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Les pilotes ne peuvent pas simplement « jeter un coup d’œil » pour juger s’ils sont en mesure de savoir où est la piste

Kathy Fox

Bureau de la sécurité des transports du Canada

Cet article a été publié initialement dans l’édition de juillet/août 2020 du magazine Wings

Le 26 février 2018, un appareil Beechcraft King Air A100 effectuait un vol nolisé selon les règles de vol aux instruments en provenance de l’aéroport de Sept-Îles (Québec) et à destination de l’aéroport de Havre-Saint-Pierre (Québec). Deux membres d’équipage et six passagers se trouvaient à bord. Avant le décollage, les conditions météorologiques en vigueur à l’aéroport de Havre-Saint-Pierre (CYGV) indiquaient une faible neige et une visibilité de ¾ mille (terrestre), ce qui était en dessous de la visibilité d’un mille publiée sur la carte d’approche, mais était à la limite minimale permise pour le vol. Toutefois, les données météorologiques à jour obtenues au moment où l’équipage commençait sa descente indiquaient que la visibilité s’était détériorée et était passée à un ¼ mille dans de fortes averses de neige, bien en dessous du minimum permis pour effectuer l’approche.

Le pilote savait que la visibilité était en dessous du minimum publié, mais selon son interprétation de la réglementation complexe des interdictions d’approche du Canada, il pouvait quand même effectuer l’approche. Il est donc descendu à l’altitude minimale de descente, a aperçu un seul repère visuel et a jugé qu’il était en mesure de poursuivre l’approche de façon sécuritaire. Alors que l’aéronef a atteint la piste, le pilote ne la voyait pas. Quelques secondes plus tard, ce dernier a aperçu un bout de la piste, s’y est aligné et a poursuivi l’atterrissage. Cependant, le point d’atterrissage se trouvait à seulement 700 pieds de l’extrémité de la piste et, comme il n’avait pas assez d’espace pour ralentir, l’aéronef s’est immobilisé dans un banc de neige, 220 pieds au-delà de l’extrémité de la piste.

Bien qu’il n’y ait eu aucune blessure grave, l’appareil a subi des dommages importants.

Les sorties en bout de piste figurent depuis 2010, sous une forme ou une autre, sur la Liste de surveillance qui énonce les principaux enjeux de sécurité du Bureau de la sécurité des transports (BST). Les causes et les facteurs contributifs de chacun des événements varient considérablement. Dans ce cas, la question « que s’est-il passé? » était facile à examiner : un aéronef a effectué un atterrissage long, la visibilité étant faible. La plus grande question, « pourquoi? », a donné une vraie leçon de sécurité aux enquêteurs du BST.

Les pilotes sont formés pour pouvoir décider ou non d’atterrir lorsque l’aéronef atteint l’altitude minimale de descente (ou la hauteur de décision) publiée. S’ils ne sont pas en mesure de trouver les points de repère nécessaires, ils interrompent l’approche et effectuent une montée pour reprendre de l’altitude et décider de la suite.

Comme nous l’avons vu dans le cadre de cette enquête, ce n’est pas toujours ce qui se produit.

Ailleurs dans le monde, les aérodromes utilisent la visibilité publiée sur la carte d’approche comme limite minimale pour déterminer si l’approche est autorisée. Si la visibilité signalée est inférieure à la visibilité publiée, le contrôle de la circulation aérienne ne permet pas à l’aéronef d’effectuer l’approche. Au Canada, cependant, la visibilité publiée n’est pas une limite; l’équipage de conduite peut effectuer une approche lorsque la visibilité est inférieure à celle qui a été publiée.

De plus, les règles relatives aux atterrissages au Canada sont complexes à un point tel que le contrôle de la circulation aérienne n’est pas en mesure de déterminer quels sont les aéronefs pour lesquels l’approche est interdite. Pour déterminer avec précision si une approche est permise au Canada, il faut consulter plusieurs documents de référence et tenir compte d’un ensemble de facteurs, dont les restrictions opérationnelles de l’aérodrome (qui peuvent comprendre une limite de visibilité globale ou particulière) et le genre d’exploitation (soit, entre autres, commerciale, commerciale avec précision d’exploitation particulière, ou privée).

L’interprétation des minimums d’atterrissage complexes du Canada peut semer la confusion et, comme dans ce cas-ci, inciter l’équipage de conduite à conclure qu’une approche peut être effectuée alors qu’elle est en fait interdite.

Afin de réduire les risques qu’un tel accident se produise de nouveau, des mesures de protection doivent être mises en place. Il n’y en a pas assez à l’heure actuelle. En fait, au Canada, le contrôle de la circulation aérienne autorise les aéronefs à effectuer leurs approches peu importe le minimum publié étant donné que les pilotes ont l’entière responsabilité de décider s’ils peuvent effectuer une approche dans de mauvaises conditions météorologiques.

C’est pourquoi le BST a émis deux recommandations dans le cadre de son rapport d’enquête sur la sortie en bout de piste qui a eu lieu à l’aéroport CYGV (A18Q0030). La première recommandation (A20-01) demande que Transports Canada « revoie et simplifie les minimums opérationnels pour les approches et les atterrissages aux aérodromes canadiens ». La deuxième (A20-02) demande que Transports Canada « instaure un mécanisme pour stopper les approches et les atterrissages qui sont en réalité interdits ».

Autrement dit, les règles doivent être claires et simples aux yeux de tous. On ne peut pas laisser les pilotes « jeter un coup d’œil » pour juger s’ils sont en mesure de savoir où est la piste. On doit mettre un terme à ces approches avant même qu’elles commencent.