Rapport d'enquête aéronautique A99Q0062

Perte de contrôle
Myrand Aviation
Cessna 335 C-GMZV
Gaspé (Québec)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    Le Cessna 335, immatriculé C-GMZV, numéro de série 3350029, effectuait un vol selon les règles de vol aux instruments (IFR) entre l'aéroport de Québec (Québec) et l'aéroport de Gaspé (Québec) avec deux pilotes et deux passagers à son bord. Après avoir vérifié les conditions météorologiques prévalant à l'aéroport de destination, le pilote a décidé d'exécuter une approche alignement arrière sur la piste 29. Le pilote a signalé sa présence par radio à deux milles en approche finale. Il s'agit du dernier contact radio avec l'aéronef. Les procédures d'urgence ont été déclenchées et des recherches ont été effectuées. L'appareil a été retrouvé par une équipe de recherche circulant sur un chemin de terre longeant la piste. L'appareil reposait à environ 1 000 pieds en face de l'aérogare de l'aéroport où il s'était écrasé et avait été la proie d'un très violent incendie. Les quatre occupants de l'aéronef ont perdu la vie; l'aéronef a été détruit dans l'accident.

    Renseignements de base

    Le commandant de bord possédait la licence et les qualifications nécessaires pour effectuer le vol. Il totalisait environ 1 300 heures de vol, dont environ 400 heures sur multimoteur et 32 heures sur type. Il venait d'être promu commandant de bord sur les deux Cessna bimoteurs de la compagnie. Il avait environ 210 heures de vol aux instruments à son actif.

    Le copilote possédait la licence et les qualifications nécessaires au vol. Il totalisait environ 2 020 heures de vol, dont environ 570 heures sur multimoteur et 10 heures sur type. Il avait passé une vérification de compétence pilote (PPC) sur le Cessna 335 la semaine précédente. Il avait environ 100 heures de vol aux instruments à son actif.

    Les résultats des autopsies pratiquées sur le corps des pilotes n'ont révélé aucun problème médical antérieur. Des polytraumatismes multiples sont à l'origine des décès. Les résultats des analyses toxicologiques visant à déceler la présence de drogues courantes et d'alcool étaient négatifs pour les pilotes.

    L'aéronef était certifié, équipé et entretenu conformément à la réglementation en vigueur et aux procédures approuvées. Rien n'indique qu'il y ait eu une défaillance de la cellule ou un mauvais fonctionnement d'un système pendant le vol ou l'approche. L'aéronef ne présentait aucune anomalie connue avant le vol.

    Au moment des faits, Myrand Aviation exploitait une flotte de quatre appareils : un Cessna Citation, un Beechcraft King Air 100, un Cessna 401 et un Cessna 335. La compagnie a été fondée dans le but d'offrir des vols d'affrètement. Le président de la compagnie assumait également les fonctions de gestionnaire des opérations. Le pilote en chef et le coordonnateur de la maintenance relevaient du président. Le gestionnaire des opérations était responsable des opérations aériennes quotidiennes. Le pilote en chef s'occupait de la formation des pilotes et des procédures que les pilotes devaient suivre. Le président avait gardé la mainmise sur les politiques d'embauche de la compagnie; il s'occupait de la supervision générale de la régulation des vols et de la gestion des vols. Un système de régulation des vols par les pilotes eux-mêmes (autorégulation) s'appliquait à tous les vols. Du fait que le président effectuait lui aussi des vols de ligne, il n'était pas toujours sur les lieux pour superviser le chargement des avions et les conditions météorologiques acceptées par les pilotes. Cependant, le matin du vol, il était sur les lieux pendant que le pilote préparait son vol. En étudiant les conditions météorologiques, il avait conseillé au commandant de bord de se diriger vers Charlo (Nouveau-Brunswick) s'il ne pouvait atterrir à Gaspé à cause des conditions météorologiques. Les passagers avaient planifié le vol avec la compagnie depuis un certain temps, et l'enquête n'a pu déterminer si des pressions avaient été exercées sur le pilote, que ce soit par les passagers ou par la compagnie.

    Environ une heure avant le vol, le pilote s'était renseigné sur les conditions météorologiques à destination et sur les prévisions. Les observations météorologiques faites par le spécialiste météo de Gaspé à 11 h, temps universel coordonné (UTC), soit 6 h, heure normale de l'Est (HNE) étaient les suivantes : vents du 360 ° vrai à 2 noeuds, visibilité d'un demi-mille dans la neige, plafond mesuré à 800 pieds, ciel couvert dans la neige. Lorsque le pilote a déposé son plan de vol, les prévisions de Gaspé n'annonçaient pas des plafonds inférieurs à 800 pieds dans la neige et une visibilité inférieure à un demi-mille. Aucune des pistes n'est équipé d'un dispositif de mesure de la portée visuelle de piste (RVR) qui permet de mesurer la distance de visibilité horizontale.

    Pendant le vol, les conditions météorologiques se sont dégradées. Lorsque le pilote a appelé le spécialiste de l'information de vol (FSS), alors qu'il se trouvait à la verticale de Mont-Joli, le spécialiste FSS lui a donné les conditions météorologiques prises sur l'heure à Gaspé : visibilité d'un quart de mille dans la neige forte et visibilité verticale de 300 pieds. Le spécialiste lui a aussi offert de lui donner les plus récentes conditions météorologiques pour l'aéroport de Charlo, son aéroport de dégagement. Le pilote a jugé qu'il n'avait pas besoin de ces informations à cette étape du vol. Pendant la descente sur l'aéroport de Gaspé, le spécialiste FSS de Québec lui a donné la dernière séquence météo qui lui avait été transmise par le spécialiste météo en poste à l'aéroport de Gaspé : plafond mesuré à 200 pieds, ciel couvert, fortes précipitations de neige, visibilité d'un quart de mille.

    Le matin de l'accident, une des deux compagnies assurant la liaison régulière entre Québec, Mont-Joli, Gaspé et les Îles de la Madeleine a renoncé à effectuer l'approche à Gaspé à cause des conditions météorologiques défavorables.

    La dernière communication entre le spécialiste FSS et le pilote a eu lieu à 2,2 milles en finale. L'aéronef a subi des dommages importants lors de l'impact initial avec le sol. Les débris de l'appareil ont été trouvés le long de la trajectoire de l'impact initial jusqu'à l'endroit où l'avion s'est immobilisé. L'avion volait sur un cap orienté au 230 ° magnétique environ, avec une inclinaison d'environ 60 ° vers la gauche quand il a heurté le sol. À cet endroit, le terrain est relativement plat. Sur la trajectoire de l'appareil se trouvaient des arbres de quelque 10 mètres de haut, espacés de 5 à 6 mètres les uns des autres. Un violent incendie alimenté par le carburant s'est déclaré après l'écrasement, et une grande partie de l'avion a été consumée par les flammes.

    Le sélecteur du train d'atterrissage a été trouvé en position rentrée. Les volets étaient à la position 15 °. L'aéronef était en configuration de remise des gaz. L'examen des moteurs sur le site de l'accident a montré que les moteurs développaient de la puissance au moment de l'impact et que les dommages étaient tous attribuables à l'impact. Les hélices ont été expédiées au constructeur pour fins d'analyse. Le démantèlement des hélices a permis de confirmer que les marques laissées par l'impact correspondent à l'angle de petit pas. De plus, les marques sur les pignons d'engrenage causées par l'impact étaient identiques pour les deux hélices, ce qui indique qu'elles étaient au même pas et au même régime moteur au moment de l'accident.

    Plusieurs instruments, dont le pilote automatique, ont été récupérés et envoyés au Laboratoire technique du BST pour fins d'expertise. Les résultats indiquent que tous les instruments fonctionnaient normalement et que le pilote automatique n'était pas engagé au moment de l'accident.

    L'accident n'offrait aucune chance de survie, compte tenu de l'importance des forces de décélération et de la violence de l'incendie alimenté par le carburant. La radiobalise de repérage d'urgence (ELT) s'est déclenchée à l'impact. Elle a été retrouvée enfouie dans la neige, à quelques mètres du point d'impact. L'antenne s'est détachée au moment de l'impact, ce qui a réduit considérablement la portée du signal. C'est un employé de l'aéroport, qui circulait près de l'endroit, qui a capté le faible signal de l'ELT grâce à un détecteur et a repéré l'épave de l'appareil durant la tempête de neige.

    La piste 11/29 est équipée d'un système de balisage lumineux d'aérodrome télécommandé (ARCAL) sur la fréquence de 122,3 mégahertz. Pour allumer le balisage d'aérodrome pendant une quinzaine de 15 minutes, il suffit d'appuyer sur le bouton du microphone sept fois pour obtenir la haute intensité. Le système était utilisable le jour de l'accident. Le pilote n'a pas activé le système ARCAL lors de l'approche.

    Selon la carte d'approche aux instruments LOC(BC)/DME PISTE 29, l'altitude minimale est de 440 pieds au-dessus du niveau de la mer (asl), soit 336 pieds au-dessus du sol, et la visibilité horizontale minimale doit être de 1 nm (mille marin). Le pilote a avisé le spécialiste FSS de Québec qu'il allait effectuer une approche alignement arrière (BC) sur la piste 29 à Gaspé. Cette approche amène successivement l'aéronef à une altitude de 2 300 pieds asl sur l'arc à 14 nm, basé sur l'équipement de mesure de distance (DME), jusqu'à 440 pieds asl, qui est la hauteur de décision qu'il doit maintenir jusqu'à une distance de 2,7 nm, basé sur le DME, soit le seuil de la piste 29. Si, à cette hauteur et à cette distance, l'équipage n'a pas établi le contact visuel avec la piste ou avec les feux de piste, il doit effectuer une approche interrompue qui consiste à remonter jusqu'à une altitude de 3 500 pieds asl sur un cap magnétique de 303 ° et ensuite effectuer un virage à gauche vers le radiophare omnidirectionnel (VOR) à très haute fréquence (VHF) de Gaspé (voir Annexe A). Tous les systèmes de navigation nécessaires pour l'approche étaient utilisables le jour de l'accident.

    L'information sensorielle la plus précise dont dispose un pilote sur l'assiette et le déplacement de son avion provient des indices visuels offerts par l'horizon terrestre, les instruments de vol de l'appareil, ou les deux. Lorsqu'une telle information n'est pas disponible, par exemple, si l'obsécuritéé ou les conditions météorologiques masquent l'horizon ou si le pilote détourne brièvement son attention des instruments affichant l'assiette de l'appareil, il se peut que le sens de l'orientation spatiale du pilote soit pris en charge par son oreille interne, laquelle est une source très peu fiable d'information sensorielle en vol. Il y a désorientation spatiale lorsque le sens ou la « perception de l'orientation » du pilote en ce qui a trait à la position, au déplacement ou à l'assiette de son avion, ou de lui-même par rapport à la surface de la terre ou à la verticale gravitationnelle se fonde sur une information sensorielle inexacte ou mal interprétée. Le terme technique utilisé pour décrire cette fausse perception est « illusion somatogravique ». Les pilotes ayant peu d'expérience du vol aux instruments sont les plus sujets à la désorientation spatiale.

    La fausse illusion de montée est l'une des formes que peut prendre la désorientation spatiale. Une telle illusion risque de se produire pendant une accélération, lorsque le pilote perd ses références visuelles ou n'en est plus très sûr et qu'il se fie alors à son oreille interne plutôt qu'à ses instruments. Comme l'oreille interne ne peut distinguer l'accélération gravitationnelle de l'accélération horizontale, une accélération vers l'avant peut donner la même impression qu'une inclinaison arrière, autrement dit, une perception d'aéronef en montée. Cette illusion se retrouve chez les pilotes utilisant des aéronefs à basses ou à hautes performances.

    Par faible visibilité, un pilote peut essayer de contrecarrer cette perception de montée en abaissant le nez de l'appareil jusqu'à ce que le piqué contrebalance l'apparente inclinaison arrière causée par l'accélération, ce qui se termine souvent par un impact avec le sol. De plus, si cette fausse illusion de montée est renforcée par la présence d'un faux horizon visuel, comme le rivage ou un chapelet de lumières avec l'océan ou un terrain non éclairé en arrière-plan, la tendance du pilote à vouloir pousser sur le manche peut devenir incontournable.

    La tendance à la désorientation est fonction des connaissances et de l'expérience du pilote. Le pilote qui a peu d'heures de vol aux instruments à son actif est particulièrement sujet à la désorientation spatiale quand il se retrouve dans une situation où les références visuelles dont il a besoin pour déterminer l'assiette de l'avion sont peu nombreuses. Le pilote qui veut se protéger contre la désorientation spatiale doit s'affranchir de ses réactions vestibulaires naturelles en recevant de la formation et en faisant des exercices pour ne pas s'en remettre aux perceptions vestibulaires. Il doit toujours se servir des renseignements que lui donnent ses instruments pour conserver son orientation spatiale, ce qui lui permettra de garder une bonne idée de la situation.

    Il n'existe aucune réglementation aérienne au Canada interdisant aux pilotes d'effectuer une approche aux instruments (IFR) alors que les conditions météorologiques sont inférieures aux minimums de l'approche (plafond et visibilité) lorsqu'il n'y pas de RVR disponible à l'aéroport, comme c'était le cas à Gaspé.

    Analyse

    L'appareil était certifié et entretenu conformément à la réglementation en vigueur. Tous les systèmes de l'appareil fonctionnaient normalement. Rien n'indique qu'il y ait eu une défaillance de la cellule ou un mauvais fonctionnement d'un système lors du vol. L'examen des moteurs n'a révélé aucun signe de défaillance. Les moteurs développaient de la puissance et les dommages étaient tous attribuables à l'impact. De plus, les marques internes laissées par l'impact confirme que l'angle des pales correspondait au petit pas. Le tout tend à confirmer que l'appareil était en configuration de remise des gaz.

    L'équipage possédait les qualifications nécessaires pour ce vol, mais leur expérience en conditions IFR était limitée. Lorsqu'ils ont planifié le vol, les informations météorologiques leur permettaient de croire que le plafond allait rester à une hauteur acceptable. Par contre, à la verticale de Mont-joli, l'équipage a été informé que les conditions météorologiques s'étaient dégradées au point qu'il devenait difficile d'atterrir en toute sécurité. Cependant, ils ont décidé de poursuivre le vol en espérant que les conditions de visibilité et de plafond allaient s'améliorer. Durant l'approche, une nouvelle séquence météo leur a été transmise indiquant que le mauvais temps persistait. Malgré ces informations, ils ont choisi de poursuivre l'approche, et rien dans la réglementation ne leur interdisait de le faire.

    Le jour de l'accident, les conditions environnementales ainsi que le peu de références visuelles au sol dans les environs de l'aéroport de Gaspé favorisaient la désorientation spatiale. Étant donné les conditions météorologiques qui régnaient au moment de l'approche, la piste était couverte d'une couche de neige, ce qui la rendait difficile à voir. L'utilisation du balisage lumineux d'aérodrome aurait peut-être aidé l'équipage à mieux s'orienter. Pendant la remise des gaz, des illusions de faux horizon et de fausse montée étaient toutes les deux possibles. En réaction à une illusion de faux horizon, le pilote d'un aéronef peut être amené à ne pas agir correctement sur les commandes de vol. L'illusion de fausse montée, quant à elle, peut amener le pilote à pousser sur le manche et à mettre l'avion en piqué. À basse altitude, le pilote d'un aéronef a très peu de temps pour reconnaître une illusion et prendre les mesures correctives qui s'imposent. Les informations recueillies sur le site de l'accident ont démontré que l'avion volait sur un cap orienté au 230 ° magnétique environ et se trouvait dans un virage à 60 ° d'inclinaison vers la gauche lors de l'impact au sol. L'angle d'impact de l'avion accidenté semble mieux cadrer avec l'assiette de piqué associée à l'illusion de fausse montée.

    Seuls la formation, l'expérience et des exercices de vol aux instruments peuvent permettre aux pilotes d'acquérir les habiletés nécessaires pour pouvoir reconnaître et contrer les effets de la désorientation spatiale. Les pilotes de l'avion accidenté possédaient la licence nécessaire au vol, mais ils avaient peu d'expérience du vol aux instruments; ils n'avaient donc pas eu l'occasion d'acquérir complètement les habiletés indispensables pour réagir dès l'apparition de la désorientation spatiale. Il est probable que le pilote aux commandes a perdu le sens de l'orientation et qu'il n'a pu reprendre la situation en main, et, après avoir perdu conscience de la situation, il a dirigé l'avion vers le sol.

    Faits établis

    Faits établis quant aux causes et facteurs contributifs

    1. Les conditions environnementales ainsi que le peu de références visuelles au sol dans les environs de l'aéroport de Gaspé favorisaient la désorientation spatiale; le pilote a perdu le sens de l'orientation lors de la remise des gaz et n'a pu reprendre la situation en main.
    2. Pendant l'approche, l'équipage n'a pas commandé le balisage lumineux d'aérodrome, ce qui a contribué à aggraver la désorientation spatiale du pilote.

    Faits établis quant aux risques

    1. Il n'existe aucune réglementation aérienne au Canada interdisant aux pilotes d'effectuer une approche aux instruments (IFR) lorsqu'il n'y a pas de RVR disponible pour la piste choisie, alors que les conditions météorologiques sont inférieures à l'altitude minimale de descente ou à la hauteur de décision, et à la visibilité du service consultatif qui figure sur la carte d'approche aux instruments.

    Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .

    Annexes

    Annexe A - Carte d'approche LOC (BC) DME pour la piste 29 de l'aéroport de Gaspé

    Carte d'approche LOC (BC) DME pour la piste 29 de l'aéroport de Gaspé
    Image
    Carte d'approche LOC (BC) DME pour la piste 29 de l'aéroport de Gaspé