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Rapport d'enquête maritime M12L0098

Risque d'abordage
Vraquier Bulk Japan et
remorqueur Wilf Seymour avec chaland Alouette Spirit
Golfe du Saint-Laurent (Québec)
le



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Le 6 août 2012, vers 14 h (heure avancée de l’Est), le vraquier Bulk Japan s’est trouvé dans une situation très rapprochée avec le remorqueur Wilf Seymour pendant que celui-ci poussait le chaland Alouette Spirit dans le golfe du Saint-Laurent, près de Sept-Îles (Québec).

Renseignements de base

Fiches techniques des navires

Fiches techniques des navires
Nom du navire Wilf Seymour Alouette Spirit Bulk Japan
Numéro de registre ou de permis 822429 825966 31945-06
Numéro OMI 5215789 Aucun 9310290
Port d’immatriculation Hamilton Hamilton Panama
Pavillon Canadien Canadien Panama
Type Remorqueur Chaland Vraquier
Jauge brute 442 10 087 42 887
LongueurNote de bas de page 1 34,46 m 129,59 m 228,99 m

Tirant d’eau

Avant : 5,95 m
Arrière : 6,25 m
Avant : 5,08 m
Arrière : 6,11 m
Avant : 3,79 m
Arrière : 7,62 m
Construction 1961,
Gulfport Shipbuilding Corp.
(États-Unis)
1969,
Gulfport Shipbuilding Corp.
(États-Unis)
2006,
Cosco (Dalian) Shipyard (Chine)
Propulsion 2 moteurs diesel (4290 kW au total) entraînant 2 hélices à pas fixe Aucune propulsion 1 moteur diesel (9800 kW) entraînant 1 hélice à pas fixe
Cargaison Aucune Lingots d’aluminium Lest
Membres d’équipage 10 Aucun 20
Propriétaires/gestionnaires enregistrés McKeil Work Boats Limited McKeil Work Boats Limited Common Progress Compania Naviera

Description des navires

Bulk Japan

Photo 1. Bulk Japan
Bulk Japan

Le vraquier Bulk Japan est un navire fait d’acier dont la salle des machines et les emménagements sont situés à l’arrière (photo 1). Le navire auto-déchargeurNote de bas de page 2 a 7 cales à marchandises et des écoutilles de chargement. La passerelle est pourvue de tout le matériel de navigation nécessaire. La console de navigation est décalée du mur avant de la passerelle et comprend la barre de gouverne, au centre, et un transmetteur d’ordres qui permet de commander la propulsion. La console de navigation comprend aussi les 2 radars du navire (3 cm et 10 cm), installés à gauche de la barre de gouverne. Les 2 radars sont pourvus d’aides radar au pointage automatique (ARPA). La passerelle est équipée de 2 radiotéléphones très haute fréquence (VHF), un monté à la droite de la barre de gouverne sur la console de navigation et l’autre sur le mur avant de la passerelle à environ 2 mètres à la gauche de l’axe du navire.

Wilf Seymour et Alouette Spirit

Le Wilf Seymour est un remorqueur côtier traditionnel en acier pourvu de 2 postes de commande de la manœuvre : un à l’avant du pont principal et l’autre dans un poste de barre surélevé. Le poste de commande de la manœuvre supérieur tient lieu de passerelle de navigation principale puisqu’il permet une visibilité dégagée dans toutes les directions. Le poste de commande de la manœuvre inférieur a été mis hors service.

La passerelle de navigation principale est pourvue de tout le matériel de navigation nécessaire, y compris 2 radars de 3 cm (dont un est équipé d'un système d'aide au pointage radar automatique), des radiotéléphones VHF, un compas magnétique, un compas gyroscopique et un système d'identification automatique (SIA). Elle comprend aussi un autre radar avec aide radar au pointage automatique (ARPA) qui est utilisé seulement pour la navigation de nuit en hiver.

Au moment de l’événement, le navire formait avec le chaland Alouette Spirit un ensemble remorqueur-chaland (photo 2). L’Alouette Spirit est un chaland polyvalent à levage et à roulage (ro-ro/lo-lo)Note de bas de page 3 qui peut transporter un large éventail de produits en vrac et de marchandises générales sur le pont. Il est pourvu d’une porte-rampe intégrée et d’un propulseur d’étrave télécommandé à partir du remorqueur pour améliorer la manœuvrabilité. Le chaland a un auvent rétractable qui protège le chargement contre les éléments et 2 portes latérales (1 de chaque côté du navire) pour le chargement et le déchargement. L’Alouette Spirit a une capacité de 10 500 tonnes.

Photo 2. Wilf Seymour et Alouette Spirit
<em>Wilf Seymour</em> et <em>Alouette Spirit</em>

Déroulement du voyage

Wilf Seymour

Le Wilf Seymour a quitté Sept-Îles (Québec) le 6 août 2012 à 11 h 55Note de bas de page 4 attelé au chaland Alouette Spirit,qui était chargé de 10 450 tonnes de lingots d’aluminium. Le remorqueur et le chaland se dirigeaient vers Oswego (New York) aux États-Unis, en remontant la voie maritime du Saint-Laurent.

L’équipe de la passerelle comprenait alors le capitaine et le second officier agissant comme officier de quart. Vers 12 h 55, le capitaine a appelé les Services de communications et de trafic maritimes (SCTM) Les EscouminsNote de bas de page 5 pour signaler la position du navire. Le remorqueur et le chaland laissaient Pointe à la Chasse par le travers (annexe A). Les SCTM ont répondu à l’appel et ont fourni des renseignements sur la circulation. Le seul navire à proximité était le Bulk Japan, qui avait passé par 066°00'00" WNote de bas de page 6 et se dirigeait vers Port-Cartier (Québec). Immédiatement après, le capitaine du Wilf Seymour a remis la commande de la manœuvre à l’officier de quart et a quitté la passerelle. Le navire suivait un cap de 216° Vrai (V) à une vitesse de 6,5 nœudsNote de bas de page 7.

Vers 13 h 05, l’officier de quart a détecté une cible sur le radar; la cible était sur le côté bâbord du Wilf Seymour à environ 12 milles marins (nm). L’officier de quart a acquis la cible avec l’aide radar au pointage automatique (ARPA) et a vérifié l’information sur le système d’identification automatique (SIA) tandis que le système calculait les données de la cibleNote de bas de page 8. Le SIA a indiqué que la cible était le navire Bulk Japan et que le point de rapprochement maximal (CPA) était d’environ 0,3 nm. Le système de pointage automatique du radar a confirmé le CPA et a indiqué que le Bulk Japan croiserait la route du Wilf Seymour sur l’avant.

Comme le Wilf Seymour était le navire privilégié, l’officier de quart a maintenu le cap et la vitesse tout en continuant de surveiller le Bulk Japan, qui devait céder le passageNote de bas de page 9. À 13 h 46, le Bulk Japan se trouvait à moins de 4,6 nm et l’officier de quart, inquiet de la possibilité d’une situation très rapprochée, a tenté d’appeler le Bulk Japan sur le canal 14 du radiotéléphone VHFNote de bas de page 10.

Bulk Japan

Le Bulk Japan avait quitté Skagen (Danemark) le 28 juillet 2012, sur lest, en direction de Port-Cartier pour charger 81 285 tonnes de concentré de minerai de fer. Le 6 août 2012, le navire a signalé sa présence aux SCTM, à 12 h 25, au passage par 066°00'00" W au point d’appel 1C. Après être sorti de la voie de circulation, le navire a modifié son cap à 270 °V et a maintenu une vitesse de 12,7 nœuds sur son dernier tronçon vers le mouillage de Port-Cartier, passant à une distance de 5 nm de l’île du Corossol. À ce moment, l’équipe à la passerelle du Bulk Japan se composait de l’officier de quart et du timonier, qui agissait à titre de vigie. Étant à environ 1 heure de sa destination, le navire naviguait en mode de manœuvre.

À 13 h 20, l’officier de quart du Bulk Japan a détecté une cible sur le radar et a observé visuellement un remorqueur et un chaland qui approchaient par tribord. L’officier de quart a calculé la cible avec l’aide radar au pointage automatique (ARPA). Les données indiquaient que le remorqueur et le chaland se déplaçaient à une vitesse de 6,5 nœuds et que le Bulk Japan croiserait leur route sur l’avant dans 52 minutes à un CPA de 1,2 nm. L’officier de quart a alors ordonné au timonier de modifier le mode de direction de la position automatique à la position manuelle et a demandé un autre membre d’équipage sur la passerelle. Le membre d’équipage additionnel est arrivé peu après, et l’officier de quart lui a demandé de prendre le poste de vigie et de surveiller visuellement le remorqueur et le chaland à tribord. L’officier de quart a continué de surveiller le remorqueur et le chaland par radar et par relèvements visuels. Entre 13 h 20 et 13 h 40, le relèvement visuel a augmenté et le point de rapprochement maximal variait entre 1,1 et 1,2 nm. Au cours de cette période, la vitesse du Bulk Japan a augmenté graduellement à 13,7 nœuds. À 13 h 47, l’officier de quart a répondu à un appel du Wilf Seymour sur le radiotéléphone VHF.

Séquence qui a mené à la situation très rapprochée

L’officier de quart à bord du Wilf Seymour a d’abord tenté d’appeler le Bulk Japan à 13 h 46 min 19 sNote de bas de page 11 sur le canal 14 du radiotéléphone VHF. Il n’a pas réussi et a réessayé sur le canal 16. L’officier de quart du Bulk Japan a répondu sur le canal 16, et ils ont convenu de passer au canal 8. L’officier de quart du Wilf Seymour a alors fait 2 tentatives de communication avec le Bulk Japan sur le canal 8, sans résultat. À 13 h 53 min 26 s, l’officier de quart du Wilf Seymour a communiqué avec les SCTM et demandé une vérification radio. Les SCTM ont confirmé la bonne réception et ont proposé de communiquer avec le Bulk Japan. Les SCTM ont essayé de contacter le Bulk Japan à 2 reprises sur le canal 14, sans succès.

À 13 h 54 min 15 s, les navires étaient séparés d’environ 3,3 nm avec un CPA d’environ 0,25 nm. L’officier de quart du Wilf Seymour a de nouveau communiqué avec l’officier de quart du Bulk Japan sur le canal 16, et ils ont convenu de passer au canal 14. Une fois sur le canal 14, l’officier de quart du Wilf Seymour a demandé à l’officier de quart du Bulk Japan ce qu’il comptait faire et s’il allait mettre la barre à droite pour passer à l’arrière du Wilf Seymour. Le Bulk Japan a rejeté la demande et a plutôt proposé au Wilf Seymour que les deux navires modifient légèrement leur cap vers bâbord afin d’augmenter le CPA. Cette proposition a été refusée par le Wilf Seymour sur le fondement du Règlement international pour prévenir les abordages en mer (COLREGS),qui prévoit que le navire privilégié ne doit pas abattre sur bâbord pour un navire qui est à bâbord sur luiNote de bas de page 12.

À approximativement 13 h 56, l’officier de quart du Wilf Seymour a appelé le capitaine pour lui demander de l’aide; le capitaine est immédiatement revenu sur la passerelle. Entre-temps, les SCTM avaient communiqué avec l’officier de quart du Bulk Japan pour connaître ses intentions, mais n’ont pas pu obtenir de réponse claire. À ce moment, l’officier de quart du Bulk Japan avait appelé le capitaine pour obtenir son aide sur la passerelle. À 13 h 59 min 49 s, l’officier de quart du Wilf Seymour a encore une fois appelé le Bulk Japan pour savoir si le navire modifiait son cap à tribord. Peu après, le régulateur du trafic maritime des SCTM a demandé à parler au capitaine du Bulk Japan.

Lorsque le capitaine du Bulk Japan est arrivé sur la passerelle et a vu le remorqueur et le chaland si près à tribord, il a ordonné à l’officier de quart de réduire la vitesse à demi-vitesse avant sur le transmetteur d’ordres. Il a ensuite pris la radio de l’officier de quart et a répondu aux SCTM. Les SCTM ont informé le capitaine que le Wilf Seymour demandait que le Bulk Japan modifie son cap à tribord pour passer à l’arrière. Les SCTM lui ont demandé ce qu’il comptait faire. Le Bulk Japan a répondu qu’ils allaient essayer. Il était alors environ 14 h 01 et les navires étaient séparés d’environ 2 nm avec un CPA d’environ 0,25 nm. Sans confirmation des intentions du Bulk Japan, le capitaine du Wilf Seymour a émis 1 son bref et 3 sons prolongés au sifflet pour alerter son équipage et a inversé les moteurs pour arrêter et laisser l’autre navire traverser sur l’avant. Le sifflet n’a émis aucun signal de manœuvre ni aucun signal d’avertissementNote de bas de page 13, mais le capitaine a diffusé la manœuvre d’inversion des moteurs sur le canal 14.

Peu après, les SCTM ont informé le capitaine du Bulk Japan que le Wilf Seymour inversait ses moteurs. Le Bulk Japan a confirmé l’appel et a répondu qu’il maintiendrait son cap et sa vitesse pour croiser sur l’avant le remorqueur et le chaland. Vers 14 h 05, le Bulk Japan a croisé sur l’avant la route du Wilf Seymour à une vitesse de 11,4 nœuds et avec un CPA de 1,2 nm.

Région où s’est produit l’événement

La région près de Sept-Îles fait partie du golfe du Saint-Laurent et est une zone de navigation non abritée (annexe A). La profondeur minimale de l’eau dans la zone se prolongeant jusqu’à l’île la plus au sud de Sept-Îles est de 50 mNote de bas de page 14. Au moment de l’événement, les deux navires étaient hors des voies de circulationNote de bas de page 15 : le Wilf Seymour était dans la zone de navigation côtière, tandis que le Bulk Japan venait tout juste de quitter sa voie de circulation et se trouvait dans une zone de prudenceNote de bas de page 16.

Conditions environnementales

Le jour de l’événement, le ciel était clair et les vents soufflaient de l’ouest-sud-ouest à une vitesse de 10 à 15 nœuds avec une marée de 1,5 m.

Certification et expérience du personnel

Wilf Seymour

Le capitaine naviguait pour l’entreprise Wilf Seymour depuis 1988 et avait occupé le poste de capitaine sur différents remorqueurs et chalands depuis 1997. L’officier de quart naviguait à titre d’officier de pont depuis août 2010, mois où il s’est joint à l’équipage du Wilf Seymour. Tous les membres de l’équipage possédaient les certificats appropriés pour les postes qu’ils occupaient à bord.

Bulk Japan

Le capitaine avait travaillé à titre de capitaine sur différents navires depuis 1990 et sur le Bulk Japan depuis janvier 2012. L’officier de quart naviguait à titre d’officier de pont depuis octobre 2005 et s’était joint au Bulk Japan au poste d’officier de quart en janvier 2012. Tous les membres de l’équipagepossédaient les certificats appropriés pour les postes qu’ils occupaient à bord.

Certificats du navire

Wilf Seymour

Le Wilf Seymour avait les certificats et l’équipement exigés aux termes des règlements en vigueur.

Bulk Japan

Le Bulk Japan avait les certificats et l’équipement exigés aux termes des règlements en vigueur.

Règlement international pour prévenir les abordages en mer

Le Règlement international pour prévenir les abordages en mer (COLREGS) est une convention internationale qui établit notamment les règles que les navires doivent suivre en mer dans les situations qui présentent un risque d’abordage. Le Canada a adopté les règles qui « s’appliquent à tous les navires en haute mer et dans toutes les eaux attenantes accessibles aux navires de merNote de bas de page 17. » Les gouvernements ou les états peuvent adopter des règles particulières pour leurs voies navigables, mais ces règles particulières doivent se rapprocher le plus possible de celles du COLREGSNote de bas de page 18.

Risque d’abordage et situation très rapprochée

Aucune distance n’est établie pour parler d’une situation très rapprochéeNote de bas de page 19, puisque plusieurs facteurs et perceptions sont en jeu et peuvent différer selon le point de vue du personnel qui commande la manœuvre des navires en cause. Farwell’s Rules of the Nautical Road a établi certains facteurs dont on doit tenir compte dans l’évaluation du risque d’abordage, y compris le relèvement radar entre les navires, leur vitesse d’approche, le CPA estimé, la visibilité et la présence d’autres dangers de navigation ou d’abordageNote de bas de page 20. La perception du risque doit évoluer au même rythme que l’évolution des variables. Dans certains cas, les risques d’abordage ne sont pas évidents ou sont évalués comme étant minimaux. Toutefois, le COLREGS précise ce qui suit : « S’il y a doute quant au risque d’abordage, on doit considérer que ce risque existeNote de bas de page 21. »

Tableau 1. Point de rapprochement maximal selon la vitesse moyenne du Bulk Japan
Heure Point de
rapprochement
maximal
Vitesse
13 h 03 à 13 h 20 0,3 nm 12,7 nœuds
13 h 20 à 13 h 48 1,2 nm 13,6 nœuds
13 h 48 à 13 h 59 0,25 nm 13,3 nœuds

À mesure que les perceptions du risque changent, des directives permanentes de passerelleNote de bas de page 22 peuvent être utilisées pour aider l’officier de quart à évaluer une situation très rapprochée ou un risque d’abordage. Le Bulk Japan avait des directives permanentes de passerelle, mais elles ne comprenaient aucune instruction précise du capitaine sur la gestion d’une situation très rapprochée.

Dans le cas de cet événement, le CPANote de bas de page 23 variait entre 1,2 et 0,25 nm et la vitesse de rapprochement était modifiée à mesure que les navires se rapprochaient (tableau 1). Les officiers de quart des deux navires ont d’abord évalué la situation de façon différente selon l’heure et la période où chacun a détecté la présence de l’autre.

Navires dont les routes se croisent

Le COLREGS stipule que lorsque 2 navires « font des routes qui se croisent de telle sorte qu’il existe un risque d’abordage, le navire qui voit l’autre navire sur tribord doit s’écarter de la route de celui-ci et, si les circonstances le permettent, éviter de croiser sa route sur l’avantNote de bas de page 24. » S’il devient évident que le navire qui est dans l’obligation de s’écarter de sa route n’effectue pas la manœuvre, le navire privilégié peut effectuer une manœuvreNote de bas de page 25. Le COLREGS indique aussi que « Lorsque deux navires en vue l’un de l’autre s’approchent l’un de l’autre et que […] l’un d’eux […] se demande si l’autre navire prend les mesures suffisantes pour éviter l’abordage, le navire qui a des doutes les exprime immédiatement en émettant au sifflet une série rapide d’au moins cinq sons brefsNote de bas de page 26. »

Utilisation des radiotéléphones VHF pour éviter les abordages

Une modification canadienne au COLREGS indique ce qui suit : « lorsque l’identification certaine réciproque des navires a été faite, un navire peut faire usage du radiotéléphone entre passerelles, en remplacement des signaux au sifflet exigés, pour parvenir à un accord quant à la rencontre, au croisement ou au rattrapage. Si un accord n’est pas obtenu, les signaux au sifflet requis doivent être émis rapidement et doivent avoir préséanceNote de bas de page 27. »

Dans la région des Grands Lacs, les navires utilisent couramment le radiotéléphone VHF pour s’entendre lorsqu’ils rencontrent un autre navire, croisent la route d’un autre navire ou rattrapent un navire. Puisque le Wilf Seymour naviguait principalement sur les Grands Lacs et le fleuve Saint-Laurent, son officier de quart et son capitaine avaient l’habitude d’utiliser le radiotéléphone pour obtenir des ententes dans de telles situations. Le radiotéléphone VHF est toutefois peu utilisé à l’échelle internationale pour éviter les abordages et peut prolonger une situation très rapprochée ou un risque d’abordage lorsque les perceptions sont différentes et qu’une entente immédiate n’est pas obtenue.

Dans l’événement en cause, près de 15 minutes se sont écoulées entre le moment où le Wilf Seymour a fait le premier appel au Bulk Japan et celui où le Wilf Seymour a inversé ses moteurs. Les enregistrements audio des SCTM indiquent qu’au cours de cette période, l’officier de quart du Bulk Japan et l’officier de quart du Wilf Seymour ont utilisé la radio VHF durant 7 et 10 minutes, respectivement.

En 2006, la Maritime and Coastguard Agency du Royaume-Uni a émis un avis de directive maritime qui indique que du temps précieux est parfois perdu lorsque des membres d’équipage de navires qui s’approchent l’un de l’autre tentent d’établir un contact par radio VHF au lieu de respecter le Règlement sur les abordagesNote de bas de page 28. Le document mentionne aussi la décision d’un juge dans un cas d’abordage, qui dit [traduction] « qu’il est très probable que l’utilisation de la radio VHF pour des conversations entre les navires en cause a été un facteur contributif de cet abordage, ne serait-ce qu’en raison du fait qu’elle a été une source de distraction pour les officiers de quart qui ont omis de surveiller leur radar de façon minutieuseNote de bas de page 29. »

Services de communications et de trafic maritimes

Les SCTM fournissent des services de communications et de trafic à la communauté maritime pour garantir le mouvement sécuritaire et efficace des navires. Les SCTM coordonnent les communications liées aux situations de détresse et d’urgence ainsi que la circulation des naviresNote de bas de page 30.

Dans le cadre de l’organisation, les officiers des SCTM peuvent fournir des recommandations sur les manœuvres s’il est évident qu’un navire omet de prendre les mesures nécessaires selon les renseignements fournisNote de bas de page 31. Le manuel des normes des SCTM précise que les officiers des SCTM ne doivent jamais avoir la commande d’un navire ou tenter d’en prendre la commande, et que les communications des SCTM doivent être telles que les SCTM ne puissent être considérées comme ayant pris la commande d’un navireNote de bas de page 32. Dans l’événement en cause, l’officier des SCTM a participé aux communications en transmettant les messages du Wilf Seymour au Bulk Japan.

Analyse

Gestion de la situation très rapprochée

Pendant que le Wilf Seymour et le Bulk Japan se rapprochaient, les deux officiers de quart ont interprété différemment le croisement potentiel. L’officier de quart du Wilf Seymour a détecté le Bulk Japan vers 13 h 05 et, à ce moment, le point de rapprochement maximal (CPA) était de 0,3 mille marin (nm), en avant du Wilf Seymour. Le Wilf Seymour, qui était le navire privilégié en vertu du Règlement sur les abordages (COLREGS), a surveillé le Bulk Japan et s’attendait à ce que celui-ci prenne des mesures pour demeurer à l’écart. Environ 15 minutes plus tard, l’officier de quart du Bulk Japan a détecté le Wilf Seymour. Le CPA était alors à 1,2 nm et le Bulk Japan devait croiser la route du Wilf Seymour sur l’avant 52 minutes plus tard. Ne percevant pas un risque d’abordage, et sans directives permanentes précises qui indiquaient le CPA minimal acceptable, l’officier de quart du Bulk Japan a maintenu le cap avec l’intention de croiser sur l’avant la route du Wilf Seymour.

Le COLREGS indique que le navire non privilégié doit, si les circonstances le permettent, éviter de croiser la route de l’autre navire sur l’avant et manœuvrer de bonne heure et franchement de manière à s’écarter largement. Dans la situation en cause, selon le COLREGS, le Bulk Japan devait modifier son cap à tribord ou réduire sa vitesse pour passer à l’arrière à une distance sécuritaire. Selon l’espace de manœuvre disponible pour le Bulk Japan, la modification du cap à tribord était moins dangereuse que de croiser sur l’avant la route du Wilf Seymour, en particulier puisque le CPA peut changer, comme cela s’est produit dans cet événement.

À 13 h 46, l’officier de quart du Wilf Seymour a tenté de communiquer avec le Bulk Japan par radiotéléphone VHF. Environ 15 minutes se sont écoulées, au cours desquelles le Wilf Seymour tentait de communiquer et de s’entendre avec le Bulk Japan. Pendant ce temps, la distance entre les deux navires a diminué de 4,6 à 2,1 nm. Après le premier contact par le Wilf Seymour, l’officier de quart du Bulk Japan a passé 7 minutes au radiotéléphone VHF. La durée de la communication et l’emplacement des radiotéléphones VHF sur la passerelle du Bulk Japan ont peut-être empêché l’officier de quart de surveiller le radar de façon continue et, par le fait même, d’estimer les modifications du CPA.

Même si la distance entre les navires diminuait, le Bulk Japan n’a fait aucune manœuvre pour éviter la situation très rapprochée, et le Wilf Seymour, qui maintenait son cap et sa vitesse, avait des doutes sur les intentions du Bulk Japan. Le COLREGS indique que, lorsque deux navires s’approchent l’un de l’autre et que l’un d’eux se demande si l’autre navire prend les mesures suffisantes pour éviter l’abordage, le navire qui a des doutes doit les exprimer immédiatement en émettant au sifflet une série rapide d’au moins 5 sons brefs. Même si le Wilf Seymour n’était pas certain des intentions du Bulk Japan, il n’a pas émis les signaux au sifflet prescrits.

Lorsque le capitaine du Bulk Japan est arrivé sur la passerelle et a constaté que le Wilf Seymour était proche à tribord, il a immédiatement ordonné la réduction de la vitesse à demi-vitesse avant même que l’officier de quart ne l’informe de la situation. L’ordre de réduction de la vitesse a entraîné un changement de vitesse de 1,9 nœud dans une période de 6 minutes. Cette décision prise sans évaluation préalable a causé la réduction du CPA et l’augmentation du risque d’abordage.

Lorsqu’il devint évident que le Bulk Japan ne prenait aucune mesure pour éviter une situation très approchée, le Wilf Seymour a inversé ses moteurs pour permettre au Bulk Japan de croiser sa route sur l’avant avec un CPA de 1,2 nm.

Faits établis

Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

  1. Le Bulk Japan a maintenu le cap pour croiser sur l’avant la route du Wilf Seymour sans prendre de mesures pour éviter une situation très rapprochée, entraînant un risque d’abordage.
  2. À la suite des communications par radiotéléphone VHF, le Wilf Seymour avait toujours des doutes sur les intentions du Bulk Japan, mais n’a pas émis les signaux par sifflet requis pour exprimer ce doute. Le Wilf Seymour a maintenu son cap et sa vitesse jusqu’à ce qu’il devienne évident que le Bulk Japan ne ferait aucune manœuvre.
  3. À son arrivée sur la passerelle, le capitaine du Bulk Japan a diminué la vitesse du navire avant d’évaluer la situation, réduisant ainsi davantage le point de rapprochement maximal.

Faits établis quant aux risques

  1. L’utilisation prolongée de radiotéléphones VHF pour les communications visant à éviter un abordage peut faire en sorte que l’équipe à la passerelle n’assure pas une surveillance adéquate, augmentant ainsi le risque d’abordage.

Le présent rapport met un terme à l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le . Il est paru officiellement le .

Annexes

Annexe A – Région où s'est produit l'événement

Annexe A. Région où s'est produit l'événement
Région où s'est produit l'événement