Rapport d'enquête aéronautique A95C0127

Risque de collision entre
l'Airbus A320 d'Airbus Industrie C-FNNA
d'Air Canada et
le Boeing 737 C-GFCP
des Lignes aérienne Canadien International
Broadview (Saskatchewan)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    L'Airbus A320 du vol 139 d'Air Canada (ACA139) qui se rendait d'Ottawa à Vancouver était en croisière au niveau de vol (FL) 350 près de Broadview (Saskatchewan) lorsque les pilotes ont reçu de leur TCAS/ACAS (Système d'avertissement de trafic et d'évitement d'abordages) un avertissement de conflit avec un autre appareil ainsi qu'un avis de résolution (RA) leur demandant de descendre tout de suite, ce qu'ils ont fait. Le Boeing 737 du vol 636 des Lignes aériennes Canadien International (CDN636) se trouvait lui aussi dans les parages; parti de Calgary, il se dirigeait vers Winnipeg, et volait en sens inverse au FL350. Les pilotes de CDN636 ont eux aussi reçu un RA de leur TCAS/ACAS, et ils se sont mis en montée. Les avions sont passés à un mille environ l'un de l'autre, et il y a eu perte d'espacement. Il n'y a eu ni blessé ni dommage, et les deux avions ont poursuivi leur route respective jusqu'à destination sans autre incident.

    On a jugé qu'au moment de l'incident la circulation aérienne sous la responsabilitéé du contrôleur en charge du secteur Broadview au centre de contrôle régional (ACC) de Winnipeg était de moyenne à forte, certains phénomènes venant ajouter à la complexité. Il y avait une certaine activité orageuse dans la région, et plusieurs avions avaient dévié de leur route pour contourner les masses orageuses, ou volaient à des altitudes non standard afin d'éviter la turbulence. Les écrans radar du contrôle de la circulation aérienne ont fonctionné normalement tout au long de l'incident, et tous les renseignements intéressant le contrôle étaient affichés correctement. Le nombre de personnes en poste a été jugé normal, et tout l'équipement fonctionnait normalement.

    Renseignements de base

    Le contrôleur du secteur Broadview était qualifié pour occuper ce poste, et il travaillait dans la sous-unité de la Saskatchewan à l'ACC de Winnipeg depuis 1986. Il avait pris son service quelque deux heures et demie avant l'incident, et il s'occupait seul des tâches de contrôleur radar et de contrôleur des données. Peu avant l'incident, le niveau de la circulation s'est mis à augmenter, et plusieurs estimées ont été transmises au contrôleur du secteur Broadview. Le surveillant a remarqué cette hausse d'activité et, une dizaine de minutes avait l'incident, on a fait appel à un contrôleur supplémentaire qui est venu s'occuper du poste des données.

    Les contrôleurs attribuent les niveaux de vol en fonction de la route suivie par les avions, conformément à l'Ordonnance concernant les altitudes de croisière qui se trouve dans les Ordonnances sur la navigation aérienne. Un niveau de vol non approprié à la route de l'avion peut être attribué par le contrôleur si l'équipage de conduite le demande à cause de la turbulence. CDN636 volait à la même altitude (FL350, mauvais niveau compte tenu de la direction du vol) qu'ACA139 à cause de la turbulence trop importante à l'altitude standard. La fiche de progression de vol indiquait cette altitude non standard. CDN636 a suivi la route Jet (voie aérienne supérieure) 504 (J504) (voir l'annexe A) jusqu'à une cinquantaine de milles à l'ouest de Regina (Saskatchewan), où l'avion a été guidé au radar afin de l'espacer d'un autre appareil se dirigeant vers le nord-ouest qui se trouvait lui aussi au FL350. CDN636 a effectué un léger virage puis a reçu un vecteur vers Broadview, ce qui n'a entraîné que peu de changement par rapport à la route originale (J504).

    ACA139 avait reçu une autorisation du contrôle de la circulation aérienne (ATC) le long d'une trajectoire qui, dans la région de Winnipeg (Manitoba), avait amené l'avion à suivre la route fixe RNAV T467 (voir l'annexe A). ACA139 devait suivre la T467 jusqu'à un point de cheminement connu sous le nom de KEDGE, près de Brandon (Manitoba), puis virer à gauche sur la T475 jusqu'à Medicine Hat (Alberta). Toutefois, avant d'arriver à KEDGE sur la T467, le pilote d'ACA139 a contacté le contrôleur du secteur ouest de l'ACC de Winnipeg pour demander l'autorisation de dévier au nord de sa route à cause de la météo. Cette autorisation a été accordée et a été coordonnée par la suite avec le contrôleur du secteur Broadview. Des marques d'avertissement (des W rouges) ont été faites sur les deux fiches de progression de vol de CDN636 et d'ACA139 pour indiquer la possibilité d'un conflit. Le contrôleur du secteur Broadview a noté qu'ACA139 se dirigeait au nord de la T467 et a confirmé qu'il n'y avait pas de conflit. Quelques minutes plus tard, au moment du transfert d'ACA139 au contrôleur du secteur Broadview, le contrôleur radar de Winnipeg a signalé de nouveau la déviation d'ACA139 vers le nord. Le contrôleur du secteur Broadview a pris ACA139 en charge, pensant que l'appareil allait poursuivre son vol sur la T467, et il a continué à surveiller l'avion pendant qu'il déviait au nord.

    Le pilote d'ACA139 a dévié de quelque 25 milles au nord de sa route, 85 milles environ après KEDGE, avant de virer au sud-ouest pour aller regagner sa route (T475), sept minutes environ avant l'incident. La route originale d'ACA139 (la T475) se trouvait au sud des deux routes T467 et J504, ce qui voulait dire qu'ACA139 devait les croiser toutes les deux avant de pouvoir regagner la voie autorisée à l'origine. Quand il avait été autorisé à dévier de sa route, le pilote n'avait reçu aucune instruction lui enjoignant de demander l'autorisation de regagner sa route originale, ce qui n'était d'ailleurs pas contraire à la réglementation.

    Le TCAS/ACAS est un dispositif embarqué qui fonctionne de façon indépendante des radars au sol servant au contrôle de la circulation aérienne. Le TCAS/ACAS utilise les transpondeurs servant de balise radar installés à bord des autres aéronefs pour donner à l'équipage de conduite des renseignements; ceux-ci prennent la forme de recommandations de manoeuvres d'évitement dans le plan vertical appelées avis de réolution (RA). L'espacement obligatoire entre ACA139 et CDN636 était de 2 000 pieds verticalement et de cinq milles horizontalement. ACA139 a poursuivi sa route au sud-ouest en convergeant vers CDN636 qui allait vers l'est jusqu'à ce que les deux équipages de conduite reçoivent des RA de leur TCAS/ACAS et préviennent l'ATC qu'ils descendaient et montaient respectivement. Les deux équipages ont réagi rapidement aux RA et, 20 secondes plus tard, les avions se sont croisés avec un espacement vertical de 900 pieds et un espacement horizontal de 1,3 mille (voir l'annexe B).

    Le Projet de modernisation des radars (RAMP) a été conçu pour remplacer complètement le réseau national des radars ATC canadiens par un système faisant appel à une technologie informatique de pointe comprenant, de par sa conception, une fonction d'avertissement des conflits entre aéronefs, mais cette fonction n'est pas encore opérationnelle. Le Système canadien automatisé de contrôle de la circulation aérienne (CAATS), qui est censé améliorer le RAMP en 1998, comportait à l'origine une fonction de résolution des conflits ainsi qu'une fonction d'avertissement des conflits entre aéronefs. La fonction de résolution des conflits de ce nouveau système a été récemment supprimée du projet; toutefois, la fonction d'avertissement des conflits devrait être maintenue. La Federal Aviation Administration (FAA) des États-Unis utilise avec succès depuis une quinzaine d'années un dispositif d'alerte en cas de conflit entre aéronefs faisant partie intégrante de son système de contrôle de la circulation aérienne.

    Les contrôleurs utilisent les données fournies par leur écran radar ainsi que les communications radio pour se faire une idée (représentation mentale) de la circulation aérienne qui les aide à conceptualiser et à prévoir les déplacements des aéronefs. Des études suggèrent que l'idée de la circulation que les contrôleurs se font se compose de deux éléments définissables : un modèle mental et une conscience de la situation (Gilson et al, 1994)Note de bas de page 1. Le modèle mental est la connaissance sous-jacente qui sert de base à la conscience de la situation et qui se compose de la connaissance de l'espace aérien, des aéronefs et des procédures ATC ainsi que de la compréhension des systèmes éélectroniques connexes. L'expression «conscience de la situation» fait référence à «la perception des éléments dans l'environnement à l'intérieur d'un volume de temps et d'espace, à la compréhension de leur signification et à la projection de leur état dans le futur proche» (Endsley, 1988)Note de bas de page 2. Des données présentées sous forme sonore ou visuelle sont perçues pendant un instant puis elle sont conservées dans la conscience de la situation (en cas de besoin), et elles peuvent mettre à jour le modèle mental si elles ont des implications à long terme. Des renseignements dans le modèle mental influencent et structurent les données conservées dans la conscience de la situation et dirigent l'attention d'un individu. Les contrôleurs se fient à la représentation mentale qu'ils se font d'une situation et s'en servent pour analyser les nouveaux renseignements et prendre des décisions.

    Analyse

    Des recherches sur la prise de décisions chez l'être humain ont montré que, durant le processus amenant à prendre des décisions, les personnes élaborent des hypothèses (Wickens, 1992)Note de bas de page 3. Le contenu du modèle mental et de la conscience de la situation sert de cadre à ces hypothèses. Toutefois, lorsque des personnes choisissent une hypothèse particulière, elles ont tendance à accorder une importance diagnostique indue à tout renseignement qui vient étayer l'hypothèse choisie. Une importance moindre est alors accordée aux données pouvant étayer une hypothèse contradictoire. Une fois qu'une personne a retenu une certaine hypothèse, il devient très difficile de la faire changer d'idée, même quand elle est confrontée à des preuves tendant manifestement à prouver le contraire.

    Le contrôleur du secteur Broadview croyait qu'ACA139 allait poursuivre sa route le long de la T467. À deux reprises, le contrôleur a été averti de la présence d'ACA139 et, conscient du risque potentiel de conflit, il a analysé les renseignements disponibles avant de conclure qu'ACA139 n'entrerait en conflit avec aucun autre appareil. Une fois établi qu'ACA139 ne posait aucun problème, la situation de la circulation aérienne à ce moment-là a forcé le contrôleur à s'occuper des autres aéronefs et des possibilités de conflit. Pendant que le contrôleur s'occupait des autres aéronefs, la cible radar représentant ACA139 a changé de direction mais ce changement n'a pas été un stimulus suffisant et n'a pas incité le contrôleur à revenir sur sa position selon laquelle il n'y avait pas de conflit possible et ne l'a pas poussé à réévaluer la situation. La densité de la circulation, la complexité de la situation, le peu de temps disponible ainsi que les caractéristiques du processus de traitement de l'information chez l'être humain se sont combinés, de sorte que le changement concernant l'avion du vol ACA 139 est passé inaperçu, ce qui a donné lieu à la perte d'espacement.

    Faits établis

    1. Le contrôleur était qualifié pour occuper le poste.
    2. Les effectifs ont été jugés normaux.
    3. Le contrôleur avait exercé les fonctions combinées de contrôleur radar et des données jusqu'à dix minutes environ avant l'incident.
    4. Le radar de contrôle était utilisable, et les écrans fonctionnaient normalement pendant l'incident.
    5. La densité de la circulation était de moyenne à forte, certains phénomènes venant ajouter à la complexité.
    6. Il y avait une certaine activité orageuse dans la région, et plusieurs avions avaient dévié de leur route pour contourner les masses orageuses ou volaient à des altitudes non standard afin d'éviter la turbulence.
    7. Quand il a été autorisé à dévier de sa route, le pilote n'a reçu aucune instruction lui enjoignant de demander l'autorisation de regagner sa route originale, ce qui n'est d'ailleurs pas contraire à la réglementation.
    8. Après qu'ACA139 a viré pour rejoindre sa route (T475), le contrôleur ne s'est pas rendu compte du conflit qui se préparait entre Air Canada 139 et Canadien 636.
    9. Les TCAS/ACAS se sont déclenchés dans les deux avions et ont donné aux équipages de conduite les renseignements nécessaires pour leur permettre d'éviter une collision.
    10. Les avions sont passés à 1,3 mille et à 900 pieds l'un de l'autre.
    11. La fonction d'avertissement des conflits entre aéronefs incorporée au système radar n'est pas encore opérationnelle.

    Causes et facteurs contributifs

    Le contrôleur ne s'est pas rendu compte du conflit qui se préparait entre Air Canada 139 et Canadien 636, et il n'a pas gardé un espacement réglementaire entre les deux avions. La densité de la circulation, la complexité des coordinations requises, le peu de temps disponible ainsi que les caractéristiques du processus de traitement de l'information chez l'être humain se sont combinés, si bien que le changement concernant l'avion qui ne devait à l'origine présenter aucun conflit est passé inaperçu. Le fait que la fonction d'avertissement des conflits entre aéronefs n'est pas encore opérationnelle a constitué un facteur contributif.

    Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet incident. La publication de ce rapport a été autorisée le par le Bureau qui est composé du Président John W. Stants et des membres Zita Brunet et Maurice Harquail.

    Annexes

    Annexe A - Routes des avions

    Photo 1. Routes des avions
    Image
    Routes des avions

    Annexe B -Tableau des données radar RAMP

    A95C0127 - Analyse des données radar de l'incident
    Données RDA de la source radar de Regina - 18 juin 1995
    Heure (Z) (h min sec) Code transp. Ind. app. aéro. Dist. (nm) Azimuth (deg.) Alt. (FL) Vitesse sol (kt) Dist. entre aéro. Taux de rapp. (kt) Temps avant coll. (sec.)
    23:22:22 7330 CDN 636 16,42 27,33 350 400 108,5 880 443
    2264 ACA 139 118,16 78,05 350 480
    23:26:04 7330 CDN 636 33,50 71,74 350 400 56,8 850 240
    2264 ACA 139 89,91 79,06 350 450
    23:29:51 7330 CDN 636 56,73 83,14 350 390 5,9 850 25
    2264 ACA 139 62,53 84,27 350 460
    23:29:56 7330 CDN 636 57,23 83,32 352 390 4,8 830 21
    2264 ACA 139 61,97 84,40 349 440
    23:30:16 7330 CDN 636 59,22 83,85 358 370 1,3 810 5
    2264 ACA 139 59,66 85,03 347 440