Rapport d'enquête aéronautique A02A0065

Défaillance de siège et perte de maîtrise
du Schempp-Hirth KG Cirrus (planeur) C-GUIL
exploité par le Bluenose Soaring Club
à l'aéroport Stanley (Nouvelle-Écosse)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    Le planeur Schempp-Hirth KG Cirrus, immatriculé C-GUIL et portant le numéro de série 77, est aligné sur l'herbe en bordure de la piste 20 de l'aéroport Stanley en vue d'un décollage au treuil. Le vent souffle de l'ouest-nord-ouest à environ huit noeuds, ce qui donne un vent trois-quarts arrière de quelques noeuds. Vers 15 h 5, heure avancée de l'Atlantique, le pilote donne le signal de commencer le décollage et, conformément au manuel d'exploitation du Bluenose Soaring Club, le treuilliste amorce un lancement « à pleine vitesse » afin de compenser pour les conditions de vent. Le planeur s'envole normalement; il se met en palier pendant moins de cinq secondes, puis il se cabre dans une montée à grand angle jusqu'à une hauteur estimée à 200 pieds au-dessus du sol, puis il bascule sur le dos du côté droit. Lorsque le treuilliste se rend compte que le planeur se cabre brusquement et prématurément, il augmente la puissance du treuil, car il craint que le planeur ne soit sur le point de décrocher. Le câble de remorquage se décroche après que le planeur a basculé sur le dos, et ce dernier descend et heurte le sol dans une assiette inversée. Lorsque le planeur s'immobilise, l'extrémité du câble de remorquage se trouve à quelque 50 pieds directement devant le planeur, dans le même axe. Le pilote est mortellement blessé et le planeur est détruit.

    Renseignements de base

    Le pilote possédait de l'expérience tant sur les aéronefs propulsés que sur les planeurs et il était titulaire d'une licence valide d'instructeur de pilotage de planeur. Il était considéré comme une personne prudente et il avait déjà occupé le poste d'officier de sécurité au Bluenose Soaring Club (BSC). Il totalisait 525 heures de vol sur planeur, dont 4,2 heures sur le Cirrus. Il n'avait pas piloté le Cirrus depuis le 16 septembre 2001.

    Les opérations de vol de la journée avaient commencé vers 7 h, alors que la direction du vent favorisait la piste 20. Les membres du BSC ont effectué plusieurs vols sans incident, dont un vol d'instruction dispensé par le pilote en cause dans un Schleicher K7. Entre 14 h 15 et 15 h, la vitesse et la direction du vent ont commencé à changer et à favoriser la piste 02. On a estimé qu'au moment du lancement en cause, le vent soufflait de l'ouest-nord-ouest à environ huit noeuds. Les personnes qui participaient aux activités de vol sur le terrain, y compris le pilote en cause, ont alors décidé de transférer les opérations à la piste 02.

    À ce moment-là, le pilote de C-GUIL se trouvait à l'extrémité de décollage de la piste 20 et, plutôt que de faire remorquer le planeur par un véhicule terrestre, il a choisi de décoller et d'atterrir à l'autre extrémité de la piste. Le pilote a alors pris place à bord du planeur et il a attendu plusieurs minutes que le vent diminue d'intensité. Lorsqu'ils utilisaient la piste 20, les pilotes du BSC estimaient la vitesse et la direction du vent en observant un drapeau de signalisation tenu à la main par une personne placée à proximité de l'extrémité de l'aile gauche du planeur, ou en observant un bout de ruban en plastique fixé à une antenne radio voisine. L'unique manche à vent de l'aéroport était située à quelque 5 000 pieds plus loin et était difficilement observable à partir de la position de lancement de la piste 20.

    Le planeur était équipé d'un crochet de remorquage de type « TOST » qui assure le décrochage automatique du câble de remorquage si la tension diminue au cours d'une séquence de lancement ou si le planeur dépasse le câble en vol. Les conditions propices à un décrochage automatique du câble de remorquage étaient réunies lors des derniers moments du vol.

    Le planeur était un appareil monoplace à hautes performances en stratifié de tissu de verre. Il avait fait l'objet d'une inspection annuelle environ trois mois avant l'accident et il avait été utilisé la veille de l'accident et à deux autres reprises depuis l'inspection.

    L'examen de l'épave a révélé que les commandes de vol du planeur étaient raccordées et qu'elles fonctionnaient correctement avant l'impact. Rien ne permet de croire à une défaillance structurale de la cellule antérieure à l'impact.

    Le siège du planeur est de type hamac en tissu suspendu (voir la figure 1 - Siège du planeur). La fixation avant, située sous les jambes du pilote, est fixée au plancher à l'aide de trois boulons, et elle n'est pas réglable. La fixation arrière, située derrière les épaules du pilote, est un enrouleur fixé à un cadre de siège mobile. L'enrouleur permet au pilote de choisir le nombre d'enroulements du tissu, et il assure le réglage en hauteur du siège. Le cadre du dossier de siège est réglable d'avant en arrière afin de positionner le corps du pilote davantage vers l'avant ou l'arrière. Le réglage s'effectue en sélectionnant le trou approprié du levier à ressort de rappel et en l'alignant avec une tige fixe liée à la structure de la cellule. Dans la position la plus avancée, le pilote est en position assise semi- inclinée; plus le dossier du siège est réglé vers l'arrière, plus le torse de l'occupant est incliné. L'examen du siège du planeur n'a pas permis d'établir la position exacte de réglage du siège au moment de l'impact. Après l'accident, on a constaté que les boulons du côté droit et du centre du dispositif de fixation avaient été arrachés de leurs écrous d'ancrage et que les boulons étaient demeurés fixés à l'intérieur du tissu du siège et de la bande de fixation en aluminium. Le boulon du côté gauche était encore dans son écrou d'ancrage, mais on pouvait le desserrer à la main.

    Figure 1. Siège d'un planeur Cirrus intact
    Image
    Figure of Siège d'un planeur Cirrus intact

    On a déposé le siège et les écrous d'ancrage à la cellule pour les envoyer au Laboratoire technique du BST aux fins d'examen dans le but de déterminer l'état des filets des boulons et des écrous d'ancrage. Les filets des boulons ne présentaient aucun signe d'usure excessive, de déformation, ni d'autre type de dommage. Les filets des écrous d'ancrage du côté droit et du centre indiquaient qu'ils avaient été antérieurement foirés, ce qui les avait lourdement endommagés. La surface des quatre premiers filets de l'écrou d'ancrage droit avait un aspect plus brillant que les autres filets de l'écrou. Il a été impossible de chiffrer dans quelle mesure les dommages des filets ont réduit la force de serrage des écrous d'ancrage. L'analyse technique du siège et de la quincaillerie de fixation n'a pas non plus permis de déterminer si les boulons se sont arrachés avant l'écrasement de l'appareil ou à la suite des forces d'impact avec le sol.

    Après l'accident, on a inspecté le système de treuillage et on a vérifié son fonctionnement, ce qui n'a révélé aucune anomalie.

    L'examen d'un autre planeur Cirrus a révélé des caractéristiques ergonomiques susceptibles de poser des problèmes aux pilotes de petite taille. Un enquêteur du BST ayant à peu près la même grandeur que le pilote en cause (cinq pieds six pouces) ne pouvait manoeuvrer complètement les pédales du palonnier à moins que le siège ne soit réglé à sa position extrême avant. Même à cette dernière position, il devait quand même s'étirer les jambes pour braquer complètement la dérive. En outre, la poignée de décrochage d'urgence du crochet de remorquage est située sur le plancher de la cabine du côté gauche à l'avant du manche, ce qui la rend difficile à atteindre lorsque le buste du pilote est retenu par le harnais de sécurité à cinq points d'appui. Plus l'angle du siège est incliné, plus la distance entre la poignée et la main du pilote augmente, ce qui rend la poignée de plus en plus difficile à atteindre.

    Analyse

    Au moment du lancement, le treuilliste a, à juste titre, utilisé la « pleine vitesse » du treuil afin de compenser pour la vitesse et la direction du vent. Il est par conséquent peu probable que la perte de maîtrise ait été provoquée par une vitesse de treuillage insuffisante qui aurait causé un décrochage aérodynamique.

    Pendant le lancement en cause, les forces d'accélération ont fortement repoussé le pilote vers l'arrière, ce qui a transféré de fortes charges sur le siège et sa quincaillerie de fixation. Deux des trois boulons de fixation de siège avant ont été retrouvés détachés. L'aspect brillant des filets de l'écrou d'ancrage droit est sans doute attribuable à l'arrachement du boulon, ce qui laisse croire que le boulon de l'écrou d'ancrage droit n'était engagé que de quatre filets tout au plus. Normalement, ce nombre de filets engagés devrait être suffisant pour assurer la résistance maximale de l'ensemble boulon et écrou d'ancrage. Cependant, dans le cas présent, les filets avaient été antérieurement foirés, ce qui a peut-être empêché l'ensemble d'offrir sa force de serrage nominale. Il a été impossible de déterminer pourquoi les boulons n'avaient pas été complètement serrés.

    Même si l'analyse technique n'a pas fourni suffisamment d'information pour déterminer si les boulons se sont arrachés dans les airs ou au moment de l'impact au sol, d'autres renseignements laissent croire qu'ils se seraient effectivement arrachés en vol. Le planeur s'est fortement cabré peu de temps après l'arraché. Cette manoeuvre est certainement anormale et on n'a constaté aucune anomalie au niveau des commandes de vol ou de la structure du planeur. Le foirage antérieur des filets, le fait que les boulons du centre et du côté droit n'avaient sans doute pas été serrés à fond, et les forces d'accélération élevées présentes lors du lancement permettent de conclure que les boulons se sont libérés de leurs écrous d'ancrage et que cela a entraîné la défaillance du siège. Après cette défaillance, le pilote aurait été repoussé vers le bas et l'arrière, ce qui l'aurait éloigné des commandes. Ce brusque mouvement vers l'arrière aurait été accompagné d'un mouvement correspondant du manche vers l'arrière, ce qui aurait entraîné le cabrage excessif et la perte de maîtrise subséquente. En outre, la position du pilote l'aurait empêché d'atteindre la poignée de décrochage manuel du câble de remorquage.

    La pratique qui consiste à utiliser un drapeau de signalisation ou un bout de ruban en plastique pour estimer la direction et la vitesse du vent n'offre pas une précision suffisante et elle est inadéquate pour les opérations dans des conditions de vent léger et variable. Cette façon d'évaluer le vent présente des risques potentiels. Une manche à vent fournirait aux pilotes des renseignements plus précis sur le vent au moment du décollage et pendant l'approche à l'atterrissage.

    L'enquête a donné lieu au rapport de Laboratoire technique suivant :

    • LP 056/2002 – Examination of Pilot Seat Attachments [Examen des fixations du siège pilote]

    Faits établis

    Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

    1. Le foirage antérieur des filets, les boulons du centre et du côté droit qui n'étaient probablement pas serrés à fond, et les forces d'accélération élevées présentes lors du lancement ont entraîné l'arrachement des boulons de leurs écrous d'ancrage, ce qui a causé la défaillance du siège.
    2. Le pilote a perdu la maîtrise du planeur après la défaillance du siège.

    Faits établis quant aux risques

    1. Dans la position d'inclinaison normale du siège, la poignée de décrochage du crochet de remorquage du Cirrus est difficile à atteindre pour les pilotes de petite taille.
    2. Les filets des écrous d'ancrage du côté droit et du centre du dispositif de fixation avant du siège avaient été foirés antérieurement, et il est probable qu'ils n'offraient plus leur résistance nominale.
    3. Un drapeau de signalisation ou un bout de ruban en plastique n'offre pas des renseignements suffisamment précis pour les opérations dans des conditions de vent léger et variable.

    Mesures de sécurité

    Le Bluenose Soaring Club a installé une manche à vent à l'extrémité nord de la piste 20. Le club de vol à voile a également précisé qui avait la responsabilité et l'autorité de prendre les décisions en regard des changements de direction de lancement.

    Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet accident. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .