octobre 2001 et une licence de pilote de ligne en août 2005. En 2006, le pilote a été embauché comme pilote instructeur et a été nommé pilote en chef d'une flotte de Cessna 310 utilisés pour les patrouilles de feu. En 2007, le pilote a échoué à une évaluation par Transports Canada (TC) pour devenir pilote vérificateur agréé (PVA).

En 2007, le pilote a été embauché à titre de premier officier chez un transporteur aérienNote de bas de page 11, mais a éprouvé des difficultés importantes dans le simulateur qui ont nécessité plusieurs séances d'entraînement supplémentaires. En janvier 2008, le pilote a perdu son emploi après avoir échoué à sa formation initiale. En 2009, le pilote a été embauché comme instructeur de vol dans une école de pilotage et, en 2010, un autre transporteur aérien l'a embauché pour effectuer un contrat de patrouille de feu. En juin 2011, le pilote a été embauché à titre de copilote sur le Beechcraft King Air, mais après 2 vols et à la suite d'un rendement faible, sa formation initiale sur l'appareil a été interrompue. L'employeur a alors permis au pilote de voler comme pilote observateur afin d'acquérir de l'expérience. Toutefois, en octobre 2011, la compagnie l'a mis à pied en raison d'un rendement global qui était faible et qui ne répondait pas aux attentes.

Selon son curriculum vitae, le pilote avait convoyé à l'occasion divers aéronefs au Canada et aux États-Unis, dont le Beechcraft King Air. Toutefois, en l'absence d'un carnet de vol, l'enquête n'a pas été en mesure de confirmer ces vols.

En novembre 2012, le pilote a été embauché par Aviation Flycie Inc. en vue d'occuper le poste de pilote en chef dès que la compagnie aurait obtenu son certificat d'exploitation. Afin de permettre à la compagnie de répondre aux exigences pour l'obtention du certificat, le pilote s'est employé à rédiger le manuel d'exploitation de la compagnie (MEC), les procédures d'utilisation normalisées (SOP) ainsi que le programme de formation des équipages de conduite. Le pilote a réussi l'examen écrit de pilote en chef en décembre 2012 et, après un premier échec, le pilote a réussi l'entrevue de pilote en chef en février 2013.

Entre le 13 et le 18 mars 2013, le pilote a reçu sa formation en vol sur le BE10, qui comportait 11,1 heures de vol. Malgré des difficultés en vol éprouvées lors d'exercises exigeant la manipulation et le contrôle de l'appareil, des virages serrés, une panne moteur, la coordination de l'équipage, la mise en palier et le maintien d'altitudes, et l'utilisation des listes de vérification, le pilote a été recommandé pour une vérification de la compétence du pilote sous forme de contrôle de la compétence du pilote (CCP) sur aéronef.

Le 18 mars 2013, le pilote a réussi le CCP sur le BE10 de la compagnie (voir la section 1.18.1.2 du présent rapport). Toutefois, 4 exercices s'étaient conclus avec une note de « 2 »Note de bas de page 12. Au terme du CCP,  le PVA de TC avait signalé au chef d'équipe technique et à l'inspecteur principal de l'exploitation de TC chargé d'Aviation Flycie Inc. ses inquiétudes concernant la faiblesse générale du candidat-pilote en chef (voir la section 1.18.1.3).

L'enquête a révélé que le rendement du candidat-pilote en chef alors qu'il était à l'emploi d'employeurs précédents avait été inférieur aux normes établies par ces employeurs dans la grande majorité des cas en raison, notamment

Ni TC ni Aviation Flycie Inc. n'avaient communiqué avec aucun des employeurs précédents; ils n'étaient d'ailleurs pas tenu de le faire. En outre, TC conserve les résultats des vérifications mais n'assure pas le suivi des échecs pour surveiller le rendement des pilotes.

1.5.3 Horaire de travail du pilote

Un examen de l'horaire de travail du pilote n'a pas permis de déterminer si, au moment de l'accident, le pilote respectait les exigences précisées dans le MEC relatives aux limites de temps de service de vol et de périodes de repos.

Selon le MEC, les pilotes doivent inscrire leur temps de service de vol et leur temps de vol après chaque vol dans un chiffrier électronique. Le gestionnaire des opérations (GDO) doit s'assurer que les horaires des pilotes respectent la réglementation relative au temps de vol et au temps de service de vol conformément à l'article 700.15 du Règlement de l'aviation canadien (RAC). TC avait délivré les spécifications d'exploitation à la compagnie pour accroître ses limites de temps de volNote de bas de page 13 et de temps de service de volNote de bas de page 14.

Le calcul des heures de vol du pilote a indiqué qu'elles n'ont pas dépassé les limites prescrites à l'article 720.15 du RAC. Toutefois, aucun temps de service de vol n'avait été inscrit dans le registre lorsque le pilote effectuait les tâches de pilote en chef; le registre indiquait que le pilote en chef était en congé lorsqu'il n'était pas en vol. Par conséquent, en utilisant seulement le registre, ni le temps de service de vol ni le temps de repos du pilote n'ont pu être calculés.

Le chiffrier électronique utilisé par la compagnie était différent du registre du temps de service publié dans le MEC. Toutefois, tous les champs du registre publié se retrouvaient dans le chiffrier électronique.

Selon l'information disponible, rien n'indique que la fatigue ait été un facteur dans l'accident.

1.5.4 Formation en gestion des ressources de l'équipage et en prise de décision des pilotes

Le pilote n'avait reçu aucune formation approuvée par TC sur la prise de décision des pilotes ou sur la gestion des ressources de l'équipage chez Aviation Flycie Inc., et de tels cours ne sont pas requis par la réglementation.

1.6 Renseignements sur l'aéronef

1.6.1 Généralités

Le Beechcraft King Air 100 est un petit aéronef bimoteur à turbopropulseurs pressurisé, souvent utilisé pour les vols nolisés et en aviation d'affaires. L'appareil était configuré pour voler avec 2 membres d'équipage et transporter un maximum de 9 passagers.

Tableau 4. Renseignements sur l'aéronef
Constructeur Beech Aircraft Corporation
Type et modèle King Air 100
Année de construction 1971
Numéro de série B-88
Certificat de navigabilité Commercial
Nombre d'heures cellule / Nombre de cycles de la cellule 13 616,9 /10 999
Moteurs 2 (Pratt & Whitney Canada, PT6A-28)
Masse maximale autorisée au décollage 11 846 livres
Types de carburant recommandés Jet A, Jet A-1, Jet B
Type de carburant utilisé Jet A-1

1.6.2 Navigabilité

Les dossiers de maintenance indiquaient que le C-GJSU était entretenu conformément aux procédures approuvées du manuel de contrôle de maintenance de la compagnie. Aviation Flycie Inc. avait engagé à contrat un organisme de maintenance agréé par TC indépendant pour effectuer les inspections et l'entretien de l'appareil. La dernière inspection de l'appareil avait eu lieu le 3 juin 2013 dans le cadre d'une inspection aux 100 heures. L'appareil totalisait alors 13 610 heures cellule. La fiche des travaux de maintenance de la compagnie pour l'appareil ne faisait état d'aucun point d'entretien différé.

1.6.3 Modification Raisbeck

On avait modifié l'aéronef à l'aide d'un ensemble prêt-à-monter de Raisbeck Engineering, qui comprenait l'ajout de 2 dérives ventrales à l'arrière et d'hélices à 4 pales. Ces modifications ont été effectuées dans le cadre d'un certificat de type supplémentaire approuvé par TC et par la Federal Aviation Administration (FAA) des États-Unis. Le fonctionnement de l'aéronef est décrit dans le manuel de vol original de l'aéronef Beechcraft et le supplément du manuel de vol de l'aéronef (AFM) de Raisbeck Engineering, (numéro de pièce 91-100/A100).

Les hélices Hartzell/Raisbeck à vitesse constante à 4 pales procurent un régime de 2000 tours par minute (tr/min) au décollage, alors que 1750 tr/min sont recommandés pour le vol de croisière. Une fois ajusté, le régime est maintenu automatiquement. Lorsque le régime de l'hélice diminue, le gouverneur réduit le pas de l'hélice pour maintenir le régime et vice-versa.

Lorsqu'un moteur tombe en panne, le régime de l'hélice diminue momentanément et le gouverneur de l'hélice réduit le pas pour maintenir le régime sélectionné. Le vent relatif qui pousse sur les hélices procure l'énergie nécessaire pour les faire tourner au même régime. Selon Hartzell, le régime se maintient tant que l'appareil continue d'évoluer au-dessus de la plage de vitesse corrigée de 110 à 116 nœuds.

1.6.4 Circuit de carburant

Le circuit de carburant est conçu de manière à alimenter les 2 moteurs indépendamment l'un de l'autre. Chaque moteur est alimenté par 4 réservoirs d'aile totalisant 130 gallons américains utilisables. Le carburant se déverse dans un réservoir de nacelle moteur d'une capacité de 57 gallons américains utilisables, pour un total de 374 gallons américains, (c.-à-d., 2618 livres pour du Jet A-1 à 15° CNote de bas de page 15).

Un voyant d'alarme s'illumine dans le panneau annonciateur dans l'auvent du panneau de bord lorsque le contacteur à flotteur d'un réservoir nacelle décèle une baisse de niveau.

Une pompe d'appoint primaire et une secondaire installées dans les réservoirs nacelle fournissent chacune une pression carburant suffisante pour l'opération des moteurs. Les pompes d'appoint secondaires ne sont pas en marche en situation normale. Une baisse de pression carburant sous les 9 à 11 psigNote de bas de page 16 est signalée par l'illumination du voyant d'alarme rouge FUEL PRESSURE du côté affecté (droit ou gauche). En cas de panne d'une pompe d'appoint, la mise en marche de la pompe secondaire entraînera l'augmentation de la pression carburant et l'extinction du voyant concerné.

Principalement utilisée en cas de panne moteur, le robinet d'intercommunication carburant [CROSSFEED] est ouvert pour assurer l'alimentation du moteur fonctionnel par le carburant contenu dans les réservoirs du côté opposé. Un interrupteur à cran d'arrêt situé entre les jauges de carburant des réservoirs nacelles active le robinet d'intercommunication, et un voyant blanc FUEL CROSSFEED s'illumine sur le panneau annonciateur. Le circuit d'intercommunication ne transfère pas de carburant d'un réservoir à un autre; toutefois, il est possible d'utiliser le circuit d'intercommunication pour alimenter à partir des réservoirs d'un côté, soit 1 seul moteur ou les 2.

À l'occasion, les aiguilles des jauges de carburant des réservoirs nacelles pouvaient être observées se déplaçant par à-coup; lors de ces événements, les aiguilles s'immobilisaient temporairement sur une valeur. Toutefois, aucune anomalie liée aux jauges de carburant n'a été consignée dans le carnet de route ou dans le dossier de maintenance de l'appareil, et aucune anomalie n'a été signalée à la PRM.

1.6.4.1 Travaux de maintenance

Le 22 mai 2013, la pompe carburant primaire gauche avait été remplacéeNote de bas de page 17 selon les procédures approuvées. L'étalonnage des jauges de carburant n'a pas été effectué à la suite du remplacement de la pompe, et aucun étalonnage n'était exigé.

1.6.4.2 Panneau carburant

Le panneau carburant est situé à gauche du pilote (figure 3). On y retrouve les 4 jauges de carburant, les interrupteurs des 2 pompes d'appoint primaires et ceux des 2 pompes d'appoint secondaires, et l'interrupteur du robinet d'intercommunication (CROSSFEED). Une jauge réservoir d'aile et une jauge réservoir nacelle sont situées de part et d'autre de l'interrupteur du robinet d'intercommunication.

Figure 3. Panneau carburant et interrupteurs
Panneau carburant et interrupteurs

Les jauges de carburant sont graduées de E (Empty – vide) à F (Full – plein). L'échelle de quantité est indiquée en fractions, en livres et en gallons. La graduation de l'échelle des jauges n'est pas linéaire; l'arc de déplacement de l'aiguille rétrécit en s'approchant du point « F ». À titre d'exemple, l'indication ¼ du réservoir se trouve à peu près au centre de l'échelle. L'échelle des jauges des réservoirs des ailes est graduée de 0 à 130 gallons américains, alors que celle des réservoirs nacelles est de 0 à 57 gallons américains (figure 4).

Figure 4. Graduation des jauges
Graduation des jauges

L'étalonnage des jauges de carburant n'est pas requis et aucun ajustement n'est prévu dans le manuel de maintenance de l'appareil. Dans le cas où une jauge fournit une lecture erronée, l'instrument est remplacé.

1.6.5 Consommation horaire de carburant

L'appareil est équipé de 2 débitmètres de carburant qui affichent le débit horaire en livres de chacun des moteurs. La consommation de carburant varie en fonction du réglage des gaz, de l'altitude et de la température. De façon générale, chaque moteur du BE10 consomme en moyenne 300 livres de carburant par heure. Toutefois, pour les besoins de la planification du vol, on calcule une consommation horaire spécifique pour la circulation au sol, le décollage, la montée, la descente et l'approche. Aviation Flycie Inc. utilisait un outil en ligne fourni par FltPlan.com pour calculer le carburant requis.

1.6.6 Quantité de carburant à bord de l'appareil

L'examen de l'appareil a révélé que tous les réservoirs de carburant étaient vides au moment de l'impact. Lors de l'inspection extérieure pré-vol, le pilote n'a pas enlevé les bouchons de remplissage des réservoirs de carburant pour vérifier visuellement la quantité de carburant, et une telle vérification n'était pas exigée.

Avant le départ, le pilote a estimé que le réservoir nacelle gauche contenait entre 280 et 300 livres de carburant, et qu'il y avait entre 300 et 320 livres de carburant dans le réservoir nacelle droit. Toutefois, les réservoirs des ailes étaient vides et les 2 voyants ambre NACELLE NOT FULL étaient illuminés avant le début du vol.

En basant ses calculs sur les exigences du RAC visant les vols privés en VFR, le pilote a déterminé que 500 livres de carburant étaient requises pour compléter le vol de 20 minutes et se poser avec une réserve de 30 minutes, soit 300 livres de carburant. Le pilote a donc décidé de faire le plein au terme du vol de maintenanceNote de bas de page 18, afin d'éviter de faire le plein 2 fois (c.-à-d., avant et après le vol).

Le devis de masse et centrage complété pour le vol indiquait qu'il y avait 580 livres de carburant au départ de CYHU; celui du vol précédent indiquait 1100 livres au départ de l'aéroport Montréal/Pierre-Elliott-Trudeau International (Québec) [CYUL]; et celui du vol précédent indiquait 1860 livres au départ de l'aéroport de Charlottetown (Île-du-Prince-Édouard) [CYYG].

1.6.6.1 Évaluation de la quantité de carburant au départ de l'aéroport de Montréal/St-Hubert
1.6.6.1.1 Généralités

Afin d'établir avec exactitude la quantité de carburant à bord au départ de CYHU et de vérifier la possibilité d'une fuite de carburant en vol, 2 calculs de carburant consommé en sens inverse ont été faits :

  1. Depuis CYHU jusqu'au moment de la panne sèche (vol de l'accident);
  2. Depuis le dernier plein jusqu'à l'arrivée à CYHU (4 vols précédents).
1.6.6.1.2 Carburant consommé lors du vol de l'accident

Étant donné que le vol de vérification s'est effectué à une vitesse relativement faible, on a utilisé un débit de 550 livres par heure, représentatif d'un régime moteur réduit, pour calculer la quantité de carburant consommée au cours du vol de l'accident. Puisqu'il s'est écoulé 23 minutes 53 secondes avant l'arrêt du deuxième moteur, on a estimé que l'appareil avait décollé avec environ 220 livres de carburant à bord. En estimant que l'appareil a consommé 40 livres pour circuler au sol, on a déterminé que la quantité de carburant à bord au moment du démarrage des moteurs à CYHU était d'environ 260 livres.

1.6.6.1.3 Contre-vérification du carburant à bord à CYHU

Afin de contre-vérifier la quantité de carburant à bord au départ de CYHU, un suivi de la consommation de carburant depuis le dernier plein jusqu'à l'arrivée à CYHU a été effectué. À cette fin, le carnet de route de l'appareil, les documents de vol et les bons d'avitaillement en carburant ont été utilisés.

Le dernier plein de carburant a été effectué à l'aéroport de Rivière-du-Loup (Québec) [CYRI] le 7 juin 2013. Par la suite, l'appareil a fait escale à l'aéroport de Fredericton (Nouveau-Brunswick) [CYFC], puis à l'aéroport de Charlottetown (Île-du-Prince-Édouard) [CYYG]. Le 9 juin 2013, le pilote a fait ajouter 527 livres de carburant avant de décoller à destination de CYHU avec une escale à l'aéroport Montréal/Pierre-Elliott-Trudeau International (Québec) [CYUL].

Afin de calculer la quantité de carburant à bord au moment du décollage de CYHU, on a, dans un premier temps, utilisé les estimations de consommation obtenues lors de la planification des vols depuis le dernier plein (tableau 5).

Tableau 5. Calcul du carburant à bord de l'appareil en fonction du temps estimé de vol
Date Départ Destination Carburant (livres)
Départ ConsomméNote de bas de page * Arrivée Ajouté
7 juin 2013 Rivière-du-Loup Fredericton 2525Note de bas de page ** 612 1913 -
7 juin 2013 Fredericton Charlottetown 1913 590 1323 527
9 juin 2013 Charlottetown Montréal 1850 1427 423 -
9 juin 2013 Montréal St-Hubert 423 252 171 -

Dans un deuxième temps, on a utilisé les temps réels de vol consignés dans le carnet de route, avec un débit horaire représentatif pour ce type d'appareilNote de bas de page 19 depuis le dernier plein (tableau 6).

Tableau 6. Calcul du carburant à bord de l'appareil en fonction du temps réel de vol
Date Départ Destination Carburant (livres)
Départ ConsomméNote de bas de page * Arrivée Ajouté
7 juin 2013 Rivière-du-Loup Fredericton 2525 660 1865 -
7 juin 2013 Fredericton Charlottetown 1865 540 1325 527
9 juin 2013 Charlottetown Montréal 1852 1460 392 -
9 juin 2013 Montréal St-Hubert 392 180 212 -

Selon les données de planification pour ces 4 vols (tableau 5), il restait environ 170 livres de carburant à bord de l'appareil à CYHU, mais en fonction du temps réel de ces vols (tableau 6), il restait environ 210 livres de carburant à bord à ce moment.

Selon le calcul de la consommation de carburant lors du vol de l'accident (voir la section 1.6.6.1.1), on a estimé la quantité de carburant à bord au départ de CYHU à environ 260 livres. La conclusion que le C-GJSU avait au plus 260 livres de carburant correspond aux indications sur les jauges de carburant, tel que représenté à la figure 5. Par conséquent, le C-GJSU avait environ 260 livres de carburant à bord lorsqu'il a décollé de CYHU et n'a pas subi une fuite de carburant pendant le vol de l'accident.

Figure 5. Représentation de la quantité de carburant avant le vol de l'accident
Représentation de la quantité de carburant avant le vol de l'accident

1.6.7 Système de mise en drapeau automatique

L'appareil était muni d'un système de mise en drapeau automatique en cas de panne moteur. Le système est conçu pour un usage exclusif au décollage et à l'atterrissage. Il est armé avant le décollage, puis l'interrupteur d'armement est placé à la position OFF pendant la montée. Lors de l'exécution de la liste de vérification pour l'atterrissage, le système est armé de nouveau dans les instants qui précèdent la sortie du train d'atterrissage. Lors de l'événement à l'étude, le système de mise en drapeau automatique n'était pas armé.

1.6.8 Procédures normales et procédures en cas de situations anormales et d'urgence

Les procédures d'exploitation de l'aéronef sont publiées dans l'AFM. Puisque le BE10 est certifié pour les vols selon les règles de vol aux instruments (IFR) à un seul pilote, le constructeur a élaboré les procédures en fonction d'un seul pilote.

Conformément à l'article 703.107 du RAC, Aviation Flycie Inc. avait élaboré des SOP en vue de l'exploitation de ses appareils avec 2 pilotesNote de bas de page 20, tout en permettant aux membres d'équipage d'utiliser l'appareil selon les limites précisées dans l'AFM. Les SOP font état des règles et procédures de la compagnie, des procédures portant sur l'exploitation de ses appareils et des procédures d'utilisation des listes de vérification. TC a examiné les SOP d'Aviation Flycie Inc. et a déterminé qu'elles étaient conformes à l'article 703.107 du RAC. Cependant, le contenu des SOP relatives à l'exploitation de type 703 du RAC n'était revu que sommairement et n'était pas assujetti à l'approbation de TC. Il en était de même pour les SOP relatives aux listes de vérification.

1.6.8.1 Listes de vérification en situations anormales et d'urgence

Normalement, les listes de vérification regroupent les éléments des SOP jugés importants pour la sécurité du vol. Bien que Aviation Flycie Inc. avait conçu des listes de vérification pour le BE10, dont une liste de vérification en situation normale (CHKL), la compagnie n'avait pas élaboré sa propre liste de vérification en cas de situations anormales et d'urgence (ECHKL). Les équipages de la compagnie utilisaient la ECHKL produite par le propriétaire/exploitant précédent du C-GJSU. L'enquête a permis de constater que certaines procédures d'urgence publiées dans les SOP d'Aviation Flycie Inc. renvoyaient à cette ECHKL, qui, pour sa part, ne contenait pas de telles procédures.

1.6.8.2 Procédures normales

Les SOP pour situations normales ont pour objet de guider les membres d'équipage de conduite lorsqu'ils vérifient que les systèmes de l'aéronef fonctionnent comme prévu et s'assurent que la configuration de l'aéronef est conforme à la phase de vol prévue ou en cours.

Bien que quelques divergences mineures entre l'AFM et la la liste de vérification avant le décollage aient été relevées, ces divergences n'ont pas été un facteur contributif lors de l'accident.

Selon la CHKL de la compagnie, l'équipage doit vérifier la quantité de carburant à 2 reprises avant le démarrage des moteurs : tout d'abord lors de l'exécution de la vérification COCKPIT PRE-FLIGHT CHECKNote de bas de page 21, et une fois de plus lors de la vérification PRE-STARTNote de bas de page 22. Ces vérifications sont effectuées de mémoire. Il est raisonnable de supposer que, lors de la vérification des pompes d'appoint et du robinet d'intercommunication (au cours de la vérification BOOST PUMP & XFEED CHKNote de bas de page 23), le commandant de bord observe également les jauges de carburant, en raison de leur proximité avec les interrupteurs des pompes. Toutefois, le pilote n'a pas effectué la vérification BOOST PUMP & XFEED CHK avant le vol de l'accident.

Une fois en vol, seule la vérification en croisière (CRUISE CHKNote de bas de page 24) exige que l'équipage vérifie la quantité de carburant. C'est à 17 h 8, après avoir atteint l'altitude de croisière de 5500 pieds, que le pilote devait effectuer la vérification en croisière. L'appareil se trouvait alors à environ 16 nm au sud de CYHU.

1.6.8.3 Procédures d'urgence

Les procédures d'urgence sont publiées dans l'AFM et sont reprises dans les SOP et la ECHKL. Elles comportent toutes de légères divergences l'une par rapport à l'autre, dont aucune n'est cruciale à la sécurité du vol. Les procédures d'urgence publiées dans les SOP d'Aviation Flycie Inc. prévoient l'exécution de mémoire de certains items qui nécessitent une action immédiate. Ces items sont précédés d'un astérisque (*).

Dans l'événement à l'étude, les anomalies observées dans le poste de pilotage sont survenues dans l'ordre chronologique suivant :

  1. Changement de régime de l'hélice du moteur droit
  2. Illumination du voyant RH FUEL PRESSURE
  3. Les jauges de carburant indiquent E (vide)
  4. Changement de régime de l'hélice du moteur droit
  5. Arrêt du moteur droit
  6. Changement de régime de l'hélice du moteur gauche
  7. Arrêt du moteur gauche
  8. Retentissement du klaxon de l'avertisseur de décrochage
  9. Décrochage aérodynamique en courte finale à basse altitude.
1.6.8.3.1 Illumination du voyant RH FUEL PRESSURE

Une description de chaque voyant d'alarme, suivie de la cause probable de son illumination, se trouve dans le manuel d'utilisation de l'avion. En cas d'illumination du voyant RH FUEL PRESSURE, le manuel suppose une panne de la pompe d'appoint :

[traduction]

PANNEAU ANNONCIATEUR

NOM
COULEUR
CAUSE PROBABLE DE SON ILLUMINATION
[…]
 
 
RH FUEL PRESSURE
Rouge
Baisse de pression du carburant du côté droit.
(Vérifier les pompes d'appoint)Note de bas de page 25

Le pilote doit alors exécuter la procédure suivante :

[traduction]

PANNE DE LA POMPE D'APPOINT

  1. Les deux pompes d'appoint - ON (primaire et secondaire)
  2. Pompes d'appoint en panne – OFFNote de bas de page 26
1.6.8.3.2 Procédure en cas de panne moteur en vol

À la suite d'une panne moteur, les voyants d'alarme rouges GENERATOR et INVERTOR OUT s'illumineront, et les jauges moteur pour les paramètres générateurs de gaz (GAS GEN) et couples (Torque) indiqueront zéro.

La procédure en cas de panne moteur en vol publiée dans l'AFM du BE10 est conçue pour que toutes les tâches critiques soient menées dans le temps, par ordre de priorité.

La procédure en cas de panne moteur publiée dans les SOP d'Aviation Flycie Inc. reprend tous les items de la procédure de l'AFM; toutefois, la compagnie exige que ses pilotes effectuent de mémoireNote de bas de page 27 les 6 premiers items de la procédure.

[traduction]

PANNE MOTEUR OU INCENDIE (en vol)

Moteur touché :

L'exécution du premier item de la procédure permet au pilote, entre autres, d'identifier et de confirmer le moteur qui a cessé de fonctionner avant de le fermer de façon définitive. L'exécution du deuxième item permet d'éliminer la traînée causée par la l'hélice entraînée par le vent relatif.

Au cours de l'événement à l'étude, aucun item de la liste de vérification n'a été exécuté.

1.6.8.3.3 Procédure en cas de panne du deuxième moteur

En cas d'arrêt du deuxième moteur, le pilote doit exécuter la procédure suivante :

[traduction]

ARRÊT DU MOTEUR (2e moteur)

  1. Manette des gaz – RALENTI
  2. Hélice – NE PAS METTRE EN DRAPEAU
  3. Manette de régime – COUPÉ
  4. Exécution des procédures de rallumage en vol

NOTA

L'hélice ne dévirera pas si le moteur n'est pas en marche.Note de bas de page 29

La procédure publiée dans les SOP de la compagnie est similaire à celle de l'AFM, sauf que tous les items doivent être exécutés de mémoire. Étant donné que la possibilité d'une panne sèche est jugée très peu probable, aucune procédure d'urgence ne tient compte de cette éventualité. Ni l'AFM, ni les SOP, ni la ECHKL ne font état d'indices précurseurs d'une panne sèche. Ainsi, la procédure en cas d'arrêt du deuxième moteur publiée dans l'AFM, les SOP et la ECHKL attribue l'origine de la panne moteur à une perte de combustion, et dirige le pilote vers la procédure de rallumage en vol.

Aucune disposition particulière n'est publiée dans les SOP ou dans l'AFM dans le cas où le moteur ne redémarre pas.

1.6.8.3.4 Atterrissage forcé

L'AFM ne contient aucune procédure pour un atterrissage forcé. Toutefois, Aviation Flycie Inc. avait élaboré une procédure à cette fin. Elle était publiée dans les SOP (comme il suit), mais n'apparaissait pas sur la ECHKL.

[traduction]

3.2.16 Atterrissage forcé

Cette procédure supposait que les moteurs étaient en marche. Tous les items de la liste devaient être effectués de mémoire. Au cours de la tentative d'atterrissage forcé par le pilote dans l'événement à l'étude, les volets n'ont pas été utilisés.

Aucune procédure ou information n'était publiée en cas de vol plané.

1.6.8.4 Performance

Selon le devis de masse et centrage du vol, le poids sans carburant du C-GJSU était de 7794 livres. À ce poids, le C-GJSU avait une vitesse de décrochage aérodynamique de 74 nœuds avec les volets rentrés; à 45 ° d'inclinaison, la vitesse de décrochage aurait augmenté à 88 nœuds.

La distance d'atterrissage du C-GJSU, à une vitesse d'approche de 82 nœuds et depuis une hauteur de 50 pieds, était d'environ 1900 pieds, y compris la distance de circulation au sol d'environ 1000 pieds.

1.7 Conditions météorologiques

Les conditions météorologiques étaient propices à un vol VFR. Selon le bulletin diffusé par le système automatisé d'observations météorologiques (AWOS) à CYHU et qui était en vigueur au moment de l'accident, les conditions étaient les suivantes :

1.8 Aides à la navigation

Sans objet.

1.9 Communications

Un examen des communications entre le C-GJSU et les services de la circulation aérienne de NAV CANADA a permis d'établir que le pilote n'avait signalé aucun problème avec l'équipement ni les systèmes de l'appareil, et qu'il n'y avait eu aucun problème de communication avec l'ATC.

Il y a eu 3 échanges de communications radiophoniques entre le C-GJSU et la région de contrôle terminale (TCA) de Montréal après l'illumination du voyant RH FUEL PRESSURE (figure 6).

Figure 6. Communications entre le pilote et le contrôle de la circulation aérienne (ATC)
Communications entre le pilote et le contrôle de la circulation aérienne

À la suite de l'arrêt du moteur droit, le pilote a informé le contrôleur que le vol allait se dérouter vers CSB3 sans préciser la raison. Ignorant l'état d'urgence du vol, le contrôleur a agi conformément aux directives relatives aux communications normales figurant dans le Manuel d'exploitation du contrôle de la circulation aérienne (MANOPS ATC). De ce fait, l'information transmise et les demandes du contrôleur constituaient une source de distraction pour le pilote. La dernière communication du contrôleur au C-GJSU a eu lieu 13 secondes après l'arrêt du deuxième moteur et consistait à informer le pilote du trafic environnant et à l'autoriser à syntoniser la fréquence en route. Le pilote a accusé réception, mais n'a pas signalé qu'il se trouvait en situation d'urgence.

L'appareil a percuté le sol 1 minute plus tard, dans un champ à 0,5 nm au sud de la piste choisie. Aucun message de détresse « MAYDAY» n'avait été transmis. De plus, le fait que le pilote avait l'intention d'atterrir à CSB3 depuis le côté opposé au circuit d'approche en usage n'avait pas été communiqué sur la fréquence de trafic d'aérodrome.

1.9.1 Communications en cas d'urgence

Lorsqu‘un pilote est incapable de poursuivre le vol en conformité de l'autorisation qu'il a reçue de l'ATC, le pilote doit, dans la mesure du possible, tenter d'obtenir une autorisation révisée avant de prendre toute autre mesure, en se servant d'un signal de détresse ou d'urgence, s'il y a lieu. Toutefois, on s'attend à ce qu'un pilote qui fait face à une situation d'urgence prenne toutes les mesures jugées nécessaires pour assurer la sécurité du vol.

En situation d'urgence, l'équipage doit effectuer les tâches prioritaires dans l'ordre chronologique suivant :

  1. Garder la maîtrise de l'appareil pendant l'évaluation de la situation.
  2. Poser les gestes essentiels liés à l'urgence.
  3. Diriger l'appareil vers l'endroit choisi.
  4. Informer les autres de ses intentions et besoins.

Selon le Manuel d'information aéronautique de Transports Canada (AIM de TC),

Une situation d'urgence est classée dans l'une des deux catégories suivantes, selon le degré de danger ou de risque qu'elle représente :

L'ATC aidera les pilotes par tous les moyens possibles lorsqu'une situation d'urgence est déclarée. La priorité de vol est accordée à un aéronef qui a déclaré être ou que l'on croit être en situation d'urgence.

Selon l'AIM de TC, « l'appel de détresse [MAYDAY] a priorité absolue sur toutes autres émissions. Toutes les stations qui le reçoivent doivent cesser immédiatement toute émission qui pourrait nuire à la communication et doivent écouter sur la fréquence de l'appel de détresseNote de bas de page 32. »

1.10 Renseignements sur l'aérodrome

CSB3 est un aéroport non contrôlé situé à 8,5 nm à l'est-nord-est de CYHU, dont la fréquence de trafic d'aérodrome désignée est 122,7 MHz. Il possède une seule piste (piste 15/33) de 2581 pieds de longueur sur 50 pieds de largeur, et le circuit se fait à gauche. Au moment de l'événement, la piste 15 était la piste en service.

1.11 Enregistreurs de bord

Le C-GJSU était doté d'un enregistreur de la parole dans le poste de pilotage (CVR) numérique. L'enregistrement du vol de l'accident était d'une durée de 31 minutes et 19 secondes; il s'est terminé 9 secondes après l'impact.

Les données du CVR ont indiqué que le son produit par les hélicesNote de bas de page 33 avait fluctué à 4 reprises, ce qui a permis aux enquêteurs d'établir le moment de la première indication de problème d'alimentation en carburant, ainsi que le moment précis de l'arrêt de chacun des moteurs. Par la suite, la désynchronisation des hélices a permis d'établir qu'à 17 h 25 min 24 s, la vitesse du C-GJSU était passée sous la plageNote de bas de page 34 de maintien du régime des hélices entraînées par le vent relatif.

L'écoute de l'enregistrement du CVR a aussi permis de déterminer l'heure précise à laquelle le klaxon de l'avertisseur de décrochage a retenti.

L'appareil était muni d'une seule alarme sonore intermittente qui a pour objet de prévenir un atterrissage sur le ventre avec le train rentré. Cette alarme devrait retentir quand l'une ou l'autre des 2 manettes de régime sont tirées en deçà d'un régime moteur suffisant pour maintenir le vol alors que le train d'atterrissage est rentré.

Une analyse spectrale de l'enregistrement CVR a permis de conclure qu'aucune manette des gaz n'a été reculée à la position ralentie puisqu'aucune alarme intermittente indiquant que le train d'atterrissage était rentré n'a retenti à aucun moment après l'arrêt des moteurs.

1.12 Renseignements sur l'épave et sur l'impact

Le C-GJSU a subi un décrochage aérodynamique alors que le pilote tentait d'effectuer un atterrissage forcé dans un champ situé à 7,6 nm à l'est-nord-est de CYHU, à 2700 pieds à l'ouest du seuil de la piste 15 à CSB3.

En courte finale, l'appareil a croisé l'autoroute 20 à très basse altitude. Environ 170 pieds plus loin, à 40 pieds avant d'arriver au champ choisi, l'aile droite a percuté le sol. Par la suite, l'appareil a percuté un arbre, puis est passé entre 2 poteaux de distribution hydro-électrique et a sectionné les 2 fils inférieurs. Des marques laissées par un des fils sur le pare-brise indiquaient que l'appareil s'était incliné sur la droite à un angle de près de 45 °.

L'appareil a glissé sur le ventre sur une trajectoire approximative de 150° M et s'est immobilisé perpendiculaire à la trajectoire d'approche, à une distance de 120 pieds du premier point d'impact (photo 2).

Photo 2. Trajectoire à la suite de l'impact du C-GJSU (Source : Régie intermunicipale de police Richelieu-Saint-Laurent)
Trajectoire à la suite de l'impact du C-GJSU

L'examen de l'épave a permis de constater que

1.13 Renseignements médicaux et pathologiques

L'enquête a déterminé que rien ne donne à croire que le rendement du pilote ait été compromis par des facteurs physiologiques.

1.14 Incendie

Il n'y avait aucun signe d'incendie avant ou après l'événement.

1.15 Questions relatives à la survie des occupants

La cabine du BE10 est équipée d'une seule porte, située à l'arrière de l'aéronef sur la gauche. Un hublot, situé sur l'aile droite, sert d'issue de secours. La cabine avait une configuration à 5 sièges passagers, posés en rangées séparées par un couloir central.

Le pilote et le passager qui occupait le siège avant droit portaient tous deux des harnais à 4 points. Le pilote a été légèrement blessé lorsqu'il s'est heurté la tête en raison des forces latérales. Après que l'appareil s'est immobilisé, le passager assis dans le siège avant droit, qui a été légèrement blessé au visage, est allé dans la cabine et a ouvert l'issue de secours du côté droit. Tous les occupants ont évacué l'appareil par cette sortie.

Les 2 passagers assis dans la cabine ont subi des blessures légères. Ils occupaient les 2 sièges de la deuxième rangée et faisaient face à l'avant. Lors de l'impact, le siège droit a subi une déformation latérale, s'est quelque peu affaissé sur la gauche, et obstruait en partie le couloir.

1.15.1 Radiobalise de repérage d'urgence

Le C-GJSU était muni d'une radiobalise de repérage d'urgence (ELT) de marque ARTEX ME de 406 MHz (numéro de série 188-06275), pouvant transmettre sur les fréquences 121,5 MHz et 406 MHz. La radiobalise n'a pas été endommagée, et elle s'est déclenchée à la suite de l'impact. Le Centre canadien de contrôle des missions à Trenton (Ontario) a reçu le signal de l'ELT à 17 h 26 min 51 s, et le signal a continué d'être transmis jusqu'à la fermeture de la radiobalise par le personnel de la maintenance à 18 h 16 min 29 s.

1.16 Essais et recherches

1.16.1 Vérification fonctionnelle du système de carburant

Afin de déterminer si une défectuosité du système de jaugeage avait contribué à l'événement, une vérification fonctionnelle du système de carburant de l'appareil a été effectué. Un examen des réservoirs nacelles moteur a permis d'établir que le réservoir de gauche était intact et que celui de droite était déformé à sa base près de la sonde. Un transmetteur électrique monté verticalement dans chacun des réservoirs nacelles moteur transmet le niveau de carburant à la jauge appropriée.

Les 2 réservoirs nacelles moteur, pouvant contenir 382 livres chacun, ont été remplis puis vidés par étapes successives afin de comparer la quantité de carburant à bord à la quantité indiquée par les jauges.

Au cours de la vidange des réservoirs, les voyants NACELLE NOT FULL gauche et droit se sont illuminés lorsque leurs réservoirs nacelles respectifs contenaient environ 375 livres chacun.

Tableau 7. Quantité de carburant à bord comparativement à la quantité indiquée par les jauges
Carburant à bord (livres) Carburant dans le réservoir gauche (livres) Carburant dans le réservoir droit (livres)
Jauge Écart Jauge Écart
348 350 +2 336 -12
305 323 +18 280 -25
261 266 +5 252 -9
217 205 -12 224 +7
173 154 -19 189 +16
130 112 -18 154 +24
86 63 -23 98 +12
42 24 -18 S.O.Note de bas de page * S.O.Note de bas de page *
24 2 -22 S.O.Note de bas de page * S.O.Note de bas de page *

L'essai a permis de constater qu'à mi-quantité, la jauge du réservoir gauche sous-évaluait quelque peu la quantité réelle de carburant tandis que la jauge du réservoir droit la surévaluait légèrement.

Par la suite, les 2 transmetteurs et les 2 jauges ont été retirés et acheminés au laboratoire du BST pour un examen technique de leurs composants.

1.16.2 Examen en laboratoire des composants du système de jaugeage du carburant

L'examen et les essais des composants du système de jaugeage du carburant effectués au laboratoire du BST ont établi qu'en général les jauges sous-indiquaient les quantités de carburant liées à l'événement à l'étudeNote de bas de page 35, sans que les aiguilles des jauges se déplacent de façon anormale, et sans qu'elles figent en place ou qu'elles collent.

Bien que l'examen des composants du système de jaugeage ait révélé seulement des écarts mineurs de leurs spécifications dans leur état post-accident, les jauges ont fourni des indications valides quant à la quantité de carburant à bord. Des 48 lectures de jauge prises, la quantité de carburant était sous-indiquée dans 45 cas et elle était surindiquée dans 3 cas, avec un écart maximum de 8 livres.

1.16.3 Étude sur les pannes d'essence en aviation générale

En 2000, le Bureau d'Enquêtes et d'Analyses pour la sécurité de l'aviation civile (BEA) de France a mené une étude sur des événements mettant en cause des pannes d'essence survenues entre 1991 et 2000 en aviation générale. L'étude a révélé que les facteurs contributifs à de tels événements comprenaient, entre autres, les suivants :

1.16.4 Rapports du laboratoire du BST

Le BST a complété les rapports de laboratoire suivants dans le cadre de la présente enquête :

1.17 Renseignements sur les organismes et la gestion

1.17.1 Aviation Flycie Inc.

Au moment de l'accident, Aviation Flycie Inc. était une nouvelle entreprise. En août 2012, ses propriétaires ont déposé auprès de TC une déclaration d'intention en vue d'exploiter un service aérien commercialNote de bas de page 37. L'organigramme de la compagnie comprenait 2 niveaux de gestion. Le président cumulait les fonctions de gestionnaire des opérations en plus de remplir le rôle de gestionnaire supérieur responsable. Le pilote en chef et la PRM relevaient directement du président.

Le 26 mars 2013, Aviation Flycie Inc. a commencé à exercer ses activités en vertu de la sous-partie 703 du RAC, en utilisant un seul BE10. Le pilote en chef était le seul commandant de bord de la compagnie, et avait formé la PRM comme copilote avant le début des opérations aériennes de la compagnie. Ainsi, au moment des premiers vols en exploitation commerciale, la compagnie comptait 3 employés aux opérations et un cofondateur aux ventes et à l'administration. Un deuxième copilote a été embauché environ 2 semaines plus tard.

Afin de transporter des passagers à bord du BE10, qui est un aéronef pressurisé à turbomoteur, l'exploitant doit détenir un certificat d'exploitation émis en vertu de la partie VII du RAC ou détenir un document d'enregistrement d'exploitant privé émis en vertu de la sous-partie 604 du RAC.

1.17.2 Transports Canada Aviation Civile — Cadre réglementaire

Pour obtenir un certificat d'exploitation, le demandeur doit satisfaire, entre autres, aux exigences suivantes :

a) maintenir une structure organisationnelle convenable;

b) maintenir un système de contrôle d'exploitation;

c) satisfaire aux exigences relatives au programme de formation;

[…]

f) mener l'exploitation d'une manière sécuritaireNote de bas de page 38.

De plus, le demandeur doit

a) être doté d'une structure de gestion permettant d'exercer le contrôle d'exploitation;

b) disposer de personnel de gestion approuvé par le ministre conformément aux Normes de service aérien commercial [NSAC], qui est employé à temps plein et exerce les fonctions liées aux postes suivants  :

     (i) gestionnaire des opérations,

     (ii) pilote en chef,

     (iii) gestionnaire de la maintenance [la personne responsable de la maintenance] […]Note de bas de page 39.

Les nominations de la compagnie pour les postes de GDO, de pilote en chef et de PRM doivent être approuvées par TC. Dans le cadre du processus d'approbation, les candidats doivent réussir un examen écrit et une entrevue menée par 2 inspecteurs de TC. Ils doivent démontrer qu'ils possèdent les connaissances nécessairesNote de bas de page 40 pour s'acquitter des tâches et responsabilités liées à leur poste de gestion respectif. Il n'y a aucune limite quant au nombre de fois que les candidats peuvent reprendre l'examen écrit ou se représenter à l'entrevue.

Les questions à l'entrevue varient selon le type d'entreprise et son emplacement géographique. Ces étapes visent à ce que le candidat démontre une connaissance adéquate du contenu du MEC, des manuels de formation, des SOP, et des dispositions du RAC et des normes nécessaires pour être en mesure d'assumer les tâches et responsabilités liées au poste de pilote en chef.

TC n'effectue pas de vérification des antécédents du candidat auprès des employeurs précédents. Par exemple, le rendement antérieur du pilote lors de formations, examens ou tests en vol, ou son rendement à titre de pilote, ne sont pas des facteurs dans le processus d'approbation. Si toutes les exigences de la norme 723.07 des NSAC sont satisfaites, TC, au nom du ministre, a l'obligation d'approuver la nomination, quelque soit les antécédents du candidat.

1.17.2.1 Approbation de la nomination du gestionnaire des opérations

Aux termes du sous-alinéa 723.07(2)a)(i) des NSAC, un gestionnaire des opérations doit posséder les qualifications suivantes :

(A) […] être ou avoir été titulaire d'une licence, des qualifications et des annotations qu'un commandant de bord doit avoir pour piloter l'un des avions utilisés; ou il doit posséder au moins deux années d'expérience pertinente en supervision auprès de l'exploitant d'un service aérien commercial dont l'importance et la nature des opérations aériennes sont similaires.

(B) […] démontrer au ministre qu'il connaît le contenu du manuel d'exploitation et du certificat d'exploitation aérienne, les spécifications d'exploitation, la réglementation et les normes nécessaires qui lui permettent d'accomplir ses tâches et d'assumer ses responsabilités de manière à garantir la sécurité du service.

(C) […] avoir suivi un atelier à l'intention des agents de la sécurité aérienne des compagnies (CASO) ou en suivre un au cours des 12 premiers mois suivant sa nomination à ce posteNote de bas de page 41.

Le cofondateur et président de la compagnie, qui avait complété la formation de pilote professionnel en 2010 et avait accumulé un total d'environ 300 heures de vol, répondait aux exigences réglementaires lorsqu'il a postulé pour le poste de GDO. Le président en était à sa première expérience comme GDO d'une compagnie aérienne. Le président ne possédait aucune expérience de travail antérieure dans le cadre d'une exploitation commerciale ni aucune expérience de vol sur le BE10.

Le candidat choisi par Aviation Flycie Inc. a complété avec succès l'examen écrit et l'entrevueNote de bas de page 42 à la première tentative.

1.17.2.2 Approbation de la nomination du pilote en chef

Pour travailler pour un exploitant qui effectue des vols IFR, le candidat pour le poste de pilote en chef d'Aviation Flycie Inc. devait posséder les qualifications suivantes :

(III) être titulaire d'une licence de pilote de ligne valide sur avions ou d'une licence de pilote professionnel valide sur avions dans le cas de vols IFR à bord d'un avion à moteurs en tandem ou d'un avion monomoteur et d'une qualification de vol aux instrumentsNote de bas de page 43;

[…]

(I) […] posséder une qualification de type sur au moins un des types d'avions exploités;

(II) posséder au moins 500 heures de vol dont 250 heures à titre de commandant de bord au cours des trois années précédentes sur la même catégorie et classe d'aéronef utilisée;

(III) être qualifié, en vertu du programme de formation de l'exploitant aérien, à exercer les fonctions de commandant de bord sur l'un des types d'avions exploités; et

(IV) démontrer au ministre qu'il connaît le contenu du manuel d'exploitation de la compagnie, des manuels de formation, des procédures d'utilisation normalisées (le cas échéant), du manuel du pilote inspecteur de la compagnie (le cas échéant), et les dispositions du Règlement et des normes nécessaires pour être en mesure d'assumer les tâches et les responsabilités reliées à son posteNote de bas de page 44.

De plus, selon la division 723.07(2)b)(i)(C) des NSAC,

Le dossier personnel aéronautique du pilote en chef ne doit comporter ni l'un ni l'autre des éléments suivants :

(I)  aucune condamnation aux termes du paragraphe 7.3(1) de la Loi sur l'aéronautique;

(II) deux condamnations ou plus à la suite d'infractions commises séparément lors d'événements distincts en vertu du Règlement de l'aviation canadienNote de bas de page 45.

La chronologie de l'approbation par TC du pilote en chef de la compagnie s'établit comme il suit :

Au moment de la demande d'approbation de la nomination du pilote en chef faite auprès de TC, le carnet de vol du pilote indiquait 259 heures de vol à titre de commandant de bord au cours des 3 années précédentes. Puisque le pilote n'a effectué aucun vol à titre de commandant de bord entre le moment de la présentation de la demande en novembre et l'approbation de la nomination en mars, plus de 4 mois plus tard, le cumul des heures de vol au cours des 3 années précédentes était moindre. Ainsi, au moment de l'approbation par TC le 26 mars 2013, le pilote avait seulement 216 heures de vol à titre de commandant de bord au cours des 3 années précédentes. Les heures de vol du pilote n'étaient pas certifiées, et aucune vérification n'a été effectuée pour valider ces heures.

À ce moment, le pilote assumait les responsabilités de commandant de bord sur le BE10 pour la première fois dans le cadre d'une exploitation commerciale.

1.17.2.3 Personne responsable de la maintenance

Selon l'article 726.03 des NSAC, « Le responsable du système de contrôle de la maintenance [personne responsable de la maintenance (PRM)] […] devrait faire partie du personnel de l'exploitant aérien.Note de bas de page 46 »

Le candidat pour le poste de PRM était un nouveau copilote sur le BE10 de la compagnie qui avait obtenu une licence de pilote professionnel en 2010 et une qualification d'instructeur de vol en 2011, et avait accumulé un total de 300 heures de vol. Le candidat ne possédait aucune expérience antérieure de maintenance ou de vol en exploitation d'un taxi aérien.

Le candidat choisi par Aviation Flycie Inc. a complété avec succès l'examen écrit et l'entrevueNote de bas de page 47 à la première tentative.

1.17.2.4 Délivrance du certificat d'exploitation de la compagnie

Un certificat d'exploitation aérienne pour l'exploitation d'un taxi aérien avionsNote de bas de page 48 est délivré sous réserve de conditions spécifiques, et demeure valide tant et aussi longtemps que ses conditions sont respectées. Elles stipulent notamment que l'exploitant aérien doit effectuer les opérations aériennes conformément au MEC.

Lorsque les conditions de délivrance du certificat d'exploitationNote de bas de page 49 sont toutes remplies, le ministre délivre le certificat. Dans le cas d'Aviation Flycie Inc., la nomination des gestionnaires était la dernière étape en vue de l'obtention du certificat. Les nominations aux postes de gestion sont approuvées individuellement.

Dans le cas à l'étude, l'expérience globale des candidats, et leur manque d'expérience en exploitation commerciale IFR, n'ont pas été pris en considération au cours du processus d'approbation des nominations. Le 26 mars 2013, TC a approuvé la nomination du GDO, du pilote en chef et de la PRM. La lettre d'approbation émise par TC informait les candidats que « titres de compétence, vos antécédents et votre expérience ont été jugés satisfaisantsNote de bas de page 50 ». À ce moment, le pilote en chef n'avait plus les 250 heures de vol requises à titre de commandant de bord au cours des 3 années précédentesNote de bas de page 51.

TC a délivré le certificat d'exploitation numéro 11956 le 26 mars 2013.

TC a reconnu que, pris dans son ensemble, l'inexpérience du GDO, du pilote en chef et de la PRM, jumelée au fait que Aviation Flycie Inc. était une entreprise en démarrage, pouvait constituer des facteurs de risque. Le 26 mars 2013, TC a effectué une évaluation du risque, en raison du faible rendement du candidat-pilote en chef au cours du processus d'approbation. Par conséquent, TC a établi des mesures pour atténuer le risque lié au rendement du candidat dans l'exercice de ses fonctions à titre de pilote en chef et a planifié d'effectuer une activité de surveillance tous les 2 mois, dont la première était prévue pour le 18 juin 2013 (voir section 1.18.1.4).

1.17.2.5 Activités de surveillance de Transports Canada

TC mène des activités de surveillance planifiées et non planifiées. La surveillance planifiée comprend les activités menées à un intervalle prédéterminé. La surveillance non planifiée comprend les activités menées à la suite d'un problème ou d'un événement imprévu, tel un accident. Pour les entreprises qui débutent, TC effectue souvent une inspection au cours de la première année d'exploitation, mais il n'y a aucune exigence ferme à cet effet.

Une des activités de surveillance de TC est l'inspection de processus (IP), qui consiste en un examen du processus utilisé par l'entreprise pour produire un résultat. Dans la planification d'une IP, l'équipe d'inspection choisit un processus lié à la cause qui est à l'origine de l'IP, examine le processus, puis examine le résultat du processus. Dans un constat de non-conformité ou de situations jugées non sécuritaires, TC peut prendre les mesures suivantes, séparément ou concurremment :

  1. demander un plan de mesures correctives;
  2. évaluer des mesures punitives d'application de la Loi sur l'aéronautique;
  3. prendre des mesures relatives au certificat, ce qui peut donner lieu à la suspension ou à l'annulation d'un document d'aviation canadien (DAC)Note de bas de page 52, notamment pour un constat d'un danger immédiat pour la sécurité aérienneNote de bas de page 53.

L'approche initiale de TC est d'inciter et d'assister l'entreprise à analyser la situation, à cerner les lacunes, et à mettre en œuvre les mesures correctives nécessaires.

1.17.2.6 Instructions visant le personnel

Les inspecteurs de TC sont guidés dans l'exercice de leurs fonctions par de nombreuses consignes visant le personnel.

1.17.2.6.1 Instruction visant le personnel no SUR-014

L'Instruction visant le personnel no SUR-014, Suspension ou annulation d'un document d'aviation canadien pour des raisons de sécurité, « a pour but d'offrir […] des conseils sur l'application de l'article 7.(1)Note de bas de page 54 et du paragraphe 7.1 (1)Note de bas de page 55 de la Loi sur l'aéronautique (Loi) en ce qui a trait à des mesures relatives aux certificats […]Note de bas de page 56 ».

Dans le premier contexte (danger pour la sécurité ou la sûreté aérienne),

un danger est défini comme une condition qui peut poser un risque de blessure, de mort, ou causer d'importants dommages matériels à la suite d'un accident d'aéronef. Un danger immédiat pour la sécurité aérienne est un danger, existant ou probable, pour la sécurité d'un aéronef, à l'égard duquel il est raisonnable de s'attendre qu'il comporte un risque imminent de mort, de blessure ou d'importants dommages matériels, si des mesures immédiates ne soient prises pour l'éliminerNote de bas de page 57.

Selon l'Instruction visant le personnel no SUR-014,

Les inspecteurs de TC qui veulent suspendre un DAC en vertu de l'article 7. de la Loi [danger immédiat] doivent :

a) vérifier la nature du danger pour la sécurité aérienne;

b) s'assurer que le danger pour la sécurité aérienne est immédiat et que la suspension du DAC est nécessaire pour prévenir et éliminer le danger ou le risque de blessure, de mort ou de dommages matériels importants […].Note de bas de page 58

Dans le deuxième contexte (motifs de sécurité autres qu'une situation qui présente un danger immédiat pour la sécurité aérienne), « il n'est pas urgent d'empêcher l'activité en raison d'un danger décelé, précis et immédiat pour la sécurité aérienneNote de bas de page 59 ». Les autres motifs de sécurité cités pour la suspension ou l'annulation d'un DAC sont

a) le titulaire est inapte;

b) le titulaire […] ne répond plus aux conditions de délivrance […]; ou

c) le ministre estime que l'intérêt public […] le requiertNote de bas de page 60.

Selon l'Instruction visant le personnel no SUR-014, « l'inaptitude se définit comme l'incapacité d'effectuer les activités autorisées par le DAC conformément à la réglementation et aux normes applicables à ce type d'activitéNote de bas de page 61. » Pour établir l'inaptitude, « un ensemble d'éléments de preuve qui fait état d'une incapacité à se conformer pendant une période de temps suffisamment longue »Note de bas de page 62 doit être établi. Ainsi, « [la] décision de prendre une mesure relative aux certificats fondée sur l'inaptitude […] doit être étayée par une preuve étoffée qui indique non seulement qu'un titulaire de DAC ne se conforme pas, mais également qu'il est incapable de se conformer aux exigences réglementaires […]Note de bas de page 63 ».

En pareil cas, les inspecteurs sont avisés qu'il « est important de s'assurer de l'existence d'une preuve suffisante pour étayer toute décision, et de s'assurer que les éléments de preuve touchent expressément le motif justifiant la mesure […]Note de bas de page 64 ».

Afin d'évoquer l'intérêt public,

il faut une preuve suffisante pour démontrer précisément en quoi l'intérêt public requiert une mesure relative aux certificats. Si cette mesure est fondée sur des antécédents aériens, la preuve doit comprendre les dossiers servant à étayer la prise de la mesureNote de bas de page 65.

Dans tous les cas,

il incombe au ministre de fournir une justification suffisante pour la mesure prise. Le ministre doit prouver selon la prépondérance des probabilités […] que la mesure relative aux certificats est justifiéeNote de bas de page 66.
1.17.2.6.2 Instruction visant le personnel no SUR-015

L'Instruction visant le personnel no SUR-015, Refus ou révocation des approbations ministérielles qui ne sont pas des documents d'aviation canadiens, décrit le processus de refus ou de révocation d'approbations ministérielles, telles que les approbations du personnel de gestion des opérations.

Selon l'Instruction visant le personnel no SUR-015, les normes des NSAC

ne contiennent aucun critère subjectif qui constituerait un motif de refus de l'approbation, et le règlement ne précise pas dans quelles conditions une telle approbation serait refusée ou révoquée. […] toute décision de refuser ou de révoquer l'approbation du personnel de gestion en question doit être fondée sur les compétences prévues dans les [normes]. [Ainsi, au] moment de rendre une décision concernant le refus ou la révocation d'une approbation, il n'est pas approprié d'utiliser des critères autres que l'évaluation objective des compétences requises établit [sic] dans les [normes du RAC.]Note de bas de page 67

L'Instruction visant le personnel no SUR-015, qui est utilisée pour les approbations ministérielles, ne contient pas de disposition pour le refus ou la révocation d'une approbation en cas de danger immédiat, d'inaptitude ou d'intérêt public. De plus, les processus désignés dans l'Instruction visant le personnel no SUR-015 « ne visent pas à aborder une situation où une personne nommée à l'un des postes de gestion décrits dans le Règlement n'accomplit pas les fonctions liées à son posteNote de bas de page 68 ».

Finalement, l'Instruction visant le personnel no SUR-015 rappelle aux inspecteurs que

[les] sous-parties 703, 704 et 705 du RAC obligent le ministre à délivrer un certificat d'exploitation aérienne lorsque le demandeur du certificat a (entre autres) un personnel de gestion approuvé par le ministre conformément aux [normes du RAC]. [Ainsi, les normes du RAC] établissent les compétences sous forme de liste cumulative de conditions objectives que le personnel doit remplir pour être approuvé par le ministreNote de bas de page 69.

1.18 Renseignements supplémentaires

1.18.1 Contrôle de la compétence du pilote en chef

Pour réussir un CCP, le rendement d'un candidat doit atteindre les normes acceptables selon les critères de rendement stipulés par TCNote de bas de page 70. De plus, pour être admissible au CCP, le candidat doit présenter une série de documents et avoir reçu la formation requise.

1.18.1.1 Formation en vol en préparation au contrôle de la compétence du pilote

Avant de passer le CCP, le pilote en chef avait reçu une formation en vol pour le préparer au CCP. La formation a eu lieu entre le 13 et le 18 mars 2013 et comportait 5 vols d'entraînement sur le BE10 de la compagnie avec un pilote instructeur à contrat, pour un total de 8,9 heures de vol. Pendant ces vols, le pilote en chef s'est exercé aux procédures des listes de vérification en situations normales, anormales et d'urgence. Lors de cette formation, le rendement du pilote en chef était inconstant et ses aptitudes au pilotage ont été jugées, soit inférieures à la norme, soit marginales.

1.18.1.2 Contrôle de compétence pilote sur aéronef (BE10)

Le 18 mars 2013, le pilote a subi un CCP sur aéronef qui répond aux exigences d'une qualification aux instruments initiale de commandant de bord sur le BE10, qu'il a réussi. Des exercices en monopilote, en multipilote et à la navigation de surface (RNAV) ont été effectués. Le pilote était assis dans le siège de gauche alors que le pilote instructeur qui avait donné la formation au commandant de bord agissait comme copilote.

Le test en vol a été fait par un inspecteur de TC qui était pilote vérificateur agréé (PVA). Étant donné les dimensions restreintes de l'appareil, il n'y avait pas de strapontin dans le poste de pilotage. En conséquence, le PVA observait les actions de l'équipage et les instruments légèrement en retrait dans la cabine.

La supervision d'un CCP depuis le siège passager derrière les pilotes restreint la vue du poste de pilotage et limite le suivi des communications. Dans le contexte où les éléments du test sont effectués à une altitude élevée et sans contraintes opérationnelles liées à l'ATC, le PVA peut raisonnablement observer le rendement du candidat tout en prenant des notes.

Toutefois, lorsque les éléments sont effectués à la limite des tolérances acceptées et dont certains doivent être répétés, la charge de travail du PVA augmente considérablement. Le PVA dispose de peu de temps pour évaluer le rendement par rapport à la limite acceptable du critère, décider de répéter l'élément ou non, accorder la note qui correspond à l'élément, et ce, tout en notant les écarts et commentaires.

Dans le cas du CCP en question, le rendement du pilote était à la limite de l'échecNote de bas de page 71 puisque le PVA a inscrit 4 notes de « 2 » sur le rapport de test en vol aux exercices suivants :

Tableau 8. Notes inscrites par le pilote vérificateur agréé sur le rapport de test en vol du contrôle de de la compétence du pilote en chef
No de l'exercice Description Remarques
1. Connaissances techniques Connaissances techniques limitées.
11. Virages à grande inclinaison  Écart important d'altitude ±150 pieds perçu dans un laps de temps acceptable et corrigé. La sécurité du vol n'a pas été compromise.
16. Approche RNAV  Écart d'altitude perçu par le pilote surveillant, corrigé dans un laps de temps acceptable.
17. Remise des gaz Lors de la remise des gaz sur un moteur, le candidat ne s'est pas établi à la blue line [vitesse ascensionnelle maximale avec un seul moteur, de 119 nœuds] mais a maintenu 160 KIAS.

Dans un premier temps, le candidat a été évalué en vertu du concept de l'équipageNote de bas de page 72 puis dans un deuxième temps, en monopilote sans aide du copilote. Le temps de vol réel pour ce CCP, y compris le temps pour la reprise des virages à grande inclinaison, a été d'une heure. Il n'a pas été possible de faire l'approche de précision en sens opposé à la piste en service, en raison du trafic au moment du test.

Lors de la deuxième approche effectuée dans un contexte monopilote, le copilote a fait l'annonce « Altitude » afin d'empêcher une descente sous l'altitude minimale de descente (MDA). Au moment de l'annonce, le PVA était distrait par la prise de notes et n'a pu observer l'exécution de la mise en palier, ni observer un écart potentiellement sous la MDA. Ainsi, le PVA n'a pas pu déterminer si le candidat était ou non descendu sous la MDA, ce qui aurait constitué un échec. Le candidat a reçu une note de « 2 » pour cet élément du test.

Le PVA a l'option de répéter un élément ou une manœuvre du CCP, entre autres dans « toute situation où le PVA a été distrait (appels radio, trafic, etc.) au point où il n'a pu observer correctement la façon dont le candidat a exécuté la manœuvreNote de bas de page 73 ».

Un pilote qui a un échec pour un CCP doit recevoir de la formation supplémentaire avant une autre tentative; toutefois, TC n'impose aucune limite quant au nombre de reprises d'un CCP. Le GDO a été informé du faible rendement du pilote en chef. Toutefois, aucune autre mesure n'a été envisagée puisque le pilote avait réussi le CCP.

1.18.1.3 Inquiétudes à l'égard du contrôle de la compétence du pilote en chef

Le 19 mars, soit le lendemain de la tenue du CCP, le PVA de TC responsable du test en vol a adressé une lettre aux inspecteurs chargés d'Aviation Flycie Inc. pour leur faire part de ses inquiétudes à l'égard de la nomination du pilote en chef de la compagnie. Ses préoccupations lui semblaient justifiées en raison des faibles connaissances techniques démontrées par le pilote en chef lors des 2 entrevues du pilote pour l'approbation de sa nomination, et à cause de son rendement marginal lors du CCP. En outre, la lettre mettait en évidence l'aide non sollicitée de la part du pilote qui n'était pas aux commandes lors de la partie monopilote du test.

Selon le PVA, les faiblesses du pilote en chef pouvaient compromettre les tâches qui incombaient au pilote en chef, soit la formation et la supervision des pilotes et des copilotes ainsi que l'administration des vérifications de la compétence des copilotes. La lettre soulevait également l'augmentation potentielle du risque pour la sécurité du vol dans le cas où le pilote en chef effectuerait un vol avec un copilote ayant peu d'expérience.

En conclusion, la lettre suggérait que TC effectue une évaluation du risque avant la délivrance du certificat d'exploitation d'Aviation Flycie Inc., qu'il porte une attention particulière à l'ensemble des opérations de la compagnie et, en particulier, qu'il revoie l'attribution de la spécification d'exploitation 011 (qui autorise l'utilisation d'un aéronef en vol IFR avec des passagers à bord et sans copilote).

1.18.1.4 Évaluation du risque par Transports Canada

Le 26 mars 2013, le responsable de la délivrance du certificat et l'inspecteur principal de l'exploitation chargé d'Aviation Flycie Inc. ont effectué une évaluation du risque en raison des faibles connaissances et aptitudes du pilote en chef.

L'Instruction visant le personnel no QUA-008 propose des méthodes d'analyse qui peuvent servir à de telles évaluations du risque pour recenser les mesures d'atténuation appropriées, en fonction de la complexité des problèmes. Un outil élémentaire d'évaluation du risque a été utilisé afin d'analyser les risques liés à la nomination du pilote en chef. L'outil vise à évaluer des problèmes simples dans un délai raisonnable, et […] peut aussi être utilisé pour exercer une diligence raisonnable en support à la prise de décisionNote de bas de page 74.

L'évaluation a établi que les conditions au sein de la compagnie étaient propices à une application inappropriée du programme de formation, donnant lieu à une formation inadéquate qui entraînerait l'échec des pilotes de la compagnie.

Après avoir évalué la vraisemblance et la gravité du risque, TC a estimé que le niveau de risque était de faible-moyen (annexe B)Note de bas de page 75. On a jugé qu'il était probable que le risque se matérialise et que les conséquences de ce risque étaient négligeables.

L'évaluation a permis de conclure que les mesures suivantes pourraient permettre d'atténuer les risques cernés :

  1. Programme d'IP prédéterminées (visant le programme de formation, les plans de vol exploitation, et le temps de service de vol)
  2. Administration des vérifications de la compétence des pilotes par TC pendant un minimum d'une année
  3. Communication ouverte avec le gestionnaire des opérations [GDO]Note de bas de page 76.

Le GDO n'a pas été mis au fait des inquiétudes soulevées par le PVA de TC ni de l'évaluation du risque découlant des faiblesses du candidat-pilote en chef. Puisque TC n'était pas tenu d'informer le GDO des démarches internes liées à l'approbation de la nomination du pilote en chef, aucun document formel à cet effet n'a été envoyé à la compagnie.

Par la suite, TC a planifié de mener une IP le 18 juin 2013.

1.18.1.5 Inspection de processus du 18 juin 2013

Le 18 juin 2013, soit 8 jours après l'accident, TC a mené une IP portant sur le programme de formation et le contrôle d'exploitation de la compagnie à partir du 26 mars 2013, jour de la délivrance du certificat d'exploitation de la compagnie. L'IP a ciblé les éléments suivants :

Un des objectifs de l'IP consistait à vérifier que les processus visés fonctionnaient comme prévu et que les exigences réglementaires applicables étaient respectées. L'équipe d'inspection n'a constaté qu'une seule non-conformité aux règlements : il s'agissait de disparités quant aux questions d'examens sur la navigation de surface (RNAV) et sur le givrage en vol. En conséquence, tous les pilotes ont dû reprendre et faire corriger ces examens de nouveau avant d'effectuer d'autres vols commerciaux. La compagnie s'est engagée à faire reprendre ces examens et à faire exécuter une vérification bisannuelle de tous les examens par le pilote en chef.

À la suite de l'accident mettant en cause le C-GJSU, Aviation Flycie Inc. a pris des mesures pour utiliser un nouvel appareil, un Beechcraft modèle C90 King Air, qui serait basé à l'aéroport de Sept-Îles (Québec) [CYZV]. Ainsi, une demande a été présentée à TC pour faire subir des CCP à 2 nouveaux pilotes basés à CYZV. Puisque le nouveau Beechcraft C90 King Air était un type d'appareil différent du BE10 accidenté, le pilote en chef était tenu de recevoir de la formation et de subir un CCP sur ce type avant d'agir à titre de commandant d'un vol commercial ou de dispenser de la formation.

Le 9 juillet 2013, des inspecteurs de TC se sont rendus à Sept-Îles pour faire subir les CCP aux 2 pilotes recommandés par le pilote en chef. Les inspecteurs ont constaté que le pilote en chef avait donné de la formation sans être qualifié sur le nouveau type d'appareil, et qu'un des pilotes n'avait pas complété la formation requise.

1.18.1.6 Vérification des dossiers de la compagnie effectuée par le BST

Depuis l'obtention de son certificat d'exploitation, la compagnie avait effectué 41 vols commerciaux avec le C-GJSU, et le pilote en chef avait été le commandant de bord lors de tous ces vols. L'examen des documents de vol a révélé que 26 vols étaient non-conformes à la réglementation en vigueur. Les non-conformités concernaient les éléments suivants :

Figure 7. Enveloppe du devis de masse et centrage du C-GJSU (Source : Aviation Flycie Inc., devis de masse et centrage, avec annotations du BST)
Enveloppe du devis de masse et centrage du C-GJSU

Les entreprises établissent des politiques et procédures (publiées dans un MEC et dans les SOP) dans le but de fixer des limites sécuritaires pour les opérations. Cependant, certains pilotes, afin d'être plus productifs ou d'obtenir d'autres avantages, s'écartent de ces limites. Au fil du temps, il en résulte des versions adaptées des procédures et des écarts par rapport aux limites fixées, ce qui mène à des pratiques non sécuritairesNote de bas de page 79.

Cette adaptation des méthodes de travail n'a, d'ordinaire, pas de conséquences néfastes visibles et immédiates. Les menaces à la sécurité qu'elles présentent ne sont pas évidentes parce que les infractions aux procédures ou aux règlements ne mènent pas immédiatement à un accident. De plus, la réussite de ces vols sans conséquence peut inciter les pilotes à poursuivre ces écarts par rapport aux limites réglementaires.

Sans supervision, éducation ou application des limites prescrites sur une base régulière, certaines personnes auront tendance à continuer à adapter les procédures et à prendre des raccourcis jusqu'à ce qu'elles découvrent la limite d'une situation non sécuritaire au cours d'un accident.

1.18.2 Manuel d'exploitation de la compagnie

Le MEC guide le personnel dans l'exécution de ses fonctions lors de vols commerciaux selon les politiques et exigences de la compagnie.

1.18.2.1 Tâches et responsabilités du gestionnaire des opérations

Le GDO a pour tâche de veiller à la sécurité des opérations aériennes. Selon le MEC, les tâches et responsabilités du GDO sont, entre autres, de

1.18.2.2 Tâches et responsabilités du pilote en chef

Le pilote en chef est responsable des questions de normes professionnelles des équipages de conduite placés sous sa responsabilité. Plus précisément, il doit

1.18.2.3 Exigences réglementaires relatives au carburant

Puisque le vol de l'accident se déroulait de jour selon les règles de vol à vue (VFR), l'appareil devait transporter une quantité de carburant suffisante pour lui permettre d'effectuer le vol jusqu'à l'aérodrome de destination et de poursuivre le vol pendant 30 minutes de plus à la vitesse de croisière normaleNote de bas de page 80.

1.18.2.4 Exigences relatives au carburant d'Aviation Flycie Inc.

Les exigences relatives au carburant de la compagnie, précisées au chapitre 3 du MEC, étaient plus rigoureuses que celles du RAC lorsqu'il s'agit d'un vol VFR. Le RAC n'exige que 30 minutes de réserve de carburant pour les vols VFR, alors que le MEC en exigeait 45 minutes.

En règle générale, aucun vol, qu'il s'agisse d'un vol VFR ou IFR, n'est permis à moins que l'appareil transporte une quantité de carburant suffisante pour lui permettre d'effectuer le vol jusqu'à l'aérodrome de destination, d'y effectuer une approche et une approche interrompue, de poursuivre le vol jusqu'à l'aérodrome de dégagement et d'y atterrir, et de poursuivre le vol pendant 45 minutes de plus (annexe A).

1.18.2.5 Avis concernant le carburant minimal

L'expression CARBURANT MINIMAL décrit une situation dans laquelle la quantité de carburant restant à bord est devenue telle que l'appareil doit atterrir à un aérodrome précis et ne peut subir aucun retard supplémentaire. Le pilote devrait informer l'ATC aussitôt qu'existe une situation de CARBURANT MINIMAL. L'utilisation de cette expression n'indique pas qu'il y a une situation d'urgence, mais simplement qu'une urgence est possible s'il se produit un retard imprévu.

La priorité de vol est accordée à un pilote qui déclare une urgence de carburant en diffusant MAYDAY MAYDAY MAYDAY CARBURANT.

L'utilisation de la phraséologie normalisée permet de distinguer entre une situation de carburant minimal et une urgence de carburant, et confirme les intentions du pilote à l'ATC sans qu'il soit nécessaire de vérifier davantage.

1.18.2.6 Équipage minimal

Selon la section 3.7 du MEC, en vertu de la spécification d'exploitation 011, l'équipage minimal était un pilote. La spécification d'exploitation 011 est délivrée en vertu de l'alinéa 703.86a) du RAC. L'utilisation d'un appareil en vol IFR ayant des passagers à bord sans commandant en second (copilote) est autorisée pour les types d'aéronefs indiqués par des numéros de référence et inscrits à l'article 2 de cette spécification d'exploitation; la spécification est valide si l'exploitant aérien respecte les exigences de l'article 723.86 des NSAC.

Or, Aviation Flycie Inc. ne détenait pas la spécification d'exploitation 011 au moment de l'accident. En conséquence, la compagnie ne pouvait pas exploiter ses appareils ayant des passagers à bord en vol IFR avec moins de 2 pilotes qualifiés.

1.18.2.7 Préparation du vol chez Aviation Flycie Inc.

La compagnie utilisait une tablette électronique ou un ordinateur pour la préparation du vol. Aviation Flycie Inc. fournissait à chacun des membres de l'équipage de conduite une tablette électronique sur laquelle se trouvaient 4 applications :

Avant d'effectuer un vol, l'équipage doit compléter un plan de vol exploitation, un devis de masse et centrage et un formulaire d'autorisation de vol. Ces documents étaient normalement examinés par le GDO.

1.18.2.7.1 Plan de vol exploitation

Le service Web FltPlan.com était utilisé pour créer le plan de vol exploitation à l'aide de calculs fondés sur les spécifications de performance du C-GJSU et des vents prévus au moment du vol. Le plan de vol exploitation affichait les renseignements suivants :

Les réserves de carburant ne figuraient pas sur le plan de vol exploitation, et la quantité totale de carburant requise avant le départ n'était pas affichée (figure 8). De plus, il n'y avait pas de cases prévues pour consigner progressivement les quantités de carburant restantes tel que le stipule les NSACNote de bas de page 81.

Figure 8. Calcul du carburant requis (Source : FltPlan.com, disponible en anglais seulement, avec annotations du BST)
Calcul du carburant requis

Le plan de vol soumis à l'ATC pour le vol du 9 juin 2013 de CYYG à CYUL était d'une durée de 2 heures 17 minutes. Toutefois, le plan de vol exploitation au dossier de la compagnie était daté du 11 juin 2013, avec un temps de vol de 2 heures 9 minutes.

Selon les calculs du plan de vol exploitation, la consommation de carburant prévue du C-GJSU au départ de CYYG pour se rendre à CYUL était de 1367 livres, ainsi que 109 livres de plus pour atteindre l'aéroport de dégagement. Ainsi, au départ de CYYG, le C-GJSU devait avoir 1966 livres de carburantNote de bas de page 82.

Selon les calculs du plan de vol exploitation, la consommation de carburant prévue du C-GJSU au départ de CYUL pour se rendre à CYHU était de 192 livres, ainsi que 109 livres de plus pour atteindre l'aéroport de dégagement. Ainsi, au départ de CYUL, le C-GJSU devait avoir 750 livres de carburantNote de bas de page 83.

1.18.2.7.2 Devis de masse et centrage

Le calcul de la masse et du centrage se faisait à l'aide d'une application qui fonctionne sur une tablette. Une copie du calcul était gardée sur la tablette du pilote et une copie était envoyée à l'adresse courriel de la compagnie pour qu'elle soit disponible sur la tablette du copilote.

Les poids pondérés sont utilisés pour calculer la masse et le centrage des aéronefs dont le certificat de type autorise le transport de 5 à 11 passagers, afin d'augmenter la probabilité que les poids réels n'excèdent pas les poids moyensNote de bas de page 84. Les poids pondérés sont établis en fonction du nombre de sièges à bord de l'aéronef et tiennent compte des différences entre le poids des hommes et des femmesNote de bas de page 85. Toutefois, selon l'AIM de TC, « les poids pondérés ne devraient être utilisés que lorsque les poids réels ne sont pas disponibles ou ne peuvent pas être utilisésNote de bas de page 86 ».

Bien que l'AIM de TC recommande l'utilisation des poids réels lorsqu'ils sont disponibles, le MEC stipulait que les poids pondérés devaient être utilisés, et l'exploitant aérien était tenu de se conformer au MEC, lequel avait été approuvé par TC. Le pilote en chef n'a pas utilisé les poids pondérés pour calculer la masse des passagers.

1.18.3 Formation en vol sur le BE10 et gestion des urgences

La formation en vol sur le BE10 se faisait uniquement à bord du C-GJSU; Aviation Flycie Inc. ne formait pas ses pilotes sur simulateur de vol, et la réglementation ne l'exigeait pas. Par conséquent, certaines procédures d'urgence ne pouvaient pas être pratiquées, d'autres étaient abrégées, et certains éléments des listes de vérification n'étaient pas faits. Par exemple, les hélices n'étaient pas mises en drapeau lors des pratiques de panne moteur.

L'entraînement sur simulateur permet, entre autres, d'optimiser le rendement des équipages multipilotes en situations anormales et d'urgence, tout en incorporant la gestion globale de l'urgence par la priorisation des tâches. De plus, l'entraînement sur simulateur permet d'apprendre à reconnaître les indications des différentes situations anormales et d'urgence. La possibilité de faire face à plus de situations d'urgence en simulateur renforce l'utilisation des listes de vérification et favorise la mémorisation des actions vitales des procédures. Parce qu'il procure un environnement protégé des contraintes réelles de trafic aérien et de l'ATC, l'entraînement sur simulateur permet aux pilotes de pratiquer l'utilisation de la phraséologie d'urgence normalisée (soit PAN, soit MAYDAY).

1.18.4 Contrôle d'exploitation des vols d'Aviation Flycie Inc.

Aviation Flycie Inc. utilisait un système de contrôle d'exploitation de type D, où le GDO « délègue au commandant de bord le contrôle d'exploitation d'un vol, mais il demeure responsable de l'exploitation de l'ensemble des vols. »Note de bas de page 87

Selon le MEC, l'autorisation du vol consistait à examiner toutes les informations pertinentes et les préparatifs afin d'assurer la sécurité des passagers et de l'équipage. Chaque vol était autorisé par le GDO ou par le commandant de bord. Par conséquent, si les pilotes autorisaient eux-même leurs vols, il n'y avait pas de contre-vérification des informations de vol ni de la planification du vol.

Selon le MEC, pour assurer un niveau de sécurité maximal, la préparation du vol doit être faite par le commandant de bord, assisté par le copilote. Lors des vols effectués par le pilote en chef, le copilote effectuait la vérification pré-vol de l'appareil, mais ne participait pas au calcul de la quantité de carburant requise pour le vol. Le pilote en chef effectuait plutôt la planification du vol seul, autorisait son propre vol sans contre-vérification, et transmettait les documents au GDO, qui les classait dans les dossiers électroniques de la compagnie.

1.18.5 Liste de surveillance du BST

1.18.5.1 La gestion de la sécurité et la surveillance figurent sur la Liste de surveillance 2014

La Liste de surveillance du BST renferme les enjeux qui font courir les plus grands risques au système de transport du Canada; le BST la publie pour attirer l'attention de l'industrie et des organismes de réglementation sur les problèmes qui nécessitent une intervention immédiate.

La Liste de surveillance 2014 reconnaît que certaines entreprises de transport ne gèrent pas leurs risques de sécurité de façon efficace, et que TC ne parvient pas toujours, au moyen de ses pratiques de surveillance et de ses interventions, à les amener à changer leurs pratiques d'exploitation non sécuritaires. Afin de régler cet enjeu, la Liste de surveillance propose ce qui suit :

Transports Canada doit mettre en œuvre une réglementation qui exige que tous les exploitants de l'industrie […] [du transport] aérien […] aient en place des mécanismes en bonne et due forme de gestion de la sécurité. En outre, Transports Canada doit assurer la surveillance de ces mécanismes.

Pour tous les modes de transport, les entreprises qui possèdent un SGS [système de gestion de la sécurité] doivent démontrer que celui-ci fonctionne bien, c'est-à-dire qu'il permet de cerner les dangers et que des mesures efficaces d'atténuation des risques sont mises en œuvre.

Enfin, si les entreprises ne peuvent pas assurer une gestion de la sécurité efficace, Transports Canada doit non seulement intervenir, mais le faire de façon à changer les pratiques d'exploitation non sécuritaires.Note de bas de page 88

1.18.6 Calculs du taux de descente avec les deux moteurs arrêtés

À la demande du BST, BeechcraftNote de bas de page 89 a effectué des calculs de performance dans le but d'établir la vitesse verticale de l'aéronef en cause dans l'événement selon différents paramètres de vol. Dans le cas de panne moteur sur un bimoteur, les hélices génèrent une traînée importante si elles ne sont pas mises en drapeau. Le train d'atterrissage crée également une traînée significative. Le résultat des calculs du taux de descente est affiché dans le tableau 9.

Tableau 9. Taux de descente et finesse en vol plané sans volet
Hélices en drapeau Train d'atterrissage Taux de descente (pieds/minute) Finesse
2 Rentré 976 12:1
1 Rentré 1762 7:1
0 Rentré 2547 5:1
0 Sorti 3046 4:1

1.18.7 Vol plané et la finesse de l'appareil

La finesse est le rapport entre la distance parcourue et la perte d'altitude encourue sur cette distance, mesurant ainsi la capacité à planer d'un avion. Plus la finesse est élevée, plus la distance parcourue pour une altitude donnée est grande. La traînée est la force qui agit le plus sur la finesse. En conséquence, toute condition qui augmente la traînée réduit la finesse de l'appareil.

La finesse est réduite par le train d'atterrissage, les volets, les hélices qui ne sont pas mises en drapeau (hélices entraînées par le vent relatif), et une vitesse supérieure ou inférieure à la vitesse de finesse maximale.

À une vitesse de 120 nœuds, avec les 2 hélices en drapeau et les roues et les volets rentrés, le C-GJSU avait une finesse de 12:1. Dans ces conditions, d'une hauteur de 0,5 nm (3040 pieds), l'appareil aurait pu parcourir 6 nm. Toutefois, si les hélices n'étaient pas en drapeau, la finesse serait passée à 5:1 et, à partir de la même hauteur, le C-GJSU n'aurait pu parcourir que 2,5 nm.

La marge de manœuvre pour prolonger le vol plané consiste à réduire la traînée. À cette fin, la vitesse de traînée minimale en cas de vol plané n'est pas publiée; cependant, le pilote peut utiliser la vitesse ascensionnelle en cas de panne moteur. Sur l'anémomètre, elle est représentée par une ligne bleue à 119 nœuds et était valide pour le C-GJSU au poids maximal au décollage. Au poids réel du C-GJSU au moment de l'événement (environ 7800 livres), cette vitesse était de 110 nœuds. Le vol à une vitesse inférieure à cette vitesse de finesse maximale aurait augmenté la traînée et, par conséquent, réduit la finesse.

En vol plané, le point au sol qui est immobile dans le pare-brise représente le point où l'appareil atteindra le sol. Lorsque le pilote choisit une cible, le déplacement de ce point visé dans le pare-brise aide le pilote à déterminer si l'appareil atteindra ou non sa cible. Si la cible descend dans le pare-brise, l'appareil arrivera plus haut, et si elle monte, l'appareil est trop bas pour atteindre la cible.

Si l'appareil est au-dessus de la pente de descente voulue, le pilote peut augmenter la traînée, mais si l'appareil est sous la pente, le pilote n'a plus d'options si la traînée est au minimum et que la vitesse est déjà à la vitesse de finesse maximale.

1.19 Techniques d'enquête utiles ou efficaces

Sans objet.

2.0 Analyse

2.1 Introduction

Au cours d'un vol local de vérification effectué par le pilote en chef de la compagnie, le C-GJSU a subi une panne sèche après 24 minutes de vol. Le vol plané qui s'en est suivi s'est soldé par un décrochage aérodynamique et par un impact avec le sol juste avant d'arriver au champ choisi pour l'atterrissage.

L'examen de l'épave a permis de déterminer qu'il n'y avait pas de carburant à bord, que les moteurs ne produisaient pas de puissance, et que les hélices n'étaient pas en drapeau au moment de l'impact. Ni l'examen des moteurs, ni l'examen du système de carburant n'ont révélé une anomalie qui aurait pu causer prématurément une panne sèche, une défaillance d'alimentation en carburant des moteurs, ou une indication erronée des jauges de carburant.

Les conditions météorologiques n'ont joué aucun rôle dans l'accident. Le pilote avait reçu la formation au sol et la formation en vol requises, et avait réussi une vérification de compétence pilote sous forme de contrôle de la compétence du pilote (CCP) sur le BE10 moins de 3 mois avant le jour de l'accident.

Au-delà de la panne sèche, l'enquête a révélé des lacunes dans le rendement du pilote ainsi que dans la supervision des vols par la compagnie. L'enquête a également relevé des faiblesses dans le processus qu'utilise Tranports Canada (TC) pour l'approbation de la nomination du personnel de gestion des opérations par les exploitants ainsi que dans la surveillance réglementaire des opérations aériennes.

Ainsi, l'analyse portera sur les points suivants :

2.2 Planification des vols

La planification de vols multiples permet, entre autres, de déterminer la quantité de carburant requise par la réglementation pour chacun des vols et ainsi d'établir un plan de ravitaillement. Selon le manuel d'exploitation de la compagnie (MEC), lors d'un vol selon les règles de vol à vue (VFR) ou selon les règles de vol aux instruments (IFR), l'appareil doit transporter une quantité de carburant suffisante pour pouvoir se rendre à l'aéroport de destination, y effectuer une approche et une approche interrompue, poursuivre le vol jusqu'à l'aéroport de dégagement et y atterrir, et poursuivre le vol pendant 45 minutes de plus.

2.2.1 Planification des vols précédents le vol de l'accident

Bien que la responsabilité des opérations au quotidien ait incombé au gestionnaire des opérations (GDO), le contrôle de l'exploitation des vols de la compagnie était délégué au commandant de bord. Par conséquent, le pilote était le seul responsable de la planification de la série de vols entre l'aéroport de Charlottetown (Île-du-Prince-Édouard) [CYYG] et l'aéroport de Montréal/St-Hubert (Québec) [CYHU], avec une escale à l'aéroport Montréal/Pierre-Elliott-Trudeau International (Québec) [CYUL].

Le plan de vol exploitation utilisé par la compagnie indiquait uniquement la quantité de carburant nécessaire pour atteindre l'aéroport de destination ainsi que l'aéroport de dégagement. Le pilote doit additionner ces quantités de carburant aux quantités nécessaires à la circulation au sol, à la réserve minimale de 45 minutes, et à toutes autres réserves pour déterminer si l'appareil répond à l'exigence de carburant minimal aux termes du MEC. La quantité totale de carburant requise ne figure pas au plan de vol exploitation, et les Normes de service aérien commercial (NSAC) ne l'exigent pas. Si la quantité totale de carburant requise pour un vol n'est pas calculée et n'apparaît pas clairement sur le plan de vol exploitation, il y a un risque accru que des appareils décollent sans avoir les réserves de carburant requises aux termes du Règlement de l'aviation canadien (RAC).

En se servant des données du plan de vol exploitation et en y ajoutant les quantités requises aux termes du MEC, 1966 livres de carburant étaient requises au départ de CYYG pour effectuer le vol jusqu'à CYUL. Quelques heures avant le départ, le pilote avait fait ajouter 527 livres de carburant au C-GJSU, pour un total à bord de 1860 livres. Par conséquent, au départ de CYYG, le C-GJSU n'avait pas la quantité de carburant requise aux termes du MEC pour le premier vol jusqu'à CYUL. Si la planification des vols ne tient pas compte des réserves de carburant requises aux termes du RAC et si les appareils effectuent des vols sans avoir ces réserves, cela augmente le risque de panne sèche s'il se produit des imprévus qui prolongent le vol.

Afin d'éviter un ravitaillement en arrivant à CYUL, il fallait déterminer la quantité de carburant qui serait requise pour la prochaine étape du vol au départ de CYUL et y ajouter la consommation prévue pour atteindre CYUL. Puisque 750 livres étaient requises au départ de CYUL et que, selon le plan de vol exploitation, 1467 livres allaient être consommées pour se rendre à CYUL, le C-GJSU devait avoir au minimum 2217 livres au départ de CYYG pour effectuer les 2 vols jusqu'à CYHU sans ravitaillement à CYULNote de bas de page 90.

Puisqu'au départ de CYYG, il y avait 1860 livres de carburant à bord et que la consommation prévue était de 1467 livres, il était possible de prévoir que le C-GJSU arriverait à CYUL avec moins de 450 livres de carburant (c.-à-d., moins de 45 minutes de vol). Un atterrissage en vol IFR avec moins de 45 minutes de carburant n'est pas conforme aux exigences de carburant minimal aux termes du MEC et du RAC.

Les données disponibles lors de la planification de ces 2 vols étaient sans ambiguïté; il n'était pas possible d'effectuer ces vols en conformité avec le MEC. La décision du pilote d'avitailler le C-GJSU pour atteindre un total de 1860 livres de carburant à CYYG démontrait une planification qui était déficiente.

2.2.2 Poursuite de vols sans avoir les réserves de carburant requises

Le vol de CYYG à CYUL a duré 2 heures 36 minutes (c.-à-d., 27 minutes de plus que les 2 heures 9 minutes prévues lors de la planification du vol). Puisque le pilote n'avait aucune réserve de carburant additionnelle pour les imprévus lors de la planification du vol, le C-GJSU s'est posé à CYUL avec moins que les réserves de carburant requises aux termes du RAC.

Il arrive à l'occasion qu'un vol soit prolongé en raison de contraintes opérationnelles; par conséquent, il se peut que la quantité de carburant restante lorsque l'appareil arrive à destination soit moindre que ce qui était prévu au moment de la planification du vol. Toutefois, si au cours de la planification, le pilote n'ajoute aucune réserve de carburant pour faire face à des imprévus, il y a risque d'avoir à envisager un déroutement à un aéroport en route pour éviter d'arriver à destination sans réserve ou, possiblement, sans avoir suffisamment de carburant pour se rendre à un aéroport de dégagement.

Un suivi de la consommation de carburant au cours du vol aurait dû alerter le pilote qu'il ne pouvait atteindre sa destination parce que l'appareil n'avait pas les réserves requises. Si les pilotes décident de prolonger un vol sans d'abord s'assurer qu'ils disposent de réserves de carburant suffisantes pour le faire, cela augmente le risque de panne sèche.

2.2.3 Planification du vol de l'accident

Aviation Flycie Inc. avait adopté une politique de carburant pour les vols VFR plus rigoureuse que les exigences du RAC, en imposant l'obligation d'avoir un aéroport de dégagement pour tous les vols. Par conséquent, la quantité minimale de carburant pour le vol de l'accident était de 800 livresNote de bas de page 91.

Puisque le vol de l'accident était effectué aux fins de vérification, il était considéré par le pilote comme étant un vol privé. Toutefois, la compagnie n'était pas titulaire d'un certificat d'exploitation privée en vertu de la sous-partie 604 du RAC. Étant donné que le C-GJSU est un avion pressurisé à turbomoteur et qu'il transportait des passagers, le vol devait être exploité selon la sous-partie 703 du RAC. Par conséquent, le vol devait se conformer au MEC.

Toutefois, le pilote croyait à tort que la conformité au MEC n'était pas nécessaire pour ce vol privé. Ainsi, le pilote a utilisé les exigences du RAC visant les vols privés pour déterminer que 500 livres de carburant étaient requises pour compléter le vol et atterrir avec une réserve de 300 livres. De plus, aucun des documents de vol requis par le MEC n'a été complété ni soumis au GDO avant le départ.

Le pilote a estimé qu'il y avait 580 livres de carburant à bord du C-GJSU et a donc supposé qu'il y avait suffisamment de carburant pour effectuer le vol en conformité avec le RAC. En conséquence, le pilote a décidé de ne pas ravitailler le C-GJSU avant d'entreprendre le vol pour éviter un deuxième ravitaillement après le vol, puisqu'il devait effectuer un vol le lendemain matin avec plein carburant. La décision du pilote de se conformer aux exigences du RAC au lieu des exigences du MEC pour éviter de ravitailler l'appareil a réduit les réserves de carburant à bord

2.2.4 Contre-vérification des jauges et conscience de la situation en carburant à bord

Compte tenu des conséquences graves d'une panne sèche, il est primordial que la lecture des jauges de carburant soit contre-vérifiée avant d'effectuer un vol en situation de carburant minimal. Une méthode simple et fiable de contre-vérification consiste à multiplier la consommation moyenne de carburant par le temps total réel de vol. Étant donné que la consommation moyenne du BE10 est de 600 livres par heure (ce qui équivaut à 10 livres par minute), et étant donné que le temps total réel de vol entre CYYG et CYHU avait été de 2 heures 48 minutes, il était possible d'estimer une consommation approximative de 1680 livres.

Le devis de masse et centrage complété pour le vol depuis CYYG indiquait que l'appareil avait 1860 livres de carburant à bord au moment du départ. Les calculs du BST ont établi que la quantité réelle était d'environ 1850 livres, ce qui appuie le nombre consigné sur le devis de masse et centrage.

Avec 1860 livres de carburant à bord au départ de CYYG et une consommation d'environ 1680 livres, il y aurait eu environ 180 livres (18 minutes) de carburant à bord à l'arrivée à CYUL. La grande différence entre cette estimation de la quantité de carburant restante et la lecture des jauges par le pilote de 580 livres aurait pu inciter le pilote à remettre en question sa lecture des jauges.

Puisqu'il est invraisemblable que le pilote aurait volontairement entrepris le vol avec seulement 180 livres de carburant à bord, on peut conclure que le pilote s'est fié uniquement à la lecture des jauges pour déterminer la quantité de carburant à bord, sans contre-vérifier la consommation de carburant depuis le dernier plein pour confirmer les lectures des gauges.

2.3 Carburant à bord du C-GJSU

2.3.1 Système de jaugeage carburant

Afin de vérifier la fiabilité des indications de quantité de carburant qu'il a fournies au pilote, le système de jaugeage a fait l'objet d'examens par le BST. Les essais in situ du système de jaugeage ont révélé des écarts négligeables d'indication de carburant ne dépassant pas 25 livres (environ 2 minutes 30 secondes de vol).

Le résultat des essais au laboratoire du BST ont permis de constater qu'en général les jauges sous-indiquaient les quantités de carburant liées à l'événement à l'étudeNote de bas de page 92, sans déplacement anormal des aiguilles. Des 48 lectures de jauge prises, 45 sous-indiquaient et 3 surindiquaient la quantité de carburant dans les réservoirs, jusqu'à un écart maximum de 8 livresNote de bas de page 93.

Ainsi, rien n'indiquait que les jauges de carburant de l'appareil ne fonctionnaient pas normalement au moment du vol de l'accident, et il est peu probable qu'un écart d'indication ait été un facteur dans la décision du pilote d'entreprendre le vol.

2.3.2 Carburant au moment du départ

Selon les 2 méthodes de calcul de carburant des 4 vols depuis le dernier plein jusqu'à CYHU, on obtient une quantité de carburant à l'arrivée à CYHU d'entre 170 et 210 livres. Toutefois, le calcul inverse pour déterminer la quantité de carburant au départ de CYHU en fonction de la consommation lors du vol de l'accident est plus précis, puisque le temps de vol était de moins de 24 minutes. Par conséquent, on a établi que la quantité de carburant au départ de CYHU était d'environ 260 livres.

Compte tenu des résultats des essais effectués par le BST sur le système de jaugeage, il est fort probable que les jauges de carburant du C-GJSU indiquaient 260 livres (130 livres dans chaque réservoir nacelle) au moment du départ de CYHU.

2.3.3 Lecture des jauges de carburant au moment du départ

Étant donné qu'il n'y avait aucune défectuosité du système de jaugeage, et que le C-GJSU avait environ 260 livres de carburant à bord, selon les différents calculs de consommation, il est probable qu'une lecture erronée des jauges de carburant par le pilote ait amené le pilote à estimer qu'il y avait 580 livres de carburant à bord.

Aviation Flycie Inc. ne consignait pas la quantité de carburant dans le carnet de route de l'appareil avant chaque vol, et la réglementation en vigueur ne l'exigeait pas. Pourtant, le fait pour les pilotes d'avoir accès à ces renseignements constitue un des principaux moyens de défense contre la panne sècheNote de bas de page 94. À défaut de ce report, les données de carburant ne sont pas disponibles d'emblée aux pilotes. En l'absence de ces données, les pilotes pourraient être moins portés à contre-vérifier l'exactitude des jauges. Ainsi, à moins de vérifier visuellement la quantité de carburant, les pilotes pourraient ne pas remarquer les écarts d'indication. Toutefois, une inspection visuelle du carburant à bord n'est pas raisonnablement possible sur le BE10, d'où l'importance d'assurer un suivi des quantités de carburant avant les vols.

2.3.3.1 Lecture des jauges de carburant par le pilote

Au moment du départ de CYHU, les réservoirs des ailes étaient vides, et chacun des réservoirs nacelles contenait environ 130 livres de carburant. Bien que les aiguilles des jauges indiquaient que chaque réservoir nacelle était à un peu plus du ¼ (figure 9), les aiguilles se trouvaient à mi-parcours de l'échelle, à cause de la graduation non linéaire des jauges. Le fait de voir l'aiguille à mi-parcours aurait pu amener le pilote à conclure que les réservoirs étaient à moitié pleins.

Figure 9. Représentation de la quantité de carburant avant le vol de l'accident
Représentation de la quantité de carburant avant le vol de l'accident

De plus, bien que les jauges des réservoirs des ailes sont semblables à celles des réservoirs nacelles, la graduation des échelles des 2 types de jauges sont différentes. La position « F » sur le cadran de chacune des jauges représente 871 livres dans les réservoirs des ailes, mais 382 livres dans les réservoirs nacelles. De même, la position mi-parcours représente 310 livres dans les réservoirs des ailes, mais 130 livres dans les réservoirs nacelles.

En raison de ces particularités des jauges, une hypothèse a été avancée selon laquelle le pilote aurait peut-être fait une adéquation erronée entre la position visuelle de l'aiguille (figure 10) et la quantité totale de carburant dans les réservoirs. Toutefois, étant donné que la somme de 2 demi-réservoirs nacelles aurait été d'environ 382 livres de carburant et que le pilote estimait qu'il en restait 580 livres, l'hypothèse a été écartée.

Figure 10. Adéquation erronnée entre la position visuelle de l'aiguille de la jauge et son indication réelle de la quantité de carburant dans les réservoirs nacelles
Adéquation erronnée entre la position visuelle de l'aiguille de la jauge et son indication réelle de la quantité de carburant dans les réservoirs nacelles

Une deuxième hypothèse a cherché à savoir si une combinaison de règles fondées sur des habitude de travail et d'erreurs pourrait expliquer une lecture erronée des jauges de carburant par le pilote.

En règle générale, les vols débutaient avec les réservoirs nacelles complètement pleins et les aiguilles des jauges des réservoirs nacelles à la position « F ». Puisque la consommation de carburant des 2 moteurs est généralement similaire, la quantité de carburant dans les réservoirs des ailes peut être établie par la lecture de la jauge d'un des réservoirs des ailes, et en multipliant par la suite cette lecture par 2.

En utilisant cette méthode, la quantité totale de carburant à bord peut être établie par l'addition de la quantité de carburant dans les réservoirs des ailes à la quantité totale de carburant dans les réservoirs nacellesNote de bas de page 95. Toutefois, le jour de l'accident, les réservoirs des ailes étaient vides et les réservoirs nacelles n'étaient pas pleins, il n'était donc pas possible d'utiliser cette méthode de la façon habituelle.

Selon cette deuxième hypothèse, le pilote pourrait avoir adapté la méthode habituelle de travail tout en transposant l'échelle des aiguilles des jauges des réservoirs nacelles sur l'échelle des jauges des réservoirs des ailes. Ainsi, le pilote n'aurait pas fait la lecture de l'échelle au-dessus des jauges des réservoirs nacelles parce qu'il n'avait pas l'habitude de s'en servir. Cette association entre la méthode habituelle de lecture des jauges et une quantité de carburant aurait établi un schéma en mémoire à long termeNote de bas de page 96 et aurait donné lieu à une lecture de la part du pilote qui lui aurait été familière mais erronée. Un rappel d'information familière se produit de cette façon quand de tels indications ou contextes sont suffisamment semblablesNote de bas de page 97.

Si le pilote a transposé l'aiguille de la jauge des réservoirs des ailes à la position de mi-parcours de l'échelle, cela aurait donné une lecture d'environ 300 livres pour chaque réservoir, soit 600 livres au total (figure 11).

Figure 11. La transposition de l'aiguille de la jauge des réservoirs nacelles sur l'échelle de la jauge des réservoirs des ailes donnerait une lecture d'environ 300 livres de carburant
La transposition de l'aiguille de la jauge des réservoirs nacelles sur l'échelle de la jauge des réservoirs des ailes donnerait une lecture d'environ 300 livres de carburant

D'ailleurs, bien que le devis de masse et centrage du vol précédent entre CYUL et CYHU ait indiqué 1100 livres de carburant, il y avait environ 400 livres à bord (200 livres dans chaque réservoir nacelle) selon les calculs. Si l'on transpose l'aiguille de la jauge des réservoirs nacelles à cette quantité sur l'échelle de la jauge des réservoirs des ailes, on obtiendrait une lecture d'environ 550 livres par réservoir, soit 1100 livres au total (figure 12).

Figure 12. La transposition de l'aiguille de la jauge des réservoirs nacelles sur l'échelle de la jauge des réservoirs des ailes donnerait une lecture d'environ 1100 livres de carburant
La transposition de l'aiguille de la jauge des réservoirs nacelles sur l'échelle de la jauge des réservoirs des ailes donnerait une lecture d'environ 1100 livres de carburant

La deuxième hypothèse pourrait donc expliquer les quantités erronées de carburant utilisées par le pilote au début de ces 2 vols.

Peu importe la raison pour laquelle le pilote a mal interprété l'indication des jauges de carburant, il n'en reste pas moins que le pilote a mal lu les indications des jauges et qu'il a supposé qu'il y avait suffisamment de carburant à bord de l'appareil pour répondre aux exigences de quantité minimale de carburant du RAC pour effectuer ce vol VFR, plutôt que d'ajouter du carburant pour répondre aux plus grandes réserves de carburant requises aux termes du MEC. Par conséquent, l'appareil a décollé avec moins de 24 minutes de carburant à bord, ce qui a augmenté le risque de panne sèche lors de ce vol d'une durée prévue de 15 à 20 minutes.

Du fait que le pilote était le pilote en chef, responsable de la formation des nouveaux pilotes, et qu'il était le seul commandant de bord du seul appareil de la compagnie, il est raisonnable de s'attendre à ce que le pilote soit conscient de la quantité de carburant consommée depuis le dernier plein et à ce qu'il connaisse les particularités du système de jaugeage, puisqu'il aurait dû l'expliquer aux autres pilotes dans le cadre de leur formation.

2.3.4 Gestion du carburant et conscience de la situation

Pour assurer le suivi de la quantité de carburant à bord, on procède généralement à la lecture des jauges à des moments stratégiques du vol : avant le décollage, en vol de croisière, avant de décider de prolonger un vol, et en toutes situations qui retardent l'atterrissage.

Les listes de vérification de l'appareil utilisées par Aviation Flycie Inc. demandent aux pilotes de vérifier la quantité de carburant à 2 reprises avant le décollage et 1 fois après avoir atteint l'altitude de croisière. Toutefois, si le pilote a mal interprété la quantité de carburant lors de la première observation avant le départ, il est raisonnable de supposer que le pilote ait reproduit cette même erreur lors des vérifications subséquentes, s'il y en a eu.

Le moment le plus critique du vol en cause est survenu 15 minutes après le décollage, lorsque le pilote, ayant terminé les vérifications, a décidé de prolonger le vol de retour pour pratiquer une approche aux instruments (ILS) vers la piste 24R à CYHU. Au moment où le pilote a demandé au contrôle de la circulation aérienne (ATC) l'autorisation de le faire, l'appareil disposait d'une autonomie de vol de 8 minutes 25 secondes, et il se trouvait à 7 minutes 35 secondesNote de bas de page 98 de la piste à CYHU.

Le prolongement de la trajectoire de retour pour s'établir à 10 milles marins (nm) en approche finale sur l'alignement de l'ILS a augmenté la durée du vol d'environ 4 minutes 30 secondes. Par conséquent, le C-GJSU n'avait plus suffisamment de carburant pour se rendre jusqu'à CYHU et a subi une panne sèche à 7,4 nm de la piste en approche finale. Le pilote n'a pas surveillé les jauges de carburant au cours du vol et a décidé de prolonger le vol pour pratiquer une approche aux instruments sans avoir suffisamment de carburant à bord pour compléter l'approche.

2.4 La gestion de l'urgence par le pilote

2.4.1 Premiers indices de la panne sèche imminente

Les indices précurseurs de la panne sèche ont été les fluctuations du son produit par les hélices et l'illumination du voyant « RH FUEL PRESSURE » alors que le C-GJSU se trouvait à 3,2 nm à l'est de l'aéroport de St-Mathieu-de-Beloeil (Québec) [CSB3]Note de bas de page 99, à une altitude d'environ 3000 pieds au-dessus du niveau de la mer (asl). C'est à ce moment que le pilote a constaté que les aiguilles des jauges des réservoirs nacelles pointaient sur « E » (figure 13). La prise de conscience soudaine du pilote que les jauges indiquaient « E » indique que les jauges n'avaient probablement pas été surveillées pendant le vol. Si les pilotes ne vérifient pas régulièrement la quantité de carburant à bord, cela augmente le risque de panne sèche.

La procédure à suivre en cas de panne d'une pompe d'appoint suppose que la pompe d'appoint est tombée en panne. Toutefois, dans l'événement à l'étude, c'est en raison de la faible quantité de carburant que la pompe d'appoint primaire a introduit de l'air dans la canalisation d'alimentation, provoquant ainsi une baisse de pression carburant et le changement de puissance du moteur droit, ce qui a provoqué la baisse momentanée du régime de l'hélice.

Plutôt que d'exécuter la procédure en cas de panne d'une pompe d'appoint, le pilote a mis toutes les pompes d'appoint à ON et a ouvert le robinet d'intercommunication. Cette réaction laisse supposer que le pilote a agi de la sorte non pas en fonction d'une panne de la pompe d'appoint, mais plutôt pour faire face à un problème potentiel d'alimentation dû à la faible quantité de carburant observée.

Puisque l'ouverture du robinet d'intercommunication relie les réservoirs de gauche aux réservoirs de droite, l'urgence peut être accentuée et peut possiblement provoquer la panne sèche en condition de fuite de carburantNote de bas de page 100. Si les pilotes n'écartent pas la possibilité d'une fuite de carburant avant d'ouvrir le robinet d'intercommunication, ils risquent de vider tout le carburant restant à bord.

2.4.2 Arrêt du premier moteur (droit)

Le moteur droit s'est arrêté en raison d'une panne sèche environ une minute après que le pilote a constaté que les jauges indiquaient « E », alors que le C-GJSU était sur l'alignement à 9,5 nm de la piste 24R, à 2600 pieds asl, et à une vitesse d'environ 180 nœuds (figure 13). Six secondes après l'arrêt du moteur droit, le pilote a informé l'ATC de son intention d'atterrir à CSB3, sans donner de raison pour le déroutement.

Figure 13. Trajectoire du vol du C-GJSU jusqu'au moment de l'impact (Source : GoogleEarth, avec annotations du BST)
Trajectoire du vol du C-GJSU jusqu'au moment de l'impact

Outre la fluctuation du son produit par les hélices lorsque le gouverneur de l'hélice a ajusté le pas, le son des hélices n'a pas changé après l'arrêt du moteur. Puisque le régime de l'hélice n'est pas un indice de l'état du moteur, le pilote doit reconnaître la panne moteur à l'aide des indications des jauges moteurs et des voyants d'alarme du panneau annonciateur.

L'exécution des 3 premiers éléments de la procédure en cas de panne moteur en vol permet notamment au pilote de confirmer la panne moteur, de réduire la traînée causée par l'hélice entraînée par le vent relatif, et de sécuriser le moteur. Le pilote en chef avait pratiqué cette procédure, qui est publiée dans les procédures d'utilisation normalisées (SOP) de la compagnie, lors de la formation et lors du CCP sur le BE10. Toutefois, lors de la formation en vol et du CCP, les hélices n'avaient pas été mises en drapeau, et certains éléments de la liste de vérification n'avaient pa s été faits, tel que l'arrêt du moteur à l'aide de la manette de régime.

Il n'en demeure pas moins qu'en raison de l'expérience du pilote comme instructeur et de son rôle de pilote en chef chargé de la formation des nouveaux copilotes, le pilote aurait dû connaître la procédure appropriée et l'importance d'exécuter chacun de ses éléments. Or, le pilote n'a pas exécuté la procédure en cas de panne moteur, ainsi l'hélice n'a pas été mise en drapeau. Puisque les actions critiques de la procédure en cas de panne moteur peuvent être effectuées en quelques secondes, et que le pilote n'était pas en surcharge de travail, la décision de ne pas exécuter la procédure en cas de panne moteur indiquait une incompréhension de la situation. Le pilote n'a pas exécuté la procédure approuvée à suivre en cas de panne moteur lorsque le premier moteur s'est arrêté, et l'hélice n'a pas été mise en drapeau, ce qui a causé une traînée importante qui a réduit la distance de vol plané de l'appareil après l'arrêt du deuxième moteur.

2.4.3 Arrêt du deuxième moteur (gauche) et vol plané

Le moteur gauche s'est arrêté en raison d'une panne sèche 36 secondes après l'arrêt du moteur droit, alors que l'appareil se trouvait à 7,4 nm de la piste 24R à CYHU et à 2400 pieds asl (figure 13).

Les éléments critiques de la procédure en cas de panne moteur en vol comprennent la mise en drapeau de l'hélice. Toutefois, dans le cas d'une panne du deuxième moteur, la procédure spécifie de ne pas mettre l'hélice en drapeau du fait qu'elle restera en drapeau tant que le moteur ne fonctionne pas. Étant donné que les 2 moteurs s'étaient arrêtés en raison d'une panne sèche et qu'il n'existe pas de procédure spécifique pour une telle urgence, une compréhension globale de la situation aurait confirmé qu'il n'y avait rien à faire pour redémarrer les moteurs. Dans de telles circonstances, la complexité de la procédure était considérablement réduite, et les tâches prioritaires consistaient essentiellement à mettre les hélices en drapeau. Aucune des procédures d'urgence n'a été exécutée, et les hélices n'ont pas été mises en drapeau.

Dès lors, confronté à une perte totale de puissance moteur, le pilote a amorcé un virage à gauche en direction de CSB3 en vol plané.

La finesse du vol plané est essentiellement la distance horizontale parcourue en fonction du changement d'altitude; donc, plus la finesse est élevée, plus la distance parcourue est grande. Puisque la finesse est influencée principalement par la traînée, toute augmentation de la traînée augmente le taux de descente, ce qui réduit le temps en vol et, de ce fait, réduit la distance horizontale parcourue (c.-à-d., la finesse).

Bien que la vitesse de finesse maximale ne soit pas publiée comme telle dans le manuel de vol du BE10, le pilote aurait pu utiliser la vitesse ascensionnelle maximale recommandée avec un seul moteur. Cette vitesse correspond à la vitesse de traînée minimale et apparaît sous forme d'une ligne bleue sur les anémomètres du C-GJSU à 119 nœudsNote de bas de page 101. Le taux de descente et la vitesse de vol plané du C-GJSU alors qu'il évoluait en vol plané à une vitesse de 120 nœuds ont été calculées afin de déterminer l'effet qu'a pu avoir sur la finesse la traînée causée par diverses configurations (tableau 10).

Tableau 10. Taux de descente et finesse en vol plané sans volet
Hélices en drapeau Train d'atterrissage Taux de descente (pieds/minute) Finesse
2 Rentré 976 12:1
1 Rentré 1762 7:1
0 Rentré 2547 5:1
0 Sorti 3046 4:1

Pendant le virage à gauche en direction de CSB3, le C-GJSU — sans hélices en drapeau et avec le train rentré — avait une finesse de 5:1. Une fois le virage complété, le C-GJSU se trouvait à 1,4 nm de la piste et à 1290 pieds asl (1240 pieds au-dessus du sol [agl]), ce qui correspond à une finesse de 7:1. Ainsi, il aurait fallu que le C-GJSU soit configuré de façon à obtenir une finesse d'au moins 7:1 pour atteindre la piste à CSB3. Par conséquent, le C-GJSU ne pouvait pas atteindre CSB3 dans sa configuration au moment de l'événement.

Si la procédure en cas de panne moteur avait été effectuée lorsque le premier moteur s'est arrêté et si l'hélice avait été mise en drapeau, le C-GJSU aurait pu obtenir une finesse de 7:1 avec le train rentré, et aurait probablement pu atteindre la piste 15 à CSB3. Quoiqu'il en soit, le pilote a sorti le train d'atterrissage avant la fin du virage à 1600 pieds asl, réduisant la finesse du C-GJSU à 4:1.

Vu le taux de descente élevé, il est probable que le pilote ait réduit la vitesse pour tenter de prolonger le vol plané, au point où le klaxon de l'avertisseur de décrochage a retenti par intermittence à partir d'environ 1000 pieds aslNote de bas de page 102. Toutefois, la réduction de la vitesse en deça de la vitesse de traînée minimale a augmenté la traînée et réduit la finesse.

Lors d'un vol plané à une vitesse constante, la zone d'immobilité apparente dans le pare-brise représente le point d'atterrissage. Si l'aire d'atterrissage ciblée se déplace vers le bas, l'appareil survolera la cible, et le pilote disposera d'un surplus d'énergie suffisant pour contrer l'augmentation de la traînée provoquée par la sortie du train et des volets avant l'atterrissage. Si la cible de l'aire d'atterrissage se déplace vers le haut, il ne sera pas possible d'atteindre la cible dans la configuration actuelle.

Au moment de l'arrêt du deuxième moteur, la réduction de la vitesse de 180 nœuds jusqu'à la limite du décrochage a influencé le déplacement de l'aire d'atterrissage choisie dans le pare-brise. Ce n'est qu'une fois l'appareil stabilisé à une vitesse constante que la zone s'est immobilisée dans le pare-brise et représentait le point au sol que le C-GJSU pouvait atteindre. En conséquence, il se peut que la réduction de vitesse ait contribué à la décision tardive du pilote de faire un atterrissage forcé dans un champ (figure 14).

Figure 14. Trajectoire en direction de la piste 15 à l'aéroport de St-Mathieu-de-Beloeil (Québec) [CSB3] (Source : GoogleEarth, avec annotations du BST)
Trajectoire en direction de la piste 15 à l'aéroport de St-Mathieu-de-Beloeil

Les décisions et les actions du pilote qui ont réduit la finesse ont aussi réduit le temps avant que le C-GJSU n'atteigne le sol. Le taux de descente élevé a réduit le temps disponible au pilote pour choisir un champ, formuler un plan, et préparer l'appareil et les passagers en vue d'un atterrissage forcé. Par conséquent, il est probable que le pilote était en surcharge de travail et a canalisé toute son attention sur le pilotage de l'appareil jusqu'à ce qu'il constate, à environ 450 pieds agl, que l'appareil ne pourrait pas atteindre la piste à CSB3.

Ainsi, à 12 secondes de l'impact, le pilote a amorcé un virage à droite en direction d'un champ bordé de fils électriques. À 9 secondes de l'impact, le klaxon de l'avertisseur de décrochage a commencé à retentir de façon continue jusqu'à ce que l'aile droite percute le sol 40 pieds avant le champ choisi, à un angle d'inclinaison d'environ 45 °.

Le retentissement du klaxon de l'avertisseur de décrochage avant que le C-GJSU ne percute le sol dans une inclinaison prononcée juste avant les fils électriques et le champ permet de conclure que l'appareil a subi un décrochage aérodynamique en vol et que le pilote a perdu la maîtrise de l'appareil alors qu'il tentait de survoler des fils situés en bordure du champ. Si un pilote ne garde pas la maîtrise d'un appareil jusqu'à l'atterrissage, la force d'un impact à la suite d'un décrochage aérodynamique sera probablement beaucoup plus importante, ce qui augmente le risque de blessures et de pertes de vie au cours d'un atterrissage forcé.

2.4.4 Communications avec le contrôle de la circulation aérienne

L'arrêt du premier moteur n'a pas pu surprendre le pilote puisque dès qu'il a pris conscience de la quantité de carburant à bord, le pilote était en mesure d'anticiper que l'appareil subirait une panne sèche. D'ailleurs, 6 secondes après l'arrêt du moteur droit, le pilote a signalé à l'ATC son intention d'atterrir à CSB3, sans préciser la raison du changement de destination.

2.4.4.1 Déclaration d'une situation d'urgence (détresse)

Puisque l'appareil se trouvait dans une situation d'urgence qui constituait un état de détresse, la décision de se poser à CSB3 n'était pas un choix pour lequel il fallait obtenir une autorisation de l'ATCNote de bas de page 103. En pareille circonstance, il incombe au pilote de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité du vol. Ainsi, le pilote devait, d'abord et avant tout, exécuter les éléments critiques de la procédure en cas de panne moteur, amorcer un virage en direction de la piste 15 à CSB3 et, par la suite, informer l'ATC de la situation d'urgence avec une déclaration claire et sans équivoque de détresse.

Le pilote n'avait ni déclaré d'urgence, ni informé l'ATC de la situation. Le contrôleur était quelque peu perplexe en raison du changement de plan, alors que le C-GJSU était établi en approche finale et à 9,5 nm de CYHU, et il a demandé au pilote de confirmer que l'appareil n'allait plus atterrir à CYHU. Ces communications ont duré 17 secondes, au terme desquelles le contrôleur a autorisé le vol vers CSB3. Pendant ce temps, le C-GJSU a maintenu sa trajectoire en direction de CYHU (figure 15).

Figure 15. Prolongement de la trajectoire en direction de l'aéroport de St-Mathieu-de-Beloeil (Québec) [CSB3] (Source : GoogleEarth, avec annotations du BST)
Prolongement de la trajectoire en direction de l'aéroport de St-Mathieu-de-Beloeil

Le signal de détresse « MAYDAY MAYDAY MAYDAY », suivi d'un bref énoncé au sujet de la panne sèche imminente et du plan d'action préconisé, aurait permis de réduire le temps de communication et d'éliminer toute ambiguïté quant aux demandes du pilote. Cela aurait aussi permis à l'ATC d'accorder la priorité au C-GJSU et de fournir l'assistance nécessaire, tout en limitant les communications à celles liées à la gestion de la situation. Étant donné que l'appareil était sous guidage radar, le contrôleur aurait été en mesure de diriger le pilote vers la piste 15 à CSB3 sur la trajectoire la plus courte. De plus, le contrôleur aurait pu informer les services d'urgence appropriés et coordonner l'intervention des divers organismes concernés.

N'ayant pas été informé de l'état d'urgence du vol, le contrôleur a agi conformément aux procédures normales de communications figurant dans le Manuel d'exploitation du contrôle de la circulation aérienne (MANOPS ATC). Par conséquent, l'information transmise et les demandes du contrôleur constituaient une source de distraction pour le pilote. La dernière communication du contrôleur au C-GJSU a eu lieu 13 secondes après l'arrêt du deuxième moteur et consistait à aviser le pilote du trafic environnant et à l'autoriser à passer à la fréquence en route. Si un pilote ne déclare pas d'urgence à l'ATC en temps voulu, le pilote pourrait être privé d'une assistance et de ressources qui pourraient l'aider à faire face à l'urgence, ce qui augmente le risque d'accident.

2.4.4.2 Priorité accordée aux communications

En ne déclarant pas la situation d'urgence de l'appareil à l'ATC, le pilote a été privé d'une assistance qui aurait pu alléger la charge de travail dans le poste de pilotage.

Le pilote a poursuivi le vol vers CYHU même s'il avait informé l'ATC de son intention de se diriger vers CSB3, et sans communiquer la situation d'urgence. La priorité accordée aux communications s'est faite au détriment de la gestion de l'arrêt du premier moteur et a fait en sorte que l'appareil s'est éloigné de l'aéroport de déroutement prévu.

Par conséquent, le retard du virage à gauche en direction de CSB3 a compromis la réussite du plan du pilote de se poser sur la piste.

Il est probable que les communications du pilote avec le contrôleur aient été conditionnées par le stress de la situation et l'application par le pilote des règles relatives aux communications avec l'ATC en situation normale. En temps normal, un pilote qui évolue dans un espace aérien contrôlé doit informer l'ATC avant de déroger à une autorisation afin d'obtenir une nouvelle autorisation. Comme l'entraînement du pilote s'était déroulé dans des conditions de vol normales, le pilote avait l'habitude, lors des simulations de panne moteur, de communiquer avec l'ATC avant d'effectuer tout changement à son autorisation.

Il est rare qu'un pilote soit confronté à une situation où la priorisation des tâches est indispensable à la sécurité du vol. Cependant, au moment où le pilote a signalé son intention d'atterrir à CSB3, la panne sèche du deuxième moteur était imminente, et il restait peu de temps de vol avant que le C-GJSU ne percute le sol.

Le pilote avait reçu la formation en vol requise par la réglementation. Durant la formation, toutefois, il n'est pas possible de faire abstraction des instructions de l'ATC, ni de déclarer une urgence pour se voir accorder la priorité et obtenir de l'assistance. Par conséquent, la formation en vol ne se prête pas à la pratique du type d'urgence complexe dans laquelle une priorisation des tâches s'impose.

Lorsque les pilotes n'ont pas eu la possibilité de pratiquer sur simulateur ces urgences complexes exigeant une priorisation des tâches, ils ont tendance à accorder la priorité aux communications avec l'ATC au détriment de la gestion de l'urgence. Par conséquent, si les pilotes ne reçoivent pas de formation sur la façon de gérer des urgences complexes qui exigent une priorisation des tâches, ils risquent de ne pas réagir efficacement à des urgences, ce qui augmente le risque d'accident.

2.4.5 Rendement global du pilote

La situation s'est détériorée rapidement après que le pilote a constaté qu'il n'y avait plus de carburant à bord. Par la suite, la panne sèche du moteur droit a confirmé l'état critique en carburant de l'appareil. Les décisions prises et les gestes posés par le pilote ont tous contribué à éliminer toute possibilité d'atteindre la piste :

La décision du pilote de sortir le train d'atterrissage alors que l'appareil était encore à 1600 pieds asl a augmenté davantage la traînée, ce qui a réduit la distance de vol plané de l'appareil. Par conséquent, l'appareil n'a pas réussi à atteindre la piste à CSB3. En dernier lieu, la réduction de la vitesse pour tenter de prolonger le vol plané pour franchir les fils électriques en bordure du champ s'est soldée par un décrochage aérodynamique et un impact à 30 pieds du champ choisi.

La gestion globale de l'urgence et du vol plané jusqu'à la perte de la maîtrise du C-GJSU avant l'impact a démontré un rendement sous la norme attendue d'un commandant de bord de BE10, et en particulier sous la norme attendue d'un pilote en chef.

2.4.6 Rendement antérieur du pilote

L'enquête a révélé des rendements antérieurs sous la norme attendue de la part du pilote, dont une auprès du dernier employeur, qui a mis fin à sa formation de copilote de BE10. Aviation Flycie Inc. n'était pas au courant de ces rendements antérieurs hors normes, et TC n'a pas tenu compte des antécédents du pilote dans son processus d'approbation de la nomination au poste de pilote en chef.

Il peut arriver à l'occasion qu'un pilote subisse un échec lors d'un test en vol ou d'un CCP. Toutefois, l'apparition d'échecs à intervalles réguliers, combinée à un rendement marginal lors de tests en vol, indique des problèmes de rendement généralisés qui doivent être suivis. Si les compagnies n'établissent pas un processus pour surveiller le rendement de leurs pilotes durant la formation et les tests en vol, ces compagnies risquent d'affecter par inadvertance des pilotes pour effectuer des vol pour lesquels ils n'ont pas les compétences voulues.

Bien que le pilote avait réussi le CCP effectué moins de 3 mois avant l'accident, le rendement du pilote avait été marginal. Toutefois, le niveau de rendement n'est ni surveillé ni suivi et, du point de vue de TC, une réussite, aussi marginale soit-elle, est acceptée sans tenir compte des antécédents du pilote. Ainsi, TC a approuvé la nomination du pilote au poste de pilote en chef, et la compagnie lui a confié les tâches de pilote en chef sans contextualiser l'importance du rendement marginal du pilote lors du CCP.

2.5 Supervision des vols par la compagnie

2.5.1 Gestionnaires de la compagnie

Aviation Flycie Inc. était une jeune entreprise formée en 2012. Étant donné qu'il s'agissait d'un petit exploitant, le président cumulait les fonctions de gestionnaire supérieur responsable et de GDO. Toutefois, le président n'avait aucune expérience de travail en exploitation aérienne commerciale.

Le GDO a embauché un commandant pour occuper le poste de pilote en chef et un copilote au poste de personne responsable de la maintenance (PRM). Le pilote en chef avait une expérience limitée en exploitation commerciale IFR et n'avait aucune expérience à titre de commandant de bord sur le BE10. Le copilote n'avait aucune expérience en exploitation commerciale IFR et aucune expérience sur le BE10. Les antécédents et le rendement antérieur des nouveaux pilotes n'ont pas été vérifiés auprès des employeurs précédents, et les heures de vol non certifiées du commandant n'ont pas été confirmées.

En résumé, les 3 gestionnaires n'avaient aucune expérience antérieure pertinente pour les postes qu'ils allaient occuper. Le pilote en chef venait tout juste d'être promu au titre de commandant sur le BE10 à la suite d'un rendement marginal au CCP. Le GDO n'a pas su contextualiser l'importance du rendement marginal du pilote en chef.

2.5.2 Contrôle d'exploitation des vols d'Aviation Flycie Inc.

La principale tâche du GDO est d'assurer la sécurité des opérations aériennes par l'entremise du contrôle des opérations, de la vérification des qualifications des équipages, de la supervision des horaires et de la formation des équipages, tout en s'assurant que la compagnie respecte la réglementation en vigueur.

Au quotidien, le GDO autorise un vol et par la suite délègue le contrôle d'exploitation du vol au pilote, tout en gardant la responsabilité de s'assurer que le vol est effectué selon les exigences du RAC. L'autorisation de vol consiste à examiner toutes les informations du vol et les préparatifs pour s'assurer de la sécurité des passagers et de l'équipage.

Selon le MEC, afin d'assurer un niveau de sécurité maximal, le vol doit être autorisé par le GDO ou le pilote. Généralement, un système de vérification et contre-vérification est établi afin de réduire les risques liés aux opérations aériennes. Toutefois, il n'y a aucune contre-vérification si le pilote autorise lui-même le vol qu'il effectue.

Toujours selon le MEC, la préparation du vol doit être effectuée par le pilote avec l'assistance du copilote; toutefois, la répartition des tâches n'est pas définie. Dans les faits, les copilotes préparaient l'appareil sans participer à la planification du vol.

Lorsque les risques sont gérés grâce à un seul moyen de défense, comme lorsque l'on s'en remet à une seule personne pour assurer la sécurité des vols, des écarts par rapport aux règlements ou par rapport à la pratique courante peuvent se produire et ainsi accroître les risques d'incident ou d'accident. Par conséquent, si le pilote planifie son vol et l'autorise lui-même sans contre-vérification de la conformité à la réglementation en vigueur, des écarts risquent de continuer à passer inaperçus, ce qui réduit la sécurité du vol.

2.5.2.1 Irrégularités opérationnelles

Étant le seul commandant de bord d'Aviation Flycie Inc., le pilote en chef avait effectué tous les vols depuis le début des opérations de la compagnie. L'examen des dossiers de la compagnie (section 1.18.1.6) a révélé que 26 des 41 vols commerciaux effectués, soit 63 % des vols, n'avaient pas été conformes au MEC. Des irrégularités ont été notées dans les domaines suivants : la formation et l'affectation de copilotes aux vols commerciaux, le calcul de la masse et du centrage, et la planification et la gestion du carburant à bord.

Le fait que 63 % des vols effectués étaient non-conformes indiquait des lacunes sur le plan de la planification et de la gestion des vols, ce qui soulève des questions quant à la capacité du pilote en chef à effectuer les vols en conformité avec la réglementation.

Ces irrégularités opérationnelles n'ont eu aucune conséquence apparente sur les vols puisqu'ils ont été complétés sans incident signalé. Toutefois, les cas où le C-GJSU était exploité au-delà de la limite supérieure arrière de l'enveloppe de masse et centrage auraient pu engendrer une instabilité aérodynamique à basse vitesse, ce qui réduit les marges de sécurité prévues par le constructeur.

En général, le pilote calculait une consommation d'entre 40 et 100 livres de carburant pour la circulation au sol. Toutefois, lors des vols comportant des irrégularités au-delà des limites de l'enveloppe de masse et centrage, le pilote avait inscrit 506,3 livres de carburant pour circuler au sol sur le devis de masse et centrage. Le fait que le centre de gravité du C-GJSU était à l'extérieur de l'enveloppe de masse et centrage si on effectuait le calcul en fonction de la quantité de carburant habituellement utilisée pour la circulation au sol semblait indiquer un geste intentionnel de la part du pilote pour que le centre de gravité soit à l'intérieur des limites prescrites.

L'examen des plans de vol exploitation de la compagnie a révélé que plus de 30 % (14) des vols effectués par le pilote en chef ne respectaient pas les exigences en carburant du MEC. De ces 14 vols, 11 n'avaient pas les réserves IFR requises à l'atterrissage : 5 avaient moins de 45 minutes de carburant à bord, 3 avaient moins de 25 minutes de carburant, et 3 n'avaient pas suffisamment de carburant pour atteindre l'aéroport de dégagement. Le fait que 30 % des vols ne satisfaisaient pas aux exigences en carburant du MEC indiquait une propension du pilote en chef à ne pas se conformer aux règles. De plus, les atterrissages avec moins de 25 minutes de carburant en vol IFR sont hors normes et potentiellement dangereux. Un tel comportement à risque, répété à plusieurs reprises, indiquait que le pilote avait probablement acquis une tolérance aux vols avec une faible quantité de carburant.

Ces pratiques du pilote en chef, qui était la seule personne à voler avec tous les copilotes, augmentait le risque de propagation de ces adaptations des règles établies pour accomplir les tâches assignéesNote de bas de page 104. Si les pilotes œuvrent sans supervision régulière visant à s'assurer de la conformité à la réglementation et aux procédures de la compagnie, jumelée à une formation efficace, il risque de se produire des adaptations aux procédures qui entraînent une réduction des marges de sécurité.

Les antécédents de rendement sous les normes acceptables démontré par le pilote remettaient en question sa capacité à exercer les fonctions de commandant sur le BE10. Toutefois, le grand nombre d'écarts à la réglementation potentiellement graves pour la sécurité des vols commis par le pilote en chef pendant les quelques mois depuis le début des opérations aériennes témoignait d'un rendement inacceptable pour un commandant et confirmait que le pilote était inapte à assumer les tâches et responsabilités liées au poste de pilote en chef.

2.5.3 Efficacité de la surveillance des opérations aériennes

Le GDO n'a pas été en mesure de déceler les écarts à la réglementation commis par le pilote en chef, bien qu'il ait démontré avoir les connaissances requises du MEC lors du processus d'approbation de TC. On peut donc conclure que le GDO n'a pas su assumer les tâches et responsabilités de son poste liées au contrôle et à la supervision des opérations aériennes. Par conséquent, la sécurité de plus de la moitié des vols a été compromise.

Il est probable qu'en raison de son manque d'expérience, le GDO s'est fié entièrement au pilote en chef pour assurer la conformité à la réglementation en matière de formation et d'affectation des copilotes et d'exécution des vols. Quoiqu'il en soit, il incombait au GDO de veiller à la sécurité des opérations aériennes et, malgré sa délégation de ces tâches, le GDO en demeurait tout de même responsable.

Bien que TC eut tenu des discussions relatives au rendement globalement marginal du candidat-pilote en chef avec le GDO, le GDO n'avait pas été avisé formellement des inquiétudes du pilote vérificateur agréé (PVA) à la suite du CCP, ni de l'évaluation du risque effectuée, ni des risques cernés par TC. Ainsi, il est plausible que le GDO se soit appuyé sur le fait que TC avait approuvé la nomination du pilote en chef pour valider les compétences du pilote. Si les compagnies affectent du personnel inexpérimenté aux postes clés de gestion des opérations aériennes, des écarts de rendement ou des dérogations à la réglementation risquent de ne pas être décelés, ce qui réduit la sécurité des opérations aériennes.

2.6 Certification et surveillance réglementaire de Transports Canada

2.6.1 Processus de nomination du personnel de gestion des opérations

Aviation Flycie Inc. a soumis son choix de candidats pour les postes de GDO, de pilote en chef et de PRM à TC pour obtenir l'approbation de confier à ces candidats les fonctions liées à ces postes. Dans le cadre du processus de certification de la compagnie, l'approbation des nominations du personnel de gestion des opérations constituait la dernière étape avant la délivrance du certificat d'exploitation.

2.6.1.1 Expérience

Puisqu'Aviation Flycie Inc. était une compagnie qui commençait ses opérations, il n'existait aucun historique d'exploitation pour guider le personnel de gestion des opérations et, dans le cas à l'étude, l'équipe de gestion proposée se distinguait par son manque d'expérience en exploitation d'un taxi aérien.

Le processus d'approbation de TC évalue chaque candidat séparément, sans soupeser dans son ensemble l'expérience globale de l'équipe de gestion. Par conséquent, outre les mesures de surveillance instaurées par les inspecteurs lors de l'analyse des risques effectuée au moment de la certification, cette nouvelle compagnie n'était assujettie à aucune restriction quant à son expérience globale de gestion, puisque ce n'est pas requis par la norme 723.07 des NSAC.

2.6.1.2 Qualifications

TC a évalué les candidatures proposées selon les critères de la norme 723.07 des NSAC. Selon ces critères, le GDO satisfaisait à la norme du fait de détenir une licence de pilote professionnel, une qualification multimoteur et une qualification de vol aux instruments. Toutefois, le GDO n'était pas qualifié sur le BE10 et n'était pas tenu d'avoir cette qualification aux termes de la norme. Le pilote en chef satisfaisait à la norme du fait d'avoir le nombre minimum d'heures de vol requis au moment de sa mise en candidature pour le poste, d'avoir complété la formation sur le BE10 et d'avoir réussi un CCP. La PRM répondait à la norme puisque cette personne faisait partie du personnel d'Aviation Flycie Inc.

Le processus d'approbation ne tient pas compte des antécédents d'emploi des candidats et, dans le cas de cette compagnie qui démarrait, la nomination des 3 gestionnaires s'était faite simultanément. Bien qu'il puisse le faire, TC n'a pas vérifié auprès des employeurs précédents les références fournies par les candidats, en partie en raison d'une subjectivité potentielle des renseignements qui seraient obtenus de ces employeurs.

Dans le cas de la candidature du pilote en chef, une vérification de ses antécédents auprès de ses employeurs précédents aurait établi que, tout au long de sa carrière, le candidat avait éprouvé des difficultés comme pilote, comme instructeur et lors de ses formations sur bimoteurs, y compris sur le Beech King Air. Si ces renseignements avaient été fournis, ils auraient probablement suscité des inquiétudes légitimes quant à la capacité du candidat à exercer les fonctions de pilote en chef, à agir comme commandant de bord sur le BE10, et a remplir les fonctions de pilote instructeur sur l'appareil.

Ceci dit, TC ne tient pas compte des difficultés antérieures qu'un pilote peut avoir connues dans le cadre du processus d'approbation pour un poste de pilote en chef. En fait, TC ne dispose d'aucun moyen ou d'outil pour rejeter la candidature d'une personne à un poste de gestion des opérations en raison de difficultés antérieures.

2.6.1.3 Connaissances

Les 3 candidats devaient démontrer, par l'entremise d'un examen écrit et d'une entrevue, qu'ils possédaient les connaissances requises pour exercer leurs fonctions. La politique de TC à l'égard de cet examen et de l'entrevue vise à normaliser le processus d'approbation et à établir la base minimale de connaissances nécessaires pour assumer les responsabilités dévolues aux postes visés.

Le GDO et la PRM ont tous deux réussi l'examen et l'entrevue à leur première tentative. Le pilote en chef a réussi l'examen, mais a échoué l'entrevue à sa première tentative en raison d'une faible connaissance du MEC et du RAC. À sa deuxième tentative, 4 jours plus tard, le pilote en chef a répondu aux exigences relatives aux connaissances.

Étant donné que le processus d'approbation n'impose ni délai de reprise de l'entrevue, ni de limite quant au nombre de tentatives en cas d'échec, un candidat peut continuer à se présenter jusqu'à ce qu'il réussisse.

2.6.1.4 Contrôle de la compétence du pilote

Compte tenu des exigences pour se qualifier à exercer les fonctions de commandant de bord sur le BE10, le candidat-pilote en chef devait passer un CCP. Le rendement du pilote lors du CCP a été marginal puisque 4 exercices se sont conclus avec une note de « 2 ». Pour réussir, il ne faut pas avoir plus de 4 notes de « 2 ».

Bien que le pilote ait réussi le CCP, le résultat obtenu suscitait des inquiétudes compte tenu des tâches et responsabilités qui incomberaient au candidat à titre de pilote en chef. On devrait s'attendre à un rendement autre qu'un rendement à la limite de l'échec de la part d'un pilote en chef à qui il incombera de former les pilotes de la compagnie et d'administrer les vérifications de compétence aux co-pilotes. Or, les critères de réussite d'un CCP sont les mêmes pour un candidat-pilote en chef que pour tout autre pilote.

2.6.1.4.1 Administration du contrôle de la compétence du pilote

L'administration du CCP s'est avérée ardue pour le PVA de TC en raison de l'exiguïté du poste de pilotage et des difficultés éprouvées par le pilote dans l'exécution des exercices requis. Le PVA était en surcharge de travail, prenant fréquemment des notes dans des conditions et dans un environnement qui n'étaient pas propices à l'observation du pilote et des données de vol. Toutefois, le PVA peut exiger la répétition d'un exercice du test si les circonstances ne lui ont pas permis de l'évaluer convenablement. De plus, le PVA n'est pas restreint par une durée établie pour le déroulement du CCP.

Dans le cas de l'évaluation d'une approche en monopilote, le candidat a reçu de l'aide du copilote, qui l'a averti d'un écart potentiel d'altitude alors que le PVA était distrait par la prise de notes. Puisque le PVA n'a pas été en mesure d'observer lui-même l'altitude sous l'altitude minimale de descente (MDA) et que le pilote a réagi immédiatement à l'avertissement, le PVA a accordé une note de « 2 » et n'a pas exigé que le pilote répète l'approche, et rien n'exigeait qu'il le fasse.

L'inexpérience du candidat, son échec lors de la première entrevue et ses responsabilités futures à titre de pilote en chef auraient pu inciter le PVA de TC à administrer le CCP selon une interprétation plus rigoureuse des guides régissant l'administration des CCPNote de bas de page 105. Toutefois, aucun critère spécifique n'est prévu dans les guides pour un pilote en chef, et 5 notes de « 2 » sont nécessaires pour que le CCP soit évalué comme un échec. Un CCP exécuté avec certaines notes de « 2 » peut indiquer des faiblesses qui pourraient remettre en question la capacité d'un pilote à agir à titre de commandant. Si les exigences relatives au CCP d'un pilote en chef ne sont pas plus rigoureuses que celles de tout autre pilote, le pilote en chef risque de ne pas être en mesure de s'acquitter des fonctions nécessaires pour assurer la sécurité de la formation et des opérations de la compagnie.

Étant donné que le candidat allait être employé comme pilote en chef, le PVA, qui s'inquiétait du rendement global du pilote, était confronté à un dilemme professionnel. Malgré le rendement marginal du candidat, le PVA devait lui accorder une réussite pour le CCP en raison de l'interprétation que le PVA avait des guides régissant l'administration des CCP.

Par ailleurs, il n'existe aucune limite quant au nombre de reprises d'un CCP. Un pilote qui subit un échec peut suivre une formation supplémentaire et se présenter de nouveau pour un autre CCP, autant de fois qu'il le faut.

Le lendemain du CCP, le PVA de TC a remis une lettre de préoccupation aux inspecteurs responsables de l'approbation des nominations et de la délivrance du certificat d'exploitation, en raison du rendement marginal du candidat-pilote en chef. Le PVA avait relevé des risques pour la sécurité aérienne et suggérait, entre autres, que TC devrait effectuer une évaluation du risque avant la délivrance du certificat d'exploitation d'Aviation Flycie Inc.

2.6.1.4.2 Suspension ou annulation du contrôle de la compétence du pilote

Selon l'Instruction visant le personnel no SUR-014, le ministre a le pouvoir de suspendre ou d'annuler un document d'aviation canadien (DAC), tel qu'un CCP, en cas de danger immédiat pour la sécurité aérienneNote de bas de page 106, lorsqu'il y a des motifs de croire que le pilote est inapteNote de bas de page 107 ou dans l'intérêt du publicNote de bas de page 108.

Les faibles connaissances et aptitudes dont le candidat-pilote en chef a fait preuve dans le cadre du processus d'approbation avaient été relevées par TC comme étant un risque à la sécurité aérienne. Toutefois, selon l'interprétation de l'Instruction visant le personnel no SUR-014 par les inspecteurs de TC, les faiblesses du pilote ne répondaient pas aux critères de suspension ou d'annulation du CCP, principalement du fait que la compagnie n'avait pas encore commencé ses opérations aériennes. Ainsi, en l'absence d'antécédents répétés de non-conformité, les inspecteurs ne détenaient pas suffisamment d'éléments de preuve pour étayer une décision en fonction d'un danger immédiat pour la sécurité aérienne, de l'inaptitude du pilote ou de l'intérêt du public, en particulier dans le contexte où ils avaient le fardeau de prouver selon la prépondérance des probabilités qu'une telle mesure était justifiée.

2.6.2 Approbation des nominations du personnel de gestion des opérations

En bref, le processus de TC en vue de l'approbation du personnel de gestion des opérations nommé par les compagnies se base sur le principe de normes objectives. Si les critères de la norme sont atteints, le ministre a l'obligation d'approuver les nominations individuellement.

Le rendement marginal du pilote tant à l'entrevue que lors du CCP a suscité de sérieuses inquiétudes chez TC à l'égard de sa capacité à assumer les tâches et responsabilités de pilote en chef. Toutefois, la norme des NSAC ne contient aucun critère lié aux niveaux de rendement ou de risques potentiels qui constitueraient un motif de refus de l'approbation, et le RAC ne précise pas dans quelles conditions une telle approbation pourrait être refusée. Selon l'Instruction visant le personnel no SUR-015, toute décision de refuser l'approbation du personnel de gestion d'une compagnie doit être fondée sur les compétences exigées aux termes des NSAC. Ainsi, selon l'interprétation de cette Instruction visant le personnel par les inspecteurs de TC, l'inspecteur n'était pas en mesure de refuser la nomination du pilote en chef sur la base de son faible rendement puisque le candidat satisfaisait aux critères prescrits par la norme.

En appliquant les politiques et processus de TC en place, les inspecteurs de TC avaient déterminé que les conditions minimales pour l'approbation étaient satisfaites de sorte qu'ils devaient approuver la nomination du pilote en chef malgré les inquiétudes soulevées par le PVA. Si le processus d'approbation du personnel de gestion des opérations nommé par les compagnies se résume à une liste de vérification de conformité aux normes minimales des NSAC et au CCP sans limite quant au nombre de reprises, il existe un risque que des candidats inaptes à assumer les tâches et responsabilités liées à leurs postes soient nommés.

Dans le cas à l'étude, au moment de la soumission de sa candidature, le candidat-pilote en chef avait accumulé 259 heures à titre de commandant de bord au cours des 3 années précédentes. Toutefois, au moment de l'approbation de sa nomination par TC 4 mois plus tard, le pilote en chef ne détenait plus les 250 heures au cours des 3 années précédentes qui sont requises aux termes des NSAC. En conséquence, le pilote en chef ne répondait pas aux exigences du RAC au moment de sa nomination.

Avec le recul, il est facile d'arriver à des conclusions qui correspondent aux irrégularités relevées lors de l'enquête. Cependant, dans le cas à l'étude, les nombreuses faiblesses observées chez le candidat-pilote en chef au moment de sa nomination, jumelées au manque d'expérience global du personnel de gestion de la compagnie, permettaient raisonnablement à TC de conclure que la sécurité aérienne chez Aviation Flycie Inc. était à risque.

Toutefois, le processus d'approbation de TC ne prévoit aucun critère d'évaluation de l'équipe de gestion des opérations dans son ensemble, qui dans le cas à l'étude, était inexpérimentée, et était composée de personnes qui ne possédaient qu'une connaissance limitée de l'exploitation d'un taxi aérien. Dans ce contexte, même si le personnel de TC était conscient de la situation précaire dans laquelle cette nouvelle compagnie se trouvait, il n'avait pas les outils nécessaires pour refuser d'approuver les nominations. Si TC ne tient pas compte de l'expérience et des connaissances globales de l'équipe de gestion d'un nouvel exploitant, l'exploitant risque de ne pas avoir les aptitudes nécessaires pour assurer la sécurité des opérations aériennes.

2.6.2.1 Évaluation du risque portant sur les compétences du pilote en chef

Le rapport du PVANote de bas de page 109 a conclu que les faibles connaissances techniques et les aptitudes marginales au vol du pilote en chef compromettaient la qualité de la formation qu'il prodiguerait et portait atteinte à sa capacité d'agir comme commandant de bord en vol monopilote ou lorsque jumelé avec un copilote peu expérimenté. De plus, le PVA de TC a recommandé qu'une évaluation du risque soit faite avant l'approbation de la nomination du pilote en chef.

Puisque le CCP avait été réussi, les inspecteurs de TC ne pouvaient suspendre ou annuler le CCP et ils ne pouvaient pas refuser d'approuver la nomination du pilote en chef en raison d'un rendement globalement marginal. Ainsi, l'évaluation du risque de TC a ciblé uniquement les risques liés aux tâches et responsabilités du pilote en chef et, par conséquent, l'évaluation n'a pas pu tenir compte des inquiétudes que posaient les faiblesses du pilote en chef comme commandant de bord.

L'évaluation du risque n'a pas envisagé l'impact sur la surveillance du pilote en chef que devait exercer le GDO inexpérimenté, en fonction des faiblesses du pilote en chef. Toutefois, les faiblesses observées chez le candidat-pilote en chef, jumelées à une gestion inexpérimentée, ont permis à TC de relever que la surveillance des vols, ainsi que la sécurité aérienne, chez Aviation Flycie Inc. constituaient un risque.

De plus, la formation donnée par le pilote en chef aurait pu avoir une influence directe sur les compétences des copilotes à exécuter leurs tâches en vol. Étant donné que le pilote en chef allait administrer les vérifications de la compétence des nouveaux copilotes, il n'y aurait aucune contre-vérification de la qualité de la formation donnée puisque la vérification des copilotes allait être administrée par le pilote en chef qui les avait formés.

À la suite de l'évaluation du risque, TC a mis en place un calendrier d'inspection de la compagnie à tous les 2 mois et préconisait une communication ouverte avec le GDO. Bien que le GDO ait été conscient du faible rendement du pilote en chef au cours des entrevues avec TC et lors du CCP, aucun document formel n'a été envoyé à Aviation Flycie Inc. détaillant les inquiétudes et les risques soulevés par le PVA de TC dans le cadre du processus d'approbation.

L'évaluation du risque estimait un niveau de risque de « faible-moyen » avec des conséquences négligeables. Toutefois, même si les autres risques d'ordre plus subjectif avaient été évalués et que le résultat avait été un niveau de risque plus élevé, l'inspecteur responsable de l'approbation des nominations du personnel était tenu d'approuver la candidature du pilote en chef puisque ce dernier satisfaisait à tous les critères prescrits par les NSAC.

2.6.3 Délivrance du certificat d'exploitation d'Aviation Flycie Inc.

La sous-partie 703 du RAC oblige le ministre à délivrer un certificat d'exploitation aérienne lorsque le demandeur du certificat a, entre autres, un personnel de gestion approuvé par le ministre conformément aux normes du RACNote de bas de page 110. Puisqu'avec la nomination du personnel de gestion des opérations Aviation Flycie Inc. avait satisfait à tous les critères du RAC, l'inspecteur de TC était tenu d'émettre, au nom du ministre, le certificat d'exploitation, malgré les inquiétudes soulevées et l'évaluation du risque.

Par conséquent, le processus de certification utilisé par TC a permis à Aviation Flycie Inc. de se doter d'un GDO qui n'avait jamais travaillé au sein d'un exploitant aérien, d'une PRM qui ne possédait aucune expérience de maintenance ou de vol en exploitation d'un taxi aérien, et d'un pilote en chef qui venait tout juste d'être promu commandant sur le BE10 à la suite d'un rendement marginal lors de sa nomination.

2.6.4 Surveillance réglementaire des opérations d'Aviation Flycie Inc. par Transports Canada

Étant donné que l'évaluation du risque effectuée au moment de la délivrance du certificat d'exploitation estimait un niveau de risque de « faible-moyen » avec des conséquences négligeables, TC a décidé, entre autres, qu'une inspection de processus (IP) prédéterminée de la compagnie tous les 2 mois serait suffisante pour atténuer les risques cernés. La première IP avait été planifiée pour le 18 juin 2013, mais l'accident s'est produit le 10 juin 2013.

2.6.4.1 L'inspection de processus prédéterminée après l'accident

Huit jours après l'accident, TC a mené l'IP prédéterminée telle que planifiée à la suite de l'évaluation du risqueNote de bas de page 111. Lors de la planification de l'inspection, TC a décidé de ne pas tenir compte des circonstances de l'accident. En conséquence, la portée de l'IP prédéterminée n'a pas été modifiée et a ciblé les processus

  1. du programme de formation,
  2. des plans de vol exploitation,
  3. du temps de vol et du temps de service de vol.

L'accident s'est produit après seulement 41 vols en exploitation commerciale depuis le début des opérations aériennes d'Aviation Flycie Inc., et TC savait que le pilote en chef était aux commandes du C-GJSU lorsque l'appareil a subi une panne sèche.

Compte tenu des faiblesses et des inquiétudes liées au rendement du pilote en chef lors du processus d'approbation de la nomination et de l'inexpérience de l'équipe de gestion des opérations, il aurait été raisonnable de s'attendre à ce que TC procède à une inspection plus approfondie des opérations aériennes d'Aviation Flycie Inc. lors de cette IP. Toutefois, en raison des autres activités post-accident effectuées par TCNote de bas de page 112, il a été décidé que la portée de l'IP se limiterait aux processus déjà ciblés. Si les IP de TC ne se penchent pas sur les facteurs liés à un événement récent, ces conditions dangereuses risquent de passer inaperçues et de perdurer.

L'objectif de l'IP était de déterminer si les processus ciblés fonctionnaient et de s'assurer que les exigences réglementaires étaient respectées. L'examen du processus de formation n'a pas décelé qu'un nouveau copilote effectuait des vols commerciaux avec passagers. L'examen n'a pas relevé le fait que le copilote effectuait ces vols sans avoir complété la formation au sol et en vol requise aux termes du MEC, et alors que la compagnie ne détenait pas la spécification d'exploitation 011, qui aurait permis d'effectuer ces vols avec un seul pilote qualifié.

L'examen des plans de vol exploitation effectué dans le cadre de l'IP n'a donné lieu à aucune constatation. Or, l'examen de ces plans de vol a démontré qu'il n'aurait pas été possible d'effectuer certains des vols en conformité avec le MEC. Par exemple, la quantité totale de carburant requise pour effectuer un des vols excédait la capacité totale des réservoirs du C-GJSU. Ni la quantité totale de carburant requise, ni la quantité totale de carburant à bord du C-GJSU ne figuraient au plan de vol exploitation, et la réglementation ne l'exigeait pas.

Le registre du temps de service de vol et des périodes de repos utilisé par la compagnie n'était pas le formulaire prescrit par le MEC, bien que tous les champs aient été recueillis. Toutefois, en raison de la façon dont il avait été rempli, le registre indiquait toujours que le pilote en chef était en congé lorsqu'il n'effectuait pas de vol. Par conséquent, il n'a pas été possible de déterminer si les périodes de repos étaient respectées lorsque le pilote en chef effectuait des tâches administratives et donnait de la formation au sol.

Ainsi, l'enquête a établi que plusieurs irrégularités opérationnelles et de conformité à la réglementation existaient aux dossiers liés aux 3 processus de la compagnie ciblés par l'IP de TC, et que ces irrégularités n'ont pas été décelées lors de l'IP. Si les IP menées par TC auprès des nouveaux détenteurs de certificats n'examinent pas en détail les résultats des processus de la compagnie, des conditions dangereuses risquent de ne pas être décelées et de perdurer.

2.6.4.2 Gestion de la sécurité et surveillance

La Liste de surveillance 2014 du BST souligne un enjeu qui traite spécifiquement de la gestion de la sécurité et de la surveillance. Les solutions proposées par le BST à cet égard pourraient réduire la probabilité que les circonstances de non-conformités répétées continuent et ainsi réduire la probabilité qu'un tel accident se reproduise.

L'événement à l'étude a démontré que la compagnie n'a pas su gérer ses risques de sécurité de façon efficace. Dans ces circonstances, TC doit non seulement intervenir, mais le faire de façon à changer les pratiques d'exploitation non sécuritaires.

2.6.4.3 Révocation de la nomination d'un pilote en chef

La supervision et la formation inadéquates des pilotes de la compagnie ont été relevées par TC dans l'évaluation du risque comme étant un danger potentiel. Les renseignements recueillis indiquaient que le pilote en chef avait démontré, à 3 occasions, une faible connaissance des normes établies concernant la formation des pilotes. À une occasion, le pilote en chef a administré une vérification de la compétence du pilote (VCP) à un copilote alors qu'il y avait des passagers à bord, dont le GDO. Un mois après l'accident, le pilote en chef a donné de la formation sur un type d'aéronef sans avoir les qualifications nécessaires sur cet appareil, et par la suite il a recommandé un pilote qui n'avait pas suivi la formation requise pour un CCP avec un PVA de TC. À la lumière de ce qui précède, il semble que les risques relevés dans le cadre du processus d'approbation des nominations se sont avérés réels.

Toutefois, la révocation d'une approbation ministérielle n'est possible que si une des normes initiales n'est plus satisfaiteNote de bas de page 113. En raison de la nature restrictive de l'Instruction visant le personnel no SUR-015, la suspension ou la révocation de l'approbation de la nomination d'une personne occupant un poste de gestion des opérations ne dépend pas de l'aptitude du candidat à assumer les tâches et responsabilités du poste. Si l'inaptitude des personnes nommées à assumer leurs tâches et responsabilités n'est pas un motif pour une suspension ou une révocation de l'approbation ministérielle de telles nominations, il existe un risque que du personnel de gestion des opérations incompétent demeure en poste, ce qui augmente le risque pour la sécurité aérienne.

Il est raisonnable de conclure que le processus d'approbation de TC, qui vise à convaincre le ministre des Transports que le personnel de gestion des opérations d'Aviation Flycie Inc. était en mesure d'assumer ses tâches et responsabilités, n'a pas été efficace. De plus, une fois les nominations approuvées, l'application des critères restrictifs de l'Instruction visant le personnel no SUR-015 ne permettait pas à TC de suspendre ou de révoquer les approbations du personnel sur la base de leur inaptitude à assumer les tâches et responsabilités.

3.0 Faits établis

3.1 Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

  1. Le pilote s'est fié uniquement à l'indication des jauges pour déterminer la quantité de carburant à bord, sans contre-vérification de la consommation de carburant depuis le dernier plein pour valider cette lecture des jauges.
  2. Le pilote a mal interprété l'indication des jauges de carburant et a supposé que l'appareil avait suffisamment de carburant à bord pour répondre aux normes relatives à la quantité minimale de carburant du Règlement de l'aviation canadien pour effectuer le vol selon les règles de vol à vue, plutôt que d'ajouter du carburant pour avoir de plus grandes réserves de carburant conformément aux exigences du manuel d'exploitation de la compagnie.
  3. Le pilote n'a pas surveillé les jauges de carburant pendant le vol et a décidé de prolonger le vol pour pratiquer une approche aux instruments alors qu'il n'y avait pas suffisamment de carburant à bord pour compléter l'approche.
  4. Le moteur droit s'est arrêté en raison d'une panne sèche.
  5. Le pilote n'a pas complété la procédure en cas de panne moteur approuvée lorsque le premier moteur s'est arrêté, et l'hélice n'a pas été mise en drapeau, ce qui a provoqué une traînée importante qui a réduit la distance de vol plané après l'arrêt du deuxième moteur.
  6. Le pilote a poursuivi le vol en direction de l'aéroport Montréal/St-Hubert (Québec) [CYHU], même s'il avait informé le contrôle de la circulation aérienne qu'il avait l'intention de se dérouter sur l'aéroport de St-Mathieu-de-Beloeil (Québec) [CSB3], et sans communiquer la situation d'urgence. La priorité accordée aux communications a fait en sorte que l'appareil s'est éloigné de l'aéroport de déroutement prévu.
  7. Le moteur gauche s'est arrêté en raison d'une panne sèche 36 secondes après l'arrêt du moteur droit, alors que l'appareil se trouvait à 7,4 milles marins de la piste 24R à l'aéroport Montréal/St-Hubert (Québec) [CYHU], et à 2400 pieds au-dessus du niveau de la mer.
  8. La décision du pilote de sortir le train d'atterrissage alors que l'appareil se trouvait à 1600 pieds au-dessus du niveau de la mer a augmenté davantage la trainée, ce qui a réduit la distance de vol plané de l'appareil. En conséquence, l'appareil n'a pas pu atteindre la piste à l'aéroport de St-Mathieu-de-Beloeil (Québec) [CSB3].
  9. Le gestionnaire des opérations n'a pas su assumer les tâches et responsabilités du poste liées au contrôle et à la supervision des opérations aériennes. En conséquence, la sécurité de plus de la moitié des vols a été compromise.

3.2 Faits établis quant aux risques

  1. Si la quantité totale de carburant requise pour un vol n'est pas calculée et n'apparaît pas clairement sur le plan de vol exploitation, il y a un risque accru que les aéronefs décollent sans avoir les réserves de carburant requises aux termes du Règlement de l'aviation canadien.
  2. Si les vols sont planifiés et effectués sans avoir toutes les réserves de carburant requises aux termes du Règlement de l'aviation canadien, cela augmente le risque de panne sèche en cas de situations imprévues qui prolongent le vol.
  3. Si les pilotes décident de prolonger le vol sans tout d'abord déterminer si les réserves de carburant sont suffisantes, cela augmente le risque de panne sèche.
  4. Si les pilotes ne vérifient pas régulièrement la quantité de carburant à bord, cela augmente le risque de panne sèche.
  5. Si les pilotes n'écartent pas la possibilité d'une fuite de carburant avant d'ouvrir le robinet d'intercommunication, ils risquent de vider tout le carburant restant à bord.
  6. Si le pilote ne garde pas la maîtrise d'un appareil jusqu'à l'atterrissage, la force d'un impact à la suite d'un décrochage aérodynamique risque d'être beaucoup plus importante, ce qui augmente le risque de blessures ou de décès au cours d'un atterrissage forcé.
  7. Si un pilote ne déclare pas une situation d'urgence au contrôle de la circulation aérienne en temps voulu, le pilote pourrait être privé de l'assistance et des ressouces qui pourraient l'aider à gérer l'urgence, ce qui augmente le risque d'accident.
  8. Si les pilotes ne reçoivent pas de formation sur la façon de gérer des urgences complexes qui exigent une priorisation des tâches, ils risquent de ne pas réagir efficacement à des urgences, ce qui augmente le risque d'accident
  9. Si les compagnies n'établissent pas un processus pour surveiller le rendement de leurs pilotes durant la formation et les tests en vol, ces compagnies risquent d'affecter par inadvertance des pilotes pour effectuer des vol pour lesquels ils n'ont pas les compétences voulues.
  10. Si le pilote planifie son vol et l'autorise lui-même sans contre-vérification de la conformité à la réglementation en vigueur, des écarts risquent de continuer à passer inaperçus, ce qui réduit la sécurité du vol.
  11. Si les pilotes œuvrent sans supervision régulière visant à s'assurer de la conformité à la réglementation et aux procédures de la compagnie, jumelée à une formation efficace, il risque de se produire des adaptations aux procédures qui entraînent une réduction des marges de sécurité.
  12. Si les compagnies affectent du personnel inexpérimenté aux postes clés de gestion des opérations aériennes, il y a un risque accru que des écarts de rendement ou des dérogations à la réglementation ne soient pas décelés, ce qui réduit la sécurité des opérations aériennes.
  13. Si les exigences relatives au contrôle de la compétence du pilote d'un pilote en chef ne sont pas plus rigoureuses que celles de tout autre pilote, le pilote en chef risque de ne pas être en mesure de s'acquitter des fonctions nécessaires pour assurer la sécurité de la formation et des opérations de la compagnie.
  14. Si le processus d'approbation du personnel de gestion des opérations nommé par les compagnies se résume à une liste de vérification de conformité aux normes minimales des Normes de service aérien commercial et au contrôle de la compétence du pilote sans limite quant au nombre de reprises, il existe un risque que des candidats inaptes à assumer les tâches et responsabilités liées à leurs postes soit nommés.
  15. Si Transports Canada ne tient pas compte de l'expérience et des connaissances globales de l'équipe de gestion d'un nouvel exploitant, l'exploitant risque de ne pas avoir les aptitudes nécessaires pour assurer la sécurité des opérations aériennes.
  16. Si les inspections de processus de Transports Canada ne se penchent pas sur les facteurs liés à un événement récent, ces conditions dangereuses risquent de passer inaperçues et de perdurer.
  17. Si les inspections de processus menées par Transports Canada auprès des nouveaux détenteurs de certificats n'examinent pas en détail les résultats des processus de la compagnie, des conditions dangereuses risquent de ne pas être décelées et de perdurer.
  18. Si l'inaptitude des personnes nommées à assumer leurs tâches et responsabilités n'est pas un motif pour une suspension ou une révocation de l'approbation ministérielle de telles nominations, il existe un risque que du personnel de gestion des opérations incompétent demeure en poste, ce qui augmente le risque pour la sécurité aérienne.

3.3 Autres faits établis

  1. Le pilote en chef ne satisfaisait pas aux exigences du Règlement de l'aviation canadien au moment de sa nomination.
  2. Rien n'indique que les jauges de carburant de l'appareil ne fonctionnaient pas normalement au moment du vol de l'accident, et il est improbable qu'un écart d'indication ait été un facteur dans la décision de départ du pilote.
  3. Le C-GJSU avait environ 260 livres de carburant à bord lorsqu'il a décollé de l'aéroport de Montréal/St-Hubert (Québec) [CYHU] et n'a pas subi une fuite de carburant pendant le vol de l'accident.

Le présent rapport conclut l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .

Annexes

Annexe A – Exigences relatives au carburant stipulées dans le manuel d'exploitation de la compagnie

Source : Air Flycie Inc., Company Operations Manual [Manuel d'exploitation de la compagnie, disponible en anglais seulement]
Exigences relatives au carburant stipulées dans le manuel d'exploitation de la compagnie

Annexe B – Matrice de l'indice de risque (TC SGDI-6001872)

(Version abrégée)

Formule de mesure des risques
Au moment de procéder à une Analyse des risques, le Niveau de risque repose sur une évaluation des deux facteurs suivants :

     Vraisemblance qu'un scénario de risque se produise et
     Gravité des événements.

Le Niveau de risque est une combinaison de deux variables (un chiffre et une lettre) résultant de l'intersection entre la VRAISEMBLANCE et la GRAVITÉ dans la matrice présentée au tableau 1 ci-dessous.
Vraisemblance (V)

Quelle est la Vraisemblance que cette chronologie d'événements/situations/activités se matérialise durant l'intervalle d'exposition?
4 – Probable
  • Se produira à plusieurs reprises durant l'intervalle d'exposition
  • Statistiquement 10-3 – 10-5
  • L'événement devrait survenir dans la majorité des situations
Gravité (G)

La chronologie d'événements s'est produite. Quelle est la gravité des conséquences?
A
Négligeable
  • Faible à aucune incidence sur les objectifs du programme de TCAC ou du système
  • Moins que des blessures mineures et/ou que des dommages systémiques mineurs

Personnel : Pas de blessures.

Exploitation : Retard opérationnel minime sans coûts immédiats.

Équipement : Pas de dégâts ou retard technique mineur sans coûts immédiats.

Environnement : Déversement minime confiné qui ne menace pas de façon significative la qualité de vie des humains et/ou de l'habitat.

Attention des médias : Aucune attention des médias.

Confiance du public : Aucune perte de confiance du public.

Tableau 1. Matrice des risques
Niveau de risque = intersection entre la Vraisemblance et la Gravité
Matrice des risques
Indicateur de risque Niveau de risque Décision suggérée
1D, 2C, 3B, 4A Faible – moyen Procéder après avoir tenu compte des éléments de risque. Les efforts de gestion valent la peine.

Source : Transports Canada

Annexe C – Liste des acronymes et des abréviations

AFM
manuel de vol de l'aéronef
AIM de TC
Manuel d'information aéronautique de Transports Canada
agl
au-dessus du sol
asl
au-dessus du niveau de la mer
ATC
contrôle de la circulation aérienne
AWOS
système automatisé d'observations météorologiques
BE10
Beechcraft King Air 100
BEA
Bureau d'Enquêtes et d'Analyses pour la sécurité de l'aviation civile (France)
BST
Bureau de la sécurité des transports du Canada
CCP
contrôle de la compétence du pilote
CHKL
liste de vérification en situation normale
CSB3
aéroport de St-Mathieu-de-Beloeil (Québec)
CVR
enregistreur de la parole dans le poste de pilotage
CYFC
aéroport de Fredericton (Nouveau-Brunswick)
CYHU
aéroport de Montréal/St-Hubert (Québec)
CYRI
aéroport de Rivière-du-Loup (Québec)
CYUL
aéroport Montréal/Pierre-Elliott Trudeau International (Québec)
CYYG
aéroport de Charlottetown (Île-du-Prince-Édouard)
CYZV
aéroport de Sept-Îles (Québec)
DAC
document d'aviation canadien
ECHKL
liste de vérification en cas de situations anormales et d'urgence
ELT
radiobalise de repérage d'urgence
FAA
Federal Aviation Administration (États-Unis)
GAS GEN
paramètre générateur de gaz
GDO
gestionnaire des opérations
GPS
système mondial de positionnement
IFR
règles de vol aux instruments
ILS
système d'atterrissage aux instruments
IP
inspection de processus
M
magnétique (degrés)
MANOPS ATC
Manuel d'exploitation du contrôle de la circulation aérienne
MDA
altitude minimale de descente
MEC
manuel d'exploitation de la compagnie
nm
mille marin
NSAC
Normes de service aérien commercial
VCP
vérification de la compétence du pilote
PRM
personne responsable de la maintenance
PVA
pilote vérificateur agréé
RAC
Règlement de l'aviation canadien
RNAV
navigation de surface
SOP
procédures d'utilisation normalisées
TC
Transports Canada
tr/min
tours par minute
VFR
règles de vol à vue