Panne moteur - Atterrissage forcé
du de Havilland DHC-3 Otter C-GGON
de Whiteshell Air Service Ltd
à 2 nm à l'est du Lac du Bonnet (Manitoba)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Vers 11 h, heure avancée du Centre, le de Havilland DHC-3 Otter monté sur flotteurs, immatriculé C-GGON et portant le numéro de série 225, appartenant à Whiteshell Air Service, quitte l'hydroaérodrome du Lac du Bonnet (Manitoba) avec à son bord un pilote et trois passagers pour effectuer un vol de jour selon les règles de vol à vue à destination du lac George. Le pilote effectue un décollage normal à partir de la rivière Winnipeg en direction est et amorce une montée à faible pente au-dessus de la berge. Au moment où l'hydravion se met en palier à quelque 400 pieds au-dessus du sol, un bruyant retour de flamme retentit et le moteur s'arrête complètement. Le pilote effectue un atterrissage forcé droit devant; l'appareil heurte plusieurs gros arbres et s'immobilise dans une zone marécageuse. Le côté gauche de l'hydravion heurte le sol en premier, les deux ailes se détachent, et le moteur s'enfonce dans le sol marécageux. Il n'y a pas d'incendie.
Le pilote et le passager assis dans le poste de pilotage subissent des blessures légères. L'un des passagers qui prend place dans la cabine est projeté à l'extérieur de l'appareil, toujours retenu à son siège, et il est légèrement blessé. L'autre passager de la cabine est projeté vers l'avant, toujours retenu à son siège, il heurte la structure intérieure de l'hydravion et il est grièvement blessé.
Renseignements de base
La veille de l'accident, l'appareil était retourné au Lac du Bonnet (Manitoba) alors que le moteur faisait entendre un bruit inhabituel. Le propre organisme de maintenance agréé (OMA) de l'exploitant a inspecté le moteur et a constaté que le cylindre no 1 montrait des signes d'une fuite de gaz excessive. On a déposé le cylindre afin de l'inspecter. On a constaté que la tête du cylindre avait commencé à se séparer du corps du cylindre et on a installé un nouveau cylindre. Le jour de l'accident, avant le premier vol faisant suite au remplacement du cylindre, on a effectué un long point fixe moteur sans constater aucune anomalie. Au décollage, le pilote a jugé que le moteur fonctionnait correctement en constatant qu'il tournait à un régime de 2250 tr/min avec une pression d'admission de 36,5 pouces.
Sur ce type de moteur d'aviation, on détermine la puissance produite en mesurant le régime du moteur pour une pression d'admission donnée. On se sert de la pression barométrique locale pour établir la pression d'admission. La vérification nécessite que le régime du moteur soit mesuré à cette pression lorsque les pales de l'hélice appuient contre les butées de petit pas. L'avionneur précise à quel régime cette condition est remplie. Le manuel d'utilisation approuvé de l'aéronef GGON stipulait que le régime du moteur devait se situer entre 2000 et 2200 tr/min lorsque la pression d'admission était égale à la pression barométrique locale.
Selon ce qui a été rapporté, les conditions météorologiques locales au moment de l'accident étaient des conditions de vol à vue (VMC) avec un vent léger soufflant de l'est. Les conditions météorologiques enregistrées à Kenora (Ontario), à quelque 75 milles terrestres à l'est du lieu de l'accident, étaient représentatives des conditions régionales et étaient les suivantes : visibilité supérieure à 15 milles; quelques nuages à 3700 pieds au-dessus du sol (agl); température de 15 °C; point de rosée à 6 °C; vent du 150 degrés vrais à 7 noeuds.
Le pilote, qui était également le propriétaire de la compagnie, était titulaire d'une licence de pilote professionnel valide. Il avait une grande expérience, puisqu'il totalisait plus de 32 000 heures de vol, dont plus de 8000 heures sur type, et 2,7 heures au cours des 30 derniers jours. Le pilote était également l'unique technicien d'entretien d'aéronefs (TEA) de l'OMA de la compagnie aérienne. La licence de TEA du pilote avait expiré le 5 octobre 2000 et il ne l'avait pas renouvelée. La dernière inspection de l'aéronef avait été effectuée par le pilote/TEA après la date d'expiration de sa licence.
Après l'accident, aucun signal de radiobalise de repérage d'urgence (ELT) n'a été reçu de l'appareil accidenté. L'ELT avait été déposée le 8 mai 2003 par un apprenti de la compagnie à des fins de recertification dans le cadre d'une inspection annuelle de l'aéronef. Une inscription à cet effet avait été consignée dans le carnet de bord de l'appareil. Toutefois, les renseignements obtenus indiquaient que le pilote de l'hydravion était sous l'impression qu'une ELT recertifiée avait été installée à bord provisoirement.
Le Règlement de l'aviation canadien (RAC) autorise l'exploitation d'un aéronef sans la présence d'une ELT en état de marche pendant une période maximale de 30 jours, sous réserve de certaines conditions. L'une de ces conditions veut que l'exploitant installe une affichette dans le poste de pilotage pour signaler l'absence de l'ELT. Même si une inscription dans le carnet de bord indiquait que l'ELT avait été déposée de l'appareil, il n'y avait pas d'affichette dans le poste de pilotage pour indiquer que l'hydravion était exploité sans ELT.
L'examen de la cellule n'a révélé aucune anomalie antérieure à l'impact. Le moteur, un Pratt & Whitney Wasp R-1340-S3H1-G, a été récupéré sur les lieux de l'accident et envoyé à un atelier de révision générale local pour y subir une analyse en cours de démontage. Pendant qu'on faisait tourner le vilebrequin, on a constaté que la soupape d'échappement du cylindre numéro trois ne s'ouvrait pas. On a mesuré que la vis de réglage de soupape dépassait le
On a déposé le carter avant du moteur et on a constaté que le galet de came de la soupape d'échappement du cylindre no 3 était excessivement usé. La partie supérieure du guide de galet de came à rainure était fendue et brisée. On a mesuré le galet de came et on a constaté qu'il était usé de 0,249 pouce et qu'il présentait un méplat sur un côté (voir l'annexe A). On a inspecté la couronne à cames et on a découvert que les quatre bossages d'échappement étaient excessivement usés et hors limites. On a inspecté la tige poussoir de la soupape d'échappement du cylindre no 3 et on a déposé les rotules d'embout pour vérifier le nombre de rondelles d'espacement placées sous les rotules. On peut allonger ou raccourcir la portée des tiges poussoirs en ajoutant des rondelles d'espacement sous les rotules d'embout de manière à régler le jeu des soupapes au moment d'une révision générale ou du remplacement d'un cylindre. Il y avait deux rondelles d'espacement à l'une des extrémités, et une seule à l'extrémité opposée. Toutefois, la rondelle d'espacement unique avait été installée en position verticale et avait été repliée de force à angle droit.
L'analyse des dossiers de maintenance de l'aéronef a indiqué que le moteur totalisait 821,1 heures depuis sa dernière révision générale majeure effectuée par la firme Covington Aircraft Engines Inc. Selon ce qui a été rapporté, le jeu des soupapes avait été vérifié et réglé à deux reprises depuis la révision générale, une fois après le premier intervalle de 100 heures et de nouveau lorsque le moteur avait atteint 810,7 heures en service (soit 10,4 heures avant l'accident). Au moment de ces deux réglages, on n'a remarqué aucune anomalie significative; toutefois, il a été impossible de déterminer si on avait procédé au réglage de la soupape d'échappement no 3 à ces occasions. Toujours selon ce qui a été rapporté, on n'a ni allongé ni raccourci les tiges de poussoir pour obtenir les jeux de soupape requis. Les dossiers de maintenance de l'aéronef ont révélé que le cylindre no 3 n'avait pas été remplacé depuis la révision générale. Les soupapes avaient été réglées à l'aide de la « méthode positive » qui est préconisée dans le manuel de maintenance du moteur afin d'éliminer le flottement des cames au cours de la procédure de réglage. Le programme d'inspection de l'exploitant stipule que le jeu des soupapes doit être vérifié à des intervalles de 400 heures. Il a été impossible de déterminer à quel moment la soupape d'échappement no 3 avait été réglée pour la dernière fois, ni à quel moment on avait réglé la vis de réglage de la soupape avec un dépassement hors limites.
Les deux passagers de la cabine prenaient place sur la rangée de sièges la plus reculée. Les sièges des deux rangées plus à l'avant avaient été repliés, car ils étaient inoccupés. La structure des sièges des deux passagers s'est rompue. Le passager assis sur le siège gauche a été projeté à l'extérieur de l'appareil en passant par la porte latérale et il est demeuré sanglé sur son siège. Ce passager a subi des blessures légères. Le passager qui a été grièvement blessé était assis sur le siège droit. Il a été violemment propulsé vers l'avant en demeurant lui aussi sanglé à son siège. Il a subi de graves blessures lorsqu'il a heurté les sièges repliés et d'autres parties de la structure de l'aéronef. L'inspection de la cabine a révélé que l'installation de tous les sièges était approuvée par le fabricant et que ceux-ci avaient été bien installés. L'examen des lieux de l'écrasement a révélé que l'hydravion avait subi des forces de décélération élevées au moment de l'écrasement.
Analyse
La soupape d'échappement du cylindre no 3 a graduellement refusé de s'ouvrir à mesure que le galet de came s'usait. Comme on a omis d'effectuer la vérification de la puissance nominale fournie par le moteur, pourtant obligatoire, après le remplacement du cylindre no 1 ou avant le décollage, l'exploitant ignorait si le moteur fonctionnait correctement aux régimes élevés. Par conséquent, les effets de la fermeture complète ou presque complète de la soupape d'échappement sont passés inaperçus et ont peut-être été masqués par la défaillance du cylindre no 1.
Pendant le montage de la tige poussoir de la soupape d'échappement du cylindre no 3, une rondelle d'espacement a été incorrectement montée en position verticale sous la rotule d'embout. Lorsque la rotule d'embout a été enfoncée en place, la rondelle d'espacement a sans doute été partiellement déformée à l'intérieur du tube, ce qui a amené la longueur totale de la tige poussoir dans une plage de valeurs qui a par la suite été jugée satisfaisante lors de l'installation. L'enquête n'a pas permis de déterminer à quel moment la rondelle d'espacement avait été mal installée.
Pendant le fonctionnement normal du moteur, le soulèvement répété de la soupape a sans doute déformé encore plus la rondelle d'espacement, ce qui a eu pour effet de raccourcir la longueur totale de la tige poussoir et d'augmenter le jeu entre la soupape et le culbuteur de soupape. Le jeu excessif a sans doute provoqué un martellement du galet de came contre les bossages de la couronne à cames. Il est probable que le réglage de la soupape effectué au premier intervalle d'inspection aux 100 heures a ramené le jeu à l'intérieur des tolérances, mais le galet de came et la couronne à cames avaient déjà subi des dommages. De petits fragments de matériau du galet de came avaient sans doute commencé à se détacher, ce qui a engendré un méplat sur le galet de came. Lorsque le galet a cessé de tourner et a commencé à glisser sur les bossages de came, le processus d'usure a commencé à s'accélérer. À un moment donné, il y a eu un nouveau réglage de la soupape, ce qui explique pourquoi le dépassement de la vis de réglage était hors limites. Ce réglage avait sans doute pour objectif de ramener à l'intérieur des limites le jeu de la soupape qui ne cessait de diminuer. L'usure s'est poursuivie jusqu'au moment où la soupape d'échappement a refusé complètement de s'ouvrir. Lorsque la soupape d'échappement est demeurée fermée, les gaz d'échappement se seraient accumulés dans la chambre de combustion avant de revenir vers l'arrière pour passer à travers l'ouverture de la soupape d'admission et atteindre le circuit d'admission. Les gaz chauds auraient alors enflammé le mélange air-carburant dans le circuit d'admission, d'où le retour de flamme et la perte de puissance moteur.
La rupture ou la défaillance de la partie supérieure du guide de galet de came à rainure est sans doute survenue à cause de l'usure des galets et des bossages de came de la soupape d'échappement du cylindre no 3 qui a augmenté la course du poussoir et éventuellement fait dépasser la tige du galet de came au-delà du guide de poussoir. Le dépassement de la tige du galet de came aurait entraîné son déplacement vers l'extérieur, où elle aurait fendu la partie supérieure du guide de galet de came à rainure. Il est probable que la rupture de cette dernière pièce a été causée par le retour de flamme et qu'elle n'a pas contribué à la perte de puissance du moteur.
Il a été impossible de déterminer à quel moment la soupape d'échappement du cylindre no 3 a été réglée pour la dernière fois ni à quel moment on a réglé la vis de réglage de la soupape hors de la limite de dépassement permise. La compagnie n'a pas vérifié le jeu des soupapes selon un calendrier progressif aux 400 heures, comme le manuel de maintenance l'exigeait, et n'a pu expliquer comment le dépassement de la vis de réglage de la soupape s'était retrouvé hors limites. Si le dépassement hors limites de la vis de réglage avait été découvert à l'occasion d'un réglage de la soupape ou lors d'une inspection régulière, un examen subséquent aurait sans doute révélé l'usure excessive de la culbuterie de la soupape d'échappement et l'on aurait pu ainsi éviter la panne moteur.
Tout porte à croire que les forces de décélération élevées qu'a subies l'appareil lorsqu'il a heurté le sol et les arbres ont dépassé la résistance de calcul des sièges de cabine occupés par les passagers, ce qui a entraîné une rupture en surcharge de la structure de support des sièges.
Faits établis
Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs
- Une rondelle d'espacement a été mal installée dans le tube de la tige poussoir du cylindre no 3. Ce montage incorrect a causé une usure qui a progressivement empêché l'ouverture de la soupape d'échappement du cylindre no 3, entraînant ainsi une migration des gaz d'échappement chauds à l'intérieur du circuit d'admission, ce qui a provoqué la panne moteur.
- Après le remplacement du cylindre no 1, l'exploitant n'a pas effectué une vérification de la puissance nominale fournie par le moteur, ce qui permet normalement de détecter précocement un problème moteur.
- La vis de réglage de soupape était réglée à un dépassement qui ne respectait pas les limites prescrites. Si cette anomalie avait été détectée au moment d'un réglage ou d'une inspection régulière, un examen subséquent aurait sans doute révélé la présence d'une usure excessive de la culbuterie de la soupape d'échappement, ce qui aurait permis de prévenir la panne moteur.
Faits établis quant aux risques
- La licence du technicien d'entretien d'aéronefs qui avait signé les inscriptions dans le carnet de bord de l'aéronef était expirée.
Autres faits établis
- Contrairement à ce qu'exige le Règlement de l'aviation canadien, on a déposé l'ELT sans placer une affichette d'avertissement dans le poste de pilotage; le pilote ignorait qu'il n'y avait pas d'ELT à bord.
Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .
Annexes