Rapport d'enquête aéronautique A96A0138

Risque de collision entre
le Boeing 767 P-HMCL de Martinair Holland
et le Boeing 747 F-BPVS d'Air France
45 nm au nord-ouest de Stephenville
(Terre-Neuve)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    Le Boeing 767 du vol 806 de Martinair (MPH806) se dirigeait vers l'est au niveau de vol (FL) 330 et se rendait de Newark à Amsterdam en passant par EBONY et DOTTY. Le Boeing 747 du vol 055 d'Air France (AFR055) qui assurait la liaison entre Chicago et Paris se dirigeait vers l'est au FL330 en passant par le VOR (radiophare omnidirectionel) de Killaloe et Gander. Les deux appareils se trouvaient sur des routes convergentes. (Voir l'annexe A.)

    Le contrôleur du centre de contrôle régional (ACC) de Gander a pris en charge les vols MPH806 et AFR055 à la suite d'un transfert radar de l'ACC de Moncton. Peu de temps après, il a demandé à l'équipage du vol AFR055 de procéder directement vers St. John's (Terre-Neuve), ce qui a donné lieu à un changement de cap de 20 degrés environ en direction de la route suivie par l'avion du vol MPH806. Les deux avions ont continué à converger à la même altitude jusqu'à ce qu'il n'y ait plus que trois milles de distance entre eux. À ce moment-là, les équipages des deux appareils ont reçu un avis de résolution (RA) de leur TCAS/ACAS (Système d'avertissement de trafic et d'évitement d'abordage). L'équipage du vol MPH806 s'est alors mis en montée tandis que l'équipage du vol AFR055 se mettait en descente. Les deux avions se sont croisés avec un espacement vertical de 1 200 pieds environ et un espacement latéral d'un quart de mille. L'espacement obligatoire est de 2 000 pieds verticalement ou cinq milles latéralement.

    The report is also available in English.

    Renseignements de base

    La veille de l'incident, le contrôleur de Gander avait fait des heures supplémentaires, de 20 h 45 à 2 h, heure avancée de Terre-Neuve (HAT)Note de bas de page 1, après avoir pris deux jours de repos. Le quart de travail devait durer de 15 h 45 à 24 h. C'est au cours de ce quart de travail que l'incident s'est produit. Au moment de l'incident, le contrôleur n'avait pas fait de pause depuis une heure et trente-cinq minutes.

    Le contrôle de la circulation aérienne consiste à surveiller un tableau de données composé de fiches de progression de vol. Chaque aéronef a sa propre fiche. La fiche parvient au contrôleur bien avant que l'aéronef ne pénètre dans son secteur de contrôle.

    Le contrôleur de Gander avait marqué la fiche de progression de vol d'AFR055 sur laquelle figurait la route suivie par l'avion pour indiquer que l'avion couperait la route d'autres appareils, ce qui oblige le contrôleur à prendre des mesures pour que l'espacement obligatoire soit respecté. AFR055 est un vol régulier entre Chicago et Paris qui coupe souvent d'autres routes.

    Le soir de l'incident, le contrôle radar ouest de Gander était divisé en trois secteurs en raison de la pointe de circulation vers l'est. Au moment de l'incident, le contrôleur s'occupait du secteur nord depuis une heure et demie environ. Le contrôleur avait suggéré au chef de quart de regrouper son secteur avec celui situé juste au sud parce que le nombre d'avions diminuait dans son secteur. Après avoir examiné la situation des deux secteurs, le chef de secteur a autorisé le regroupement des secteurs vers 23 h 10. On a jugé que le volume du trafic à ce moment-là était modéré et d'une complexité moyenne.

    À 23 h 12, un contrôleur de l'ACC de Moncton a demandé sur la ligne directe au contrôleur de Gander si AFR055, qui se trouvait toujours dans l'espace aérien de Moncton, pouvait être envoyé directement vers le point géographique 50°N 50°W car l'avion était vraiment proche de l'avion du vol Martinair 806. Pendant que le contrôleur de Moncton l'avertissait, le contrôleur de Gander a coupé court à la conversation en disant qu'il marquait 50°N 50°W pour AFR055. Par la suite, le contrôleur de Gander a déclaré ne pas avoir eu connaissance de l'avertissement de son collègue de Moncton. Un examen des bandes d'enregistrement des communications du contrôle de la circulation aérienne (ATC) a permis de constater qu'à plusieurs reprises, le contrôleur de Gander avait interrompu les conversations sur la ligne directe avant que le contrôleur de Moncton n'ait fini.

    À 23 h 15 min 47 s, MPH806 et AFR055 ont été transférés au contrôleur de Gander qui, à 23 h 18 min 30 s, a demandé à AFR055 de procéder directement vers St. John's. Ce changement de route d'AFR055 s'est traduit par un changement de cap de 20 degrés et est à l'origine du véritable point de convergence avec MPH806. Par la suite, le contrôleur a été incapable d'expliquer pourquoi il ne se doutait pas du conflit entre les deux avions. Un contrôleur peut afficher une ligne de relèvement constant (RBL) entre deux avions qui convergent l'un vers l'autre, ce qui permet de déterminer la distance exacte entre les deux appareils. Cette ligne indique également qu'il y a un risque de conflit. Le contrôleur n'a pas affiché de RBL entre AFR055 et MPH806.

    Le paragraphe 401.1 du Manuel d'exploitation du contrôle de la circulation aérienne (MANOPS) précise que le but du service de contrôle IFR (règles de vol aux instruments) est d'assurer un débit sûr, ordonné et rapide de la circulation aérienne sous le contrôle d'une unité IFR. En modifiant la route d'AFR055 sans détecter ni résoudre le conflit avec MPH806, le contrôleur de Gander a compromis la sécurité des aéronefs dont il avait la responsabilitéé.

    Le paragraphe 502.1 du MANOPS demande aux contrôleurs d'afficher et de surveiller les indicatifs de secteur (CJS) pour tous les aéronefs. Au moment des faits, les CJS n'étaient pas affichées sur l'écran du contrôleur de Gander.

    Il n'y a eu aucun message radio sur la fréquence du contrôleur entre 23 h 23 min 16 s et 23 h 24 min 58 s, juste avant que le contrôleur ne soit relevé. Au cours du message suivant, le contrôleur a transféré deux avions au secteur radar est, puis il a vu que MPH806 et AFR055 convergeaient à la même altitude. Il a alors ordonné à l'équipage du vol MPH806 de se mettre en descente. Le pilote de l'avion du vol MPH806 a alors répondu au contrôleur qu'il s'était mis en montée parce qu'il avait reçu un message RA de son TCAS/ACAS. Le contrôleur de relève est arrivé au secteur au moment où l'on constatait le conflit entre les deux avions.

    Le contrôleur avait été impliqué dans deux autres incidents dans les 17 derniers mois, soit deux pertes d'espacement qui avaient fait l'objet d'enquêtes internes menées par les gestionnaires de l'ACC de Gander. Dans le cadre de leur travail, les enquêteurs du BST ont examiné les comptes rendus de ces enquêtes internes et en sont arrivés à la conclusion que les lacunes relevées lors de l'enquête sur l'incident du 27 juillet 1996 étaient différentes de celles rattachées aux deux autres incidents et qu'elles ne permettent pas de dégager une tendance.

    Après l'incident, les compétences du contrôleur ont été examinées par un superviseur de l'ACC de Gander. Cet examen a révélé que le contrôleur était considéré par ses collègues et ses superviseurs comme un bon contrôleur. L'examen a également permis d'établir que le rendement du contrôleur était égal ou supérieur aux normes de l'unité de l'ACC de Gander et que le contrôleur était en mesure de faire son travail sans recevoir de la formation supplémentaire.

    La spécification (qui remonte aux années 70) établissant les exigences de performance du système de traitement des données radar (RDPS) de l'ATC prévoyait une fonction de filet de sauvegarde en cas de conflit entre des aéronefs. Si le RDPS détectait un conflit, un message clignotant composé de trois lettres devait apparaître sur l'écran du contrôleur, et les symboles de position des aéronefs devaient se transformer en étoiles. Les essais effectués dans les années 80 ont révélé que la fonction de filet de sauvegarde du RDPS présentait plusieurs lacunes et son utilisation opérationnelle n'a pas été jugée acceptable. Cette fonction n'est pas encore utilisée.

    Les deux avions concernés transportaient 502 passagers et membres d'équipage. Le pilote de l'avion du vol AFR055 a fait une descente rapide après avoir reçu le message RA de son TCAS/ACAS, et la compagnie a dépouillé l'enregistreur de données de vol (FDR) de l'avion, après son retour en France. Les données du FDR ont révélé que la descente avait atteint un taux de 6 000 pieds par minute et que le facteur de charge avait diminué à 0,36 g. La compagnie a fait savoir que la plupart des passagers dormaient et portaient leurs ceintures de sécurité au moment de l'incident et que personne n'a été blessé.

    Analyse

    L'enquête a révélé que le contrôleur est considéré comme un contrôleur efficace et compétent, qui jouit d'une bonne réputation à l'ACC de Gander, même s'il s'agit de son troisième incident en 17 mois. Compte tenu de ses habiletés et de la situation du trafic, le contrôleur aurait dû détecter et résoudre le conflit entre AFR055 et MPH806 bien avant le risque de collision. Si le contrôleur s'était douté qu'un conflit risquait de se produire en raison des routes convergentes, il aurait probablement fait apparaître une ligne de relèvement constant (RBL) entre les deux avions de façon à déterminer la distance exacte entre les appareils.

    Le contrôleur a été impliqué dans trois incidents en 17 mois, mais sa réputation, ses compétences et les habiletés qu'il a démontrées lors des épreuves qu'on lui a fait subir permettent de croire qu'il ne s'agit pas d'un problème de compétence. En fait, les incidents sont plutôt attribuables à des erreurs humaines qui peuvent être corrigées grâce à un programme de conscientisation. La direction de l'ACC de Gander a versé une lettre de sanction disciplinaire au dossier du contrôleur pour qu'il prenne davantage conscience de ses responsabilitéés professionnelles.

    Le contrôleur avait marqué la fiche de progression de vol d'AFR055 pour indiquer que l'avion allait croiser d'autres appareils. Si le contrôleur avait entendu l'avertissement de son collègue de Moncton, il aurait été au courant de la situation et se serait douté du conflit. Dans le cas qui nous intéresse, le contrôleur n'a pas écouté la conversation sur la ligne directe jusqu'à la fin et a manqué des renseignements importants.

    Le contrôleur n'a pas bien surveillé son écran ni l'évolution du trafic; sinon il aurait détecté plus tôt le conflit entre MPH806 et AFR055 et il l'aurait résolu. Quand il a redirigé AFR055 directement vers St. John's, il aurait dû regarder son écran, ce qui lui aurait permis de détecter le conflit avec MPH806. Le silence radio d'une minute et quarante-deux secondes qui a précédé la détection du conflit permet de penser que, durant tout ce temps, le contrôleur ne surveillait pas son écran.

    Le contrôleur ne se doutait pas du conflit entre MPH806 et AFR055. Grâce au TCAS/ACAS des deux avions et à la réaction rapide des équipages de conduite, une collision en vol a pu être évitée. Si la fonction de filet de sauvegarde du RDPS était opérationnelle, elle pourrait fournir une alerte supplémentaire lorsque la qualité des services radar se dégrade et risque de donner lieu à des pertes d'espacement ou à des risques de collision.

    Faits établis

    1. Le contrôleur de Gander a manqué l'avertissement que lui a donné son collègue de Moncton concernant le conflit entre MPH806 et AFR055.
    2. Quand il a redirigé AFR055 directement vers St. John's, le contrôleur ne s'est pas assuré que le virage n'allait pas créer de conflit avec d'autres appareils.
    3. Les indicatifs de secteur des avions placés sous la responsabilitéé du contrôleur n'étaient pas affichés sur son écran.
    4. Bien que le contrôleur ait été impliqué dans deux autres incidents dans les 17 derniers mois, les lacunes relevées au cours de l'enquête sur le présent incident ne sont pas les mêmes que celles qui ont été relevées au cours des enquêtes sur les deux autres incidents. Par conséquent, une tendance ne peux pas être dégagée.
    5. Les habiletés que le contrôleur a démontrées lors des épreuves qu'on lui a fait subir permettent de penser que les incidents dans lesquels il a été impliqué (3 en 17 mois) sont plus le résultat d'erreurs humaines que d'un problème de compétence.
    6. Le TCAS/ACAS des deux avions a permis de diminuer le risque de collision.
    7. Si la fonction de filet de sauvegarde du RDPS était opérationnelle, elle pourrait aider à détecter les risques de collision.

    Causes et facteurs contributifs

    Le contrôleur n'a pas détecté le conflit et ne l'a pas réglé parce qu'il ne surveillait pas bien son écran ni l'évolution du trafic.

    Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet incident. La publication de ce rapport a été autorisée le par le Bureau qui est composé du Président Benoît Bouchard et des membres Maurice Harquail, Charles Simpson et W.A. Tadros.

    Annexes

    Annexe A - Trajectoires de vol

    Photo 1. Annexe A
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    Annexe A