L’événement
Le 21 novembre 2023, un train de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) et un train de banlieue exo ont eu une collision à la gare Saint-Léonard–Montréal-Nord à Montréal (Québec). L’enquête a permis de déterminer que l’équipe du train du CN avait franchi un signal de marche à vue qui exigeait de limiter leur vitesse et de se préparer à arrêter. Croyant toutefois que la voie devant était libre, le train a été accéléré. Lorsque le train de banlieue à l’arrêt est devenu visible, il était trop tard pour éviter la collision et le déraillement subséquent.
Recommandations du Bureau
Moyens physiques de commande des trains à sécurité intégrée
Le système ferroviaire canadien repose principalement sur des moyens de défense administratifs, tels que des règlements, instructions et procédures, pour assurer la sécurité des opérations. Ces moyens de défense administratifs dépendent du respect des règles par les équipes de train. Dans les situations où une équipe de train perçoit mal, interprète mal ou ne respecte pas une indication de signal, l’ensemble de ces moyens de défense fait défaut.
Comme le démontrent le présent événement et d’autres événements récentsÉvénements sur la sécurité du transport ferroviaire R24D0070, R24T0064, R24C0020, R23V0205, R23E0079 et R23H0006 du BST. liés au non-respect des indications de signaux, lorsqu’un moyen de défense administratif fait défaut et qu’il n’existe aucun moyen de défense physique supplémentaire à sécurité intégrée, il peut se produire un accident qui aurait pu être évité. L’événement à l’étude s’est produit sur une subdivision considérée comme un itinéraire clé où circulent des trains de banlieue, des trains de voyageurs ainsi que des trains de marchandises, dont certains transportent des marchandises dangereuses. Il n’y a eu aucune intervention automatique pour arrêter le train CN 376 après qu’il a dépassé la limite de vitesse prescrite dans le canton avant la collision avec la queue du train EXO 1212.
Depuis décembre 2020, les États-Unis ont rendu obligatoire l’utilisation de la commande intégrale des trains (CIT), un système de commande automatique qui peut intervenir pour arrêter un train en cas de non-respect des conditions de circulation de trains, prévenant ainsi les collisions, les déraillements et autres accidents.
Au Canada, le BST a formulé en 2000 et 2013 deux recommandations (respectivement R00‑04 et R13‑01) exhortant TC à adopter des moyens de défense physiques à sécurité intégrée. Malgré l’initiation de plusieurs activités et projets visant la conception et l’élaboration d’un tel système au Canada, peu de mesures concrètes ont été prises à cet effet. En 2022, à la suite de son enquête sur une collision survenue entre 2 trains du CN en 2019 près de Portage la Prairie (Manitoba), le BST a recommandé que :
le ministère des Transports exige que les grands transporteurs ferroviaires canadiens accélèrent la mise en œuvre de méthodes physiques de commande des trains à sécurité intégrée dans les corridors ferroviaires à grande vitesse du Canada et sur tous les itinéraires clés.
Recommandation R22‑04 du BST
Le 17 avril 2024, à la suite de 3 autres événements faisant l’objet d’une enquête, le BST a envoyé au ministre des Transports une lettre concernant l’absence de moyens de défense physiques à sécurité intégrée pour les trains exploités au Canada. Dans sa lettre, le BST a exhorté le ministre des Transports à accélérer la mise en œuvre d’un tel système dans les corridors ferroviaires à grande vitesse du Canada et sur tous les itinéraires clés du pays. En date de la publication du présent rapport, le BST n’avait toujours pas reçu de réponse.
En février 2022, TC a publié un avis d’intention indiquant qu’il entendait exiger que les corridors les plus à risque du Canada soient dotés d’un système de protection automatique des trains à sécurité intégrée (appelé commande des trains améliorée, ou CTA) conformément aux objectifs de son plan stratégique intitulé Transports 2030 – Un plan stratégique pour l’avenir des transports au Canada (plan stratégique Transports 2030). En décembre 2024, TC a indiqué qu’il prévoit rédiger un projet de règlement en 2025 destiné à être publié dans la Partie I de la Gazette du Canada en 2026. Cependant, les détails concernant les corridors ferroviaires et itinéraires particuliers qui nécessiteraient un système CTA et la forme finale d’un tel système n’ont pas été encore déterminés, et la sécurité entourant la circulation ferroviaire au Canada continue de reposer sur des moyens de défense administratifs.
En conséquence, si les systèmes de commande des trains dépendent uniquement de moyens de défense administratifs, les trains ne peuvent être automatiquement arrêtés en cas de non-conformité aux indications des signaux, ce qui augmente les risques d’accident.
Compte tenu des événements récents liés au non-respect des indications des signaux qui continuent de survenir au Canada, le BST exhorte TC à accélérer les activités menant à l’adoption de moyens de défense physiques à sécurité intégrée pour les trains, notamment sur les corridors à grande vitesse et les itinéraires clés, afin de mieux protéger les passagers, les biens et l’environnement.
Conséquemment, le BST réitère la recommandation R22‑04.
Mesures provisoires supplémentaires
À la suite de la recommandation R22-04 et des autres recommandations du BST au sujet des moyens de défense physiques à sécurité intégrée, TC a élaboré le concept de CTA et a déclaré avoir pris plusieurs mesures conjointement avec des partenaires de l’industrie pour faire progresser la mise en œuvre de la CTA. Ainsi, en février 2022, TC a publié un avis d’intention décrivant la voie à suivre pour mettre en œuvre les technologies CTA au Canada.
En 2023, une méthodologie d’évaluation des risques visant à guider la mise en œuvre de la CTA au Canada a été élaborée et des consultations à ce sujet ont été entreprises. Cette méthodologie évalue différents facteurs, notamment le service de transport de passagers, le tonnage brut annuel et le statut des itinéraires clés. La même année, des lignes directrices pour l’interopérabilité des applications CTA ont été publiées par l’Association canadienne de normalisation (CSA).
Selon TC, un projet de réglementation visant la mise en œuvre des technologies CTA au Canada devrait être prépublié dans la Gazette du Canada, Partie I, en 2026. TC a également déclaré que l’échéancier de mise en œuvre de la CTA dépendra de l’élaboration de la réglementation.
Les défenses administratives actuelles reposent uniquement sur la reconnaissance et le respect des indications des signaux par les équipes de train. Cependant, de nombreuses enquêtes du BST ont identifié différentes circonstances dans lesquelles ces défenses administratives ont échoué. Comme le soulignent l’Avis de sécurité ferroviaire 01/24 et la lettre au ministre des Transports, les risques associés au non-respect des indications des signaux restent élevés et il est peu probable que le niveau de risque soit réduit de manière significative avant la mise en œuvre de moyens de défense physiques à sécurité intégrée.
Toutefois, dans les dernières années, plusieurs compagnies de chemin de fer opérant au Canada ont, de leur propre initiative, introduit des mesures visant à compenser, en partie, l’absence d’une telle réglementation de la part de TC. Certaines compagnies ont procédé à l’ajout de moyens de défense administratifs supplémentaires alors qu’au moins une autre a eu recours à l’intégration de technologies de géolocalisation par satellite (GPS).
Ainsi, à titre d’exemple, afin de réduire et d’éliminer les distractions lorsqu’un mouvement s’approche d’une situation critique pour la sécurité, VIA Rail Canada Inc. et la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) ont chacun mis en place la zone de vigilance absolue (ZVA). Cette dernière correspond à un ensemble de procédures spéciales à appliquer lorsque la vigilance de l’équipe est de la plus haute importance. Lorsqu’une ZVA est en vigueur, les employés qui se trouvent dans la cabine d’une locomotive de commande doivent cesser toute communication ou toute autre tâche ne se rapportant pas à l’exploitation immédiate du train.
À la suite de l’événement à l’étude, CN a étendu les conditions de ZVA pour y inclure dorénavant les situations où des trains doivent circuler à vitesse de marche à vue. Par contre, pour que la ZVA soit efficace, les membres de l’équipe doivent reconnaître les conditions qui font qu’ils s’y trouvent. La ZVA est donc soumise aux mêmes limites que les autres moyens de défense administratifs en place.
CN a aussi introduit une nouvelle instruction spéciale en vertu de la règle 411 du REFRègle 411 : De vitesse normale à arrêt - Avancer, être prêt à s’arrêter au signal suivant.. Dorénavant, les trains de marchandises doivent réduire leur vitesse de 10 mi/h en dessous de la vitesse maximale permise à l’approche d’un signal de vitesse normale à arrêt, cette réduction commençant avant le franchissement du signal.
Quant à lui, le Chemin de fer QNS&L a mis en place un moyen de défense combinant les aspects administratif et physique en introduisant, dès 1997, des appareils de détection de proximité (ADP). Les ADP sont munis d’un GPS qui permet de déterminer la position, la direction et la vitesse des locomotives et des véhicules d’entretien équipés de ces appareils. Ils sont configurés pour recevoir des alertes de mouvements qui s’approchent. Les conducteurs des 2 mouvements doivent confirmer sur un écran avoir pris connaissance de l’alerte et doivent communiquer entre eux par radio afin de vérifier leurs positions respectives. Un freinage de contrôle est automatiquement déclenché sur la locomotive d’un train dont l’équipe n’aurait pas confirmé la réception de l’alerte. Malgré cette technologie, un ADP n’empêchera pas une collision si l’équipe de train confirme la réception d’une alerte sans réduire la vitesse ou arrêter le mouvement à temps.
Cet échantillon des initiatives mises en place par certaines compagnies de chemin de fer représente un pas dans la bonne direction en attendant la mise en œuvre de la CTA, que TC affirme avoir l’intention de mettre en œuvre conformément aux objectifs de son plan stratégique Transports 2030.
En date de la publication du présent rapport, de nombreuses activités nécessaires à la mise en œuvre de la CTA au Canada, y compris l’évaluation des risques liés aux corridors, n’avaient pas encore été complétées par TC. Compte tenu de l’ampleur et de la complexité de certaines de ces activités essentielles, il est peu probable qu’un tel système puisse être élaboré et mis en œuvre d’ici les prochaines années. Si les systèmes de commande des trains dépendent uniquement de moyens de défense administratifs, il n’y aura pas d’intervention automatique pour arrêter les trains si les équipes de train ne suivent pas les signaux ou commettent une erreur d’interprétation, ce qui augmente les risques d’accident.
D’ici la mise en œuvre de la CTA au Canada, aucune mesure provisoire n’est requise ou prévue par TC pour réduire les risques de collisions entre trains. Ceci signifie que, pour les années à venir, il y aura peu ou pas de moyens de défense physiques exigés par la réglementation permettant d’arrêter un train lorsqu’une équipe ne respecte pas l’indication d’un signal.
Le Bureau recommande donc que
le ministère des Transports mette immédiatement en place des mesures provisoires supplémentaires pour pallier les risques liés au non-respect des indications des signaux ferroviaires par les équipes de train, tels que les collisions entre trains, jusqu’à la mise en œuvre de moyens de défense physiques à sécurité intégrée adéquats et permanents.
Recommandation R25‑01 du BST