Perte de puissance
Eurocopter Lama SA 315B (hélicoptère) C-FJJW
Turbowest Helicopters Limited
Goldbridge (Colombie-Britannique)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
L'hélicoptère Eurocopter Lama SA 315B (C-FJJW) portant le numéro de série 2658 franchissait 5 000 pieds au-dessus du niveau de la mer en montée avec un pilote et deux passagers à bord lorsque l'appareil a subi une perte de puissance partielle qui a provoqué une baisse du régime rotor. Le pilote a tenté de faire un atterrissage forcé sans effectuer d'autorotation sur la rive du lac Downton (Colombie-Britannique), mais quand il a fait l'arrondi pour faire diminuer sa vitesse avant à zéro, la poutre de queue a touché le sol et s'est détachée du fuselage. L'hélicoptère a culbuté avant de s'immobiliser. La cabine est demeurée relativement intacte. Le moteur s'est détaché de la cellule. Le réservoir carburant a été perforé, et du carburant a fui, mais il n'y a pas eu d'incendie. Le passager en place avant gauche a eu un poumon perforé; le pilote et l'autre passager ont subi des blessures légères. Aucun des occupants ne portait de ceinture-baudrier même si cet équipement était disponible pour les deux occupants des places avant.
Renseignements de base
L'accident est survenu à 12 h 30, heure normale du Pacifique (HNP)Note de bas de page 1. Selon l'information recueillie, le ciel était dégagé. Il faisait moins 15 degrés Celsius au sol et moins 5 degrés Celsius à 5 000 pieds au-dessus du niveau de la mer (asl).
Le pilote possédait la licence et les qualifications nécessaires au vol et en vertu de la réglementation en vigueur. Il totalisait environ 10 200 heures de vol, dont environ 300 sur le Lama. Lors de ses deux dernières vérifications de compétence pilote (PPC), le pilote avait démontré qu'il était capable d'exécuter des autorotations sur l'hélicoptère MD 369D. Il avait obtenu sa qualification de type sur Lama en décembre 1997, mais il n'avait pas effectué d'autorotations sur ce type d'appareil récemment.
Le technicien d'entretien d'aéronefs (TEA) était qualifié pour effectuer de la maintenance sur ce type d'hélicoptère. Il n'y a que sept hélicoptères Eurocopter Lama SA 315B en exploitation au Canada environ. Il y a donc peu de TEA possédant une vaste expérience sur ce type d'appareil.
Rien dans le carnet de route et dans les livrets techniques d'entretien n'indiquait que l'hélicoptère présentait des points d'entretien différés liés aux circonstances de l'accident. La masse et le centrage de l'hélicoptère au décollage se trouvaient dans les limites normales.
L'hélicoptère avait fait du transport de billes de bois à l'élingue sans incident. Un essai de puissance moteur avait été effectué deux jours avant l'accident et avait donné des résultats satisfaisants. La veille de l'accident, le pilote avait signalé au TEA que, pendant un vol pour aller chercher une équipe de bûcherons, il avait remarqué que le moteur semblait lent à répondre et que le régime du rotor avait diminué. Le TEA avait installé une calandre (air-flow reduction plate) sur le radiateur d'huile pour augmenter la température de l'huile. Cette huile est aussi utilisée pour lubrifier le régulateur de carburant. Il avait ensuite participé à un essai en vol, et le pilote avait indiqué que, malgré une augmentation de la température de l'huile suffisante pour obtenir le déplacement de l'aiguille dans l'arc vert (plage de fonctionnement normale), le moteur tardait à répondre. La puissance avait augmenté en croisière sans avoir besoin de modifier les réglages, mais le moteur n'avait pas atteint son régime normal de 33 500 tours par minute (tr/min) sans toutefois descendre sous les 33 000 tr/min. Le moteur avait fonctionné normalement, une fois la puissance réduite en vue de l'approche à l'atterrissage.
Le jour de l'accident, après une certaine utilisation de l'hélicoptère cette journée-là, le TEA et un apprenti TEA devaient être transportés à Pemberton (Colombie-Britannique) pour un congé. Lorsque le pilote a essayé de démarrer, le moteur n'a pas voulu tourner par lui-même, et le pilote a mis fin au démarrage. Au deuxième essai de démarrage du moteur, le voyant indicateur de la micro-pompe est resté allumé jusqu'à ce que le démarreur s'arrête et que le moteur tourne par lui-même. Cette situation était anormale et c'était la première fois que le pilote voyait une telle situation. Le pilote a décollé et a tout de suite remarqué que le moteur tournait à bas régime. Le pilote a alors amorcé une montée lente avec un réglage de puissance correspondant à un pas de 0,8 degré.Note de bas de page 2 Le régime du moteur a atteint 33 500 tr/min, et la température de l'huile moteur était de 35 degrés Celsius (normale). Peu après que l'hélicoptère a franchi 5 000 pieds en montée, le régime du moteur a diminué de 500 tr/min sans changement de puissance. Le pilote a alors décidé de retourner à l'aire d'atterrissage. Il a réduit la puissance à 0,7 degré et a amorcé un virage normal. Le régime du moteur a perdu 100 tr/min de plus, puis s'est stabilisé. Le pilote a alors diminué le pas légèrement pour descendre vers l'aire d'atterrissage. Le régime du moteur s'est mis à diminuer rapidement jusqu'à environ 27 000 tr/min, et le pilote s'est posé sur la rive d'un lac gelé où l'accident a eu lieu.
Le pilote et l'apprenti TEA qui était assis à côté du pilote portaient tous les deux un casque, mais l'apprenti TEA a perdu le sien à l'impact. Leur siège était équipé de ceinture-baudrier, mais ils ne les portaient pas au moment de l'accident. En vertu de l'article 605.27 du Règlement de l'aviation canadien (RAC), le pilote aurait dû boucler sa ceinture-baudrier, et en vertu de l'article 605.25 du RAC, il aurait dû donner l'ordre aux passagers de boucler leur ceinture-baudrier. L'apprenti était en place avant gauche et c'est lui qui a été le plus grièvement blessé. La radiobalise de repérage d'urgence (ELT) s'est déclenchée à l'impact.
On a prélevé des échantillons de carburant de l'équipement d'avitaillement, du corps du filtre à carburant, du véhicule d'approvisionnement et d'un hélicoptère Kamax qui était exploité à partir de la même aire d'atterrissage. On a analysé les échantillons grâce à la chromatographie en phase gazeuse pour établir leur composition et pour vérifier s'ils contenaient de l'eau.Note de bas de page 3 Les échantillons provenant de l'équipement d'avitaillement montraient une concentration d'eau proche du niveau de saturation. Un additif anti-givrage avait été ajouté par le fournisseur de carburant.
Le Lama est propulsé par un moteur à turbine Turbomeca Artouste 111B1 de 870 hp de puissance sur l'arbre. Le moteur de l'hélicoptère accidenté portait le numéro de série 1561. Il avait été fabriqué en 1983. Au moment de l'accident, le moteur totalisait quelque 8 385 heures depuis sa mise en service initiale (TTSN). La dernière réparation sur le moteur avait été effectuée le 16 décembre 1998 à 7 494,1 heures TTSN par Heli-Support Inc., le seul atelier de réparation en Amérique du Nord approuvé par Turbomeca pour faire des réparations et des révisions de moteur à turbine Artouste. On avait signalé que le moteur engendrait des particules métalliques (making metal);Note de bas de page 4 on a en effet découvert qu'un palier était en train de se désintégrer. L'atelier de réparation a fait des « travaux de maintenance majeurs »Note de bas de page 5 pour remplacer ce palier. Il n'est pas obligatoire de démonter les engrenages ou le rotor ni d'effectuer une endoscopie quand on effectue ce type de travaux et l'atelier de réparation n'a pas à procéder à un essai de fonctionnement du moteur ou à un point fixe après les travaux. Un essai de fonctionnement a tout de même été fait et a donné des résultats satisfaisants.
Après l'accident, le moteur a été envoyé aux installations de fabrication de moteurs de Turbomeca, en France, pour subir des essais et y être inspecté.Note de bas de page 6 Le Bureau Enquêtes-Accidents (BEA) – l'organisme français chargé des enquêtes sur les accidents d'aviation de l'aviation civile – a surveillé les opérations au nom du BST. D'autres essais sur des composants et des échantillons d'huile ont été faits aux installations et aux laboratoires d'essais des moteurs du gouvernement français (Centre d'essai des propulseurs du ministère de la Défense)Note de bas de page 7. Le moteur a fonctionné par à-coups lors du point fixe. On a alors démonté et inspecté le moteur et ses accessoires. On a découvert qu'il n'y avait pas de sceau de sécurité sur le réglage du débit maximum et la buse de dérivation de la pompe à carburant. Les sceaux de sécurité sont installés pour empêcher les réglages non autorisés. Des radiographies ont permis de constater qu'il y avait d'importants dépôts sur le tube d'injection et que le passage axial de l'engrenage d'injection était partiellement obstrué. On a trouvé des dépôts à de nombreux endroits dans le circuit d'injection. Des extractions par vidange (nettoyage répété à l'aide d'une solution d'éther de pétrole et d'air comprimé) effectuées par la suite ont permis de recueillir plus de 400 milligrammes d'un dépôt de couleur marron/ambre d'une forme laissant croire que le matériau avait été plaqué ou collé aux parois du tube d'injection par la force centrifuge. Les dépôts n'étaient pas magnétiques. Ils ont subi des analyses spectrométriques par infrarouge (IF) et par fluorescent X (FX); les résultats semblaient correspondre au spectre de la résine cellulosique d'urée-formaldéhyde de type polymère. Des essais de chromatographie en phase gazeuse et de spectrographie de masse ont confirmé la présence d'un composé aminé dans le dépôt.
Au cours de l'enquête, Turbowest Helicopters Limited a signalé qu'un autre de ses hélicoptères Lama (numéro de série 2549) avait subi une perte de puissance similaire mais qu'il avait pu se poser sans autre incident. Le moteur (numéro de série 1772) de ce second Lama a été inspecté par un atelier de la localité qui a constaté que des dépôts obstruaient le tube d'injection. Les dépôts ont été analysés et comparés aux dépôts trouvés dans le moteur (numéro de série 1561) du premier hélicoptère et dans le corps du filtre à carburant.Note de bas de page 8 Les dépôts montraient des similitudes remarquables. Un échantillon de carburant recueilli à partir du réservoir du second Lama présentait une substance gélatineuse en suspension. Des analyses supplémentaires des dépôts trouvés dans le moteur portant le numéro de série 1772 ont été effectuées. Le dépôt de couleur ambre recueilli dans le tube d'injection a été nettoyé au solvant pour enlever les résidus de carburant, puis il a été dissous dans l'eau où il s'est transformé en gel. On a ensuite fait sécher le gel en un mince film qui a été examiné par spectroscopie infrarouge à transformée de Fourier (FTIR). Le film sec possédait un spectre IF qui ressemblait à de la carboxyméthylcellulose
(CMC). La CMC est une poudre hydrosoluble fréquemment utilisée pour régulariser le taux d'humidité, épaissir, stabiliser ainsi qu'augmenter la viscosité d'un grand nombre de produits à base d'eau. Il existe plusieurs types de CMC.
Des entretiens avec l'industrie ont révélé que de l'information avait été transmise par Transports Canada à la Federal Aviation Administration (FAA) des États-Unis qui s'est chargée de la publier. L'information avait été diffusée sous la forme d'un bulletin d'alerte de maintenance pour l'aviation en septembre 1999 et faisait état de la circulaire consultative AC 43-16A de la FAA, un avis spécial de sécurité concernant les filtres à carburant. L'avis informait toutes les personnes concernées par la sécurité des vols qu'un rappel de produit avait été publié pour les filtres Velcon. Ces filtres sont faits d'un matériau polymère absorbant qui sert de produit hydroabsorbant (similaire aux produits trouvés dans les couches pour bébé ou dans les serviettes pour l'incontinence, etc.), lequel absorbe l'eau (non dissoute) présente dans le carburant. L'eau est normalement éliminée jusqu'à un niveau de deux parties par million ou moins. Aux débits d'écoulement standard, à 50 % ou plus du débit nominal des éléments, la pression différentielle s'élève aux bornes de la cartouche à mesure que l'eau s'y accumule. Les cartouches sont remplacées lorsque la pression différentielle atteint 15 livres par pouce carré. La présence d'une grande quantité d'eau dans le carburant (masse liquide) fait augmenter rapidement la pression différentielle, ce qui finit par interrompre le débit de carburant à mesure que l'eau est absorbée. La compagnie Velcon a signalé que, lors d'essais, un nombre indéterminé de cartouches se sont ainsi colmatées en exploitation normale jusqu'à ce que le produit absorbant finisse par être extrudé au travers de la barrière anti-migration du produit située dans l'élément et qu'il s'écoule en aval. Au moment de l'accident, l'équipement d'avitaillement était équipé d'un filtre Facet; le filtre a été enlevé, et les analyses ont révélé la présence d'un produit hydroabsorbant ressemblant à du polyacrylate.Note de bas de page 9 Il existe trois catégories de produits hydroabsorbants : les aminoplastes, les produits à base de CMC et les polyacrylates.
Analyse
On avait remarqué que le moteur présentait des signes de mauvais fonctionnement, mais on avait jugé que ce n'était pas important, et les opérations de vol avaient repris.
Le tube d'injection ainsi que les engrenages contenaient un contaminant qui obstruait le débit de carburant, ce qui doit avoir causé la perte de puissance. L'analyse du contaminant a montré que la composition chimique du contaminant était similaire à un composé/polymère trouvé dans le corps du filtre à carburant du même Lama (numéro de série 2658). Les échantillons prélevés de l'équipement d'avitaillement montraient une concentration d'eau proche du niveau de saturation. Un additif anti-givrage avait été ajouté aux installations du fournisseur de carburant. Les fabricants de filtres à carburant font la mise en garde suivante : les additifs anti-givrage nuisent aux cartouches hydroabsorbantes puisqu'ils réduisent la pression différentielle aux bornes du filtre. On a conclu que la pression différentielle entre les bornes de l'élément filtrant a provoqué l'expulsion du produit hors des filtres à carburant. L'expulsion du produit a contaminé l'alimentation en carburant du moteur, a gêné le débit de carburant et a provoqué la perte de puissance.
Depuis l'installation du moteur portant le numéro de série 1561 (lequel avait fait l'objet d'un point fixe, d'un essai en vol et d'un essai de puissance moteur) sur la cellule de l'hélicoptère portant le numéro de série 2658 et après la dernière réparation (effectuée à 7 994,1 heures TTSN), l'appareil avait accumulé 889 heures de fonctionnement. Les agrégats se sont probablement accumulés depuis l'installation précédente sur la cellule de l'hélicoptère portant le numéro de série 2549. Les dépôts étaient sans doute présents depuis la dernière révision (effectuée le 31 mars 1993 à 5 432 heures TTSN) et avant la dernière réparation quand la pompe à carburant du moteur a peut-être été réglée pour compenser l'obstruction du débit de carburant. Les essais de fonctionnement effectués après les travaux de maintenance majeurs n'ont pas permis de détecter la contamination. L'atelier de réparation et de révision et l'exploitant ont raté l'occasion de déceler le problème et de le corriger.
Il est peu probable que la calandre installée sur le radiateur d'huile pour augmenter la température de l'huile ait nui au fonctionnement du moteur puisque l'indicateur de température d'huile moteur indiquait des températures de fonctionnement normales même après l'installation de la calandre.
Il est reconnu que la ceinture-baudrier est un dispositif de sécurité qui augmente considérablement les chances de survie en cas d'accident. Les enquêtes sur des accidents et les recherches effectuées par le BST démontrent de façon constante que le port du harnais d'épaule de la ceinture-baudrier permet de diminuer la gravité des blessures, voire de prévenir les blessures en cas d'impact modéré. L'apprenti TEA aurait probablement subi des blessures moins graves s'il avait porté la ceinture-baudrier de son siège.
Faits établis
Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs
- Le pilote et l'équipe de maintenance n'ont pas réussi à identifier correctement le problème du moteur et ont continué à utiliser l'hélicoptère malgré le mauvais fonctionnement du moteur.
- Le moteur de l'hélicoptère a subi une perte de puissance en raison de l'accumulation d'un produit hydroabsorbant qui a été expulsé des filtres de l'équipement d'avitaillement, ce qui a ensuite obstrué le passage du carburant dans la chambre de combustion du moteur.
Faits établis quant aux risques
- Il n'est pas obligatoire de démonter les engrenages ou le rotor ni de faire une endoscopie lorsqu'on fait des travaux de maintenance majeurs, et l'atelier de réparation n'est pas tenu de procéder à un essai de fonctionnement du moteur ou à un point fixe après des travaux de maintenance majeurs.
- Les fabricants de filtres à carburant utilisent un matériau hydroabsorbant qui peut être extrudé et forcé dans le circuit de carburant des aéronefs, provoquant l'obstruction du débit de carburant et l'arrêt du moteur.
- L'apprenti technicien d'entretien d'aéronefs aurait probablement subi des blessures moins graves s'il avait porté la ceinture-baudrier de son siège.
Mesures de sécurité prises
Un article paru dans Feed-back du premier trimestre de 2000 publié par Transports Canada a réitéré le contenu de la circulaire consultative AC 43-16A de la FAA publiée en septembre 1999.
Le 25 juillet 2001, le BST a envoyé l'avis de sécurité no A010029 à Transports Canada. L'avis signalait que des mesures (moyens techniques ou diffusion d'information aux exploitants) pouvaient être prises pour réduire les risques de contamination du circuit carburant des aéronefs, que cette contamination soit attribuable à la présence de composants internes ou qu'elle soit liée aux filtres de l'équipement d'avitaillement.
Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .