Mauvais fonctionnement de la roue libre d'entrée
Helijet International Inc.
Sikorsky S-61N/SP (hélicoptère) C-GHJU
Héliport du port de Vancouver
(Colombie-Britannique)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
À 15 h 20, heure du Pacifique, l'hélicoptère Sikorsky S-61N/SP d'Helijet portant le numéro de série 61711 a décollé verticalement au-dessus de l'hélisurface du port de Vancouver, avec à son bord trois membres d'équipage et 15 passagers, en vue d'effectuer un vol de 35 minutes selon les règles de vol à vue jusqu'à Victoria. Le pilote a affiché la puissance de décollage, mais lorsque l'appareil a dépassé une hauteur d'environ 30 pieds, le moteur no 2 a subi une brusque et immédiate perte de puissance, accompagnée d'une indication de différence de couple importante : moteur no 1, couple élevé; moteur no 2, couple faible. L'hélicoptère n'ayant pas encore commencé la translation, le pilote a interrompu le décollage, viré à gauche et atterri avec un moteur inopérant sur l'extrémité nord de l'hélisurface. L'appareil n'a subi aucun dommage et personne n'a été blessé.
Renseignements de base
Après avoir posé et stabilisé l'hélicoptère, l'équipage a effecuté la procédure de fermeture du moteur no 2 qui s'était arrêté tout seul. Le pilote a ensuite jugé qu'à cause de la position dans laquelle se trouvait l'hélicoptère, les passagers ne pourraient débarquer facilement. Il a donc commencé à rouler vers l'avant afin de pouvoir ouvrir la porte avec escalier intégré à un endroit plus pratique. Cependant, après qu'il a eu parcouru une courte distance, la roulette de queue est sortie de la surface de posé et la partie arrière du fuselage a heurté le rebord de l'hélisurface. La partie arrière de la coque a subi des dommages.
Le pilote n'a pu replacer la roulette de queue sur l'hélisurface parce qu'elle s'était prise dans le filet du rebord. La porte n'étant pas vis-à-vis un endroit approprié, il a demandé au copilote et à l'agent de bord de faire débarquer les passagers pendant qu'il laissait tourner le rotor principal. Une fois les passagers rendus dans l'aérogare qui se trouvait à proximité, le copilote a coupé le filet pour libérer la roulette de queue. Le pilote a ensuite roulé jusqu'au côté est de l'hélisurface et il a coupé le moteur encore valide.
D'après les dossiers, les deux pilotes possédaient la formation et les qualifications nécessaires pour effectuer le vol conformément à la réglementation de Transports Canada en vigueur. Également d'après les dossiers, l'hélicoptère était entretenu conformément à la réglementation de Transports Canada en vigueur.
Le moteur no 2 a été déposé, démonté et examiné. Le régulateur carburant et la soupape distributrice connexes ont été déposés et ont fait l'objet d'essais au banc rigoureux, puis ont été désassemblés et examinés à un centre de révision agréé. Le mécanisme de protection contre la survitesse du moteur intégré au régulateur carburant a été vérifié plusieurs fois. Le régulateur carburant fonctionnait normalement, et aucune anomalie n'a été décelée ni dans son fonctionnement ni dans sa fabrication. En résumé, aucun signe de défectuosité, d'anomalie ni de mauvais fonctionnement ayant pu contribuer à cet incident n'a été décelé au niveau du moteur ou de ses composants.
La boîte de transmission du rotor principal a été déposée, démontée et examinée. Aucune autre anomalie n'a été décelée à part celles de l'unité de roue libre d'entrée (IFWU - Input Freewheel Unit) no 2 (droite) qui a été démontée et examinée (voir l'annexe A). Il a été établi que son boîtier était usé bien au-delà des limites permises; les marques d'usure étaient excentriques et d'une profondeur supérieure à celle des marques que comporte normalement un composant ayant été en service approximativement aussi longtemps.
L'IFWU est essentiellement un mécanisme d'embrayage qui permet d'accoupler les moteurs avec le système de transmission du rotor principal. L'IFWU est constituée de trois éléments distincts : une boîtier d'engrenages, un arbre à cames et 12 galets. En cas de glissement de l'IFWU, le moteur associé est instantanément délesté. N'étant plus soumis à une charge, ce moteur entre en survitesse et le système de protection le coupe automatiquement. La durée de vie en service normale d'une IFWU est de 1250 heures. Les deux IFWU avaient été installées dans la boîte de transmission du rotor principal en janvier 1999, huit mois avant l'incident, et elles totalisaient 464 heures de service au moment de l'incident.
Le diamètre intérieur maximal permis du boîtier d'engrenage de l'IFWU du S-61 au moment de la révision est de 3,7535 pouces. À certains endroits, le diamètre intérieur du boîtier d'engrenages de l'IFWU no 2 était de 3,7595 pouces : l'usure était donc supérieure de 0,0059 pouce à la limite permise. De plus, il s'agissait d'une usure excentrique qui provoquait un écart de circularité de 0,0045 pouce. À titre de comparaison, le boîtier d'engrenages renfermant l'IFWU no 1 présentait une usure uniforme de moins de 0,001 pouce. L'usure de l'IFWU est habituellement provoquée par un dépassement, c'est-à-dire par une vitesse de rotation de l'arbre d'entrée du boîtier d'engrenages du rotor principal supérieure à la vitesse d'entraînement du moteur y étant associé. Une telle situation survient toujours pendant l'embrayage du rotor principal, lorsqu'un moteur tourne à un régime inférieur à celui de l'autre moteur. Le degré et la gravité de l'usure peuvent être influencés par les variables d'exploitation et la technique de pilotage.
L'augmentation du taux de dépose prématurée de l'IFWU sur l'hélicoptère S-61 avait été reconnue comme un problème par Sikorsky Aircraft au début des années 1980. À l'époque, le constructeur avait publié une lettre de service à la clientèle intitulée « Input Freewheel Unit Serviceability (MGB) » (CSL-P-80-011 du 21 février 1980, révisée le 2 avril 1980) qui soulignait la probabilité que le glissement de l'IFWU soit aggravé par les embrayages brusques du rotor et les démarrages du moteur principalNote de bas de page 1. Le constructeur recommandait également que les exploitants de S-61 adoptent les quatre techniques opérationnelles suivantes :
- alterner les embrayages du rotor entre les moteurs, afin de réduire le nombre des impacts d'accouplement et la répétition des différences de vitesse sur une même IFWU de façon à répartir l'usure sur les deux IFWU;
- réduire les acccélérations des moteurs lors de l'appariement des couples en vue de répartir les charges en effectuant les embrayages du rotor avec douceur de façon à empêcher que l'IFWU ne subisse une surcharge d'impact;
- pendant le vol, surveiller les dépassements de régime de la turbine libre car ils constituent une indication de dégradation des performances de l'IFWU;
- réduire le nombre de débrayages de l'IFWU et d'embrayages du rotor pendant les opérations au sol en répartissant la charge entre les moteurs.
L'adoption de ces procédures révisées a permis de réduire la fréquence des déposes d'IFWU.
Helijet International, l'exploitant du S-61N en cause dans cet incident, n'avait pas mis en oeuvre les procédures, mentionnées ci-haut, consistant à alterner les démarrages. Le manuel de vol du giravion (MVG) approuvé par TC ne fait aucune mention de la procédure consistant à alterner les démarrages. Les procédures de démarrage et d'embrayage de Helijet étaient conformes au manuel de vol du giravion et elles comportaient, dans l'ordre, le démarrage du moteur no 1 d'abord, l'embrayage du rotor, puis le démarrage du moteur no 2. Une telle pratique exposait constamment l'IFWU no 2 à un dépassement. En outre, il n'était pas rare chez Helijet de couper le moteur no 2, d'arrêter le rotor principal, puis de couper le moteur no 1. Cette pratique exposait également l'IFWU no 2 à un dépassement. L'exploitant avait récemment utilisé cet hélicoptère pour former plusieurs pilotes sur type. Cette formation comportait des vols sur un seul moteur avec réduction de puissance du moteur no 2. Pour des raisons techniques, lors d'une simulation servant au vol de formation sur un seul moteur, les exploitants de S-61 préfèrent réduire la puissance du moteur no 2. Encore une fois, une telle pratique exposait l'IFWU no 2 à un dépassement.
Depuis cet incident, Sikorsky Aircraft a fourni à la Federal Aviation Administration (FAA) les améliorations mentionnées dans la publication CSL-P-80-011, aux fins d'approbation et d'intégration au MVG. Ces améliorations seront ultérieurement intégrées au MVG approuvé par TC.
Analyse
Les mesures prises par l'équipage de conduite lorsque cet incident est survenu ont été examinées: rien n'indique qu'elles ont contribué à la suite d'événements ayant provoqué le glissement de l'IFWU ou ont aggravé la situation. Cependant, l'examen des opérations de vol de la compagnie a révélé que des procédures d'utilisation normalisées avaient probablement contribué au glissement de l'IFWU.
L'usure prématurée de l'IFWU a probablement été provoquée par la combinaison d'un fréquent dépassement du même IFWU, de nombreux vols d'entraînement sur un seul moteur et des particularités de la technique d'embrayage du rotor. Les facteurs ayant contribué à l'usure excentrique de l'IFWU no 2 n'ont pas été établis.
La lettre de service à la clientèle (CSL-P-80-011) du constructeur insistait sur la probabilité que le glissement de l'IFWU soit aggravé par les embrayages brusques du rotor et les mises en route en démarrant en premier un moteur plus souvent que l'autre. De toute évidence, il a été démontré que les recommandations de Sikorsky, selon lesquelles il convient d'alterner les embrayages du rotor entre les moteurs, de modérer l'accélération des moteurs lors de l'appariement des couples, de surveiller les dépassements de la turbine libre et de réduire le nombre d'embrayages de l'IFWU peuvent réduire la fréquence des glissements de l'IFWU. La société Helijet était au courant de ces recommandations; après l'incident, elle a commencé à alterner les embrayages du rotor entre les moteurs et à réduire la fréquence de l'utilisation en roue libre de l'IFWU. Depuis, seules des marques d'usure légère ont été décelées sur le boîtier d'engrenages renfermant l'IFWU. Il est donc probable qu'au moment de l'incident, les procédures d'utilisation normalisées de l'exploitant ont contribué à l'usure prématurée dont les traces ont été décelées sur l'IFWU en cause dans cet incident.
Faits établis
Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs
- L'IFWU no 2 de la boîte de transmission principale était usée au-delà des limites acceptables et, au décollage, elle a glissé à cause de la charge inhérente à la puissance élevée, ce qui a provoqué une survitesse instantanée et la coupure du moteur no 2.
- Il semble que l'usure prématurée de l'IFWU ait été provoquée par la combinaison d'un fréquent dépassement du même IFWU, de nombreux vols d'entraînement sur un seul moteur et des particularités de la technique d'embrayage du rotor.
Faits établis quant aux risques
- Dans certaines conditions d'exploitation, les IFWU de l'hélicoptère S-61 risquent de s'user rapidement. Cette usure rapide peut être à l'origine d'une défaillance des IFWU qui peut provoquer la survitesse et la coupure d'un moteur.
Autres faits établis
- Le constructeur de l'hélicoptère a recommandé des procédures visant à améliorer la répartition des charges appliquées aux IFWU des hélicoptères S-61 et réduire les taux d'usure élevés de ces IFWU. Ces procédures n'ont pas entièrement été intégrées au manuel de vol des giravions approuvé par Transports Canada.
Mesures de sécurité prises
À la suite de cet incident, Helijet a mis en oeuvre une procédure améliorée de démarrage et d'embrayage de son hélicoptère S-61N qui consiste à démarrer les deux moteurs, puis d''embrayer les rotors avec les deux moteurs en même temps. Cette procédure réduit considérablement les dépassements. L'exploitant a réduit le cycle des inspections de maintenance de l'IFWU à 300 heures de service afin de vérifier si les nouvelles procédures d'exploitation ont un effet sur l'usure. Une inspection du boîtier d'engrenages du rotor principal a été effectuée le 31 janvier 2001, alors que l'hélicoptère avait effectué 300 heures depuis le glissement initial de l'IFWU faisant l'objet de la présente enquête. L' inspection de l'IFWU no 2 a révélé des marques d'usure sur la came et sur les galets, mais presque pas sur le boîtier de l'IFWU. Helijet a remplacé l'IFWU et a prévu une autre inspection de cette IFWU après 450 heures en service.
Depuis cet incident, Sikorsky Aircraft a transmis au législateur américain, la Federal Aviation Administration (FAA), les améliorations décrites dans la publication CSL-P-80-011 aux fins d'approbation et d'intégration au MVG.
Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .
Annexes