Rapport d’enquête ferroviaire R16T0111 du BST (triage MacMillan) : Mot d'ouverture

Faye Ackermans, Membre du Bureau du BST
et
Nathalie Lepage, enquêteure principale, BST
Richmond Hill (Ontario)
le 27 juin 2018

Version française du mot d'ouverture, prononcé en anglais.

Seul le texte prononcé fait foi.

Faye Ackermans

Bonjour.

Le soir du 17 juin 2016, un train du CN composé de 2 locomotives et de 74 wagons est parti à la dérive sur 3 milles de voie principale tout juste à l'est du triage MacMillan du CN, situé à la limite nord de Toronto. Ce « train de manœuvre », comme on l'appelle, a atteint une vitesse de 30 milles à l'heure avant de s'immobiliser dans une pente ascendante.

Depuis l'accident de Lac-Mégantic en 2013, il est inutile de rappeler à la population canadienne les dangers que posent les mouvements non contrôlés ou en dérive. Le nombre de « mouvements non contrôlés » a  d'ailleurs augmenté au cours des cinq dernières années. Même si le train dans  ce cas-ci ne transportait pas de pétrole brut et que personne n'a été blessé, un des wagons contenait un mélange inflammable d'essence et d'éthanol.

Durant son enquête, le BST a constaté des lacunes dans la formation des chefs de train qui travaillent dans les gares de triage, où plusieurs utilisent des systèmes de télécommande, communément appelés « Beltpack », pour manœuvrer les trains entrants, assembler les wagons et former de nouveaux trains sortants. Ce que nous avons appris, c'est que le règlement qui régit les normes de compétence des employés n'a pas évolué au rythme des changements importants qui sont survenus dans l'exploitation ferroviaire au fil des ans. Par conséquent, certains employés qui occupent des postes clés pourraient ne pas avoir la formation ou l'expérience nécessaire pour effectuer leurs tâches en toute sécurité.

Voilà pourquoi le BST recommande aujourd'hui à Transports Canada d'actualiser le règlement et d'établir des normes de compétence pour les employés qui occupent des postes essentiels à la sécurité.

Je reviendrai sur cette recommandation dans quelques minutes. Je vais d'abord céder la parole à Nathalie Lepage. Elle vous fournira le détail de ce qui s'est passé ce soir-là, en vous expliquant comment et pourquoi les préposés au train en ont perdu la maîtrise.

Nathalie Lepage

Comme la plupart des triages ferroviaires, le triage MacMillan est aménagé en forme de cuvette. Les triages sont ainsi conçus pour réduire au minimum la possibilité que des wagons ne partent à la dérive sur les voies principales. Dans ce cas-ci, à l'extrémité sud du triage, la voie monte jusqu'au sommet d'une butte, puis redescend de l'autre côté vers la subdivision de York et la ville de Toronto.

Le jour de l'incident, l'équipe dans cette zone du triage était composée d'un contremaître et d'un aide. Tous deux étaient compétents comme chefs de train et opérateurs de Beltpack, et chacun comptait environ deux ans d'expérience au triage. Par contre, ni l'un ni l'autre n'avait beaucoup d'expérience dans cette zone du triage. Le contremaître a donc demandé un briefing auprès du coordonnateur de trains. De fait, l'équipe a reçu deux briefings au sujet de leurs tâches. En dépit de leur utilité, un malentendu a subsisté concernant la disponibilité et l'utilisation des freins à air.

Ce qu'il faut comprendre, c'est que les trains utilisent deux types de freins à air : les freins directs et les freins automatiques. Les freins directs ne se trouvent que sur les locomotives; dans ce cas-ci, elles étaient toutes deux en tête du train de manœuvre. Les freins automatiques servent à ralentir ou à immobiliser le train au complet; ils fonctionnent habituellement au moyen d'une conduite générale reliée à chaque wagon.

À l'issue des briefings, le coordonnateur de trains était sous l'impression que les wagons seraient reliés aux freins à air automatiques. De leur côté, le contremaître et son aide avaient compris que seuls les freins directs des locomotives étaient nécessaires, au début du moins, et que la connexion et l'alimentation en air des freins automatiques auraient lieu une fois que les wagons seraient livrés aux clients.

Vers 23 h 30, l'équipe avait réuni tous les wagons à l'extrémité sud du triage. Au total, le train mesurait plus de 4500 pieds et pesait plus de 9000 tonnes. Pour déplacer tous les wagons d'un seul coup, l'équipe avait besoin de plus d'espace et a reçu l'autorisation de les déplacer au-delà de la cuvette du triage et partiellement sur la voie principale de la subdivision de York.

Au début, tout s'est déroulé comme prévu. Le contremaître est demeuré au sol tandis que l'aide a pris place sur une plateforme à l'avant de la locomotive de tête et contrôlait le train au moyen d'un Beltpack. Avec seulement le tiers des wagons de l'autre côté de la cuvette, l'équipe a pu effectuer un arrêt dirigé pour céder la voie à un autre train qui approchait.

L'équipe a ensuite fait avancer les wagons plus loin sur la voie principale de sorte que les deux tiers se trouvaient sur la pente descendante. Mais à ce moment-là, puisqu'elle était limitée aux seuls freins directs des locomotives, la force de freinage du train ne pouvait plus suffire et le train a commencé à accélérer. Comme nous l'avons dit, le train est parti à la dérive pour atteindre une vitesse de presque 30 mi/h avant de s'immobiliser trois milles plus loin.

Après l'incident, le CN a effectué une évaluation des risques et a examiné la topographie et l'usage des freins à air dans tous ses triages au Canada. Aujourd'hui, de nouvelles exigences minimales concernant l'usage des freins sont en place pour chaque triage, y compris le nombre de wagons dont les freins à air doivent être alimentés avant d'accéder une voie principale. Cependant, il y a encore beaucoup à faire. Pour en discuter, je rends la parole à Faye Ackermans.

Faye Ackermans

Comme Nathalie l'a indiqué, le contremaître et son aide étaient des chefs de train compétents et travaillaient au triage MacMillan depuis près de deux ans. Toutefois, les tâches qu'on leur avait confiées ce soir-là étaient assez différentes de celles qu'ils effectuaient habituellement. Vu ces différences, ils n'avaient pas l'expérience opérationnelle suffisante pour accomplir leur travail en toute sécurité.

Par exemple, les deux membres de l'équipe avaient l'habitude de travailler dans d'autres zones du triage MacMillan – des zones où la plupart des opérations se font sans les freins à air automatiques. Cela a contribué au malentendu avec le coordonnateur de trains concernant l'usage des freins à air automatiques. De plus, même s'ils étaient conscients de la taille considérable du train, ils n'avaient pas les connaissances nécessaires pour bien comprendre l'incidence que cela aurait sur la « manœuvre ». C'est-à-dire, comment le train se déplacerait – s'arrêterait ou repartirait – en fonction de caractéristiques comme sa longueur, son tonnage et la répartition du poids.

Enfin, les coéquipiers n'ont pas compris l'incidence des caractéristiques topographiques de leur parcours, notamment la pente descendante au-delà de la cuvette. S'ils ont pu réaliser un arrêt dirigé au début, c'est uniquement parce que les deux tiers du train se trouvaient toujours à l'intérieur du triage, sur la pente ascendante de la cuvette. Dès que la majorité des wagons s'est trouvée sur la pente descendante menant à la voie principale et à la subdivision de York, la force de freinage ne suffisait plus étant donné l'absence des freins à air sur les wagons.

Voici le problème en bref : même si l'équipe était compétente selon le règlement qui régit les normes de compétence des employés, ce règlement ne reflète pas les méthodes de travail actuelles. Depuis l'adoption de ce règlement il y a 31 ans, l'exploitation ferroviaire a beaucoup évolué. La technologie Beltpack permet aujourd'hui aux équipes d'assembler et de déplacer des trains de manœuvre sans les services d'un mécanicien de locomotive. Pourtant, il s'agit là du seul poste qui requiert obligatoirement une formation périodique comme la commande des locomotives et la conduite des trains, et comment prévoir et négocier les changements topographiques.

Permettez-moi de le répéter : le problème, ce n'est pas la technologie. Les systèmes Beltpack existent depuis plusieurs années et ils permettent de gagner en efficacité, notamment en réduisant le nombre de personnes nécessaires pour accomplir une tâche. Toutefois, notre enquête a fait ressortir des lacunes entre ce que le règlement prévoit et ce qui est requis pour que certains employés travaillent de façon sécuritaire.

Tant que ces lacunes persisteront dans le règlement, Transports Canada ne sera pas en mesure de corriger le problème. Le ministère ne pourra pas assurer une surveillance efficace ni imposer les programmes de formation nécessaires aux postes qui sont essentiels à la sécurité. C'est donc dire que le risque de mouvements non contrôlés ou autres accidents persistera.

Transports Canada promet une mise à jour du règlement depuis des années – en fait, depuis 2003. Le moment est maintenant venu d'agir. Un groupe de wagons est parti à la dérive hors d'un triage, sur une pente descendante, pour s'engager sur une voie principale, dans la plus grande ville au Canada. Les employés chargées de le déplacer n'étaient ni équipés ni formés pour le maîtriser adéquatement.

Il est temps d'agir. Transports Canada doit actualiser le Règlement sur les normes de compétence des employés ferroviaires pour remédier aux lacunes concernant les normes de formation, de qualification, de renouvellement de qualification et de surveillance réglementaire à l'intention des employés occupant des postes essentiels à la sécurité.

Merci.