Maîtrise difficile de l'aéronef
de Havilland DHC8-311, C-FACF
exploité par Jazz Air Inc.
à l'Aéroport international de Toronto/Lester B. Pearson
Toronto (Ontario)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Le de Havilland DHC8 (immatriculation C-FACF, numéro de série 259), exploité par Jazz Air Inc., effectue le vol JZA7956 en partance de Toronto (Ontario) à destination de Windsor Locks (Connecticut) (KBDL), aux États-Unis. L'avion décolle de la piste 06L de l'aéroport international Lester B. Pearson-Toronto (Ontario) à 19 h 50, heure normale de l'Est, pour le vol de nuit prévu selon les règles de vol aux instruments. Pendant la course au décollage, un morceau du bord d'attaque (avec la gaine de dégivrage) long de trois pieds se détache de l'aile gauche. L'équipage de conduite remarque une vibration des commandes de vol pendant la montée initiale après le décollage et décide de retourner à l'aéroport international de Toronto/Lester B. Pearson. Le contrôle de la circulation aérienne reçoit un rapport de débris sur la piste 06L, et on récupère le morceau de bord d'attaque du DHC8. L'avion atterrit sans autre incident sur la piste 06L, des véhicules d'intervention d'urgence étant en attente. En examinant le bord d'attaque, on constate l'absence des 14 vis qui fixent ce dernier à la partie inférieure de l'aile.
Renseignements de base
Déroulement du vol
L'équipage de conduite arrive à Toronto (Ontario) en provenance de Cleveland (Ohio) à 18 h 26, heure normale de l'Est (HNE)Note de bas de page 1, à bord d'un DHC8-100 et planifie de repartir à 19 h 25 à destination de Windsor Locks (Connecticut) aux États-Unis, sous le numéro de vol 7956. Cependant, un vol à destination de Windsor Locks qui devait quitter plus tôt a été annulé, et les passagers de ce vol ont été transférés au vol 7956. L'ajout de passagers rend nécessaire l'utilisation d'un plus gros avion, le DHC8-311. En raison du changement d'aéronef pour le voyage de retour aux États-Unis, l'équipage de conduite doit maintenant passer par le service de douanes et d'immigration des États-Unis, ce qui n'est pas problématique en soi, mais prend beaucoup de temps, et le temps manque si l'équipage veut respecter l'heure de départ prévue. Pendant que le commandant de bord s'occupe des documents administratifs nécessaires pour le vol, y compris du rapport météorologique, du plan de vol et du dossier de maintenance de l'avion, le copilote effectue une inspection extérieure de l'avion.
L'avion est stationné sur l'aire de trafic de l'aérogare satellite est. Des projecteurs à faisceau large éclairent la majeure partie de l'aire de trafic, mais créent aussi des ombres profondes sous les ailes de l'avion. Le copilote a besoin d'une lampe de poche pour inspecter l'avion; l'inspection, y compris l'inspection des ailes, ne révèle aucune anomalie.
Antécédents de maintenance
Deux jours avant l'événement, le 22 octobre 2002, l'équipe de maintenance de jour commence son quart de travail à 6 h. Il n'y a pas de chef d'équipe de hangar désigné de façon permanente. Un chef d'équipe est choisi tous les jours en fonction de l'ancienneté. Un technicien d'entretien d'aéronef (TEA) principal accepte d'agir en tant que chef d'équipe pour la journée en question. Les responsabilités du chef d'équipe ne sont pas clairement documentées, et il n'y a pas de formation officielle connexe. Il est convenu de façon générale que le chef d'équipe assure la liaison entre le superviseur de la maintenance et le reste de l'équipe et qu'il est responsable d'assigner et de superviser le travail de l'équipe. Dans le cas présent, le chef d'équipe possède une expertise de maintenance en avionique, et il y a un jet régional dans le hangar qui présente un problème d'avionique. Le chef d'équipe travaille donc à régler ce problème tout en s'occupant de ses tâches de chef d'équipe.
À 6 h, C-FACF est à l'extérieur du hangar avec un problème d'orientation du train avant. On prévoit que ce problème sera réglé rapidement, donc C-FACF est stationné à l'avant du hangar, à un endroit où il peut être sorti avec un minimum d'interruptions aux opérations se déroulant dans le hangar. Après avoir localisé le problème, on décide de remplacer les deux roues avant.
Pendant que le chef d'équipe essaie de régler le problème d'avionique de l'avion régional, le contrôle de la maintenance attribue des travaux supplémentaires à effectuer sur le C-FACF. Ces travaux comprennent, entre autres, une vérification en ligne et une inspection Out of Phase-3 (OPT-3). Les fiches de travail sont apportées au hangar par le superviseur de la maintenance et sont remises directement à l'équipe de maintenance. On demande à un des techniciens d'entretien d'aéronef subalternes (TEA 1), qui est un TEA titulaire de licence depuis trois mois et qui a été engagé par Jazz Air Inc., moins d'un mois avant l'événement, de montrer à certains des nouveaux TEA comment effectuer la vérification en ligne. Le TEA 1 possède une expérience restreinte en ce qui concerne la maintenance du DHC8, et il n'est pas titulaire d'une autorisation de certification des aéronefs (ACA) de la compagnie. On laisse les membres de l'équipe déterminer entre eux qui s'occupe de chacune des tâches de l'inspection OPT-3. Le chef d'équipe ne participe pas à l'attribution des tâches, mais il est ensuite informé par le superviseur de la maintenance de la demande de travaux qui a été faite.
L'inspection OPT-3 comprend 11 tâches individuelles, parmi lesquelles on trouve la tâche 3010/08, la vérification d'état de marche du circuit de chauffage de l'équipement pneumatique, qui est une vérification de fonctionnement des éléments chauffants du système de dégivrage. Le TEA 1 se porte volontaire pour effectuer cette tâche, bien qu'il n'ait pas d'expérience pertinente.
Dans la fiche de maintenance du Dash 8 de Havilland Inc., la tâche 3010/08 comporte 11 étapes, y compris enlever les panneaux d'accès, vérifier les six éléments chauffants commandés à partir du poste de pilotage, vérifier les sept éléments chauffants à thermostat et réinstaller les panneaux d'accès. La fiche comporte un espace réservé pour deux signatures : celle du mécanicien qui fait le travail, et celle de l'inspecteur qui confirme que le travail est fait. Cependant, sur la fiche d'Air Canada visant les aéronefs régionaux, et approuvée par Transports Canada, la tâche 3010/08 n'occupe qu'une seule ligne de l'inspection OPT-3, et seules les initiales de la personne qui fait l'inspection sont requises. Lorsque les tâches OPT-3 ont toutes été effectuées une seule signature est requise de la part d'un TEA qui est titulaire d'une autorisation de certification des aéronefs (ACA) de la compagnie. Jazz Air Inc., utilise la fiche d'Air Canada visant les aéronefs régionaux.
Le TEA 1 reçoit de l'information du chef d'équipe et revoit les instructions de maintenance avant de commencer la tâche 3010/08. Il installe un échafaud de travail pour atteindre le niveau de l'aile, à environ 12 pieds du sol, et enlève les vis du panneau numéro 4 de bord d'attaque de l'aile droite. Après que les vis sont enlevées, le bord d'attaque est encore retenu en place par un produit d'étanchéité de Product Research and Chemical Corporation (PRC®). Sans avoir terminé les travaux sur l'aile droite, parce qu'il n'est pas sûr de la procédure pour terminer d'enlever le bord d'attaque, le TEA 1 déplace l'échafaud et les outils vers l'aile gauche et commence à enlever les vis du panneau numéro 4 de bord d'attaque de l'aile gauche. L'aile droite n'a pas été marquée ni étiquetée pour indiquer que les vis ont été enlevées et que les travaux ne sont pas terminés.
Vers 17 h, le TEA 1 reçoit de l'aide volontaire d'un apprenti TEA qui travaille pendant le quart de l'après-midi et qui a déjà effectué les travaux de la tâche 3010/08. L'apprenti TEA explique au TEA 1 que le produit d'étanchéité PRC® doit être coupé pour libérer le bord d'attaque et que, s'il est coupé sans bavures, il peut être réappliqué par la suite. Le TEA 1 coupe le produit dans la surface supérieure du bord d'attaque de l'aile gauche, mais non sans bavures; l'apprenti TEA lui montre donc comment le faire sur la surface inférieure. Un autre TEA (TEA 2), engagé la semaine précédente, se joint aux deux TEA. Aucune tâche spécifique n'a été attribuée au TEA 2, mais il offre son aide. Le TEA 2 a de l'expérience en ce qui concerne d'autres aéronefs à turbopropulseur et à turboréacteur, mais pas sur le DHC8, et il n'est pas titulaire d'une autorisation de certification des aéronefs (ACA) de la compagnie. Ensemble, ils enlèvent le bord d'attaque et vérifient les éléments chauffants de l'aile gauche. Le TEA 2 quitte pour aller chercher du produit PRC®, et revient au moment où le TEA 1 finit de remettre les vis qui retiennent, sur l'aile, la partie supérieure du panneau de bord d'attaque. Le TEA 2 et l'apprenti TEA commencent ensuite à appliquer le produit d'étanchéité à la surface supérieure du panneau de bord d'attaque de l'aile gauche, et le TEA 1 s'en va vérifier les éléments chauffants de la partie arrière de l'avion avant la fin de son quart.
Lorsque le TEA 1 revient, l'apprenti TEA et le TEA 2 sont encore en train d'appliquer le produit d'étanchéité à la surface supérieure du bord d'attaque. Le TEA 1 donne à l'apprenti TEA les vis du bord d'attaque de l'aile droite et lui dit que les éléments chauffants de la partie arrière fonctionnent. Étant donné que les éléments chauffants de l'aile droite n'ont pas encore été testés, le TEA 1 n'a pas signé comme quoi la tâche 3010/08 est terminée. Le TEA 1 quitte ensuite pour la journée. Les vis du panneau du bord d'attaque de l'aile gauche ne sont pas installées, et le produit d'étanchéité n'est pas appliqué.
L'apprenti TEA et le TEA 2 déplacent l'échafaud vers l'aile droite afin de terminer cette partie du travail. Au moment où ils finissent de couper le produit d'étanchéité du panneau du bord d'attaque de l'aile droite, le superviseur de la maintenance demande à l'apprenti TEA d'aller à l'aire de trafic. L'apprenti TEA replace le bord d'attaque de l'aile droite et installe une vis pour le retenir en place. Il met ensuite les vis restantes dans un gant de latex qu'il colle sur le bord d'attaque à l'aide de ruban adhésif et se dirige vers l'aire de trafic. Le TEA 2 quitte également, car c'est la fin de son quart de jour.
Lorsque le chef d'équipe révise les feuilles de travail avant de rentrer chez lui à 18 h, il constate que la tâche 3010/08 ne porte pas de signature. Il avait parlé au TEA 1 et pense que celui-ci a vérifié les 13 éléments chauffants. Le chef d'équipe appose donc ses initiales indiquant ainsi que la tâche 3010/08 est terminée, même si certains travaux n'ont pas été terminés, parce qu'il ne veut pas que l'équipe de nuit ait à revérifier les 13 éléments chauffants.
L'équipe du quart de nuit arrive à 19 h 30. Après avoir révisé la documentation de l'avion, elle se rend compte que, même si la tâche 3010/08 porte une signature, les travaux ne sont pas terminés. De plus, il faut aussi faire un point fixe afin de vérifier le fonctionnement de la gaine de dégivrage. Un essai de roulage est également nécessaire afin de terminer de corriger le problème d'orientation du train avant. Un des TEA du quart de nuit (TEA 3) rencontre l'apprenti TEA pour obtenir un rapport d'état sur la tâche 3010/08 lorsque ce dernier revient au hangar pour sa pause repas à 20 h. Il indique que les travaux sur l'aile gauche sont terminés, mais pas ceux sur l'aile droite. Deux TEA de l'équipe du quart de nuit examinent le panneau du bord d'attaque numéro 4 de l'aile droite et reposent les vis restantes. On vérifie ensuite le fonctionnement de l'avion, celui-ci est déclaré en bon état de vol, signature à l'appui, et est stationné à l'extérieur du hangar, prêt à être utilisé immédiatement comme avion de remplacement. À ce moment-là, aucune vis n'est en place dans la partie inférieure du bord d'attaque de l'aile gauche, et le produit d'étanchéité n'y est pas appliqué non plus, et les éléments chauffants du bord d'attaque de l'aile droite n'ont pas été vérifiés.
L'avion est resté stationné toute la journée de mercredi et de jeudi, jusqu'à jeudi soir, où il est assigné au vol 7956. Aucune fiche de travaux n'a été produite concernant l'application de produit d'étanchéité dans la partie inférieure du bord d'attaque de l'aile gauche ou sur le bord d'attaque de l'aile droite. Les vis manquantes de la partie inférieure du bord d'attaque de l'aile gauche n'ont pas été retrouvées.
Le panneau numéro 4 du bord d'attaque a une longueur d'environ 38 pouces, et il est en forme de D. Une distance de 11 pouces sépare la rangée supérieure de la rangée inférieure de vis. Le panneau du bord d'attaque est peint en noir, et une gaine de dégivrage pneumatique noire est installée sur son bord d'attaque. La gaine est fixée à la structure de l'aile par 14 vis à tête fraisée de la couleur du laiton, vissées dans la partie supérieure et, par 14 autres vis, dans la partie inférieure. Même s'il y a de la peinture dans la partie renfoncée du bord d'attaque, une assez grande quantité d'aluminium est directement exposée dans la plupart des trous de vis. Aucune des vis qui retiennent les parties du bord d'attaque n'est peinte.
Autres événements
Le 4 janvier 1998, un DHC8-100 de Havilland, immatriculé N881CC et exploité par CCAir, Inc., a perdu le bord d'attaque numéro 1 du côté droit lors d'un départ de Charlotte (Caroline du Nord). Le panneau du bord d'attaque avait été enlevé aux fins de maintenance, et les vis inférieures n'avaient pas été remises en place. L'équipage de conduite a été capable d'atterrir sans autre incidentNote de bas de page 2.
Le 11 septembre 1991, un Embraer 120, exploité par Continental Express, a perdu le bord d'attaque du stabilisateur gauche au-dessus de Eagle Lake (Texas). La perte du bord d'attaque du stabilisateur a entraîné la dislocation en vol de l'avion et la perte de 14 vies humaines. On a découvert que 47 vis n'avaient pas été posées, comme c'était nécessaire, dans la surface supérieure du panneau du bord d'attaqueNote de bas de page 3.
Analyse
La tâche 3010/08 n'était pas complexe à effectuer : il n'y avait pas de contraintes de temps, et les TEA avaient accès à des instructions complètes de l'avionneur expliquant comment localiser, atteindre et tester tous les composants pertinents. Par conséquent, la présente analyse va porter sur les facteurs humains responsables du fait que l'avion a été remis en service alors qu'un bord d'attaque était mal installé, et sans que les éléments chauffants du bord d'attaque de l'aile droite aient été inspectés.
TEA 1
Le TEA 1 a choisi la tâche 3010/08 parce qu'il ne l'avait jamais effectuée et qu'il voulait acquérir de l'expérience. Il a pris le temps nécessaire pour en parler au chef d'équipe et pour consulter les instructions de maintenance avant de commencer à travailler. Étant donné qu'il n'avait jamais fait cette tâche, il a dépassé le temps normal d'exécution, et il s'est senti pressé de finir quand il s'est rendu compte que la tâche ne serait pas terminée avant la fin de son quart. Lorsqu'il a fini d'installer les vis dans la partie supérieure du bord d'attaque de l'aile, le TEA 2 était prêt à appliquer le produit d'étanchéité. Ils n'ont pas parlé du fait qu'ils allaient appliquer le produit dans la partie supérieure du bord d'attaque avant d'installer les vis dans la partie inférieure; c'était pratique de le faire dans cet ordre. Pendant que l'apprenti TEA et le TEA 2 appliquaient le produit d'étanchéité, le TEA 1 est allé vérifier les éléments chauffants de la partie arrière de l'avion. Lorsqu'il est revenu, il ne se souvenait plus des vis de la partie inférieure du bord d'attaque, l'apprenti TEA et le TEA 2 finissaient d'appliquer le produit d'étanchéité dans la partie supérieure du panneau, et le TEA 1 leur a remis les vis qu'il avait dans ses poches. C'était le nombre exact de vis nécessaires pour le bord d'attaque de l'aile droite.
L'échange à la fin du quart entre le TEA 1 et le chef d'équipe s'est fait de façon verbale et non officielle. Le TEA 1 a seulement indiqué que les éléments chauffants de l'aile gauche et de la partie arrière fonctionnaient bien, que le TEA 2 et l'apprenti TEA finiraient de vérifier l'aile droite, et qu'il (TEA 1) n'avait pas signé comme quoi la tâche était terminée. Ils n'ont pas déterminé qui signerait en bout de ligne lorsque la tâche 3010/08 serait terminée.
Apprenti TEA
L'apprenti TEA n'a pas été désigné pour travailler sur l'avion, mais il a offert son aide. Une conséquence de ces circonstances particulières est qu'il ne se sent pas responsable du travail. Il a aidé le TEA 1 à enlever le bord d'attaque, ensuite il a aidé en tenant le panneau du bord d'attaque pendant que le TEA 1 testait les éléments chauffants. Il a passé une grande partie du temps sur l'échafaud en train de parler avec le TEA 2 de choses et d'autres non liées au travail. Il s'est considéré responsable seulement lorsqu'il a pris l'initiative d'appliquer le produit d'étanchéité sur la partie supérieure du bord d'attaque de l'aile. Il pensait que c'était nécessaire parce que le produit en place n'avait pas été coupé sans bavures, mais il reste que, dès le début, il n'avait pas l'intention d'appliquer le produit dans la partie inférieure du bord d'attaque de l'aile. Par ailleurs, les vis de la partie inférieure du bord d'attaque n'avaient pas été mises de côté dans un endroit évident. Par conséquent, il n'y avait rien pour rappeler que la partie inférieure du bord d'attaque n'était pas installée correctement. L'apprenti TEA n'a pas vérifié les travaux effectués par le TEA 1. Lorsqu'il a terminé d'appliquer le produit d'étanchéité sur la partie supérieure de l'aile, il a commencé à déplacer l'échafaud et les outils vers l'aile droite.
L'apprenti TEA n'avait eu le temps que de couper le produit d'étanchéité du bord d'attaque de l'aile droite lorsqu'il a été envoyé sur l'aire de trafic. Il n'y a eu ensuite qu'un échange verbal entre l'apprenti TEA et le superviseur de la maintenance. L'apprenti TEA indiquait que le travail sur l'aile droite n'était pas terminé. Deux heures plus tard, lorsque l'aprenti TEA est revenu au hangar pour sa pause repas, le TEA 3 lui a demandé quel était l'état d'avancement de la tâche 3010/08. En marchant vers la salle à manger, il a informé le TEA 3 verbalement que, exception faite de l'aile droite, tous les travaux de la tâche 3010/08 étaient terminés. Il n'a pas mentionné expressément la vérification des éléments chauffants de l'aile droite, et on ne lui a rien demandé à ce sujet non plus.
TEA 2
Parmi les TEA qui ont travaillé directement sur le panneau du bord d'attaque de l'aile gauche, le TEA 2 était celui qui possédait la plus grande expérience; cependant, c'était aussi le plus récemment embauché. Le TEA 2 n'était pas désigné pour travailler à la tâche 3010/08; il a offert son aide. Il s'est occupé d'obtenir le produit d'étanchéité et a aidé à l'appliquer, mais il n'a assumé la responsabilité d'aucune partie du projet. Pendant un laps de temps assez important, les trois TEA en question ont parlé de choses et d'autres non liées à la tâche 3010/08. Le TEA 2 ne s'est pas inquiété du fait qu'ils n'étaient pas en train d'appliquer le produit d'étanchéité dans la partie inférieure du panneau du bord d'attaque, et il n'a pas vérifié l'état de celle-ci.
Chef d'équipe
Le poste de chef d'équipe est choisi à tous les jours en fonction de l'ancienneté. La personne dont nous parlons ne s'était pas vu offrir le poste de chef d'équipe souvent, car il n'y avait que huit mois qu'elle avait été embauchée. Les obligations spécifiques qu'elle devait respecter en tant que chef d'équipe ne lui avaient pas été communiquées, et elle n'avait reçu aucune formation relative à ce poste. Même si elle ne s'attendait pas à être désignée chef d'équipe cette journée-là, elle a assumé la responsabilité du travail fait par l'équipe. Au lieu d'accepter ce poste comme un nouveau poste avec de nouvelles responsabilités, elle a ajouté ces nouvelles responsabilités à celles qu'elle avait déjà. Elle essayait donc de faire le travail de deux postes en même temps : faire la maintenance des aéronefs et superviser l'équipe de TEA. Le travail et l'autorité du chef d'équipe ont été minés lorsque le superviseur de la maintenance a confié l'exécution de travaux directement à l'équipe. Cette façon de faire signifiait que le chef d'équipe n'avait rien eu à dire quant à l'attribution de tâches individuelles aux TEA, ce qui compliquait son travail de supervision des travaux à mesure qu'ils avançaient.
Le chef d'équipe a discuté de la tâche 3010/08 avec le TEA 1 au début, mais il ne l'a pas directement supervisé par la suite, ce qui n'était pas inhabituel, puisque la tâche n'était pas complexe. Il savait que le TEA 2 avait obtenu le produit d'étanchéité PRC® pour l'aile gauche, et il était logique pour lui de supposer que le produit serait appliqué aux parties supérieure et inférieure du bord d'attaque. Il a aussi constaté que l'apprenti TEA et le TEA 2 s'étaient déplacés vers l'aile droite, vraisemblablement pour effectuer les travaux sur l'aile droite. À la fin du quart, en révisant la documentation, le chef d'équipe s'est rendu compte que la tâche 3010/08 ne portait pas de signature. Il pensait que le TEA 1 avait terminé de tester tous les éléments chauffants, et qu'il ne restait qu'à réinstaller le bord d'attaque du côté droit et à y réappliquer le produit d'étanchéité. Afin de s'assurer que l'équipe de nuit ne réviserait pas de nouveau tous les éléments chauffants, il a apposé sa signature, indiquant ainsi que la tâche était terminée, même s'il savait que les travaux sur le bord d'attaque de l'aile droite n'étaient pas terminés.
TEA 3
Lorsque le TEA 3 est arrivé pour le quart de travail de nuit, il a constaté que la tâche 3010/08 portait une signature indiquant qu'elle était terminée; cependant, il a parlé brièvement à l'apprenti TEA, qui lui a dit que les travaux sur l'aile droite n'étaient pas terminés pour la tâche 3010/08. Le TEA 3 a terminé l'installation du panneau du bord d'attaque et a sorti l'avion afin de faire un point fixe et un essai de roulage. Il n'a pas vérifié le fonctionnement des éléments chauffants, et il n'a pas non plus préparé de fiche de travail pour refaire l'application du produit d'étanchéité sur les bords d'attaque. Avant l'essai de roulage, le TEA 3 a effectué une inspection extérieure de l'avion, mais il n'a pas remarqué l'absence des vis de la partie inférieure de l'aile gauche. Après l'essai de roulage, il a remis l'avion en service et l'a stationné à l'extérieur du hangar, comme avion de remplacement, prêt à voler.
Administration de la compagnie
Onze tâches de maintenance indépendantes visant les aéronefs régionaux d'Air Canada ont été fusionnées pour former l'ensemble des travaux désignés OPT-3. Chacune des tâches est conçue à l'origine par l'avionneur, et chaque fiche de maintenance requiert deux signatures. Ces tâches de maintenance ne sont pas identifiées dans le Règlement de l'aviation canadien comme des tâches nécessitant légalement une inspection indépendante, et en fusionnant les tâches dans une seule ligne de la fiche OPT-3, la compagnie a laissé tomber la signature de l'inspecteur. Conséquence non prévue de cette modification : la perte d'une occasion de constater l'absence des vis du bord d'attaque avant que l'avion ne prenne l'air.
L'apprenti TEA et le TEA 3 ont remis à plus tard l'application du produit d'étanchéité sur le panneau du bord d'attaque, mais il n'y avait rien de prévu sur la fiche OPT-3 pour l'indiquer. De plus, on n'a pas généré de feuille de travail pour signaler que le produit d'étanchéité n'avait pas été appliqué sur les bords d'attaque. Le manque de communication entre toutes les personnes qui travaillaient sur l'avion, particulièrement au moment du changement de quart, n'a pas amélioré la situation. La compagnie n'avait pas de procédure précise pour communiquer l'état d'avancement des travaux au moment du changement de quart.
Communications avec l'équipage de conduite
La seule information accessible à l'équipage de conduite au sujet des travaux de maintenance effectués sur l'avion était l'inscription dans le livret des travaux no 446, mais cette inscription n'indiquait pas à l'équipage le type et l'étendue des travaux effectués autres que l'inspection de type « L », qui est une inspection périodique connue qui se fait aux 75 heures. L'information du livret ne précisait aucun composant ou système particuliers à surveiller lors de l'inspection pré-vol.
Absence de repères visuels
Les vis non peintes de la couleur du laiton qui retiennent en place les composants du bord d'attaque contrastent avec la peinture noire et la gaine de dégivrage pneumatique qui se trouve sur les bords d'attaque. Tous les trous des vis de bord d'attaque sont fraisés, et il reste très peu de peinture sur leur épaulement. Le contraste créé par l'aluminium directement exposé de la structure des bords d'attaque ressemble à celui créé par une vis non peinte. Donc, à moins que quelqu'un, TEA ou pilote, cherche spécifiquement les vis, leur absence ne serait pas évidente.
Faits établis
Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs
- Les techniciens qui effectuaient des travaux sur l'avion n'ont pas vérifié leur propre travail ou celui des autres techniciens qui participaient à l'exécution de la tâche 3010/08. Il n'y avait pas de procédure d'inspection pour assurer que les travaux étaient terminés ou que les travaux non terminés remis à plus tard étaient consignés de façon appropriée.
- La présence de personnes supplémentaires, qui n'étaient pas nécessaires à l'exécution des travaux, a distrait ceux qui travaillaient et induit à tort la conclusion selon laquelle les techniciens avaient terminé les travaux, alors que ce n'était pas le cas.
- Il n'y avait pas de processus permettant d'assurer que la communication se faisait de façon complète et précise entre le superviseur de la maintenance et le chef d'équipe, entre le chef d'équipe et l'équipe, ou entre les équipes.
- Le chef d'équipe a signé pour l'achèvement de la tâche 3010/08 en supposant que tous les éléments chauffants avaient été vérifiés, mais en sachant que le panneau du bord d'attaque n'était pas installé. Il n'y avait pas d'espace prévu pour que le TEA 1 signe pour les parties terminées de la tâche 3010/08, ni pour qu'il indique celles qui n'étaient pas terminées.
Faits établis quant aux risques
- Aucune formation de superviseur n'est donnée pour le poste de chef d'équipe.
- Lorsque le TEA 1 a quitté l'aile droite après avoir enlevé les vis, il a emporté les vis sans indiquer que le bord d'attaque était en partie démonté. Il n'y avait pas de procédure en place permettant d'indiquer où les composants pertinents étaient placés ou d'assurer que les travaux non terminés étaient consignés, identifiés ou signalés d'une façon ou de l'autre.
Mesures de sécurité
Jazz Air Inc. a effectué une enquête interne par rapport à cet événement à l'aide d'un processus conçu pour enquêter sur cette sorte d'événements (aide aux décisions en cas d'erreur de maintenance). Ce processus a permis d'identifier un certain nombre de lacunes, et la compagnie a modifié ses procédures afin d'améliorer la qualité du travail et de réduire les risques qu'une erreur de maintenance ne soit pas décelée.
Jazz Air Inc. a ajouté une procédure de maintenance générale (GMP) à la section 1 de son manuel de procédures de maintenance (Maintenance Procedures Manual), qui rend obligatoire l'inspection visuelle indépendante de l'installation des bords d'attaque. La GMP no 14 stipule que :
[Traduction]
Les inspections requises et indépendantes sont des normes de navigabilité aérienne, et elles doivent être effectuées selon les lignes directrices de la présente procédure pour tout travail de maintenance réalisé sur un aéronef Air Canada Jazz nécessitant une telle inspection.
Jazz Air Inc. a ajouté une procédure de maintenance en ligne (LMP) à la section 2 du manuel de procédures de maintenance (Maintenance Procedures Manual), définissant la procédure à suivre pour l'échange de renseignements entre l'équipe de maintenance qui part et celle qui commence. La LMP no 10 stipule que :
[Traduction]
Afin d'empêcher la remise en service par inadvertance d'un aéronef dont les travaux de maintenance ne sont pas terminés et d'établir une norme minimale de base pour consigner et faire le suivi des travaux non terminés - chaque fois que des travaux sont en cours et qu'un changement de personnel se produit, une liste concise des tâches non terminées doit être disponible, facile à utiliser et à comprendre par le personnel du quart qui commence. La présente directive ne se limite pas aux changements de quart, étant donné que, durant un quart, le personnel peut avoir à quitter les travaux en cours pour une raison quelconque, p. ex. s'il est assigné à un aéronef immobilisé (AOG), s'il doit aller chercher des pièces ou s'il est malade.
La base de maintenance de Jazz Air Inc., à Toronto, venait de connaître une importante croissance juste avant que cet événement se produise, et le rapport entre les TEA qui avaient de l'expérience et ceux qui n'en avaient pas était trop bas. Le but de la compagnie est d'avoir 80 % de TEA ayant de l'expérience. Depuis, Jazz Air Inc. offre une formation plus détaillée aux nouveaux employés sur la « performance humaine en maintenance » et essayera d'utiliser une approche progressive d'embauche pour combler les besoins prévus d'expansion.
La compagnie a préparé un index des procédures en format de poche pour aider les TEA à réaliser les tâches qui leur sont assignées.
Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .