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Rapport d’enquête sur la sécurité du transport ferroviaire R21H0114

Collision et déraillement de train en voie non principale
Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada
Train intermodal Z14921-02 et manœuvre d’aiguillage industrielle L53231-02
Point milliaire 113,44, subdivision de Kingston
Prescott (Ontario)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

L’accident

Le 2 septembre 2021, vers 10 h 28 Note de bas de page 1, le train intermodal Z14921-02 (train 149) de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) circulait en direction ouest sur la voie principale nord de la subdivision de Kingston, où un aiguillage à manœuvre manuelle donne accès à un embranchement industriel dans la ville de Prescott (Ontario).

Le train 149 devait dépasser l’aiguillage et continuer sur la voie principale nord jusqu’à Toronto (Ontario). Toutefois, ayant reçu la permission du contrôleur de la circulation ferroviaire (CCF) d’entrer sur la voie principale nord en vertu de la règle 568 du Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada (REF), l’équipe du train L53231-02 du CN (train 532), une affectation de manœuvre industrielle, avait inversé l’aiguillage vers la voie KE01 de l’embranchement industriel.

Le CCF n’a pas obtenu le compte rendu de position exigé auprès de l’équipe sur le train 149. Il ne savait donc pas l’emplacement exact du train par rapport à l’aiguillage. Lorsque le CCF a reçu la demande de permission du train 532 d’entrer sur la voie principale nord, il a adopté un modèle mental où le train 149 avait déjà dépassé l’aiguillage et il a donc émis la permission en vertu de la règle 568 du REF au train 532. À ce moment, la charge de travail du CCF était complexe et son attention était redirigée vers d’autres tâches concurrentes.

À l’approche de l’aiguillage, les membres de l’équipe du train 149 se sont rendu compte que l’aiguillage était orienté à leur encontre et ils ont déclenché un freinage d’urgence, mais le train n’a pas pu s’arrêter. Le train 149 s’est engagé dans l’embranchement, où il est entré en collision frontale avec le train 532 à une vitesse d’environ 37 mi/h.

À la suite de la collision, les 4 locomotives (2 sur chaque train) ont déraillé et ont subi des dommages importants dus à l’impact. Le réservoir de carburant de la locomotive menante du train 149 a été perforé et a rejeté du carburant diesel, mais celui-ci ne s’est pas enflammé. Quatorze caisses de wagons intermodaux chargées de conteneurs à double niveau ont également déraillé, ainsi que 2 wagons stationnaires sur l’embranchement. La voie principale nord, la voie principale sud et 2 des voies de l’embranchement industriel ont subi des dommages importants; au total, la voie a été détruite sur quelque 1000 pieds.

Deux membres d’équipe ont été légèrement blessés et 1 membre d’équipe a été hospitalisé pour des blessures graves.

Résultats du contrôleur de la circulation ferroviaire au test obligatoire de dépistage d’alcool après un accident

Conformément à la Politique sur la prévention des problèmes causés par l’alcool et les drogues en milieu de travail du CN, les employés doivent se soumettre à un alcootest obligatoire après un accident. Environ 2 heures après l’accident, le CCF s’est soumis à l’alcootest obligatoire, qui a été réalisé par DriverCheck Inc., un tiers fournisseur de tests et d’évaluations médicales en milieu de travail. Un alcootest a révélé une concentration d’alcool dans l’haleine (CAH) de 0,023 g/210 L. Dix-sept minutes plus tard, un test de confirmation a été effectué et a révélé une CAH de 0,019 g/210 L. Ces résultats ont été examinés par le médecin examinateur en chef de DriverCheck Inc., qui a indiqué que le taux d’alcoolémie extrapolé du CCF se situait entre 0,064 % et 0,109 % au début de son quart de travail, et entre 0,044 % et 0,069 % au moment de l’accident. Le rapport produit par le médecin examinateur en chef indique que le CCF avait soit consommé de l’alcool au début de son quart de travail, soit consommé une quantité importante d’alcool tôt le matin ou la nuit précédant le travail.

Le rendement et le niveau d’attention du CCF étaient probablement altérés sous les effets persistants de l’ingestion d’alcool.

Préoccupation liée à la sécurité

Ingestion d’alcool avant d’assumer des fonctions essentielles à la sécurité

L’alcool altère la performance humaine en raison de ses effets négatifs sur les compétences psychomotrices et les fonctions cognitives telles que la prise de décision, l’attention et le raisonnement. L’alcool a un effet particulièrement important sur le traitement de l’information et la mémoire de travail; même des doses relativement faibles d’alcool peuvent entraîner une baisse du rendement. Bien que les compétences psychomotrices se rétablissent lorsque le taux d’alcoolémie diminue, il peut tout de même y avoir des effets négatifs sur le rendement cognitif.

La Loi sur la sécurité ferroviaire et les règlements adoptés en vertu de la Loi ne prévoient pas de période d’interdiction de consommation d’alcool avant l’exercice des fonctions. On attend donc des individus qu’ils s’auto-évaluent et qu’ils déterminent si les effets de l’alcool ont assez diminué pour être aptes au travail. Quand leur taux d’alcoolémie diminue, il y a un risque qu'ils ne soient pas en mesure de s’auto-évaluer avec précision et ils pourraient donc avoir la perception subjective qu’ils se sont rétablis, malgré la persistance des effets de l’alcool sur le rendement cognitif. À titre de comparaison, le Règlement de l’aviation canadien indique, en partie, qu’il est interdit à toute personne d’agir en qualité de membre d’équipage d’un aéronef si elle a ingéré une boisson alcoolisée dans les 12 heures précédentes, ou d’agir en qualité de contrôleur de la circulation aérienne ou de spécialiste de l’information de vol dans les 8 heures qui suivent l’ingestion d’alcool. Ces périodes d’interdiction visent à permettre l’élimination de l’alcool; à ce titre, elles réduisent le risque qu’une personne assume des fonctions essentielles à la sécurité alors qu’elle est sous l’influence de l’alcool.

L’affaiblissement des facultés par l’alcool des employés occupant des postes essentiels à la sécurité peut avoir de graves conséquences sur la sécurité des équipes, des passagers et de l’environnement.

Par conséquent, étant donné qu’il n’y a aucune période d’interdiction de consommation d’alcool par les employés des chemins de fer occupant des postes essentiels à la sécurité au Canada, le Bureau est préoccupé par le fait que ces employés puissent s’acquitter de leurs tâches pendant qu’ils sont sous l’influence de l’alcool.

1.0 Renseignements de base

Le matin du 2 septembre 2021, le train intermodal Z14921-02 (train 149) de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) circulait en direction ouest sur la subdivision de Kingston, en route de Dorval (Québec) à Toronto (Ontario). Le train était mû par 2 locomotives de tête (CN 3046 et CN 3102) et tirait 202 wagons intermodaux chargés de conteneurs à double niveau. Il pesait 14 688 tonnes et mesurait 12 359 pieds. Le train 149 était exploité par 2 membres d’équipe du CN : 1 mécanicien de locomotive (ML) et 1 chef de train. Les 2 membres de l’équipe étaient qualifiés pour leur poste, connaissaient bien le territoire et satisfaisaient à toutes les exigences en matière d’aptitude au travail et de repos.

Le même matin, l’affectation de manœuvre industrielle L53231-02 du CN (train 532) se trouvait sur un embranchement industriel dans la ville de Prescott (Ontario) et se préparait à retourner à Brockville (Ontario). Elle était constituée de 2 locomotives (CN 4799 et IC 9629) et ne manœuvrait aucun wagon. Elle était exploitée par 3 membres d’équipe du CN : 1 ML, 1 chef de train et 1 chef de train adjoint. Tous les membres de l’équipe étaient qualifiés pour leur poste, connaissaient bien le territoire et satisfaisaient à toutes les exigences en matière d’aptitude au travail et de repos.

Les mouvements des deux trains étaient supervisés par un contrôleur de la circulation ferroviaire (CCF) du CN situé à Edmonton (Alberta). Le CCF supervisait la circulation ferroviaire, y compris les trains de voyageurs de VIA Rail Canada Inc. (VIA), sur la subdivision de Kingston, de Dorval Est (Québec) (point milliaire 10,3) à Lyn (Ontario) (point milliaire 127,4), un segment qui couvre 117 milles de territoire à voies multiples et à haute vitesse.

1.1 L’événement

Le CCF a pris son service à 6 h 30, heure avancée des Rocheuses (HAR), ou 8 h 30 heure avancée de l’Est  (HAE). Vers 9 h 47 HAENote de bas de page 2, il a appelé par radio les membres de l’équipe du train 532 et leur a demandé de libérer la voie principale nord pour un train de marchandises. Les membres de l’équipe ont accepté et ont indiqué qu’ils auraient libéré la voie principale dans les 5 minutes à venir. Le CCF en a accusé réception, a mentionné un train de marchandises à Crysler (Ontario),Note de bas de page 3 à environ 30 milles à l’est de Prescott, et a indiqué qu’ils se reparleraient.

Vers 10 h 22, le CCF a reçu un appel de l’équipe du train 532 demandant la permission en vertu de la règle 568Note de bas de page 4 d’entrer de nouveau sur la voie principale nord de la subdivision de Kingston à un aiguillage à manœuvre manuelle situé au point milliaire 113,36. Aucun train n’était passé à Prescott sur la voie nord entre 9 h 47 et 10 h 22. Le CCF a lancé le processus de délivrance de la permission en vertu de la règle 568 sur son système informatique. Le logiciel a affiché un message indiquant qu’un autre train, le train 149, se trouvait [traduction] « dans les limites », ce qui signifiait que le train se trouvait quelque part dans le canton contrôléNote de bas de page 5 de 14,7 milles où se trouvait l’aiguillage à manœuvre manuelle. Ce message présentait 2 options : Continuer et Abandonner. Le CCF a choisi de continuer.

Vers 10 h 23, pendant qu’il délivrait la permission, un processus qui a pris environ 2,5 minutes, le CCF effectuait simultanément plusieurs autres tâches : il accusait réception d’un message visuel lui rappelant de demander une équipe pour un autre train, il informait une équipe qu’elle allait être retenue en raison de l’approche d’un train de VIA, et il orientait les signaux pour un train du CN et un train de VIA. Dans l’intervalle, le train 149 est passé devant un détecteur de boîtes chaudes au point milliaire 110 (à environ 3,4 milles à l’est de l’aiguillage à manœuvre manuelle de Prescott), et un repère visuel bleu correspondant s’est affiché sur l’un des écrans du CCFNote de bas de page 6. Le CCF n’a pas vu ce repère visuel pendant qu’il se concentrait sur la délivrance de la permission.

Pendant la conversation avec le CCF, le ML et le chef de train adjoint du train 532 se trouvaient dans la cabine de la locomotive CN 4799, qui était orientée vers l’ouest, tandis que la cabine de la locomotive de queue IC 9629 était orientée vers l’est. Le chef de train se trouvait au sol, près de l’aiguillage à manœuvre manuelle, et écoutait sa radio portative (figure 1). Le ML et le chef de train adjoint ont confirmé et répété le contenu de la permission fournie par le CCF. Une fois la permission obtenue, le chef de train a inversé l’aiguillage de voie principale à manœuvre manuelle pour orienter son train de l’embranchement KE01 vers l’est sur la voie principale nord. Ayant orienté l’aiguillage de la voie principale en premier, il s’est ensuite positionné près de l’aiguillage de la voie de garage.Note de bas de page 7

Figure 1. Schéma montrant l’emplacement des membres de l’équipe du train 532 (Source : BST)
Schéma montrant l’emplacement des membres de l’équipe du train 532 (Source : BST)

Après que l’aiguillage eut été renversé, le chef de train adjoint du train 532 a remarqué un train qui s’approchait de l’est sur la voie principale. À peu près au même moment, l’équipe du train 149, après avoir franchi le signal 1119N qui présentait une indication de vitesse normale, a fait un appel radio au train 532 pour confirmer son emplacement. Au cours de l’appel, il a été établi que le train 532 se trouvait sur l’embranchement et que le train 149 s’approchait sur la voie principale nord.

Se rendant compte que le train 149 avait été orienté pour s’engager dans l’embranchement et qu’une collision était imminente, le chef de train du train 532 a tenté d’avertir le train 149. Le chef de train adjoint est ensuite sorti de la cabine pour tenter de se mettre en lieu sûr, alors que le ML est resté dans la cabine. Le chef de train se trouvait toujours au sol, mais n’était pas assez près de l’aiguillage pour le remettre en position normaleNote de bas de page 8 afin d’éviter la collision.

Les membres de l’équipe du train 149, qui circulait vers l’ouest sur la voie principale nord à une vitesse d’environ 42 mi/h, ont vu une cible d’aiguillage rouge réflectorisée indiquant que l’aiguillage de voie principale à manœuvre manuelle du point milliaire 113,36 était en position renversée, c’est-à-dire qu’il était orienté pour que leur train bifurque sur l’embranchement. Ils ont serré d’urgence les freins du train à environ 970 pieds à l’est de l’aiguillage de l’embranchement, mais le train n’a pas pu s’arrêter. À 10 h 28, le train a quitté la voie principale nord pour s’engager dans l’embranchement et est entré en collision frontale avec le train 532 à une vitesse de 37 mi/h.

La collision s’est produite sur l’embranchement, à côté de la voie principale nord au point milliaire 113,44, sous le pont d’étagement de la rue Edward, à Prescott (figures 2 et 3).

Figure 2. Carte montrant le lieu de l’événement (Source : Association des chemins de fer du Canada, Atlas du rail canadien, avec annotations du BST), avec une carte en médaillon montrant l’emplacement de Prescott (Ontario) (Source : Google Earth, avec annotations du BST)
Carte montrant le lieu de l’événement (Source : Association des chemins de fer du Canada, Atlas du rail canadien, avec annotations du BST), avec une carte en médaillon montrant l’emplacement de Prescott (Ontario) (Source : Google Earth, avec annotations du BST)
Figure 3. Carte montrant le point de collision dans la ville de Prescott (Source : Google Earth, avec annotations du BST), avec une carte en médaillon montrant l’emplacement du matériel roulant déraillé après la collision (Source : Police provinciale de l’Ontario, avec annotations du BST)
Carte montrant le point de collision dans la ville de Prescott (Source : Google Earth, avec annotations du BST), avec une carte en médaillon montrant l’emplacement du matériel roulant déraillé après la collision (Source : Police provinciale de l’Ontario, avec annotations du BST)

Les 3 membres de l’équipe du train 532 ont été transportés à un hôpital à Ottawa (Ontario). Deux membres de l’équipe ont reçu des traitements pour des blessures légères puis ont reçu leur congé, et 1 membre de l’équipe a été hospitalisé pour des blessures graves. Aucun des membres de l’équipe du train 149 n’a été blessé.

À la suite de la collision, les 4 locomotives (2 sur chaque train) ont déraillé et ont subi des dommages importants dus à l’impact. Quatorze caisses de wagons intermodaux chargées de conteneurs à double niveau ont également déraillé. La voie principale nord, la voie principale sud et les embranchements KE01 et KE07, entre le point milliaire 113,36 et le point milliaire 113,55, ont subi des dommages importants; au total, la voie a été détruite sur quelque 1000 pieds (figure 4).

Figure 4. Matériel roulant ayant déraillé et voie endommagée après la collision (Source : Police provinciale de l’Ontario)
Matériel roulant ayant déraillé et voie endommagée après la collision (Source : Police provinciale de l’Ontario)

1.2 Examen des lieux

Les 2 locomotives du train 149 ont déraillé et ont subi des dommages importants attribuables aux chocs. Le réservoir de carburant de la locomotive menante du train 149 a été perforé et a rejeté une quantité indéterminée de carburant diesel, mais celui-ci ne s’est pas enflammé. L’une des 14 caisses de wagons intermodaux qui avaient déraillé s’est immobilisée à quelques pieds d’une conduite de gaz naturel adjacente à la voie, près d’une zone résidentielle (figure 5), mais ne l’a pas heurtée.

Figure 5. Wagon intermodal et conteneur ayant déraillé près d’une conduite de gaz naturel (Source : Police provinciale de l’Ontario, avec annotations du BST)
Wagon intermodal et conteneur ayant déraillé près d’une conduite de gaz naturel (Source : Police provinciale de l’Ontario, avec annotations du BST)

La force de la collision a projeté les 2 locomotives du train 532 vers l’ouest sur l’embranchement KE01, où 9 wagons étaient stationnaires; l’impact subséquent a fait dérailler et a endommagé 2 des wagons stationnaires (les wagons-trémies couverts vides CBFX 471459 et CBFX 471554). Les 2 locomotives ont déraillé et se sont immobilisées sur leur flanc au nord de l’embranchement; elles ont aussi subi des dommages importants attribuables aux chocs.

Le matériel roulant qui a déraillé a bloqué la voie principale nord et la voie principale sud de la subdivision de Kingston pendant environ 24 heures.

1.3 Renseignements sur la subdivision et sur la voie

La subdivision de Kingston s’étend de Dorval Est (point milliaire 10,3) à Toronto (point milliaire 333,80).

La subdivision est un itinéraire cléNote de bas de page 9 et un important corridor de circulation ferroviaire à grande vitesse au Canada. En moyenne, 18 trains de marchandises du CN et 12 trains de voyageurs de VIA circulent quotidiennement dans le secteur.

Les mouvements de train dans le secteur sont régis par le système de commande centralisée de la circulation (CCC), aux termes du Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada (REF)Note de bas de page 10.

La voie aux environs du lieu de la collision est composée de multiples voies principales. Il s’agit d’une voie de catégorie 5 selon le Règlement concernant la sécurité de la voieNote de bas de page 11. La vitesse maximale autorisée dans le secteur de la collision est de 60 mi/h pour les trains de marchandises et de 80 mi/h pour les trains de voyageurs.

Lorsque les trains circulent sur l’embranchement KE01 et les embranchements associés, les mouvements sont assujettis à une vitesse limite de 15 mi/h.

1.4 Alcootest

1.4.1 Politique de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada sur l’alcool

La Politique sur la prévention des problèmes causés par l’alcool et les drogues en milieu de travail du CN s’applique à tous les travailleurs de la compagnie. L’objectif de cette politique est de prévenir les problèmes causés par l’alcool et les drogues en milieu de travail. La politique encourage les employés qui pensent avoir un problème d’alcool ou de drogue à demander de l’aide, qu’ils peuvent obtenir par l’entremise du Programme d’aide aux employés et à la famille, un programme confidentiel du CN.

La politique prévoit une tolérance zéro pour l’affaiblissement des facultés au travail; elle indique également que, lorsqu’ils se présentent au travail, tous les membres du personnel sont tenus d’être et de rester aptes au travail et libres de l’influence nocive de l’alcool, du cannabis ou d’autres drogues. Selon la politique, il est strictement interdit à toute personne de travailler ou de se trouver aux commandes d’un véhicule ou du matériel du CN pendant qu’elle est sous l’influence de l’alcool ou d’autres drogues ou qu’elle en subit encore les effets résiduels.

En vertu de la politique, les employés doivent obligatoirement se soumettre à un alcootest à la suite d’un accident. L’alcootest permet de mesurer la concentration d’alcool dans l’haleine (CAH) en grammes (g) d’alcool par 210 litres (L) d’haleine. La CAH est en corrélation avec le taux d’alcoolémie, qui est une mesure en milligrammes (mg) d’alcool par 100 millilitres (mL) de sang. Le Code criminel du Canada précise qu’une personne est réputée avoir les facultés affaiblies lorsqu’elle conduit un moyen de transport (c.-à-d. un véhicule automobile, un navire, un aéronef ou du matériel ferroviaire) alors que son taux d’alcoolémie est égal ou supérieur à 0,08 % (80 milligrammes d’alcool par 100 millilitres de sangNote de bas de page 12). Certaines provinces, en vertu de leur code de la route respectif, disposent de lois complémentaires et appliquent des sanctions lorsque le taux d’alcoolémie est égal ou supérieur à 0,05 %.

Tout employé dont les résultats aux tests effectués après un accident indiquent une CAH supérieure à 0,04 % et/ou dont les tests de dépistage de drogues légales ou illégales sont positifs (sans justification médicale) sera réputé avoir enfreint la politique du CN.

Des calculatrices de taux d’alcoolémie sont disponibles en ligne pour fournir une indication du taux d’alcoolémie. Des alcootests peuvent être achetés par des particuliers afin de s’auto-évaluer. L’exactitude de ces outils varie et dépend de leur utilisation correcte par la personne.

Les Règles générales du REF indiquent, en partie, ce qui suit :

A Tout employé d’un service associé à des mouvements, à la manœuvre des aiguillages de voie principale ou qui assure la protection de travaux en voie et de véhicules d’entretien, doit :

[…]

(x) se présenter au travail frais et dispos, en pleine connaissance des tâches à accomplir et de son territoire d’affectation;

[…]

G(i) La consommation de boissons alcooliques ou autres substances enivrantes et de stupéfiants est interdite aux employés appelés à prendre leur service; la consommation et la possession de telles substances sont également interdites pendant le service.

[…]

(iv) Il appartient aux employés de connaître et de comprendre les effets néfastes que peuvent avoir les médicaments ou les psychotropes, prescrits ou non par un médecin, sur leur aptitude à remplir sans danger leurs fonctions.Note de bas de page 13

La Loi sur la sécurité ferroviaire indique en partie ce qui suit :

18 (1) Le gouverneur en conseil peut, par règlement :

[…]

b) prévoir la classification de certains postes, au sein d’une compagnie de chemin de fer, comme essentiels pour la sécurité ferroviaire;

c) en ce qui concerne la sécurité ferroviaire, régir la formation, préalable ou non, des titulaires des postes visés à l’alinéa b) […] ainsi que la consommation d’alcool et de drogues par eux, ou interdire celle-ci […]Note de bas de page 14

La Loi sur la sécurité ferroviaire et les règlements adoptés en vertu de la Loi ne prévoient pas de période d’interdiction de consommation d’alcool avant l’exercice des fonctions.

En comparaison, le Règlement de l’aviation canadien prévoit, en partie, qu’il est interdit à toute personne d’agir en qualité de membre d’équipage d’un aéronef si elle a ingéré une boisson alcoolisée dans les 12 heures précédentes, ou d’agir en qualité de contrôleur de la circulation aérienne ou de spécialiste de l’information de vol dans les 8 heures qui suivent l’ingestion d’alcoolNote de bas de page 15.

1.4.2 Résultats de l’alcootest obligatoire administré au contrôleur de la circulation ferroviaire après l’accident

Conformément à la Politique sur la prévention des problèmes causés par l’alcool et les drogues en milieu de travail du CN, environ 2 heures après l’accident, le CCF s’est soumis à l’alcootest obligatoire, qui a été réalisé par DriverCheck Inc., un tiers fournisseur de tests et d’évaluations médicales en milieu de travail. Un alcootest effectué à 10 h 39Note de bas de page 16 a révélé une CAH de 0,023 g/210 L. Dix-sept minutes plus tard, un test de confirmation a été effectué et a révélé une CAH de 0,019 g/210 L.

Ces résultats ont été examinés par le médecin examinateur en chef de DriverCheck Inc. Le rapport du médecin indiquait ce qui suit :

  • 95 % de la population aurait un taux d’élimination de 0,01 à 0,02 % d’alcoolémie par heure (de 10 à 20 mg/100 ml/heure).
  • D’après l’alcootest et le test de confirmation, le taux d’élimination de l’alcoolémie du CCF a été estimé à 0,014 % d’alcoolémie par heure.
  • On estime que le taux d’alcoolémie extrapolé du CCF se situait entre 0,064 % et 0,109 % à 6 h 30 (début de son quart de travail) et entre 0,044 % et 0,069 % au moment de l’accident.
  • Avec une CAH de 0,019 g/210 L mesurée à 10 h 56, soit près de 4,5 heures après s’être présenté au travail, le CCF avait soit consommé de l’alcool au début de son quart de travail, soit consommé une quantité importante d’alcool tôt le matin ou la nuit précédant le travail.

1.4.3 Effets de l’alcool sur le rendement

L’alcool altère la performance humaine en raison de ses effets négatifs sur les compétences psychomotrices et les fonctions cognitives telles que la prise de décision, l’attention et le raisonnement. L’alcool a un effet particulièrement important sur le traitement de l’information et sur la mémoire de travail; même des doses relativement faibles d’alcool peuvent entraîner une baisse du rendementNote de bas de page 17.

Bien que les compétences psychomotrices se rétablissent lorsque le taux d’alcoolémie diminue, il peut tout de même y avoir des effets négatifs sur le rendement cognitif Note de bas de page 18. Quand leur taux d’alcoolémie diminue, les gens sont susceptibles d’avoir la perception subjective qu’ils se sont rétablis, malgré les effets persistants de l’alcool sur le rendement cognitifNote de bas de page 19.

La consommation d’alcool est liée à une réduction de la qualité et de la durée du sommeil, et les effets dépendent de plusieurs facteurs tels que la quantité consommée et la vitesse de consommation, la tolérance, l’âge, le sexe ainsi que les affections médicales et physiologiques. L’alcool peut aider à s’endormir plus rapidement, mais il peut ensuite perturber les cycles du sommeil et altérer la vigilance diurne le lendemainNote de bas de page 20.

Les effets cognitifs et comportementaux de l’alcool à différents taux d’alcoolémie dépendent de facteurs individuels, notamment l’âge, le sexe, le poids et la tolérance. Le tableau 1 énumère les effets potentiels de l’augmentation du taux d’alcoolémie. Les fourchettes relativement larges de taux d’alcoolémie dans le tableau montrent que les effets peuvent varier considérablement en raison des différences individuelles et de la tolérance.

Tableau 1. Effets de l’alcool sur le comportement et le rendement en fonction du taux d’alcoolémie (adaptation de Federal Aviation Administration, FAA-H-8083-25A, Pilot’s Handbook of Aeronautical Knowledge [2016], chapitre 17 : Aeromedical Factors, p. 17-15, traduction par le BST)
Taux d’alcoolémie (%) Effets cognitifs et comportementaux
De 0,01 à 0,05 Comportement apparemment normal pour une personne moyenne
De 0,03 à 0,12 Légère euphorie, volubilité, diminution de l’inhibition, baisse d’attention, jugement affaibli et temps de réaction plus long
De 0,09 à 0,25 Instabilité émotionnelle, perte de jugement critique, déficience de la mémoire et de la compréhension, réponse sensorielle diminuée et légère incoordination musculaire
De 0,18 à 0,30 Confusion, étourdissements, émotions exagérées (colère, peine, peur), perception visuelle affaiblie, sensation de douleur diminuée, altération de l’équilibre, démarche chancelante, difficultés d’élocution et incoordination musculaire modérée

1.5 Permissions d’entrer sur une voie principale

1.5.1 Règle 568 du Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada – Signal ou permission d’entrer sur la voie principale

Une permission doit être obtenue avant qu’un mouvement puisse s’engager sur la voie principale. La permission d’entrer sur une voie principale régie par la CCC est assujettie à la règle 568 du REF (Signal ou permission d’entrer sur la voie principale), qui indique, en partie, ce qui suit :

  1. Un train ou un transfert ne doit pas obstruer une voie principale, ni y entrer ou y retourner après l’avoir libérée, sauf si l’indication du signal le permet ou s’il en a reçu la permission du CCF.
  2. Lorsque l’entrée sur la voie principale doit se faire à un aiguillage à manœuvre manuelle non équipé d’un verrou électrique, ou à un aiguillage dont le plomb du verrou électrique est brisé, la permission du CCF doit être prise par écrit et spécifier la direction ainsi que l’itinéraire à suivre. Aucun mouvement ne peut être fait tant que le mécanicien de locomotive n’a pas été mis au courant de la situation.
    Avant d’accorder sa permission, le CCF doit :
    1. s’assurer qu’aucun autre train ni aucun autre transfert en situation de mouvement incompatible ne se trouve à l’intérieur du canton contrôlé, ou n’est autorisé à y entrer; et
    2. bloquer à Arrêt absolu tous les dispositifs commandant les signaux qui règlent l’entrée des trains ou des transferts dans le canton contrôlé.

[…]Note de bas de page 21

Selon cette règle, lorsque l’entrée sur la voie principale doit se faire à un aiguillage à manœuvre manuelle qui n’est pas verrouillé électriquement, comme dans l’événement à l’étude, le CCF doit donner sa permission par écrit. Le CCF doit d’abord s’assurer qu’aucun autre train ni aucun autre transfert en situation de mouvement incompatible ne se trouve à l’intérieur du canton contrôlé, ou n’est autorisé à y entrer.

1.5.2 Instructions figurant dans le Manuel des contrôleurs de la circulation ferroviaire de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada

Pour guider les CCF dans l’exercice de leurs fonctions, le CN a créé et tient à jour son Manuel des contrôleurs de la circulation ferroviaire (MCCF). En ce qui concerne l’application de la règle 568 du REF, le MCCF comporte l’article 3018, qui donne des instructions sur la délivrance de permissions d’entrer sur une voie principale à un aiguillage alors qu’un mouvement se trouve déjà dans le canton. Les instructions figurant à l’article 3018 du MCCF en vigueur au moment de l’événement indiquaient, en partie, ce qui suit :

3018. RÈGLE 568 (c) – ENTRÉE SUR LA VOIE PRINCIPALE PENDANT QU’UN MOUVEMENT SE TROUVE ENCORE DANS LE CANTON

Le CCF doit s’assurer que tout mouvement incompatible a effectivement franchi l’aiguillage avant de donner l’autorisation d’entrer sur la voie principale. Le CCF doit communiquer avec chaque mouvement qui se trouve dans le canton contrôlé et obtenir un rapport de reddition de voie de chacun d’eux. Les détails des rapports doivent être saisis dans le système de contrôle.

[…]Note de bas de page 22

Selon ces instructions, s’il y a un ou plusieurs mouvements incompatibles sur la voie principale, le CCF doit obtenir un compte rendu de positionNote de bas de page 23 de la part de l’équipe de chaque mouvement incompatible et consigner ce compte rendu par voie électronique dans le système de contrôle des trains.

L’article 3018 du MCCF avait été mis à jour en mars 2019. La version antérieure des instructions exigeait seulement que les CCF s’assurent de la position de tout mouvement incompatible; elle ne précisait pas qu’il fallait communiquer avec ces mouvements pour obtenir un compte rendu de position, et elle n’exigeait pas non plus que ce compte rendu soit saisi dans le système, bien que ce soit ce à quoi le CN s’attendait. Les examens de CCF de 2018 et 2020 contenaient chacun une question sur l’exigence d’obtenir un compte rendu de position de chaque mouvement dans le canton contrôlé. Le CCF de l’événement à l’étude avait répondu correctement à la question pendant l’examen de 2020, mais il n’y avait aucun dossier faisant état de sa réponse à l’examen de 2018. La question d’examen n’abordait pas le fait que les comptes rendus de position devaient être consignés dans le système.

Les instructions relatives à la délivrance d’une permission en vertu de la règle 568 dans les cas où un mouvement se trouve déjà dans un canton diffèrent d’un chemin de fer à l’autre. Au Chemin de fer Canadien Pacifique, les CCF peuvent obtenir un compte rendu de position du mouvement incompatible, soit de la part du mouvement qui demande la permission, soit de celle du mouvement qui occupe le cantonNote de bas de page 24.

1.5.2.1 Mises à jour du Manuel des contrôleurs de la circulation ferroviaire

Les mises à jour du MCCF sont envoyées aux CCF par courriel, mais la compagnie ne fait pas de suivi pour savoir si les CCF ont lu ces courriels. Toutefois, les CCF sont régis par la règle 83(b) du REF qui stipule ce qui suit :

Avant de commencer leur service à leur terminal d’affectation où se trouve un recueil ou un tableau d’affichage de bulletins d’exploitation, tous les employés responsables de l’exploitation ou de la supervision de mouvements doivent lire et comprendre les bulletins d’exploitation concernant le territoire sur lequel ils circuleront.

La direction peut effectuer un suivi au moyen d’une campagne de sécurité ou d’un examen de l’efficacité pour s’assurer que tous les CCF ont lu et compris les changements; toutefois, aucune campagne et aucun examen de la sorte n’a eu lieu concernant la mise à jour de l’article 3018 du MCCF publiée en mars 2019. Les changements ont également été inclus dans les mises à jour des documents de renouvellement de certification des CCF.

L’enquête a permis de déterminer que la compréhension des exigences de l’article 3018 du MCCF par certains CCF, y compris le CCF dans l’événement à l’étude, ne correspondait pas à la version mise à jour en 2019, qui exigeait que les CCF obtiennent un compte rendu de position de chaque mouvement se trouvant déjà dans le canton contrôlé et qu’ils le saisissent dans le système. En particulier, ils ne saisissaient pas toujours les comptes rendus de position dans le système.

1.5.3 Logiciel utilisé pour délivrer les permissions en vertu de la règle 568

Au CN, les CCF utilisent le logiciel RTC II pour délivrer les permissions en vertu de la règle 568.

Dans ce logiciel, lorsqu’un CCF lance une permission en vertu de la règle 568, si le canton de voie concerné est déjà occupé, le système affiche un message l’indiquant et invite le CCF à choisir entre 2 options : Continuer (l’option par défaut) et Abandonner (figure 6). Si le CCF clique sur « Continuer », il n’y a pas d’autres demandes de confirmation. Le logiciel n’exige pas la saisie d’un compte rendu de position du train qui se trouve dans le canton contrôlé, et il n’interdit pas la délivrance d’une permission en vertu de la règle 568 si un compte rendu de position n’est pas saisi.

Figure 6. Invite affichée par le logiciel RTC II lorsqu’un contrôleur de la circulation ferroviaire lance une permission en vertu de la règle 568 et que la voie est déjà occupée; dans l’événement à l’étude, la voie était occupée par le train 149 (Source : Photo prise par le BST du logiciel du CN)
Invite affichée par le logiciel RTC II lorsqu’un contrôleur de la circulation ferroviaire lance une permission en vertu de la règle 568 et que la voie est déjà occupée; dans l’événement à l’étude, la voie était occupée par le train 149 (Source : Photo prise par le BST du logiciel du CN)

En revanche, lorsque les CCF utilisent le même logiciel pour traiter une demande de permis d’occuper la voieNote de bas de page 25 alors qu’un train se trouve à l’intérieur des limites proposées, le logiciel exige la saisie d’un compte rendu de position confirmant que le train a déjà dépassé la position où les employés entreront sur la voie principale. Si ce compte rendu n’est pas fourni, le logiciel annule la permission.

1.5.4 Délivrance de la permission en vertu de la règle 568 par le contrôleur de la circulation ferroviaire

Dans l’événement à l’étude, l’équipe du train 532 a communiqué avec le CCF pour demander la permission en vertu de la règle 568 d’entrer sur la voie principale nord de la subdivision de Kingston à un aiguillage à manœuvre manuelle situé au point milliaire 113,36. Une permission en vertu de la règle 568 englobe l’ensemble du canton contrôlé où se trouve l’endroit visé par la demande – dans ce cas-ci, un canton de 14,7 milles allant du signal contrôlé 1037N au signal contrôlé 1184N (figure 7).

Figure 7. Schéma montrant le canton contrôlé pour lequel la permission en vertu de la règle 568 a été délivrée au train 532, la position des trains au moment où la permission en vertu de la règle 568 a été terminée, et la direction du mouvement prévu de chaque train (Source : BST)
Schéma montrant le canton contrôlé pour lequel la permission en vertu de la règle 568 a été délivrée au train 532, la position des trains au moment où la permission en vertu de la règle 568 a été terminée, et la direction du mouvement prévu de chaque train (Source : BST)

La demande de permission en vertu de la règle 568 présentée par l’équipe du train 532 était relativement routinière. Le train 532 effectuait régulièrement des opérations d’aiguillage à cet endroit. Chaque fois, avant de s’engager sur la voie principale, l’équipe communiquait avec le CCF pour obtenir la permission nécessaire.

Lors de cet événement, le CCF n’a pas communiqué avec le mouvement incompatible dans le canton (train 149) pour obtenir un compte rendu de position. L’enquête a permis de déterminer qu’à 5 autres occasions au cours des 2 mois précédant l’accident, lorsque l’équipe du train 532 avait demandé une permission en vertu de la règle 568 alors qu’un autre mouvement occupait déjà le canton, le CCF de l’événement à l’étude n’avait pas demandé de compte rendu de position à l’équipe du mouvement dans le canton, et n’avait pas non plus enregistré de compte rendu de position dans le système de contrôle des trains. Dans ces cas, le CCF avait retardé la délivrance de la permission en vertu de la règle 568 jusqu’à ce que l’équipe du train 532 l’informe que le mouvement dans le canton avait dépassé la position du train 532.

Pendant la période de septembre 2017 à août 2021, le CN a réalisé des missions de sécurité avec les CCF qui vérifiaient la conformité avec tous les règlements. Un examen du document du CN intitulé Safety Engagement Observations by Rule by Employee, qui concernait le CCF dans l’événement à l’étude pour la même période montre que, le 15 mars 2019, il avait été noté que le CCF avait correctement appliqué ([traduction] « comportement sécuritaire ») l’article 3017 du MCCF (instructions pour permettre à un mouvement d’entrer sur une voie principale lorsqu’aucun autre mouvement ne se trouve dans le canton). Il n’y avait pas d’entrée concernant l’application de l’article 3018 du MCCF par le CCF; toutefois, les occasions de réaliser une mission de sécurité portant sur l’un ou l’autre des articles 3017 ou 3018 sont limitées. Pendant sa carrière à titre de CCF au CN, le CCF a été soumis à 353 vérifications de règlements.

1.5.5 Temps et attention nécessaires pour délivrer une permission en vertu de la règle 568

Dans le cadre de l’enquête, le BST a effectué un exercice de simulation afin de déterminer le temps et l’attention nécessaires pour délivrer une permission en vertu de la règle 568. Les résultats de l’exercice ont indiqué ce qui suit :

  • Il a fallu environ 4 minutes pour exécuter le processus complet, c’est-à-dire communiquer avec l’équipe du train, saisir les renseignements dans les formulaires de RTC II, répéter les renseignements et souligner chaque mot et chaque chiffre. Obtenir un compte rendu de position lorsqu’un train se trouvait dans le canton contrôlé ajoutait environ 45 à 60 secondes au processus.
  • Les formulaires à remplir sont affichés sur un écran différent des écrans principaux utilisés pour le contrôle de la circulation ferroviaire. Cela détourne l’attention d’un CCF de l’écran qui affiche la circulation ferroviaire.
  • Le temps nécessaire pour remplir une permission en vertu de la règle 568 varie en fonction de plusieurs facteurs tels que l’expérience du CCF, ainsi que le volume et la complexité de la circulation ferroviaire. Dans l’événement à l’étude, le CCF a pris environ 2,5 minutes pour accomplir la tâche.

1.6 Formation et expérience du contrôleur de la circulation ferroviaire

Le CCF dans l’événement à l’étude a obtenu sa qualification en 2006 auprès du Chemin de fer Canadien Pacifique à Montréal (Québec). Il a ensuite déménagé à Calgary (Alberta) en 2014, travaillant toujours pour la même compagnie en tant que CCF.

En 2016, il a suivi une formation de chef de train et de coordonnateur de trains pour les gestionnaires et a obtenu sa qualification. Après avoir obtenu sa qualification, il a été occasionnellement aux commandes des trains (affectations de ligne) en tant que cadre.

En 2017, il a redéménagé à Montréal et a accepté un poste de CCF au CN. Il y a suivi une formation propre au CN pour les CCF, qui comprenait une formation sur le REF. Il a terminé sa formation avec succès et a commencé à travailler en tant que CCF du CN le 17 mai 2017.

En août 2020, il a été transféré à Edmonton, où il a continué à travailler comme CCF pour le CN. Peu après, il a suivi le programme de renouvellement de l’accréditation des CCF du CN, qu’il a réussi le 14 septembre 2020. Il a également suivi un cours en ligne sur le renouvellement de l’accréditation des CCF offert par le CN, qu’il a réussi le 2 novembre 2020.

Le jour de l’événement, le CCF travaillait au bureau ED, qui sert à contrôler la circulation des trains et les activités d’entretien dans la subdivision de Kingston. Il possédait presque une année complète d’expérience de travail à ce bureau.

1.7 Poste de travail des contrôleurs de la circulation ferroviaire

Les postes de travail des contrôleurs de la circulation ferroviaire sont équipés d’un certain nombre d’écrans pour les aider à effectuer leur travail. Différents écrans sont utilisés pour différentes tâches, comme surveiller et diriger le mouvement des trains et les travaux de voie, gérer les communications, recueillir des renseignements, demander des signaux pour les mouvements de trains et délivrer des permissions de circuler.

Au bureau ED, il y a au moins 12 écrans que le CCF peut surveiller et utiliser, en fonction des exigences du quart de travail et de ses préférences personnelles (figure 8).

Figure 8. Poste de travail du contrôleur de la circulation ferroviaire de la subdivision de Kingston – bureau ED* (Source : BST)
Poste de travail du contrôleur de la circulation ferroviaire de la subdivision de Kingston – bureau ED* (Source : BST)

* Le jour de l’événement, le bureau ED était utilisé pour contrôler un territoire plus vaste que celui illustré sur la photo.

Les 6 écrans situés immédiatement devant le contrôleur affichent des renseignements provenant du système de contrôle RTC II. Un ou plusieurs des autres écrans disponibles peuvent être configurés pour afficher le territoire de contrôle adjacent en cas de besoin. Ces écrans affichent le mouvement des trains et les travaux d’entretien de la voie sur le territoire de contrôle attribué au CCF. Chaque contrôleur peut modifier la superposition des renseignements sur ces écrans en fonction de ses préférences personnelles.

En dessous des écrans réservés au système de contrôle RTC II, il y a un écran qui est utilisé pour le système de planification et de contrôle de l’exploitation du trafic (TOPC). Cet écran affiche des renseignements détaillés sur les trains et les équipes (noms et heures de service), des renseignements sur les voies et les gares de triage, un résumé des permissions, des messages électroniques et des modèles de divers formulaires, de même que les renseignements relatifs aux retards. À côté de l’écran du TOPC, un autre écran est utilisé pour émettre des bulletins de marche (BM)Note de bas de page 26 et des bulletins de marche tabulaires (BMT)Note de bas de page 27.

Les autres écrans fournissent d’autres applications pour appuyer les responsabilités des CCF. Il s’agit entre autres de logiciels utilisés pour les horaires et itinéraires des trains de voyageurs de VIA, d’applications de communication telles que Skype et Microsoft Outlook, de navigateurs Internet et d’applications météorologiques.

L’écran radio et le téléphone sont situés du côté droit du poste de travail.

1.8 Charge de travail des contrôleurs de la circulation ferroviaire

1.8.1 Rôles et responsabilités des contrôleurs de la circulation ferroviaire

Les CCF contrôlent et surveillent continuellement la circulation ferroviaire. Leur travail les oblige à gérer des tâches multiples tout en essayant d’optimiser les mouvements des trains de manière sûre et efficiente.

Pour maintenir une conscience situationnelle exacte et les modèles mentaux connexes, les CCF surveillent continuellement plusieurs écrans et utilisent plusieurs méthodes de communication telles que la radio, le téléphone et la messagerie instantanée.

Leurs responsabilités nécessitent d’y accorder de l’attention, de changer les plans de façon dynamique et de prendre des décisions malgré les contraintes de temps. Parmi les activités courantes, citons :

  • surveiller et traiter les demandes de permis d’occuper la voie, de permissions en vertu de la règle 568 et d’autres permissions similaires liées à la protection des voies;
  • surveiller les retards des trains, consigner électroniquement ces retards et assurer la coordination avec les équipes, au besoin;
  • surveiller les rapports sur l’état des voies (blocages, état des rails);
  • surveiller et vérifier les alarmes, comme les alarmes de trains fantômesNote de bas de page 28 et de trains qui franchissent un signal d’arrêt, et intervenir si elles se déclenchent;
  • organiser les travaux sur la voie et s’assurer que la voie, les trains et les employés de l’Ingénierie sont protégés, tout en réduisant au minimum les retards et les perturbations de la circulation;
  • signaler les problèmes de signalisation aux employés du groupe Signalisation et Communications, et protéger le signal et le canton concernés, au besoin;
  • protéger les chargements exceptionnels (c.-à-d. tout chargement d’une largeur, d’une hauteur ou d’un poids non standard) qui sont manipulés sur les trains en informant tous les employés concernés et en émettant les restrictions nécessaires à une manipulation sécuritaire;
  • protéger les systèmes d’avertissement de passage à niveau défectueux et émettre les BM requis aux trains concernés;
  • prendre des dispositions de protection pour rendre possibles les travaux prévus sur la voie et émettre les BM requis aux trains;
  • émettre des ordres de limitation de vitesse aux trains afin de protéger les voies jugées dangereuses pour les mouvements à la vitesse permise;
  • envoyer des BMT, au besoin, pour les trains commandés récemment;
  • adapter les rencontres prévues;
  • aviser le bureau des équipes au sujet du moment où il faut appeler de nouvelles équipes de train pour le prochain lieu de changement d’équipe, et prendre des dispositions pour le transport;
  • intervenir à la suite d’événements inattendus, comme les pannes de train et les changements de l’utilisation de la voie; cela peut nécessiter d’informer tous les membres d’équipes et employés du chemin de fer concernés (et parfois ceux d’autres chemins de fer), d’assurer la sécurité de la voie ferrée, de réacheminer la circulation ferroviaire, de former de nouvelles équipes pour les trains et de résoudre tous les problèmes aussi rapidement que possible afin de réduire au minimum les retards et les perturbations de la circulation.

Pour faire face aux situations prévues et imprévues qui ont une incidence sur l’utilisation de la voie, les CCF doivent porter leur attention tantôt sur le contrôle et la surveillance de la circulation, tantôt sur les interventions réclamées par les écrans pertinents et sur la communication avec de nombreux membres du personnel du chemin de fer.

Les CCF doivent également comprendre tous les changements récents apportés à la réglementation et aux instructions de travail, et les appliquer correctement dans des situations dynamiques.

Les itinéraires où circulent des trains de voyageurs, comme celui dans l’événement à l’étude, ajoutent un autre niveau de complexité aux tâches des CCF. Les trains de voyageurs ont préséance sur les trains de marchandises. Ils circulent beaucoup plus rapidement que les trains de marchandises, ce qui réduit le temps dont disposent les CCF pour prendre des décisions. Pendant la planification et la coordination des lieux où les trains de marchandises ramassent et garent les wagons, il faut tenir compte de l’effet de ces activités sur l’exploitation des trains de voyageurs. De plus, les CCF doivent se tenir au courant des arrêts dans les gares de voyageurs, en accordant une attention particulière aux voies et aux quais privilégiés dans les territoires à voies multiples, afin de s’assurer que les trains de voyageurs sont protégés contre les trains de marchandises circulant sur les voies adjacentes pendant que les voyageurs montent à bord des trains ou en descendent.

Selon le territoire auquel ils sont affectés, certains CCF doivent s’acquitter de leurs tâches dans les deux langues officielles et parfois traduire des renseignements. Cela peut alourdir leur charge de travail cognitive. Dans l’événement à l’étude, le territoire auquel le CCF était affecté comprenait des segments de voie au Québec et en Ontario, ce qui nécessitait d’effectuer une partie du travail dans les deux langues officielles.

1.8.2 Analyse de la charge de travail du bureau ED par la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada

Le CN a effectué une analyse de la charge de travail du bureau ED pour la période du 1er août au 2 septembre 2021, en mesurant chaque heure de chaque journée.

L’analyse a pris en compte le travail lié aux éléments suivants :

  • les permissions (interrompre, annuler, retirerNote de bas de page 29, terminer, confirmer, émettre, demander et autres actions diverses);
  • les signaux (demander, interrompreNote de bas de page 30);
  • les demandes d’aiguillage;
  • les bulletins d’exploitation (annuler, retirer, émettre, demander);
  • les appels radio et téléphoniques.

La majeure partie des heures mesurées ont révélé que les tâches totales effectuées représentaient typiquement moins de 45 minutes par heure mesurée. Le CN reconnaît que pas toutes les tâches des CCF ne sont captées dans les analyses de la charge de travail du CN. C’est pour cette raison que le CN utilise un seuil de 45 minutes pour identifier lorsqu’une charge de travail est élevée. Par conséquent, les bureaux de CCF qui ont régulièrement une charge de travail de 45 minutes ou plus par heure sont soumises à de nouvelles analyses. D’après ces résultats, il a été déterminé que la charge de travail du bureau ED n’était pas élevée. Il n’y a eu que 3 heures particulières au cours du mois entier où la charge de travail a été considérée comme élevée (lorsqu’elle dépassait 45 minutes de tâches dans une heure de travail). Le CN n’a donc pas jugé nécessaire de prendre d’autres mesures pour réévaluer la charge de travail de ce bureau.

Au cours du mois où l’analyse de la charge de travail a été effectuée, des restrictions de voyage étaient en vigueur pour prévenir la propagation de la COVID-19, et le volume du trafic était donc à la baisse. Plus précisément, le nombre de trains de voyageurs de VIA et de trains de marchandises en circulation était réduit. Les trains de voyageurs de VIA avaient repris leur horaire complet quelques jours avant l’événement à l’étude, ce qui ajoutait 5 trains de plus par jour. C’était le 3e quart de travail du CCF de l’événement à l’étude avec l’horaire complet de VIA. Au moment de l’événement, 2 trains VIA étaient toujours dans le territoire d’affectation du CCF.

1.8.3 Analyse de la charge de travail du bureau ED par le BST

Dans le cadre de l’enquête, le BST a effectué une analyse de la charge de travail du bureau ED pour l’heure précédant l’accident. Il a été déterminé qu’au moins 11 tâches typiquement effectuées par les CCF utilisant le bureau ED n’avaient pas été prises en compte dans l’analyse de la mesure de la charge de travail réalisée par le CN pour ce poste de travail :

  • assurer la surveillance et la planification cognitive des trains et des employés travaillant sur la voie;
  • discuter avec les CCF des bureaux adjacents à des fins de planification des trains;
  • accuser réception des messages électroniques concernant les permis d’occuper la voie électroniques;
  • planifier les activités avec divers autres membres du personnel, comme le CCF en chef, le personnel de contrôle des wagons, le service des équipes et les chefs de triage;
  • enregistrer l’heure du train afin de noter les retards;
  • saisir les retards;
  • écrire dans le cahier utilitaire à d’autres fins de planification;
  • consulter l’horaire de VIA pour obtenir des renseignements sur les trains de voyageurs;
  • accuser réception des alarmes;
  • commander des équipes de train dans le TOPC;
  • rechercher des renseignements sur les trains dans le TOPC (longueur, chargement exceptionnel, travail sur la voie).

Il y a eu 11 minutes, réparties sur l’heure, pendant lesquelles le CCF n’interagissait pas activement avec le poste de travail ni ne communiquait avec une autre personne. Pendant ces périodes, le poste de travail du CCF affichait les mouvements des trains et le travail des employés de la voie. De plus, il y a eu 12 minutes séparées où le CCF a réalisé une tâche unique comme émettre un BMT, orienter un aiguillage, prolonger l’itinéraire d’un mouvement, ou accuser réception d’une alarme produite par un test de systèmes de détection en voie. Bien que ces tâches prennent quelques secondes à réaliser, du temps supplémentaire aurait été nécessaire pour la planification et la surveillance. Ces résultats indiquent que, dans l’heure qui a précédé l’événement à l’étude, la charge de travail du CCF était complexe et elle exigeait son attention.

1.8.3.1 Situations actives surveillées par le contrôleur de la circulation ferroviaire dans l’heure précédant l’événement

Dans l’heure qui a précédé l’événement, le CCF contrôlait et coordonnait le mouvement de 11 trains (y compris les trains 532 et 149), dont 5 étaient des trains de voyageurs. Il surveillait plusieurs situations actives exigeant son attention :

  • Le train 532 desservait l’embranchement industriel à Prescott.
  • De 9 h 34 à 10 h 04, le CCF a dû évaluer, planifier et autoriser 4 trains sur 2 voies (itinéraire 60 de VIA et train 532 contournant le train 368 et le train 149 entre Brockem [point milliaire 118,4] et Galop [point milliaire 102,9]).
  • Il y a eu 4 alarmes de train fantôme, dont 2 se sont déclenchées environ 11 minutes avant l’événement à l’étude.
  • Le CCF examinait et acceptait ou refusait les demandes de permis d’occuper la voie électroniques issues d’employés du service d’Ingénierie qui réalisaient des inspections de la voie.
  • Le CCF coordonnait des intervalles de travaux prévues (permissions en vertu de la règle 42) avec plusieurs contremaîtres sur les voies nord et sud. En raison des intervalles de travaux, la voie était simple sur une distance d’environ 20 milles. Le CCF devait prévoir et planifier soigneusement l’acheminement des trains avec les contremaîtres dans ce secteur et surveiller continuellement la circulation ferroviaire afin d’éviter les retards, et s’assurer que tous les trains étaient orientés vers la voie sud à Dorval, y compris les trains de voyageurs de VIA.
1.8.3.2 Charge de travail pendant la délivrance de la permission en vertu de la règle 568

Juste avant et pendant la délivrance de la permission en vertu de la règle 568 au train 532, le CCF exécutait plusieurs autres tâches simultanées, qui exigeaient toutes son attention :

  • il informait les membres de l’équipe du train 532 qu’ils seraient retenus à Brockem pour le train VIA 63;
  • il recevait un message lui rappelant de demander une nouvelle équipe pour certains trains à Belleville (Ontario) et en accusait réception (le message apparaissait chaque fois qu’un mouvement entrait dans le canton où se trouvait l’aiguillage de l’embranchement industriel de Prescott, et le CCF a donc dû accuser réception du message plusieurs fois au cours de son quart de travail);
  • il recevait un message, et en accusait réception, lui indiquant que le train 149 se trouvait dans le même canton que l’aiguillage à manœuvre manuelle où le train 532 allait entrer sur la voie principale;
  • il orientait un aiguillage, puis un signal pour le train 305;
  • il orientait de nombreux signaux pour le train VIA 60;
  • il surveillait la circulation afin d’orienter les signaux pour le train VIA 63 une fois que le train 368 aurait dépassé Galop.

1.8.4 Attention et charge de travail

Les personnes ont une capacité limitée de partager leur attention. Une charge de travail accrue peut nuire à la capacité d’un CCF de percevoir et d’évaluer les renseignements provenant de l’environnement et réduire la conscience situationnelle.

La charge de travail est la capacité d’un CCF d’accomplir un certain nombre de tâches dans un laps de temps donné. Si le nombre de tâches à accomplir augmente, ou si le temps disponible pour les accomplir diminue, la charge de travail augmente. Il y a saturation des tâches quand le nombre de tâches à accomplir dans un laps de temps donné excède la capacité d’un CCF de les accomplir. Lorsque la charge de travail est complexe ou élevée, les personnes doivent soit abandonner, soit reporter certaines tâches et peuvent être prises au piège d’un phénomène appelé rétrécissement de l’attention ou canalisation de l’attention (se concentrer involontairement sur les renseignements jugés les plus importants à ce moment-là tout en ignorant ceux jugés moins importants, ou être fixé sur certains renseignements). L’adaptation des tâches est une autre stratégie de charge de travail qui accroît l’efficience des tâches ou réduit le temps nécessaire à leur réalisation.

Les interruptions ou distractions peuvent concurrencer d’autres tâches et détourner l’attention de tâches plus importantes. Ce relâchement de l’attention peut faire en sorte que le CCF manque des renseignements importants pour le maintien de sa conscience situationnelleNote de bas de page 31.

1.8.5 Gestion de la charge de travail

Pour gérer la charge de travail ou les situations exigeantes, les CCF peuvent prendre un certain nombre de mesures :

  • Donner la priorité à la circulation des trains de voyageurs et de marchandises et reporter d’autres tâches telles que la délivrance des permis d’occuper la voie, le traitement des permissions en vertu de la règle 568, la prise d’appels non urgents et les commandes aux équipes de train. Ces autres tâches sont sensibles au temps, mais les CCF les reportent généralement par ordre de priorité afin de réduire au minimum les retards.
  • Reporter les tâches secondaires, comme la consignation des retards, à un moment plus calme du quart de travail ou au quart de travail suivant, ou encore demander à un autre CCF de les accomplir, si le temps le permet.
  • Retenir les trains.
  • Demander aux équipes de train de ralentir la vitesse des trains.

Les CCF peuvent demander l’aide du superviseur de quart pour gérer leur charge de travail pendant leur quart de travail. Le superviseur de quart examinera le bureau et s’entretiendra avec le CCF pour déterminer l’aide dont il a besoin. Si possible, le territoire peut être partiellement transféré à celui d’un autre CCF, ou un bureau de CCF supplémentaire peut être ouvert pendant un certain temps. Il peut être difficile de diviser le territoire du CCF, étant donné que les CCF travaillant dans la subdivision de Kingston doivent être bilingues et que la grande majorité des CCF ne parlent pas couramment le français. De plus, il n’y a pas d’autre CCF qui était de service au centre de contrôle de la circulation ferroviaire à Edmonton, et si l’on fait appel au CCF qui assure la relève pendant les pauses-repas pour appuyer un CCF dont la charge de travail est trop élevée, d’autres CCF ne pourront pas prendre leurs pauses.

Dans l’événement à l’étude, le CCF n’a pas fait de demande officielle d’aide en raison de la charge de travail.

1.9 Conscience situationnelle et modèles mentaux

La conscience situationnelle est la perception des éléments dans l’environnement, la compréhension de leur signification et la projection de leur état dans l’avenir. Dans les situations souvent répétées, l’attention et les attentes sont plus souvent le fruit du modèle mental que l’on a de la situation, étant donné que l’expérience antérieure détermine l’information qui est importante et la façon dont se déroulera la situationNote de bas de page 32.

Un modèle mental est essentiel pour un rendement efficace dans des environnements dynamiques où chaque seconde compte, car il réduit le besoin d’évaluer la situation, ce qui prend du temps, et permet d’agir rapidement. Cependant, il peut également entraîner des erreurs de perception de l’information et des évaluations inexactes de la situation. Par exemple, des modèles mentaux inexacts peuvent faire en sorte que les opérateurs se fient trop aux premiers renseignements fournis (biais d’ancrage) et accroître la tendance à rechercher des preuves qui confirment la situation ou la décision en cours ou qui y correspondent, étant donné que l’expérience antérieure dicte les renseignements auxquels il faut s’attendre à un moment donné (biais de confirmation). Ces biais peuvent réduire la probabilité qu’un opérateur révise l’évaluation initiale de la situation et la mette à jour à l’aide de nouveaux renseignements, ou encore peuvent l’amener à « sélectionner » les renseignements qui confirment son état de conscience actuelNote de bas de page 33,Note de bas de page 34. Souvent, les gens entendent ce qu’ils s’attendent à entendre, et voient ce qu’ils s’attendent à voir.

1.10 Moyens de défense pour la protection des mouvements des trains

1.10.1 Moyens de défense administratifs dans le système de commande centralisée de la circulation

Lorsque l’entrée sur une voie principale régie par la CCC doit se faire à un aiguillage à manœuvre manuelle qui n’est pas verrouillé électriquement, comme dans l’événement à l’étude, le CCF doit donner sa permission par écrit. En l’absence de verrou électrique, il n’existe aucun moyen de défense physique pour empêcher qu’un tel aiguillage soit inversé par erreur alors qu’un train circule dans le canton. En outre, si un train a déjà franchi une indication de signal permissive régissant le mouvement dans le canton et qu’un aiguillage se trouvant dans ce canton est ensuite inversé par erreur, l’équipe du train qui s’approche ne saura pas qu’un aiguillage a été inversé avant que la cible d’aiguillage ne devienne visible.

Pour éviter une telle situation, les chemins de fer se fient à des moyens de défense administratifs, comme la règle 568 du REF et les procédures contenues dans le MCCF. Par exemple, avant de délivrer une permission en vertu de la règle 568 à un autre train, le CCF doit obtenir un compte rendu de position pour un train qui se trouve déjà dans le canton afin de s’assurer qu’il a déjà dépassé l’emplacement de l’aiguillage. Cependant, même si un compte rendu de position est obtenu, un CCF pourrait quand même délivrer par erreur une permission en vertu de la règle 568 à l’équipe du deuxième train, et aucune des 2 équipes n’aurait conscience de la présence d’un autre train. Ce chevauchement de permissions pourrait conduire à une collision.

Les moyens de défense administratifs peuvent échouer en cas d’erreur. Les exigences procédurales selon lesquelles une tâche doit être exécutée d’une manière particulière peuvent être oubliées, négligées ou évitées intentionnellement, par exemple pour prendre un raccourci. Comme l’ont démontré de nombreuses enquêtes du BST depuis 1990Note de bas de page 35, lorsqu’un moyen de défense administratif échoue (pour quelque raison que ce soit) et qu’il n’y a pas de moyen de défense physique à sécurité intrinsèque, des accidents peuvent se produire.

1.10.2 Verrous d’aiguillage électriques

Les verrous d’aiguillage électriques peuvent offrir un moyen de défense physique contre les mouvements de sens contraire. En CCC, lorsque les trains doivent entrer ou revenir sur la voie principale là où il y a un verrou d’aiguillage électrique, l’équipe de train doit d’abord obtenir la permission du CCF, conformément à la règle 568 du REF. La permission en vertu de la règle 568 doit inclure la direction et l’itinéraire à suivre. Une fois que le CCF a donné la permission, l’équipe du train déverrouille et ouvre le verrou d’aiguillage électrique. Une fois que le verrou d’aiguillage électrique a été ouvert, le circuit de voie est ouvert, ce qui génère une occupation de la voie à l’écran du CCF pour le canton contrôlé concerné. Cela empêche le CCF d’orienter les signaux de canton contrôlé vers l’intérieur du canton. Si le canton est déjà occupé lorsque les membres de l’équipe tentent d’ouvrir un verrou d’aiguillage électrique, leur tentative échouera.

1.11 Événements du BST concernant la mauvaise application de la règle 568 dans le cadre des opérations de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada

Au cours des 5 années précédant l’événement à l’étude, le CN a signalé au BST 6 événementsNote de bas de page 36 au cours desquels une mauvaise application de la règle 568 du REF a entraîné un mouvement dépassant les limites de son autorisation. Dans 2 de ces événements, un train occupait déjà le canton concerné (événements R20V0059 et R18E0139 du BST).

1.12 Événements du BST concernant la présence et/ou l’influence de drogues et d’alcool dans les opérations ferroviaires canadiennes

Dans le cadre de ses enquêtes, le BST tient compte de l’affaiblissement des facultés par les drogues et l’alcool, mais les données dans les opérations ferroviaires sont assez limitées. Depuis 1995, le BST n’a que 4 rapports d’enquête dans sa base de données qui incluent la présence et/ou l’influence de drogues et/ou d’alcool pour des employés du chemin de fer dans des postes essentiels à la sécurité Note de bas de page 37.

1.13 Surveillance réglementaire

De 2017 à 2021, TC a réalisé à 11 reprises des inspections de tous les centres de contrôle de la circulation ferroviaire actuels et antérieurs du CN (Toronto, Montréal et Edmonton). Le processus d’inspection n’a révélé aucune non-conformité de l’application de la règle 568 du REF.

1.14 Liste de surveillance du BST

La Liste de surveillance du BST énumère les principaux enjeux de sécurité qu’il faut s’employer à régler pour rendre le système de transport canadien encore plus sûr.

La surveillance réglementaire figure sur la Liste de surveillance 2022. Comme l’événement à l’étude l’a démontré, les infractions à la règle 568 peuvent entraîner des collisions et des déraillements de trains. Les observations issues des missions de sécurité du CN ne sont pas toujours efficaces pour cerner les pratiques d’exploitation dangereuses dans le contexte de la délivrance des permissions en vertu de la règle 568, et les vérifications de TC n’ont pas permis de déceler cette lacune de sécurité.

MESURE À PRENDRE

L’enjeu de la surveillance réglementaire dans le transport ferroviaire demeurera sur la Liste de surveillance jusqu’à ce que la surveillance effectuée par TC permette d’évaluer et de déterminer si les systèmes de gestion de la sécurité des exploitants sont efficaces, c.-à-d. que les exploitants cernent les dangers et évaluent les risques, que des mesures efficaces d’atténuation des risques sont mises en œuvre et que les exploitants valident l’efficacité des mesures de sécurité mises en œuvre. De plus, lorsque des exploitants ne sont pas en mesure de gérer efficacement la sécurité, TC doit intervenir de manière à modifier les pratiques d’exploitation non sécuritaires.

2.0 Analyse

Rien n’indique que des problèmes liés à la conduite du train, que l’état de la voie ou de l’équipement ou que des conditions mécaniques aient contribué à l’événement à l’étude. L’analyse portera donc sur ce qui suit :

  • les effets de l’alcool sur le rendement du contrôleur de la circulation ferroviaire (CCF);
  • les instructions relatives à la délivrance des permissions en vertu de la règle 568 lorsqu’un mouvement se trouve déjà dans le canton, et la façon dont le CCF les comprenait et les appliquait;
  • la conception du logiciel RTC II relativement à la délivrance des permissions en vertu de la règle 568 du Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada (REF) lorsqu’un mouvement se trouve déjà dans le canton;
  • les méthodes employées pour mettre à jour le Manuel des contrôleurs de la circulation ferroviaire (MCCF) de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) et pour vérifier la compréhension des changements qui y sont apportés;
  • la charge de travail du CCF dans l’heure précédant l’événement.

2.1 L’événement

Le 2 septembre 2021, vers 10 h 25, le train Z14921-02 du CN (train 149) circulait vers l’ouest sur la voie principale nord de la subdivision de Kingston et s’approchait du point milliaire 113,36, où un aiguillage à manœuvre manuelle donne accès à un embranchement industriel dans la ville de Prescott (Ontario). Le train devait dépasser l’aiguillage et continuer sur la voie principale nord jusqu’à Toronto (Ontario). Toutefois, l’équipe de la manœuvre d’aiguillage industrielle L53231-02 du CN (train 532) avait inversé l’aiguillage vers la voie KE01 de l’embranchement industriel, après avoir reçu du CCF la permission de s’engager sur la voie principale nord, conformément à la règle 568 du REF.

Juste après que l’aiguillage eut été renversé, le chef de train adjoint du train 532 a remarqué un train qui s’approchait de l’est sur la voie principale. À la suite d’une discussion entre les 2 équipes de train, les membres de l’équipe du train 149 se sont rendu compte que l’aiguillage était orienté à leur encontre et qu’une collision avec le train 532 était imminente. Ils ont mis le train en mode de freinage d’urgence à environ 970 pieds à l’est de l’aiguillage de l’embranchement, mais le train n’a pas pu s’arrêter. Vers 10 h 28, le train 149 s’est engagé sur l’embranchement et, alors qu’il circulait à 37 mi/h, est entré en collision frontale avec la locomotive orientée vers l’est IC 9629 du train 532.

Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs

Le train 149 du CN, qui circulait vers l’ouest sur la voie principale nord dans la ville de Prescott, a rencontré de façon inattendue un aiguillage à manœuvre manuelle orienté en position renversée au point milliaire 113,36; par conséquent, il s’est engagé sur la voie KE01 de l’embranchement industriel, où il est entré en collision frontale avec le train 532 du CN.

2.2 Effets de l’alcool sur le rendement du contrôleur de la circulation ferroviaire

Conformément à la Politique sur la prévention des problèmes causés par l’alcool et les drogues en milieu de travail du CN, environ 2 heures après l’accident, le CCF s’est soumis à un alcootest obligatoire. Les résultats indiquaient que, lorsque le CCF a assumé ses fonctions, son taux d’alcoolémie extrapolé se situait entre 0,064 % et 0,109 %. Au moment de l’accident, son taux d’alcoolémie extrapolé se situait entre 0,044 % et 0,069 %.

Tout au long du quart de travail du CCF et au moment de la délivrance de la permission en vertu de la règle 568, le taux d’alcoolémie extrapolé du CCF était tel qu’il était susceptible de nuire au rendement cognitif et de diminuer le niveau d’attention. Il peut y avoir des effets négatifs sur le rendement cognitif même lorsque le taux d’alcoolémie diminue. En outre, l’alcool a probablement nui à la qualité de son sommeil de la nuit précédente, ce qui a pu nuire davantage à son rendement.

Lorsque l’équipe du train 532 a fait une demande de permission en vertu de la règle 568, le rendement du CCF était probablement altéré sous les effets persistants de l’alcool. Avant de délivrer une permission en vertu de la règle 568, le CCF n’a pas confirmé la position du train 149; de plus, dans sa communication précédente avec l’équipe du train 532, il n’a pas indiqué le numéro et la direction du train 149.

Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs

Le rendement et le niveau d’attention du CCF étaient probablement altérés sous les effets persistants de l’ingestion d’alcool.

L’alcool altère la performance humaine en raison de ses effets négatifs sur les compétences psychomotrices et les fonctions cognitives, et notamment sur le traitement de l’information. À ce titre, la Politique sur la prévention des problèmes causés par l’alcool et les drogues en milieu de travail du CN indique, en partie, que lorsqu’ils se présentent au travail, tous les employés sont tenus d’être et de rester aptes au travail et libres de l’influence nocive de l’alcool. Par ailleurs, le REF interdit strictement la consommation de boissons alcooliques ou autres substances enivrantes et de stupéfiants par les employés appelés à prendre leur service, de même que la consommation et la possession de telles substances pendant le service.

Le Règlement de l’aviation canadien indique, en partie, qu’il est interdit à toute personne d’agir en qualité de membre d’équipage d’un aéronef si elle a ingéré une boisson alcoolisée dans les 12 heures précédentes, ou d’agir en qualité de contrôleur de la circulation aérienne ou de spécialiste de l’information de vol dans les 8 heures qui suivent l’ingestion d’alcool. Ce règlement prévoit une période d’interdiction d’ingestion d’alcool avant d’assumer des fonctions; ces périodes d’interdiction visent à permettre l’élimination de l’alcool; à ce titre, elles réduisent le risque qu’une personne assume des fonctions essentielles à la sécurité alors qu’elle est sous son influence.

À titre de comparaison, bien que la Loi sur la sécurité ferroviaire permette de telles dispositions, la réglementation applicable aux chemins de fer sous réglementation fédérale ne prévoit pas de telles périodes d’interdiction d’ingestion d’alcool. On attend donc des individus qu’ils s’auto-évaluent et qu’ils déterminent si les effets de l’alcool ont assez diminué pour être aptes au travail.

Quand leur taux d’alcoolémie diminue, ils pourraient ne pas être en mesure de s’auto-évaluer avec précision et pourraient donc avoir la perception subjective qu’ils se sont rétablis, malgré les effets persistants de l’alcool sur leur rendement cognitif.

Fait établi quant aux risques

Si l’on ne précise pas de période d’interdiction d’ingestion d’alcool avant d’assumer des fonctions essentielles à la sécurité, il existe un risque accru que les employés des chemins de fer assument leurs fonctions en ayant perçu à tort qu’ils se sont rétablis après avoir consommé de l’alcool, alors même que les effets persistent.

2.3 Délivrance de la permission en vertu de la règle 568

Les instructions à l’intention des CCF relatives à la délivrance d’une permission en vertu de la règle 568 dans les cas où un mouvement se trouve déjà dans un canton contrôlé diffèrent d’un chemin de fer à l’autre. Au Chemin de fer Canadien Pacifique, où le CCF de l’événement à l’étude avait travaillé pendant plusieurs années avant d’être embauché par le CN, les CCF peuvent obtenir un compte rendu de position soit du mouvement qui demande la permission, soit du mouvement qui occupe le canton.

Dans l’événement à l’étude, le CCF n’a pas communiqué avec le train 149 pour obtenir un compte rendu de position, et il n’a pas non plus demandé de compte rendu de position du train 149 à l’équipe du train 532. Le CCF n’a donc pas saisi de compte rendu de position dans le système.

Lors de 5 occasions précédentes, le CCF avait convenu avec les membres de l’équipe du train 532 que, s’il leur disait qu’un train occupait le canton, ils attendraient que ce train soit passé avant de demander une permission en vertu de la règle 568. Par conséquent, pour déterminer la position du mouvement dans le canton, il se fiait au moment où l’équipe du train 532 demandait une permission en vertu de la règle 568, plutôt que d’obtenir un compte rendu de position formel et de le saisir dans le système.

Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs

Le CCF n’a pas obtenu le compte rendu de position requis de la part de l’équipe du train 149. Par conséquent, il ne connaissait pas la position exacte du train dans le canton contrôlé de 14,7 milles par rapport à l’aiguillage du point milliaire 113,36 lorsqu’il a délivré au train 532 la permission en vertu de la règle 568 d’entrer sur la voie principale.

Le jour de l’événement à l’étude, au cours d’une conversation avec l’équipe du train 532 au sujet du moment où elle allait revenir sur la voie principale nord, le CCF a mentionné un train de marchandises à Crysler et a déclaré aux membres de l’équipe qu’ils en reparleraient, laissant entendre que leur prochaine conversation (la demande de permission en vertu de la règle 568 présentée par le train 532) n’aurait lieu qu’après le passage du train de marchandises (ce qui signifiait probablement, sans le mentionner, le train 149). Il n’a toutefois pas déclaré expressément aux membres de l’équipe du train 532 que le train 149 occupait le canton, et il ne leur a pas non plus demandé d’appeler lorsque le train de sens contraire aurait dépassé leur position.

Lorsque le CCF a reçu la demande de permission en vertu de la règle 568 de la part de l’équipe du train 532, en raison de la pratique antérieure, il avait formé un modèle mental selon lequel le train 149 avait dépassé la position du train 532 et celle de l’aiguillage du point milliaire 113,36.

Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs

Lorsque le CCF a reçu du train 532 la demande d’entrer sur la voie principale nord, il a formé un modèle mental selon lequel le train 149 avait déjà dépassé l’aiguillage du point milliaire 113,36, et il a donc délivré la permission en vertu de la règle 568 du REF au train 532.

2.4 Conception du logiciel RTC II relativement à la délivrance des permissions en vertu de la règle 568

Lorsque le CCF a amorcé le processus de délivrance d’une permission en vertu de la règle 568 au train 532, le logiciel RTC II a affiché une invite indiquant que le train 149 se trouvait dans les limites de la voie. Cette invite présentait 2 options : Continuer (l’option par défaut) et Abandonner. Comme le CCF savait déjà que le train 149 se trouvait dans le canton, il a supposé à tort que le train se trouvait à l’ouest de l’aiguillage du point milliaire 113,36 et a sélectionné « Continuer ».

Selon l’article 3018 du MCCF, avant de délivrer une permission en vertu de la règle 568, les CCF sont tenus d’obtenir un compte rendu de position de la part d’un train qui se trouve dans le canton contrôlé. Les CCF doivent également saisir le compte rendu de position dans le système au moment où ils le reçoivent. Toutefois, cette saisie n’est pas automatiquement reliée à la délivrance d’une permission en vertu de la règle 568, et le logiciel permet qu’une permission soit délivrée même si le compte rendu de position n’a pas été obtenu.

En revanche, lorsque les CCF utilisent le même logiciel pour délivrer un permis d’occuper la voie (POV), une permission délivrée pour assurer la protection des véhicules d’entretien et des travaux de voie, le logiciel exige la saisie d’un compte rendu de position si un train se trouve dans le canton contrôlé où se trouvent les limites du POV proposé. Si ce compte rendu n’est pas fourni, le système annule la permission.

Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs

Le CCF a outrepassé l’invite affichée par le logiciel RTC II concernant une incompatibilité avec le train 149 et a délivré une permission en vertu de la règle 568 pour le train 532 d’entrer sur la voie principale sans avoir à saisir un compte rendu de position pour le train 149 dans le système.

Fait établi quant aux risques

Si le système de contrôle de la circulation ferroviaire permet à un CCF de délivrer une permission en vertu de la règle 568 alors qu’un autre train se trouve dans le canton contrôlé, sans obtenir de compte rendu de position et le saisir dans le système, le risque de collision augmente.

2.5 Modifications apportées au Manuel des contrôleurs de la circulation ferroviaire

L’article 3018 du MCCF a été mis à jour en mars 2019 pour préciser que les CCF doivent communiquer avec chaque mouvement qui se situe dans le canton contrôlé pour obtenir un compte rendu de position et le consigner dans le système informatique avant de délivrer la permission en vertu de la règle 568 (Signal ou permission d’entrer sur la voie principale).

Les mises à jour du MCCF sont affichées sur le site intranet du CN et envoyées aux CCF par courriel. Conformément à la règle 83(b) du REF, les CCF doivent lire et comprendre les bulletins d’exploitation qui s’appliquent à leur territoire. Toutefois, la compagnie ne vérifie pas si les CCF ont lu ces courriels. Dans ce cas-ci, la mise à jour de l’article 3018 du MCCF a été incluse dans le matériel de renouvellement de certification des CCF. La direction peut effectuer un suivi au moyen d’une campagne de sécurité ou d’un examen de l’efficacité pour s’assurer que tous les CCF ont lu et compris les changements; toutefois, ni campagne ni examen de la sorte n’a eu lieu concernant la mise à jour de l’article 3018 du MCCF publiée en mars 2019. L’enquête a démontré que la compréhension des exigences de l’article 3018 par certains CCF ne correspondait pas à la version mise à jour de l’article 3018.

Lorsque des procédures essentielles à la sécurité sont révisées, il est essentiel que les employés qui appliqueront les procédures révisées comprennent parfaitement ce que l’on attend d’eux. Cet objectif ne peut être atteint que par une formation, des vérifications et une supervision efficaces. Les employés sont tenus de demander des éclaircissements en cas de doute sur le sens d’une règle ou d’une instructionNote de bas de page 38; toutefois, il est probable qu’ils ne le feront que s’ils sont conscients de ne pas comprendre une règle ou une instruction mise à jour.

Fait établi quant aux risques

Si des procédures essentielles à la sécurité sont mises à jour et diffusées sans formation ni vérification pour s’assurer qu’elles sont bien comprises lors de leur émission, il existe un risque accru que ces procédures soient mal appliquées, annulant ainsi les avantages que ces mesures de sécurité supplémentaires étaient censées offrir.

2.6 Charge de travail du contrôleur de la circulation ferroviaire le jour de l’événement

Le CN a effectué une analyse de la charge de travail des CCF dans la subdivision de Kingston (bureau ED) pour la période du 1er août au 2 septembre 2021, en mesurant chaque heure de chaque journée. Le CN a déterminé que la charge de travail n’était pas élevée (la majorité des heures mesurées ont révélé que les tâches étaient généralement effectuées pendant moins de 45 minutes par heure mesurée). Il n’y a eu que 2 heures particulières au cours du mois entier où la charge de travail a été considérée comme élevée, alors que les tâches occupaient plus de 45 minutes dans une heure de travail. Le CN n’a donc pas jugé nécessaire de prendre d’autres mesures pour réévaluer la charge de travail. Cependant, au moment où cette évaluation de la charge de travail a été effectuée, des restrictions de voyage étaient en place pour prévenir la propagation de la COVID-19; plus précisément, le nombre de trains de voyageurs de VIA Rail Canada Inc. (VIA) en circulation était réduit.

Les trains de voyageurs de VIA avaient repris leur horaire complet quelques jours avant l’événement à l’étude, ce qui a augmenté la charge de travail du CCF. C’était le 3e quart de travail du CCF avec l’horaire complet de VIA. Dans les situations où la charge de travail est élevée, le nombre de tâches qu’un CCF doit accomplir peut dépasser la capacité du CCF à les réaliser dans un laps de temps donné. Dans de telles situations, les CCF peuvent subir un rétrécissement de l’attention.

Le BST a effectué sa propre analyse de la charge de travail du bureau ED pour l’heure précédant l’accident. Les résultats indiquent que la charge de travail du CCF au cours de cette heure était complexe. Il contrôlait et coordonnait les mouvements d’environ 11 trains, dont 5 étaient des trains de voyageurs, qui circulent à des vitesses plus élevées que les trains de marchandises. Il surveillait également plusieurs situations actives, qui nécessitaient toutes son attention. Alors qu’il était soumis à cette charge de travail complexe, son rendement cognitif était aussi probablement altéré négativement par les effets persistants de l’ingestion d’alcool.

Dans l’événement à l’étude, pendant les 2,5 minutes où le CCF délivrait la permission en vertu de la règle 568, il s’acquittait également de plusieurs autres tâches concurrentes. Son attention a été détournée de l’écran d’ordinateur qui affichait le train 149 franchissant le détecteur de boîtes chaudes au point milliaire 110, à l’est de l’aiguillage du point milliaire 113,36. Il a donc raté une occasion de corriger son modèle mental de la position du train 149.

Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs

Lorsque le CCF a délivré la permission en vertu de la règle 568, sa charge de travail était complexe et son attention était redirigée vers d’autres tâches concurrentes.

Fait établi quant aux risques

Si l’analyse de la charge de travail d’un CCF est réalisée pendant des périodes de volume réduit de circulation ferroviaire, l’analyse peut ne pas être représentative des conditions réelles pendant les périodes de circulation plus élevée, ce qui crée un risque que le CCF ne soit pas en mesure de gérer sa charge de travail pendant de telles périodes.

3.0 Faits établis

3.1 Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

Il s’agit des conditions, actes ou lacunes de sécurité qui ont causé l’événement ou y ont contribué.

  1. Le train 149 de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN), qui circulait vers l’ouest sur la voie principale nord dans la ville de Prescott, a rencontré de façon inattendue un aiguillage à manœuvre manuelle orienté en position renversée au point milliaire 113,36; par conséquent, il s’est engagé sur la voie KE01 de l’embranchement industriel, où il est entré en collision frontale avec le train 532 du CN.
  2. Le rendement et le niveau d’attention du contrôleur de la circulation ferroviaire étaient probablement altérés sous les effets persistants de l’ingestion d’alcool.
  3. Le contrôleur de la circulation ferroviaire n’a pas obtenu le compte rendu de position requis de la part de l’équipe du train 149. Par conséquent, il ne connaissait pas la position exacte du train dans le canton contrôlé de 14,7 milles par rapport à l’aiguillage du point milliaire 113,36 lorsqu’il a délivré au train 532 la permission en vertu de la règle 568 d’entrer sur la voie principale.
  4. Lorsque le contrôleur de la circulation ferroviaire a reçu du train 532 la demande d’entrer sur la voie principale nord, il a formé un modèle mental selon lequel le train 149 avait déjà dépassé l’aiguillage du point milliaire 113,36, et il a donc délivré la permission en vertu de la règle 568 du Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada au train 532.
  5. Le contrôleur de la circulation ferroviaire a outrepassé l’invite affichée par le logiciel RTC II concernant une incompatibilité avec le train 149, et a délivré une permission en vertu de la règle 568 pour le train 532 d’entrer sur la voie principale sans avoir à saisir un compte rendu de position pour le train 149 dans le système.
  6. Lorsque le contrôleur de la circulation ferroviaire a délivré la permission en vertu de la règle 568, sa charge de travail était complexe et son attention était redirigée vers d’autres tâches concurrentes.

3.2 Faits établis quant aux risques

Il s’agit des conditions, des actes dangereux, ou des lacunes de sécurité qui n’ont pas été un facteur dans cet événement, mais qui pourraient avoir des conséquences néfastes lors de futurs événements.

  1. Si l’on ne précise pas de période d’interdiction d’ingestion d’alcool avant d’assumer des fonctions essentielles à la sécurité, il existe un risque accru que les employés des chemins de fer assument leurs fonctions en ayant perçu à tort qu’ils se sont rétablis après avoir consommé de l’alcool, alors même que les effets persistent.
  2. Si le système de contrôle de la circulation ferroviaire permet à un contrôleur de la circulation ferroviaire de délivrer une permission en vertu de la règle 568 alors qu’un autre train se trouve dans le canton contrôlé, sans obtenir de compte rendu de position et le saisir dans le système, le risque de collision augmente.
  3. Si des procédures essentielles à la sécurité sont mises à jour et diffusées sans formation ni vérification pour s’assurer qu’elles sont bien comprises lors de leur émission, il existe un risque accru que ces procédures soient mal appliquées, annulant ainsi les avantages que ces mesures de sécurité supplémentaires étaient censées offrir.
  4. Si l’analyse de la charge de travail d’un contrôleur de la circulation ferroviaire est réalisée pendant des périodes de volume réduit de circulation ferroviaire, l’analyse peut ne pas être représentative des conditions réelles pendant les périodes de circulation plus élevée, ce qui crée un risque que le contrôleur de la circulation ferroviaire ne soit pas en mesure de gérer sa charge de travail pendant de telles périodes.

4.0 Mesures de sécurité

4.1 Mesure de sécurité prise

4.1.1 Bureau de la sécurité des transports du Canada

Le 25 janvier 2022, le BST a envoyé à Transports Canada (TC) l’avis de sécurité ferroviaire 01/22 intitulé « Conflit d’autorisation relatif à l’entrée sur une voie principale sans obtenir un compte rendu de position de train ».

L’avis indiquait que la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) et le Chemin de fer Canadien Pacifique ont tous deux un logiciel que les contrôleurs de la circulation ferroviaire (CCF) utilisent pour gérer la circulation ferroviaire dans leurs réseaux, ce qui comprend la délivrance de permissions d’entrer sur une voie principale. Ces permissions sont régies par la règle 568 du Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada (REF) et sont communément appelées permissions en vertu de la règle 568.

Lorsqu’un CCF traite une permission en vertu de la règle 568 dans le logiciel, si un train est déjà orienté ou exploité dans le même canton contrôlé que celui de la permission demandée, une invite d’avertissement s’affiche. Dans ces situations, le CCF est censé obtenir un compte rendu de position pour le train circulant dans le canton afin de s’assurer que le train a dépassé la position où le train qui demande la permission a l’intention d’entrer sur la voie principale. La position doit ensuite être saisie dans le système.

Toutefois, un CCF peut outrepasser l’invite et délivrer la permission en vertu de la règle 568 demandée sans obtenir le compte rendu de position du train occupant le canton. Lorsque l’invite est outrepassée, le logiciel produit une permission en vertu de la règle 568 achevée, ce qui permet à un 2e train d’entrer sur la voie principale avant que le train incompatible ait franchi l’endroit en question.

Des accidents ferroviaires graves peuvent se produire lorsqu’une invite de système visant le respect d’une tâche essentielle à la sécurité en vertu du REF peut être outrepassée sans la protection d’un mécanisme de surveillance secondaire ou d’un moyen de défense physique. La lettre indiquait que TC pourrait souhaiter examiner les invites du logiciel du système de contrôle de la circulation ferroviaire des compagnies ferroviaires pour toutes les tâches essentielles à la sécurité qui peuvent être outrepassées alors que de l’équipement ferroviaire se trouve déjà dans le canton, y compris les invites affichées pendant la délivrance des permissions en vertu de la règle 568 du REF, et confirmer que des mesures de protection adéquates existent contre les décisions non sécuritaires prises par les CCF.

4.1.2 Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada

Le 2 septembre 2021, le CN a émis l’avis 2021-017 à l’intention des CCF, interdisant jusqu’à nouvel ordre la délivrance de permissions en vertu de la règle 568 lorsqu’un mouvement se trouve déjà dans le canton concerné. Cette interdiction était toujours en vigueur en décembre 2023.

4.1.3 Transports Canada

Le 28 février 2022, TC a répondu à l’avis de sécurité ferroviaire 01/22 du BST, indiquant qu’il travaillait sur plusieurs grands fronts pour régler cet enjeu. TC

  • a pris des mesures immédiates pour enquêter sur les circonstances qui avaient conduit au mouvement incompatible et à l’infraction à la règle 568 du REF, et a envoyé une lettre de non-conformité au CN;
  • a écrit le 23 septembre 2021 aux compagnies ferroviaires qui utilisent le système de commande centralisée de la circulation et leur a demandé de fournir une description de leurs pratiques d’exploitation actuelles et des mesures de protection du système, des procédures ainsi que des instructions spéciales qui sont en place pour garantir qu’aucun mouvement incompatible ne se produit dans un canton contrôlé;
  • a examiné le REF afin de déterminer quelle règle essentielle à la sécurité forcerait les CCF à établir qu’il n’y a pas de mouvement incompatible avant d’autoriser un deuxième mouvement à s’engager sur la voie.

Le 21 février 2023, TC a réalisé une inspection au centre de contrôle de la circulation ferroviaire du CN à Edmonton où des observations de la règle 568 ont été notées, y compris des discussions avec des CCF concernant les instructions du CN (à ce moment) interdisant la délivrance de permissions en vertu de la règle 568 lorsqu’un mouvement est dans le canton concerné. Tous les CCF comprenaient l’exigence.

À la mi-mars 2023, TC a réalisé un audit ciblé du système de gestion de la sécurité (SGS). L’audit portait sur les invites de sécurité du logiciel RTC II.

4.2 Préoccupation liée à la sécurité

Consommation d’alcool avant d’assumer des fonctions essentielles à la sécurité

Le 2 septembre 2021, vers 10 h 28, heure avancée de l’Est, le train intermodal Z14921-02 de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) circulait en direction ouest sur la voie principale nord de la subdivision de Kingston près de Prescott (Ontario) lorsqu’il a rencontré de façon inattendue un aiguillage orienté en position renversée pour une route divergente sur un embranchement industriel. Le train s’est engagé dans l’embranchement, où il est entré en collision frontale avec le train L53231-02 du CN, une affectation de manœuvre industrielle, à une vitesse d’environ 37 mi/h. À la suite de la collision, les 4 locomotives (2 sur chaque train) ont déraillé et ont subi des dommages importants dus à l’impact. Le réservoir de carburant de la locomotive menante du train Z14921-02 a été perforé et a rejeté du carburant diesel, mais celui-ci ne s’est pas enflammé. Quatorze caisses de wagons intermodaux chargées de conteneurs à double niveau ont également déraillé, ainsi que 2 wagons stationnaires sur l’embranchement. La voie principale nord, la voie principale sud et 2 des voies de l’embranchement industriel ont subi des dommages importants; au total, la voie a été détruite sur quelque 1000 pieds. Deux membres d’équipe ont été légèrement blessés et 1 membre d’équipe a été hospitalisé pour des blessures graves.

L’équipe du train L53231-02 du CN avait inversé l’aiguillage après avoir reçu la permission du contrôleur de la circulation ferroviaire (CCF) d’entrer sur la voie principale nord en vertu de la règle 568 du Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada (REF), Le CCF n’a pas obtenu le compte rendu de position exigé auprès de l’équipe sur le train Z14921-02. Il ne savait donc pas l’emplacement exact du train par rapport à l’aiguillage. Lorsque le CCF a reçu la demande de permission du train L53231-02 d’entrer sur la voie principale nord, il a développé un modèle mental où le train Z14921-02 avait déjà dépassé l’aiguillage et il a donc émis la permission en vertu de la règle 568 du REF au train L53231-02.

Dans l’événement à l’étude, le rendement et le niveau d’attention du CCF étaient probablement altérés sous les effets persistants de l’ingestion d’alcool.

L’alcool altère la performance humaine en raison de ses effets négatifs sur les compétences psychomotrices et les fonctions cognitives telles que la prise de décision, l’attention et le raisonnement. L’alcool a un effet particulièrement important sur le traitement de l’information et la mémoire de travail; même des doses relativement faibles d’alcool peuvent entraîner une baisse du rendement. Bien que les compétences psychomotrices se rétablissent lorsque le taux d’alcoolémie diminue, il peut tout de même y avoir des effets négatifs sur le rendement cognitif.

La Loi sur la sécurité ferroviaire et les règlements adoptés en vertu de la Loi ne prévoient pas de période d’interdiction de consommation d’alcool avant l’exercice des fonctions. On attend donc des individus qu’ils s’auto-évaluent et qu’ils déterminent si les effets de l’alcool ont assez diminué pour être aptes au travail. Quand leur taux d’alcoolémie diminue, il y a un risque qu’ils ne soient pas en mesure de s’auto-évaluer avec précision et ils pourraient donc avoir la perception subjective qu’ils se sont rétablis, malgré la persistance des effets de l’alcool sur le rendement cognitif. À titre de comparaison, le Règlement de l’aviation canadien indique, en partie, qu’il est interdit à toute personne d’agir en qualité de membre d’équipage d’un aéronef si elle a ingéré une boisson alcoolisée dans les 12 heures précédentes, ou d’agir en qualité de contrôleur de la circulation aérienne ou de spécialiste de l’information de vol dans les 8 heures qui suivent l’ingestion d’alcool. Ces périodes d’interdiction visent à permettre l’élimination de l’alcool; à ce titre, elles réduisent le risque qu’une personne assume des fonctions essentielles à la sécurité alors qu’elle est sous l’influence de l’alcool.

L’affaiblissement des facultés par l’alcool des employés occupant des postes essentiels à la sécurité peut avoir de graves conséquences sur la sécurité des équipes, des passagers et de l’environnement.

Par conséquent, étant donné qu’il n’y a aucune période d’interdiction de consommation d’alcool par les employés des chemins de fer occupant des postes essentiels à la sécurité au Canada, le Bureau est préoccupé par le fait que ces employés puissent s’acquitter de leurs tâches pendant qu’ils sont sous l’influence de l’alcool.

Le présent rapport conclut l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .