Rapport d'enquête aéronautique A02O0406

Oscillations en roulis à l'atterrissage
des Airbus A321-211 C-GJVX et C-GIUF
exploités par Air Canada
à l'aéroport international de
Toronto/Lester B. Pearson (Ontario)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    Vers 16 h 7, heure normale de l'Est (HNE), l'Airbus A321-211 (immatriculé C-GJVX et portant le numéro de série 1726) assurant le vol 457 d'Air Canada (ACA457) est en approche à l'aéroport international de Toronto/Lester B. Pearson (Ontario) avec 123 passagers et 6 membres d'équipage à bord. À environ 140 pieds au-dessus du sol (agl) en approche finale de la piste 24 droite (24R), volets complètement sortis, l'avion subit des oscillations en roulis. L'équipage de conduite remet les ailes à l'horizontale, et l'avion se pose fermement. Au cours de l'approche, des parties de la voilure et le bord d'attaque du stabilisateur, non protégés par des circuits antigivrage, accumulent du givre mixte.

    Environ trois heures plus tard le même jour, l'Airbus A321-211 (immatriculé C-GIUF et portant le numéro de série 1638) assurant le vol 1130 d'Air Canada (ACA1130) est en approche de la piste 24R à l'aéroport international de Toronto/Lester B. Pearson avec 165 passagers et 7 membres d'équipage à bord. À 18 h 59 HNE et à environ 50 pieds agl, l'avion subit des oscillations en roulis. L'équipage de conduite effectue une remise des gaz, modifie le braquage des volets et revient exécuter une approche et un atterrissage sans problème. À la porte de débarquement, on remarque que des parties de la voilure et le bord d'attaque du stabilisateur, non protégés par des circuits antigivrage, ont accumulé du givre.

    Aucun des deux avions n'est endommagé, et personne parmi les passagers et les membres d'équipage n'est blessé.

    Compte tenu de la similitude entre les deux situations précédentes, le présent rapport fait état des résultats de l'enquête sur les deux événements : A02O0405 (C-GJVX) et A02O0406 (C-GIUF).

    Renseignements de base

    Généralités

    Les deux avions avaient été autorisés à partir selon le système de régulation des vols d'Air Canada, lequel faisait état de renseignements météorologiques à jour communiqués par NAV CANADA et Environnement Canada. En route, les pilotes ont reçu une mise à jour des renseignements météorologiques par systèmes de liaison de données; par conséquent, les pilotes des deux appareils savaient que du givrage modéré était prévu dans la région au cours de la période où ces derniers devaient arriver à l'aéroport international de Toronto/Lester B. Pearson (Ontario).

    Alors que les avions étaient guidés pour l'atterrissage, entre un quart de pouce et un demi-pouce de givre s'est accumulé sur les indicateurs visuels de givre. Les deux avions ont fait appel à l'antigivrage des moteurs et de la voilure pendant qu'ils volaient dans des conditions givrantes. De plus, comme les deux appareils allaient se poser volets complètement sortis (CONFIG FULL), leur vitesse d'approche (Vapp) a été augmentée conformément au manuel de vol de l'Airbus A321 d'Air Canada (A321 Aircraft Operating Manual) pour atteindre la VLS (vitesse sélectionnable la plus faible) + 5 noeuds, en vue de l'exécution d'une approche CONFIG FULL dans des conditions givrantes. Les systèmes de pilotage automatique ont été coupés entre 500 et 1000 pieds au-dessus du sol (agl) en vue de l'atterrissage.

    Les deux avions ont évolué comme prévu jusqu'à ce que surviennent les oscillations en roulis à une hauteur de quelque 140 pieds agl pendant l'approche du vol ACA457, et à une hauteur d'environ 50 pieds agl dans le cas du vol ACA1130. À ce moment-là, le pilote aux commandes de chaque avion a tenté de ramener les ailes à l'horizontale en déplaçant le mini-manche d'un côté et de l'autre, jusqu'aux butées, selon une fréquence d'environ 0,5 hertz. Bien que les pilotes aient tenté d'atténuer les oscillations en inclinant le mini-manche à gauche et à droite jusqu'aux butées, l'amplitude des oscillations a en fin de compte augmenté. À ce moment, le pilote aux commandes du premier appareil (ACA457) a réduit la puissance, et l'avion s'est posé. Dans le deuxième appareil (ACA1130), le pilote aux commandes a décidé d'augmenter la puissance et d'exécuter une remise des gaz. Les deux décisions ont permis de réussir les atterrissages. Pour se préparer à leur deuxième tentative d'atterrissage, les pilotes du vol ACA1130 ont décidé d'adopter la configuration CONFIG 3 et ont réglé la vitesse d'approche en conséquence. La deuxième approche et l'atterrissage ont été exécutés sans encombre. Aucun autre problème à l'atterrissage n'a été signalé à l'aéroport international de Toronto/Lester B. Pearson pendant cette période.

    Conditions météorologiques

    On a relevé dans les observations formulées par le personnel d'Air Canada après l'atterrissage que les parties de la voilure et le bord d'attaque du stabilisateur des avions, non protégés par des circuits antigivrage, avaient accumulé jusqu'à trois quarts de pouce de givre mixte. Les observations applicables aux deux vols ne comprenaient aucun renseignement propre à l'accumulation de givre sur le bord d'attaque des volets.

    Les rapports météorologiques pour les périodes couvrant les deux vols prévoyaient du givrage dans la région de l'aéroport international de Toronto/Lester B. Pearson aux altitudes comprises entre 2000 et 9000 pieds au-dessus du niveau de la mer (asl). La température à la cime des nuages a été estimée à −10 °C. Une température extérieure de −10 °C a été enregistrée à 6000 pieds asl. Des rapports de pilotes (PIREP) faisant état de givrage modéré ont été reçus, le premier environ trois minutes après l'atterrissage du vol ACA457, et le deuxième, environ une heure plus tard. Selon les rapports, la cime des nuages se situait entre 5000 et 7000 pieds asl respectivement. Des PIREP reçus environ 30 à 40 minutes après le deuxième événement faisaient état de givrage d'intensité modérée à forte dans les nuages. Les rapports de givrage modéré s'appliquaient au voisinage de Toronto, la cime des nuages se situant à 6000 pieds asl.

    Un observateur au sol a signalé de la bruine à 2000 pieds à l'aéroport international de Toronto/Lester B. Pearson et une température de 0 °C environ 45 minutes après l'atterrissage du vol ACA1130. Un système de détection des précipitations situé au sol à l'aéroport international de Toronto/Lester B. Pearson a aussi relevé de la bruine entre 19 h 29 et 20 h 15, heure normale de l'Est (HNE)Note de bas de page 1, une quinzaine de minutes après l'atterrissage du vol ACA1130. On n'a observé aucune bruine pendant l'événement du vol ACA457, plus tôt dans la journée. La taille des gouttelettes de bruine était comprise entre 100 et 500 microns. D'après l'appendice C de l'article 25.1419 des Federal Aviation Regulations (FAR 25.1419), on se base sur des gouttes ayant un diamètre effectif moyen compris entre 40 et 50 microns pour l'homologation de vol dans des conditions givrantes.

    Le message METARNote de bas de page 2 de l'aéroport international de Toronto/Lester B. Pearson de 16 h faisait état d'un vent du 220 degrés vrais à 13 noeuds, d'une visibilité de 5 milles terrestres (sm) dans de la brume, d'un plafond avec couvert nuageux à 2200 pieds agl et d'une température de 0 °C. Quant au METAR de 19 h pour ce même aéroport, il faisait état d'un vent du 220 degrés vrais à 13 noeuds, d'une visibilité de 6 sm dans de la brume, d'un plafond avec couvert nuageux à 1800 pieds agl et d'une température de 0 °C.

    Oscillations en roulis

    Les données de l'enregistreur de données de vol (FDR) relatives aux événements étaient disponibles pour les deux avions. Les oscillations en roulis ont commencé à une altitude d'environ 140 pieds agl dans le cas du vol ACA457, et de quelque 50 pieds agl dans le cas du vol ACA1130. Les pilotes ont contré ces oscillations en roulis aux ailerons en déplaçant le mi-manche latéralement d'un côté à l'autre à une fréquence d'environ 0,5 hertz. La réaction des ailerons et des déporteurs a semblé correspondre aux sollicitations en roulis.

    Aucune anomalie n'a été enregistrée pour l'amortisseur de lacet ni pour aucun autre système des commandes de vol. Le calculateur profondeur-ailerons (ELAC) des avions en question était équipé du logiciel L81.

    Essais avec des Airbus

    Photo 1. Accumulation de givre sur les bords d'attaque des volets principaux d'un Airbus A321 au cours de l'événement survenu en décembre 1998
    Image
    Photo of Accumulation de givre sur les bords d'attaque des volets principaux d'un Airbus A321 au cours de l'événement survenu en décembre 1998

    Des modifications au logiciel de l'ELAC de l'Airbus A321 ont été apportées après un événement survenu à l'atterrissage en février 2001 qui s'est soldé par des dommages à une extrémité d'aile. L'événement avait aussi donné lieu à des oscillations en roulis dans un vent de travers important, mais sans qu'il y ait givrage. On a donc mis en œuvre la révision L82 au logiciel de l'ELAC pour réduire la sensibilité au roulis de l'avion en configuration CONFIG FULL. Dans le cadre de la révision, on a modifié les commandes de l'amortisseur de roulis et de lacet pour réduire la vitesse angulaire de roulis et l'angle d'inclinaison associés aux sollicitations au palonnier en configuration CONFIG FULL à une vitesse inférieure à 150 noeuds. De plus, dans les configurations CONFIG 3 et CONFIG FULL, en réponse à une sollicitation du mini-manche pour commander un mouvement de roulis, l'action sur le palonnier pour coordonner le virage et le facteur de charge latérale sont optimisés et, en réponse aux rafales latérales, l'effet de roulis induit est réduit au minimum. La révision L82 du logiciel a été certifiée et installée à bord de quatre Airbus A321 d'Air France en avril 2003 pour une période d'évaluation de six mois. L'évaluation en service des avions d'Air France a montré une réduction de l'activité de la commande en roulis.

    À la suite des événements survenus aux Airbus A321 d'Air Canada le 7 décembre 2002, Airbus a analysé les données disponibles des FDR. Des simulations techniques ont été exécutées au moyen du modèle aérodynamique de l'Airbus A321 afin de faire correspondre le comportement théorique et le comportement réel de l'avion en approche, selon les données de l'enregistreur du vol ACA1130. Les simulations, cependant, ne tenaient pas compte des vents réels, ni des effets du givrage sur la réaction aérodynamique, et le modèle ne reproduisait pas fidèlement l'effet de sol. De plus, des fréquences d'échantillonnage insatisfaisantes de certains paramètres des FDR compromettaient la fidélité des simulations. Compte tenu de ces limites, les résultats ont donné à penser qu'il y avait eu une augmentation de l'efficacité des déporteurs en roulis pendant l'événement du vol ACA1130 comparativement au modèle théorique, sans doute en raison de la présence de givre sur les volets, dont les effets n'avaient pas fait l'objet d'un modèle aérodynamique. Le fait que le vol ACA1130 n'avait pas subi d'oscillations en roulis lors de sa deuxième approche pourrait être expliqué, en partie, par le fait qu'en configuration CONFIG FULL, toute sollicitation en roulis du mini-manche déploie immédiatement les déporteurs, ce qui accroît la réaction en roulis, tandis qu'en CONFIG 3, les déporteurs se déploient seulement si la commande en roulis dépasse un certain seuil. À la suite des événements d'Air Canada, Airbus a diffusé en décembre 2002 un télex sur les opérations de vol pour recommander le recours à la configuration CONFIG 3 en cas d'atterrissage dans des conditions prévoyant un givrage allant de modéré à fort. Le télex sur les opérations de vol recommandait aussi de limiter le plus possible le vol avec les volets sortis dans des conditions givrantes et que, en cas d'accumulation notable de givre, la vitesse d'approche ne soit pas inférieure à VLS + 10 noeuds.

    Pour déterminer les effets d'une accumulation notable de givre lorsque les volets sont sortis, Airbus a mené des essais en vol dans des conditions givrantes naturelles au moyen d'Airbus A321 et A320 aux fins de comparaison. Les avions ont volé dans des conditions givrantes, volets sortis, en CONFIG 2, comme c'était le cas pour les vols ACA1130 et ACA457 au moment de la descente initiale. On a procédé à des points de mesure pour évaluer la réaction de l'avion sans givre et avec givre au moyen des lois de commandes latérales directes et normalesNote de bas de page 3 du roulis. Les essais ont indiqué que des quantités similaires de givre s'accumulaient sur les bords d'attaque des volets et les becs de bord d'attaque non dégivrés des deux types d'avion. On a découvert qu'en mode direct en roulis, sur les deux types d'avion, une accumulation de givre similaire sur les volets engendrait une augmentation similaire de l'efficacité en roulis des déporteurs dans les deux configurations CONFIG 3 et CONFIG FULL, mais que les effets étaient plus prononcés en configuration CONFIG FULL. Qui plus est, des essais de givrage effectués en utilisant les lois normales de commandes latérales ont montré que, dans de telles conditions, la sensibilité au roulis augmentait sur l'Airbus A321, mais pas sur l'Airbus A320.

    En janvier 2003, chez un autre exploitant, un autre événement d'oscillations en roulis semblable à l'événement de février 2001 s'est produit pendant un atterrissage par vent de travers. Une analyse plus poussée effectuée par Airbus sur les lois normales de commandes latérales a révélé que, même sans la présence de givre, l'Airbus A321 disposait d'une marge de stabilité inférieure à celle de l'Airbus A320, tant en configuration CONFIG 3 qu'en configuration CONFIG FULL. Les essais de givrage montraient que la réduction de la marge de stabilité était plus importante sur un Airbus A321 givré que sur un Airbus A320 soumis à des conditions semblables. Donc, la sensibilité au roulis et la marge de stabilité sont influencées par la réaction aérodynamique, les lois normales de commandes latérales et les sollicitations du pilote qui en résultent.

    Afin de retrouver sur un Airbus A321 sans givre des marges de stabilité suffisantes comparables à celles d'un Airbus A320 sans givre et améliorer la réaction en roulis dans des conditions givrantes, Airbus a élaboré de nouvelles lois normales de commandes latérales pour l'Airbus A321 qui sont entrées en vigueur en 2004. Pour ce faire, on a effectué des essais en soufflerie en août 2003 à partir de différentes formes de givre en fonction des essais de givrage. Il s'agissait d'élaborer un modèle aérodynamique intégrant les effets du givrage sur les volets. À la suite des essais de givrage, un examen plus poussé des événements comprenant un vent de travers a révélé que des difficultés en roulis pouvaient surgir en présence d'un vent de travers important ou de turbulences d'intensité moyenne à forte lors d'un atterrissage en configuration CONFIG FULL, en fonction de facteurs comme les sollicitations au palonnier et les rafales. Les nouvelles normes des logiciels L83 et L91 de l'ELAC comprennent des modifications aux lois normales de commandes latérales, lesquelles renfermeront des modifications fondées sur les analyses du vent de travers et du givrage. La consigne de navigabilité F-2004-147, publiée le 18 août 2004 par la Direction Générale de l'Aviation Civile (DGAC) française et adoptée telle quelle par Transports Canada, rend obligatoire l'installation des logiciels L83 ou L91 de l'ELAC dans les Airbus A321 d'ici le 31 décembre 2005.

    Certification de l'Airbus A321

    L'importance de la participation de Transports Canada à la certification de l'Airbus A321 a été régie par un accord international bilatéral intitulé « Accord entre le gouvernement du Canada et le gouvernement de la République française relatif à la navigabilité ». Cet accord prévoit que l'autorité d'importation accepte les conclusions de conformité formulées par l'autorité d'exportation comme si elle les avait formulées elle-même. Toutefois, l'accord bilatéral permet aussi à l'autorité d'importation de se familiariser avec le produit et le processus de certification appliqué par l'autorité d'exportation. Transports Canada détermine l'ampleur de cette familiarisation au cas par cas en faisant appel aux principes de la gestion du risque. Lorsqu'on juge que des éléments de la certification justifient une familiarisation plus poussée, une visite à l'usine a lieu. Dans le cas de l'Airbus A321, Transports Canada a effectué une visite de familiarisation sur place en France, mais l'équipe ne comprenait personne du groupe d'essais en vol. Normalement, ce groupe examine les performances et la pilotabilité dans des conditions givrantes.

    La certification de l'Airbus A321-211 par Transports Canada est une version dérivée de la certification de l'Airbus A320. La base de la certification de l'Airbus A320 est définie dans la fiche des données du certificat de type A-166, appendice X1, de Transports Canada. Ce document donne les détails des exigences de certification de l'autorité d'exportation et y ajoute les exigences canadiennes additionnelles. Ce même document définit aussi la base de la certification de l'Airbus A321 et donne le détail des exigences relatives à la certification dans des conditions givrantes, soit la norme Joint Aviation Requirement (JAR) 25.1419 (Protection contre le givre), modification 11, qui est identique à l'article 25.1419 des Federal Aviation Regulations (FAR 25.1419), modification 25-23.

    En ce qui concerne l'Airbus A320, dans le but de démontrer la conformité aux règlements susmentionnnés, l'autorité d'exportation a accepté les méthodes décrites dans la circulaire consultative conjointe ACJ 1419 (protection contre le givre - document d'interprétation et moyens de conformité acceptables) et l'appendice C des FAR/JAR 25. Transports Canada a trouvé que ce document consultatif ne traitait pas suffisamment de l'évaluation des performances et des qualités de pilotage dans des conditions givrantes. Par conséquent, Transports Canada a imposé comme exigence additionnelle canadienne la nécessité de se conformer aussi à la circulaire consultative au Manuel de navigabilité 525/2 (Vol dans des conditions givrantes - performance) et à la circulaire consultative au Manuel de navigabilité 525/5 (Vol dans des conditions givrantes - caractéristiques de vol) de Transports Canada. Il a été possible de démontrer la conformité de l'Airbus A320 grâce à une combinaison d'essais en vol faisant appel à des formes de givrage naturel et artificiel. Toutefois, les effets de l'accumulation de givre sur le bord d'attaque des volets n'ont pas été examinés au cours de la certification de l'Airbus A320.

    Au moment de la certification de l'Airbus A321, l'autorité d'exportation (DGAC) a exigé qu'Airbus utilise le document Acceptable Means of Compliance AMC-F14 (moyens acceptables de conformité AMC-F14) des Joint Aviation Authorities pour démontrer la conformité. Ce document intitulé Flight in Icing Conditions (vol dans des conditions givrantes) est dérivé de la version 2 du document NPA 25F-219 de la Federal Aviation Administration (FAA) en date du 22 janvier 1992. Il suggérait notamment que, dans le cadre du programme de certification, on examine le vol dans des conditions givrantes pendant la phase d'atterrissage. La conformité de l'Airbus A321 a été démontrée grâce à une combinaison de formes de givrage artificiel sur l'Airbus A321 et de données tirées des essais en vol de l'Airbus A320 dans des conditions de givrage naturel. Comme le document AMC-F14 traite de façon adéquate des performances et des qualités de pilotage, Transports Canada l'a accepté plutôt que les deux circulaires consultatives au Manuel de navigabilité qu'il avait exigées plus tôt pour l'Airbus A320.

    Couplage avion-pilote

    Le couplage avion-pilote renvoie couramment aux oscillations induites par le pilote et se rapporte à une situation dans laquelle la réaction de l'avion est déphasée d'environ 180 degrés par rapport aux sollicitations de commande du pilote. Le couplage avion-pilote se produit lorsque la dynamique de l'avion, y compris le système de commande de vol, et la dynamique du pilote se combinent pour donner un avion instable. Les recherches indiquent que ce couplage se produit habituellement lorsqu'un pilote est occupé à une tâche très exigeante, combinée à une influence extérieure imprévue qui crée une perturbation nécessitant un rétablissement énergique de la part du pilote. Habituellement, cette perturbation survient lorsque l'avion est soumis à de forts vents en approche, ou lorsque des modifications à la cellule ou au système de commande se traduisent par des irrégularités dans l'aérodynamique de l'avion. Selon les paragraphes a) et b) de la FAR 25.143, un aéronef doit être pilotable et manoeuvrable en toute sécurité, sans que cela nécessite une compétence exceptionnelle en pilotage et sans qu'il y ait un risque de dépasser le facteur de charge limite de l'aéronef, dans toutes les conditions d'exploitation probables.

    Le manuel de formation des équipages de conduite d'Air Canada ne contient aucun renseignement concernant le couplage avion-pilote, et Air Canada ne donne aucune formation en la matière, mais la réglementation ne l'y oblige pas.

    Analyse

    Les oscillations en roulis qui se sont produites lors des événements faisant l'objet de la présente enquête ont été causées par une combinaison de conditions environnementales, de modifications de l'aérodynamique de l'avion dans l'axe de roulis et d'un couplage avion-pilote. On n'a pas jugé que le vent traversier était un facteur dans les incidents dont il est question ici.

    Les rapports météorologiques faisant état de bruine au moment de l'événement du vol ACA1130 laissent croire que les gouttelettes d'eau étaient d'une taille comprise entre 100 et 500 microns. Donc, les deux avions sont probablement entrés dans des conditions de givrage causées par de grosses gouttelettes (grosses gouttelettes en surfusion) lors de l'approche à l'aéroport international de Toronto/Lester B. Pearson, l'état des nuages étant le même pour chaque événement. Si la taille des gouttelettes était en fait supérieure à la plage comprise entre 40 et 50 microns, les conditions subies se seraient trouvées hors du domaine de certification de l'appendice C de la FAR 25.

    Bien que la taille réelle des grosses gouttelettes en surfusion à ce moment ne puisse être clairement déterminée, il reste néanmoins que d'autres types d'aéronef ont réussi à se poser dans des conditions similaires. Par conséquent, il est peu probable que les conditions de givrage d'intensité modérée à forte, à elles seules, aient induit ces oscillations en roulis sur les avions en question.

    Avant les événements du 7 décembre 2002, les données relatives aux performances de l'Airbus A321 dans des conditions givrantes étaient fondées sur sa certification et sur ses antécédents en service. Comme cet avion est une version dérivée de l'Airbus A320, l'ampleur des essais de givrage de l'Airbus A321 était en partie fondée sur les résultats de la certification de l'Airbus A320. Plus précisément, même si l'Airbus A321 est équipé de volets à double fente, tandis que l'Airbus A320 est équipé de volets à fente unique, les deux avions ont été jugés similaires, et l'effet de l'accumulation de givre sur le bord d'attaque des volets n'a pas été examiné lors de la certification de l'Airbus A321. De même, toutes les anomalies de givrage en service ont été considérées à la lumière des performances en service de toute la flotte d'Airbus A320, lesquelles n'ont révélé aucun problème systémique. De plus, dans tous ses programmes de certification, Airbus considère l'accumulation de givre en configuration lisse.

    L'analyse des essais de givrage effectués à la suite des événements a permis de conclure que l'accumulation de givre sur le bord d'attaque des volets des Airbus A320 et A321 et sur les compensateurs de volet de l'Airbus A321 a contribué à un comportement inhabituel en roulis à la suite de la modification de caractéristiques aérodynamiques. Les vols effectués selon la loi directe en roulis à bord de ces deux avions ont montré que l'accumulation de givre avec les volets sortis, tant sur l'Airbus A320 que sur l'Airbus A321, provoquait une augmentation de l'efficacité en roulis des déporteurs dans les configurations CONFIG 3 et CONFIG FULL, cette augmentation étant par ailleurs plus prononcée en configuration CONFIG FULL qu'en configuration CONFIG 3.

    Un examen plus poussé du phénomène grâce aux lois normales de commandes latérales a permis de déterminer que l'augmentation de sensibilité au roulis a été un facteur important seulement pour l'Airbus A321. Plus précisément, l'analyse des lois normales de commandes latérales pour les deux avions a permis de conclure que la marge de stabilité en sensibilité au roulis d'un Airbus A321 volant en configuration CONFIG FULL dans des conditions givrantes était considérablement réduite par rapport à celle d'un Airbus A320. Des changements au logiciel de l'ELAC pourraient modifier les lois normales de commandes latérales afin de prévoir une marge de stabilité acceptable en sensibilité au roulis dans de telles conditions.

    Les paragraphes a) et b) de la FAR 25.143 exigent qu'un aéronef soit pilotable et manoeuvrable en toute sécurité, sans que cela nécessite une compétence exceptionnelle en pilotage ni qu'il y ait un risque de dépasser le facteur de charge limite de l'aéronef, dans toutes les conditions d'exploitation probables. La sensibilité au roulis est fonction des sollicitations du pilote, des lois normales de commandes latérales et de la réaction aérodynamique de l'avion. Pour ce qui est des vols ACA457 et ACA1130, l'accumulation de givre sur les volets a contribué à créer un comportement inhabituel en roulis en modifiant la réaction aérodynamique dans l'axe de roulis. Cette modification des caractéristiques aérodynamiques, combinée aux lois normales de commandes latérales et aux sollicitations du pilote, a causé une instabilité de l'avion.

    Faits établis

    Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

    1. Les lois normales de commandes latérales de l'Airbus A321 programmées dans le calculateur profondeur-ailerons (ELAC) offraient une efficacité accrue en roulis dans la configuration CONFIG FULL par rapport à la configuration CONFIG 3, ce qui s'est traduit par une marge de stabilité réduite dans des conditions givrantes.
    2. L'influence extérieure du givre sur le bord d'attaque des volets a modifié l'aérodynamique des avions, ce qui, une fois combinée aux sollicitations du pilote et aux lois normales de commandes latérales, s'est traduit par un couplage avion-pilote et a causé l'instabilité de l'avion.

    Faits établis quant aux risques

    1. Des essais en vol dans des conditions givrantes naturelles n'ont pas été exécutés dans toutes les configurations de l'Airbus A321 afin de déterminer si les caractéristiques de pilotabilité offraient une marge de sécurité suffisante.
    2. Il est probable que les conditions givrantes dans lesquelles se sont trouvés les deux avions se situaient hors des domaines de l'appendice C de l'article 25 des Federal Aviation Regulations (FAR 25), document utilisé pour la certification de l'Airbus A321.
    3. Après ces événements, des essais en vol effectués dans des conditions de givrage naturel ont confirmé que, volets sortis, l'accumulation de givre sur les bords d'attaque des volets augmentait la sensibilité au roulis dans les lois normales de commandes latérales de l'Airbus A321.

    Autres faits établis

    1. Les équipages de conduite des deux avions avaient reçu des renseignements météorologiques à jour avant l'approche et l'atterrissage.
    2. Les équipages de conduite des deux avions ont suivi les instructions pertinentes du manuel de vol de l'Airbus A321 d'Air Canada en cas de conditions givrantes en ajoutant cinq noeuds à la vitesse sélectionnable la plus faible (VLS).
    3. Les équipages de conduite n'avaient pas reçu de formation sur la façon de remédier à des oscillations induites par couplage avion-pilote; une telle formation n'était pas requise par la réglementation.

    Mesures de sécurité

    Airbus

    Comme suite aux présents événements, Airbus a envoyé le 20 décembre 2002 le télex sur les opérations aériennes STL 999.138/02 destiné à tous les exploitants d'Airbus A321 et portant sur un événement relatif à la maîtrise en roulis lors d'un atterrissage dans des conditions givrantes. Le télex donnait des renseignements sur le motif de la communication, l'explication technique, d'autres mesures à prendre, une recommandation opérationnelle et des données sur le suivi. Airbus a formulé la recommandation opérationnelle suivante :

    [Traduction]
    Si l'on prévoit des conditions de givrage d'intensité modérée à forte, le recours à la configuration CONFIG 3 pour l'atterrissage est recommandé.

    Il faut réduire au minimum le temps de vol avec les volets sortis dans des conditions givrantes (consulter le manuel d'exploitation de l'équipage de conduite [FCOM] 3.04.30, page 1).

    De plus, si au cours de l'approche, on soupçonne une accumulation de givre importante sur les parties non dégivrées de la cellule (en se servant de l'indicateur visuel de givrage), la vitesse minimale d'approche ne doit pas être inférieure à la VLS + 10 noeuds, et la distance d'atterrissage doit être multipliée par 1,15, comme le mentionne déjà le FCOM 3.04.30, page 1.

    En juin 2003, Airbus a publié le bulletin technique d'opérations no 153/1 qui donnait aux exploitants d'Airbus A321 une explication sur les difficultés potentielles de maîtrise en roulis susceptibles de se produire dans des conditions givrantes. Essentiellement, l'accumulation de givre sur les bords d'attaque des volets et des compensateurs des volets a contribué à un comportement inhabituel en roulis en modifiant les caractéristiques aérodynamiques dans l'axe de roulis. Le bulletin répétait ensuite la recommandation d'Airbus : si des conditions de givrage d'intensité modérée à forte sont prévues lors de l'approche, il faut recourir à la configuration CONFIG 3 à l'atterrissage. Le bulletin précisait aussi que la mesure corrective d'Airbus consistait à revoir de nouveau la conception du logiciel du calculateur profondeur-ailerons (ELAC) (voir les normes L83 et L91 de l'ELAC) pour améliorer les marges de stabilité des lois normales de commandes latérales de l'Airbus A321.

    Par la suite, Airbus a publié une révision au manuel de vol (AFM TR 4.03.00/20) exigeant qu'on ajoute au manuel de vol de l'Airbus A321 les limites opérationnelles ayant trait au recours à la configuration CONFIG 3 lorsqu'on se pose dans des conditions givrantes, établies antérieurement au moyen du télex sur les opérations aériennes et du bulletin technique d'opérations no 153/1.

    Comme ses communications antérieures destinés aux exploitants l'indiquent, entre le 9 mars et le 14 juin 2004, Airbus a publié des bulletins de service (A320-27-1151 et A320-27-1152) pour fournir les mises à jour requises pour le logiciel de l'ELAC. La mise en oeuvre de ces bulletins de service éliminera les limites opérationnelles.

    Air Canada

    Le 9 décembre 2002, le pilote en chef des Airbus A319/A320/A321 d'Air Canada a publié le bulletin technique 124 visant l'Airbus A321. En voici un extrait :

    [Traduction]
    Nous enquêtons présentement sur deux cas de réaction réduite en roulis en approche à la suite d'une importante accumulation de givre sur la cellule. Comme mesure de précaution et jusqu'à nouvel ordre, les atterrissages en configuration CONFIG FULL sont interdits dans ces conditions. Consulter l'index des procédures (QRH) 2.25 pour connaître la marge qu'il faut ajouter à la VLS en cas d'accumulation de givre.

    Les équipages sont priés de prendre note de la mise en garde suivante dans les procédures d'utilisation normalisées (SOP) : dans des conditions givrantes, éviter tout vol prolongé avec les becs de bord d'attaque déployés.

    Direction Générale de l'Aviation Civile

    Le 15 octobre 2003, la Direction Générale de l'Aviation Civile (DGAC) a publié la consigne de navigabilité 2003-388 B, qui rendait obligatoire les limites opérationnelles de l'Airbus A321 figurant dans le document AFM TR 4.03.00/20 d'Airbus. Le 18 août 2004, la DGAC a publié la consigne de navigabilité F-2004-147, qui donnait de nouveau les limites opérationnelles établies dans la consigne de navigabilité 2003-388 B et qui rendait obligatoire, d'ici le 31 décembre 2005, la mise en oeuvre des versions L83 ou L91 du logiciel de l'ELAC, conformément au bulletin de service A320-27-1151 ou A320-27-1152, respectivement.

    Transports Canada et la Federal Aviation Administration

    Au 18 février 2004, Transports Canada et la Federal Aviation Administration (FAA) avaient adopté la consigne de navigabilité 2003-388 B. Transports Canada a adopté la consigne de navigabilité F-2004-147 de la DGAC; par contre, la FAA signale qu'une consigne de navigabilité de la FAA sera publiée une fois que le processus d'avis de projet de réglementation de la FAA aura été achevé.

    Préoccupation liée à la sécurité

    Le logiciel modifié de l'ELAC devrait empêcher tout nouvel événement de couplage avion-pilote à bord d'un Airbus A321 dans des conditions de givrage similaires et avoir un effet positif sur la conception des futurs systèmes de commande de vol. Malgré les améliorations technologiques apportées, le couplage avion-pilote n'en demeure pas moins un phénomène mal connu des pilotes. Le Bureau est préoccupé par le fait que l'absence d'information sur le couplage avion-pilote dans le plan de formation des pilotes contribue au manque de connaissance du couplage avion-pilote.

    Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .