Panne moteur et perte de contrôle
du Mooney M20E C-FWII
à l'aéroport international de Québec / Jean-Lesage
(Québec)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Le Mooney M20E immatriculé C-FWII, numéro de série 670054, devait effectuer un vol selon les règles de vol à vue (VFR) entre Québec (Québec) et Rimouski (Québec). L'appareil a décollé de la piste 30 à 13 h 46, heure avancée de l'Est, avec le pilote, un instructeur de vol et un passager à son bord. Alors que l'appareil franchissait une altitude de 600 pieds au-dessus du niveau de la mer, la tour de contrôle a reçu un message radio de C-FWII qui signalait que le moteur était en panne et qu'un atterrissage d'urgence serait effectué. L'appareil a été observé en virage serré vers la droite avant de piquer du nez et de s'écraser près d'un champ de balle, à moins d'un mille marin au nord de l'extrémité de la piste 30. L'appareil a été détruit à l'impact mais n'a pas pris feu. Les trois occupants ont subi des blessures mortelles.
Renseignements de base
Le 27 août 2002, le pilote a pris possession d'un Mooney M20E, immatriculé C-FWII, numéro de série 670054, qu'il venait d'acheter. À titre de nouveau propriétaire, la compagnie d'assurances a exigé qu'il effectue 10 heures de vol en compagnie d'un instructeur de vol qualifié. Du 27 au 29 août 2002, le pilote, accompagné d'un instructeur de vol, a effectué 5 vols totalisant 5,7 heures durant lesquels des exercices de virage, de vol lent, de décrochage et d'atterrissage d'urgence ont été faits. Aucune anomalie ou défectuosité n'a été notée ou signalée suite à ces vols.
Le plein de carburant est effectué le 30 août 2002 et l'appareil demeure stationné à l'extérieur, dans un endroit sûr, jusqu'au jour de l'accident, le 2 septembre 2002. Rien ne laisse croire que la quantité d'essence embarquée ait pu diminuer d'une quelconque façon. De plus, toute anomalie concernant la quantité d'essence aurait pu être remarquée lors de l'inspection visuelle effectuée le jour de l'accident.
Environ 15 minutes avant le départ, le pilote dépose un plan de vol selon les règles de vol à vue (VFR) auprès du Centre d'information de vol de Québec, signifiant entre autres qu'il est le pilote commandant de bord. Une fois l'inspection visuelle extérieure terminée, les trois occupants prennent place à bord de l'appareil. Le pilote propriétaire prend place sur le siège avant gauche, l'instructeur de vol sur le siège avant droit et le passager à l'arrière, du côté droit.
Après avoir complété son point fixe, à 13 h 46, heure avancée de l'Est (HAE)Note de bas de page 1, l'appareil est autorisé à décoller de la piste 30 avec l'instruction de maintenir l'axe de piste jusqu'à 1 500 pieds au-dessus du niveau de la mer (asl) avant de poursuivre vers Rimouski (Québec). Un peu moins de deux minutes après le décollage, alors que l'appareil est à environ 600 pieds asl, soit moins de 400 pieds au-dessus du sol (agl), le contrôleur avise le pilote qu'il peut maintenant procéder vers Rimouski. Immédiatement après avoir reçu cette instruction, un message radio en provenance de C-FWII signale que le moteur est en panne et qu'un atterrissage d'urgence sera effectué. Plusieurs champs, en majorité orientés sur un axe nord sud, soit 60 degrés par rapport à l'axe de piste, étaient disponibles pour l'atterrissage. À environ 400 pieds agl, l'appareil s'est incliné fortement sur la droite avant de piquer du nez et s'écraser dans un champ.
Les sièges avant de l'appareil étaient munis de ceintures de sécurité composées de ceintures sous-abdominales et de ceintures-baudriers. Les deux occupants avant ne portaient pas leur ceinture-baudrier. Rien ne les obligeait à les porter puisque la réglementation en vigueur n'exigeait pas que l'appareil en soit muni, étant donné qu'il avait été construit avant le 18 juillet 1978. La ceinture de sécurité du passager arrière montrait des signes d'étirement indiquant que le passager portait sa ceinture au moment de l'accident. Toutefois, une des ferrures de fixation reliées à la structure du plancher a cédé lors de l'impact.
La radiobalise de repérage d'urgence, modèle Ameri-King AK-450, numéro de série 354036, ne s'est pas déclenchée lors de l'impact. Par contre, elle s'est déclenchée lors de la récupération de l'épave, et les enquêteurs ont dû l'éteindre pour interrompre le signal. Elle était installée et entretenue conformément à la réglementation, et son sélecteur était en position automatique. La raison pour laquelle la radiobalise ne s'est pas déclenchée lors de l'impact n'a pu être déterminée. Malgré cela, l'appareil a été repéré rapidement par les Services de lutte contre les incendies d'aéronefs de l'aéroport de Québec, qui sont arrivés sur les lieux de l'accident en moins de 10 minutes.
Au moment de l'accident, les conditions météorologiques étaient propices au vol à vue; quelques nuages épars à 6 000 pieds asl, visibilité de 30 milles, température de 24 °C, point de rosée de 12 °C, et le vent soufflait du sud-ouest à 4 noeuds.
Le pilote était titulaire d'une licence de pilote privé valide. Il avait obtenu sa licence en 1997 et son carnet de vol indiquait qu'il totalisait 570 heures de vol, dont 5,7 heures sur le Mooney M20E. Il avait acquis la majorité de son expérience de vol sur des appareils monomoteurs de type Cessna 150 et Cessna 172. L'instructeur de vol était titulaire d'une licence de pilote professionnel valide annotée d'une qualification de vol aux instruments groupe 1 et d'une qualification d'instructeur classe 1, soit la plus haute qualification d'instructeur délivrée par Transports Canada. Son carnet de vol indiquait qu'il totalisait environ 1 357 heures de vol, dont environ 960 heures à titre d'instructeur de vol. À l'exception des 5,7 heures de vol effectuées sur le C-FWII, il n'avait jamais piloté ni donné d'instruction en vol sur le Mooney M20E auparavant. Puisque sa licence d'instructeur de vol était annotée de la qualification de type générale, la réglementation lui permettait de donner de l'instruction en vol sur le Mooney M20E même s'il n'avait aucune expérience sur ce type d'aéronef. D'après les résultats de l'autopsie et des analyses toxicologiques, rien n'indique que les capacités du pilote ou de l'instructeur de vol aient été atténuées par des facteurs physiologiques.
L'examen des consignes de navigabilité, des bulletins de service et des carnets techniques de l'aéronef indique que l'appareil était certifié, équipé et entretenu conformément à la réglementation en vigueur et aux procédures approuvées.
L'appareil était équipé d'un moteur Lycoming, modèle IO-360-A1A, portant le numéro de série L 3606-51A. Il totalisait 44,7 heures de fonctionnement depuis sa dernière révision en octobre 1999. L'enquête a révélé qu'en mars 2002 l'ancien pilote-propriétaire avait dû poser l'appareil suite au mauvais fonctionnement du moteur. Lors de l'atterrissage, l'hélice avait contacté le sol, et il avait fallu faire une inspection spéciale du moteur avant de le remettre en service. Lors de cette inspection, la présence d'un contaminant avait été observée dans un des injecteurs. Les injecteurs ont été nettoyés et le contrôleur de carburant a été remplacé. Une inspection annuelle, équivalente à une inspection périodique des 100 heures, a alors été effectuée. Au cours de cette inspection, les techniciens d'entretien d'aéronef ont décelé de la corrosion aux conduites d'alimentation en carburant. Les conduites ont été remplacées à partir des deux réservoirs jusqu'au sélecteur de carburant situé sous le plancher de la cabine. Tous les filtres carburants ont été vérifiés et nettoyés conformément aux exigences du constructeur et de la réglementation applicable. L'appareil a été remis en service et n'a éprouvé aucun ennui de moteur jusqu'au jour de l'accident.
L'examen des pales de l'hélice a confirmé que celle-ci ne tournait pas au moment de l'impact. Des témoins ont également signalé avoir aperçu de la fumée bleue noire s'échapper du moteur au début de la montée. Afin de déterminer les facteurs ayant pu contribuer à l'arrêt du moteur et à l'écrasement, l'épave a été transportée au Laboratoire technique du BST pour une analyse plus approfondie. Le démontage et l'examen complet du moteur, des accessoires électriques et d'alimentation en air n'ont révélé aucune anomalie qui aurait pu causer une perte de puissance ou l'arrêt du moteur. Les enquêteurs ont donc porté leur recherche sur le système d'alimentation en carburant. L'inspection complète du système de carburant a permis d'établir qu'il n'y avait aucun contaminant dans ses filtres ou ses composantes. Les réservoirs, les bouchons et les prises d'air ne présentaient aucune anomalie, et rien n'indiquait la présence d'eau dans l'essence retrouvée dans le système d'injection. Une forte odeur d'essence était présente au site de l'écrasement, ce qui tend à confirmer la présence d'une quantité importante de carburant à bord de l'aéronef. Tout porte à croire que les deux réservoirs étaient pleins lors du départ de Québec, ce qui correspond à une autonomie de quatre heures et demi. La source de ravitaillement utilisée possédait des filtres convenables et elle était fréquemment utilisée. Aucun pilote ayant utilisé la même source de ravitaillement n'a signalé la présence d'impuretés dans le carburant.
Lors de l'impact, le sélecteur de carburant, situé sur le plancher juste devant le pilote, était placé sur le réservoir droit, indiquant que le moteur était alimenté à partir de ce réservoir. Le sélecteur ne présentait aucune anomalie par suite de l'impact. Toutefois, il a été constaté que le sélecteur d'essence des Mooney M20, modèles A à G, peut être difficile d'accès sans interférer avec les commandes de vol. En effet, selon la physiologie du pilote, il peut être difficile de changer la position du sélecteur. Le pilote doit reculer son siège et doit se pencher vers l'avant, s'il désire changer la position du sélecteur d'essence, ce qui pourrait nuire à la pilotabilité de l'appareil. Il n'a pu être déterminé si le pilote a changé ou a tenté de changer la position du sélecteur après l'arrêt moteur. Parmi les modèles A à G, le modèle C a été, en 1978, le dernier à être fabriqué avec le sélecteur d'essence situé sur le plancher devant le pilote. Depuis le début de la production des modèles J en 1976, tous les modèles J à S sont munis d'un sélecteur d'essence situé entre les deux sièges avant, ce qui en facilite l'accessibilité.
Toutes les gouvernes ont été retrouvées sur les lieux et tous les dommages à l'aéronef ont été attribués à la violence de l'impact. Les volets étaient sortis à 15 degrés et le train d'atterrissage était rentré, ce qui correspond à la position normale suite à un décollage. La répartition des débris sur les lieux de l'écrasement et la déformation du fuselage révèlent que l'avion a décroché et avait amorcé une vrille au moment de l'impact. Le manuel de vol de l'aéronef stipule que le taux de rotation durant la première partie de la vrille est très rapide et peut entraîner la désorientation des occupants. Un avertissement est également émis dans le manuel de vol indiquant qu'une perte d'altitude pouvant atteindre 2 000 pieds peut survenir durant une vrille et la sortie de vrille. Le même avertissement indique qu'un décrochage à basse altitude est extrêmement critique. L'avion était équipé d'un avertisseur de décrochage conçu pour prévenir le pilote lorsqu'un décrochage aérodynamique de l'avion est imminent. Rien ne laisse croire que l'avertisseur ne fonctionnait pas.
Afin de déterminer si la masse et le centrage de l'appareil avaient pu avoir un effet sur les caractéristiques de vol, les masses normalisées homologuées d'été, sans bagage à main, publiées dans la Publication d'information aéronautique (A.I.P. Canada), ont été utilisées. Elles démontrent que la masse et le centrage de l'appareil étaient à l'intérieur des limites prescrites par le constructeur. Toutefois, en utilisant le poids réel des trois occupants, on a constaté que la masse de l'appareil dépassait de 80 livres la masse maximale autorisée au décollage; toutefois, le centrage était à l'intérieur des limites prescrites par le constructeur. Rien n'empêchait le pilote d'utiliser les masses normalisées homologuées publiées dans l'A.I.P. Canada, même s'il y est indiqué d'utiliser autant que possible le poids réel des passagers.
L'avion n'était pas équipé d'un enregistreur de données de vol (FDR) ni d'un enregistreur de la parole dans le poste de pilotage (CVR), et cet équipement n'était pas obligatoire. Par conséquent, on ne dispose d'aucune information permettant de déterminer les activités qui se sont déroulées dans le poste de pilotage avant l'écrasement.
Analyse
L'examen de l'appareil n'a pas permis de découvrir d'anomalie ayant pu contribuer à l'arrêt du moteur. Rien n'indique qu'il y a eu défaillance de la cellule ou mauvais fonctionnement des commandes de vol. Les conditions météorologiques étaient propices au vol à vue et rien ne laisse croire qu'elles aient pu contribuer à l'accident. En utilisant les masses normalisées homologuées d'été pour les calculs, la masse et le centrage étaient à l'intérieur des limites prescrites par le constructeur. En utilisant les poids réels, la masse de l'appareil dépassait de 80 livres la masse maximale autorisée, et le centrage était dans les limites prescrites; un tel écart n'a pu avoir de répercussions sérieuses sur les caractéristiques de l'appareil en vol. Rien n'indique que les capacités du pilote et de l'instructeur de vol aient été atténuées par des facteurs physiologiques.
Le pilote et l'instructeur de vol possédaient les qualifications requises pour effectuer le vol selon la réglementation en vigueur. Même si la compagnie d'assurances ne stipulait pas la classification que devait détenir l'instructeur de vol, le pilote avait pris soin de s'assurer les services d'un instructeur de vol classe 1, la plus haute qualification délivrée par Transports Canada. Toutefois, il est permis de douter de la pertinence de la réglementation qui permet à un instructeur de vol de donner de l'instruction en vol sur un type d'appareil sur lequel il n'a aucune expérience. Lors des vols précédents, le pilote et l'instructeur avaient fait des exercices de décrochage et d'atterrissage d'urgence avec le Mooney; toutefois, leur expérience sur ce type d'appareil faisait en sorte qu'ils connaissaient peu les caractéristiques de vol de l'appareil.
La raison pour laquelle la radiobalise de détresse ne s'est pas déclenchée lors de l'impact n'a pu être établie. Cette situation aurait pu retarder le repérage de l'appareil et l'arrivée des secours. Le personnel des Services de lutte contre les incendies d'aéronefs sont arrivés rapidement sur les lieux de l'accident, mais les occupants n'avaient aucune chance de survie en raison des forces d'impact élevées.
Puisqu'il n'y avait pas de CVR à bord, les activités qui se sont déroulées dans le poste de pilotage avant l'écrasement n'ont pas pu être déterminées. Toutefois, il est fort probable que le pilote propriétaire était aux commandes lors du décollage, puisque le but du vol était de se familiariser avec l'appareil. Par contre, il est probable qu'en raison des circonstances l'instructeur de vol ait pris les commandes suite à la panne de moteur. Lorsqu'une panne de moteur survient à basse altitude, le pilote se retrouve dans une situation très critique. Il a très peu de temps pour trouver un endroit propice à l'atterrissage, placer l'appareil à la vitesse recommandée de vol plané et effectuer les vérifications en cas d'urgence.
L'appareil a été aperçu dans un virage serré à droite avant de piquer du nez et de s'écraser; il est possible que le pilote tentait de faire demi-tour pour revenir se poser sur la piste. Il est reconnu que de nombreux accidents se produisent lorsque le pilote tente de faire demi-tour pour revenir atterrir sur la piste. Comme l'altitude disponible est souvent insuffisante, le pilote a tendance à relever le nez de l'appareil pendant le virage. Ainsi, la vitesse de l'appareil diminue au point de devenir inférieure à la vitesse de décrochage qui augmente alors avec l'inclinaison.
L'aéronef a décroché parce que le pilote aux commandes n'a pas maintenu la vitesse minimale nécessaire pour assurer la sustentation de l'appareil, et l'altitude disponible était insuffisante pour permettre au pilote de faire une manoeuvre de redressement. Le virage serré a fait augmenter la vitesse de décrochage.
L'enquête a donné lieu aux rapports de laboratoire suivants :
- LP 082/2002 – Engine examination (Examen du moteur);
- LP 091/2002 – Pump element examination (Examen des composantes de la pompe).
Faits établis
Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs
- Après l'arrêt moteur, le pilote aux commandes n'a pas maintenu la vitesse minimale nécessaire pour assurer la sustentation de l'appareil. L'appareil a décroché alors que l'altitude disponible était insuffisante pour permettre au pilote de faire une manoeuvre de redressement.
- Le moteur de l'appareil s'est arrêté à basse altitude, ce qui donnait peu de temps au pilote aux commandes pour trouver un endroit propice à l'atterrissage, de placer l'appareil à la vitesse de vol plané et d'effectuer les vérifications en cas d'urgence.
- Suite à l'arrêt moteur, le pilote aux commandes a exécuté un virage serré, ce qui a augmenté la vitesse de décrochage.
- La cause de l'arrêt moteur n'a pas été établie.
Faits établis quant aux risques
- Le pilote instructeur ne connaissait pas plus les caractéristiques de vol de l'appareil que le pilote à qui il donnait de la formation en vol. Toutefois, la réglementation lui permettait de dispenser de l'instruction en vol sur des types d'appareils qu'il ne connaissait pas très bien.
- La radiobalise de détresse ne s'est pas déclenchée lors de l'impact, ce qui aurait pu avoir des conséquences malheureuses si l'appareil s'était écrasé en région inhabitée.
Autres faits établis
- Le sélecteur d'essence des Mooney M20, modèles A à G, peut être difficile d'accès sans interférer avec les commandes de vol, ce qui peut nuire à la pilotabilité de l'appareil.
Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet événement. La publication de ce rapport a été autorisée par le Bureau le .