Rapport d'enquête aéronautique A03P0247

Perte de puissance et collision avec le sol
de l'hélicoptère Bell 204B C-GEAP
exploité par Gemini Helicopters Inc.
à Bonaparte Lake (Colombie-Britannique)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    L'hélicoptère Bell 204B exploité par la compagnie Gemini Helicopters Inc., immatriculé C-GEAP et portant le numéro de série 2063, participe à des opérations de lutte contre les incendies de forêts à Bonaparte Lake (Colombie-Britannique). Vers 11 h 5, heure avancée du Pacifique, l'hélicoptère décolle de l'aire de rassemblement, en direction est, en transportant un réservoir à eau vide à l'aide d'une élingue de 100 pieds de longueur pour la première mission de la journée. Peu après le décollage, l'hélicoptère fait entendre un son aigu oscillant. La trajectoire de vol et le comportement de l'hélicoptère sont normaux jusqu'au moment où l'appareil disparaît de la vue à cause des arbres. Tout de suite après, on entend le bruit prononcé du claquement des pales du rotor principal, suivi de bruits de collision avec les arbres. L'hélicoptère s'est écrasé au sol juste avant d'atteindre une petite clairière située à proximité d'un chemin forestier à environ un quart de mille marin au sud-est de l'aire de rassemblement. L'écrasement est suivi d'un incendie qui détruit la cabine de l'hélicoptère et qui fait fondre le carter de la boîte de transmission et la structure du pylône. L'arbre de transmission principal demeure fixé au moteur et à l'arbre creux d'entrée transmission. On a trouvé le réservoir à eau dans un arbre, détaché de l'élingue, sur la trajectoire d'approche vers le lieu de l'accident. L'élingue était enroulée autour d'un autre arbre et reposait en ligne directe avec l'hélicoptère; à l'exception des pièces métalliques, les 15 premiers pieds de l'élingue en matière synthétique avaient été consumés par le feu. Des équipes du service de la protection des forêts de la Colombie-Britannique se sont rendues sur les lieux pour éteindre l'incendie. Le pilote a subi des blessures mortelles.

    1.0 Autres renseignements de base

    1.1 Renseignements sur les opérations

    Le mercredi 13 août 2003Note de bas de page 1, le pilote en cause a terminé les vols de la journée au site de Bonaparte Lake et est retourné à Kamloops (Colombie-Britannique) où l'on devait remplacer le moteur et la transmission de l'appareil, car ces deux composants avaient atteint leur durée limite de fonctionnement et devaient subir une révision générale. Le nombre total d'heures de vol cellule était alors de 11 538,8 heures. Le 13 et le 14 août, le personnel de maintenance de la compagnie a remplacé le moteur et la transmission de l'hélicoptère. Il a installé le moteur Honeywell (Lycoming) de modèle T5311B, portant le numéro de pièce 1-000-080-11 et le numéro de série LE-08228. Ce moteur totalisait 7398,1 heures depuis sa mise en service initiale et il avait subi une révision générale qui lui avait redonné son plein potentiel (zéro heure). Le personnel de maintenance a également installé une transmission de Bell Helicopter Textron portant le numéro de pièce 204-040-009-087 et le numéro de série B12-601. Cette transmission totalisait 6808,2 heures depuis sa mise en service initiale et 396,5 heures depuis sa révision.

    Les nouveaux composants ont fonctionné pour la première fois pendant la soirée du 14 août et, le matin suivant, on a effectué une vérification de puissance (puissance partielle) du moteur au sol. On a fait tourner le groupe motopropulseur à un régime de 1,4 pour cent de moins que le régime N1Note de bas de page 2 calculé requis, et il a fallu donner 3/8 tour de réglage de compensation de décollage N1 pour que N1 puisse atteindre la valeur nominale. (Une consultation auprès du personnel de l'industrie a révélé qu'il n'était pas inhabituel d'utiliser la compensation de décollage N1 dans de telles circonstances.) On a inscrit dans le carnet de bord de l'aéronef que tout le travail effectué avait été certifié, en attente d'un vol d'essai satisfaisant, y compris une vérification de rendement maximal N1 et une vérification de puissance. Un vol d'essai a été effectué le 15 août 2003 et on a consigné dans le carnet de bord de l'aéronef les paramètres de fonctionnement moteur pertinents à la vérification de puissance. Les données ont été consignées à l'aide des graphiques de vérification de fonctionnement du moteur, et on a également inscrit les résultats dans le carnet de bord. On a consigné que le moteur tournait à un régime N1 de 2,3 pour cent inférieur à la limite permise de 93,3 pour cent et à une température de gaz d'échappement (EGT) de 60 °C inférieure à la limite permise de 590 °C. Lorsqu'on a vérifié les calculs des vérifications de puissance dans le cadre de l'enquête, on a constaté qu'ils étaient tous deux corrects. Ni les dossiers de maintenance, ni les notes personnelles ne contenaient de résultats relatifs à une vérification du régime N1 maximal après l'installation du moteur dans l'hélicoptère avant ou après les réglages N1. Le règlement n'exige pas de telles données. Les résultats de la vérification de puissance du moteur consignés dans le carnet de bord ont fourni un moyen pour estimer la puissance de sortie du moteur et pour faire un suivi de son rendement. Une vérification de rendement maximal N1 est nécessaire pour confirmer que le moteur a atteint sa performance nominale sans dépasser les limites prescrites du moteur. Le pilote a signé le carnet de bord approuvant la remise en service de l'aéronef.

    L'atelier de révision a effectué une vérification de vibrations du moteur, mais aucune vérification de la sorte n'a été faite avant la remise en service de l'hélicoptère après l'installation du nouveau moteur. Le manuel de maintenance du moteur Honeywell Lycoming stipule qu'une vérification de vibrations doit être effectuée après l'installation d'un moteur. Une telle vérification permet de s'assurer que le moteur et la transmission sont correctement alignés et de détecter tout dommage qu'aurait pu subir le moteur au cours de son transport ou de sa manutention.

    Le rapport d'enquête SEA85FA134 du National Transportation Safety Board (NTSB) des É.-U. présente les renseignements suivants tirés du manuel de formation du fabricant du T53 :

    [Traduction]
    C'est une erreur r épandue de penser que l'on peut sans danger augmenter le réglage du compensateur de décollage pour permettre des régimes N1 proches de la limite de surrégime du compresseur, et subséquemment piloter l'aéronef en surveillant l'EGT et la pression de l'indicateur de couple. Cette procédure permet au moteur de tourner à des régimes N1 plus élevés et à des couples supérieurs par temps chaud, mais elle engendre également des températures d'entrée turbine (T5) supérieures aux spécifications, ce qui risque d'endommager les composants de la partie chaude. La température des gaz d'échappement (T9) mesurée sur le moteur T53 n'est pas nécessairement proportionnelle à T5 et, par temps chaud, il est possible que T9 soit à l'intérieur des limites alors que T5 soit trop élevée sans qu'on le sache. Les limites de puissance maximale disponible stipulées par le motoriste sont conçues pour maintenir T5 à l'intérieur des spécifications en réduisant le couple disponible lorsque l'OAT [température extérieure] augmente. Pour ce faire, il faut respecter les spécifications de réglage du compensateur de décollage. Si ce réglage est excessif, les températures T5 trop élevées causeront une dégradation des composants de la partie chaude lorsque le moteur fonctionnera par temps chaud.

    On mentionne également que cette procédure augmente le risque que survienne un décrochage destructif du compresseur (rapport d'enquête du NTSB numéro FTW85FA188).

    L'hélicoptère a repris le travail au site Bonaparte Lake. Après quelque 20 minutes de travail, le pilote a transmis un message à l'équipe de maintenance de Kamloops lui demandant de tenir prêt le matériel de vérification de vibrations du moteur. Quelque 30 minutes plus tard, le pilote a signalé au bureau du service de la protection des forêts de la Colombie-Britannique que l'hélicoptère n'était pas en bon état de service et qu'il retournait à Kamloops. Le pilote a déclaré que le capotage de l'appareil vibrait et que le moteur ne produisait pas suffisamment de puissance pour soulever la charge, ce qui causait un affaissementNote de bas de page 3 de la vitesse de rotation du rotor principal. On a installé une trousse de vérification de vibrations (Chadwick-Helmuth 7460A) sur le moteur et on a procédé à un vol d'essai. La vérification de vibrations indiquait que le moteur fonctionnait à l'intérieur de ses spécifications. Par conséquent, l'omission d'effectuer une vérification de vibrations au moment de l'installation initiale du moteur n'a eu aucune répercussion sur la panne en cause, puisque l'on a procédé à une telle vérification avec des résultats satisfaisants quelque 50 minutes de vol après l'installation du moteur. Après le vol d'essai, on a corrigé les problèmes de puissance et d'affaissement au moyen d'une autre petite augmentation du réglage de compensation de décollage N1. Aucun registre d'une vérification de rendement maximal N1 n'a pu être fourni. Le lendemain matin (16 août), l'hélicoptère a été retourné à l'aire de rassemblement et le pilote a totalisé 8,8 heures de temps dans les airs au cours de la journée, pendant laquelle il a fait plusieurs rapports pour indiquer que tout fonctionnait normalement. Aucun autre réglage n'a été apporté au moteur ou à la transmission lorsque l'hélicoptère est retourné à Kamloops dans la soirée, où l'on a avitaillé l'appareil de 563 litres de carburant Jet A (la capacité maximale de l'appareil est de 915 litres).

    On sait que le régime N1 avait été établi à 97,6 pour cent à l'atelier de révision, et que c'était le réglage affiché auquel le moteur produit sa pleine puissance nominale dans des conditions d'atmosphère type internationale au niveau de la mer. Le réglage de compensation de décollage assure une protection contre le surrégime N1 au moyen d'une restriction physique du débit de carburant. Il est possible de faire tourner le moteur à des régimes N1 plus élevés, en s'approchant de la limite de surrégime du compresseur, et cela semble produire tous les effets désirés, c'est-à-dire plus de puissance, tout en semblant demeurer à l'intérieur des paramètres permis de couple moteur et d'EGT (voir l'encadré). Sans la confirmation d'une vérification de rendement maximal N1 après un réglage, on ne peut savoir si le régime N1 respecte les spécifications. Après le dernier réglage de N1, le pilote a utilisé l'hélicoptère le jour suivant et a fourni plusieurs rapports qui indiquaient que le moteur fonctionnait normalement, ce qui laisse croire que le changement avait été profitable. Toutefois, si N1 dépassait les spécifications, des températures T5 excessives pouvaient causer une dégradation des composants de la partie chaude du moteur.

    1.2 Renseignements sur le pilote

    Le pilote, qui était expérimenté et qui connaissait bien le type d'opération en question, avait été engagé par Gemini Helicopters Inc. sur une base temporaire pour servir de relève au pilote normalement assigné à cet hélicoptère. Il était titulaire d'une licence de pilote de ligne (hélicoptère) canadienne valide, et il avait subi une vérification de compétence pilote sur le Bell 204 en juin 2003. Les dossiers indiquent que le pilote totalisait quelque 7500 heures de vol, dont 200 heures sur des hélicoptères Bell 204 au cours des 90 derniers jours. Il avait piloté le C-GEAP au cours des deux dernières semaines de juin et de nouveau à partir du 13 août 2003.

    1.3 Renseignements météorologiques

    L'aire de rassemblement était située à une altitude de quelque 4500 pieds au-dessus du niveau de la mer (asl) dans une zone vallonnée. La végétation était constituée de broussaille dans une forêt principalement formée d'épinettes. Les conditions météorologiques prédominantes étaient un temps ensoleillé, chaud et sec. Au moment de l'accident, une station météorologique du service des forêts de la Colombie-Britannique, située à 14 milles marins au sud-est de l'aire de rassemblement et à une altitude de 3839 pieds asl, a enregistré une température de 20° C avec des vents variables qui atteignaient une vitesse maximale de 8 noeuds tout au long de la journée. Selon le gradient adiabatique normal, la température à l'altitude de l'aire de rassemblement devait être d'environ 19° C. L'aéroport de Kamloops, situé à 33 milles marins au sud de l'aire de rassemblement (à une altitude de 1133 pieds asl) a consigné un calage altimétrique de 30,04 pouces de mercure. À l'altitude moyenne de travail de 4500 pieds asl, les conditions météorologiques présentes au moment de l'accident équivalaient à une densité-altitude de quelque 5900 pieds et à une altitude-pression de quelque 4620 pieds. Le jour précédent, la température était de 5° plus élevée et la vitesse du vent était supérieure de 3 noeuds.

    1.4 Renseignements sur l'aéronef

    1.4.1 Généralités

    L'hélicoptère Bell 204B était équipé d'un seul moteur Honeywell (Lycoming) T5311B à turbine libre, dont la puissance nominale limite à l'arbre était de 1100 horsepower. Au moment de l'accident, l'hélicoptère avait volé pendant quelque 10,9 heures depuis l'installation du moteur et de la transmission.

    L'hélicoptère n'était pas équipé d'un enregistreur de données de vol ni d'un enregistreur de conversations de poste de pilotage, et la réglementation en vigueur de l'exigeait pas.

    1.4.2 Performance de l'aéronef

    Le manuel de vol du Bell 204B indique que, dans les conditions ambiantes présentes, l'hélicoptère pouvait se maintenir en vol stationnaire hors de l'effet de sol à une masse brute de 3484 kg. La masse estimée de l'hélicoptère au moment de l'accident était de 3548 kg. Le réservoir héliporté souple Bambi® avait une capacité maximale de 1225 litres (1225 kg) et une masse brute maximale de 1280 kg. Afin de restreindre la capacité du réservoir, ce dernier était équipé d'une sangle circulaire que l'on pouvait serrer à la main. Lorsqu'on l'a retrouvé, le réservoir souple était configuré à 80 pour cent de sa capacité maximale (980 litres ou 980 kg). La masse maximale au décollage de l'hélicoptère pour les opérations avec charge externe était de 4309 kg. Le centre de gravité de l'appareil n'est pas considéré comme étant un facteur dans cet accident.

    1.4.3 Opérations avec charge externe

    L'hélicoptère en cause était équipé d'un dispositif de référence verticale qui permettait à un seul pilote d'effectuer des opérations d'élingage à partir du siège gauche. Ce dispositif comprenait notamment une pédale supplémentaire pour le largage mécanique du crochet de charge externe ventral.

    L'élingue de 100 pieds de longueur était en toile tressée et était munie à son extrémité inférieure d'un dispositif électrique de largage à distance du crochet de charge auquel le réservoir héliporté était fixé. Une paire de câbles électriques était tressée à l'intérieur de l'élingue pour fournir le courant électrique nécessaire au fonctionnement soit du dispositif de largage à distance du crochet de charge soit du dispositif de largage du réservoir héliporté. Les câbles étaient reliés au mécanisme de largage de l'eau du réservoir, ce qui désarmait ainsi intentionnellement le dispositif de largage à distance du crochet de charge puisqu'il n'était pas requis pour les opérations courantes ou les situations d'urgence. Une rallonge électrique standard était fixée à l'extérieur de l'élingue afin de fournir, à partir d'un boîtier de commande situé entre les sièges des pilotes, l'alimentation électrique nécessaire au fonctionnement d'une pompe d'injection de mousse située à l'intérieur du réservoir héliporté. Comme le réservoir en cause n'était pas équipé d'une telle pompe, la rallonge électrique était inutile.

    L'examen sur place du système de charge externe a révélé que le réservoir héliporté s'était détaché du dispositif de largage à distance du crochet de charge. Le dispositif ne semblait pas être endommagé, et des essais ultérieurs ont confirmé qu'il pouvait fonctionner manuellement et électriquement. La tête de commande du réservoir munie d'une manille était également intacte.

    De façon générale, les hélicoptères ont des régimes de vol critiques à partir desquels les possibilités de réussite d'un vol en autorotation sont extrêmement faiblesNote de bas de page 4. La section sur les limitations du manuel d'utilisation du Bell 204B stipule ces conditions à l'aide d'un graphique de hauteur et de vitesseNote de bas de page 5. Ce graphique incite les pilotes à éviter les opérations dans les conditions d'altitude et de vitesse spécifiées. Toutefois, ces directives ne constituent pas une limitation réglementaire pour les opérations avec charge externe. Les hélicoptères qui participent à des opérations de lutte contre les incendies à l'aide d'un réservoir héliporté (charge externe) doivent régulièrement voler dans ces conditions critiques.

    À l'instar d'autres hélicoptères de taille moyenne ou de grande taille, la poignée du manche de pas cyclique du Bell 204 est munie de cinq interrupteurs; toutefois, la fonction de chaque interrupteur peut varier d'un hélicoptère à l'autre. Les articles 527.865 et 529.865 du Règlement de l'aviation canadien (RAC) exigent la présence d'un système de largage rapide principal pour le crochet de charge externe. Toutefois, rien dans le règlement ni dans la norme ne stipule qu'un interrupteur spécifique doit être assigné à la fonction de largage rapide du crochet de charge externe. Par conséquent, rien n'oblige les constructeurs et les exploitants à adopter une configuration commune pour les fonctions de ces interrupteurs pour les divers types d'opérations avec charge externe. Pour répondre à une préférence d'un pilote précédent, Gemini Helicopters Inc. avait reconfiguré trois de ces interrupteurs sur la poignée : l'interrupteur du milieu (actionné par le pouce) commandait le largage de la charge externe, alors que l'un ou l'autre des deux autres interrupteurs (l'interrupteur du bas actionné par le petit doigt ou l'interrupteur conique supérieur, également actionné par le pouce) actionnait le mécanisme d'ouverture du réservoir d'eau héliporté.

    Le pilote avait accumulé la plus grande partie de son expérience dans des opérations de transport à l'élingue, et ses dossiers de temps de vol révèlent qu'au cours d'au moins 2700 heures de vol accumulées lors de ses opérations les plus récentes, il avait utilisé des appareils munis d'une poignée de manche de pas cyclique qui était configurée de sorte que l'interrupteur inférieur, actionné par le petit doigt de la main droite du pilote, servait au largage rapide du crochet de charge externe. L'hélicoptère en cause était configuré différemment. Même si le pilote savait que la position de l'interrupteur de largage rapide du crochet de charge externe avait été modifiée, et même s'il avait eu l'occasion d'utiliser ce système pendant deux semaines en juin et de nouveau pendant deux jours en août avant l'accident, ce n'était pas le système auquel il était habitué.

    Des études sur le comportement humain laissent croire que, parmi d'autres variables, la quantité relative et finie de pratique a une influence sur le comportement automatique qui sera utilisé dans une situation d'urgence. Le comportement ayant fait l'objet du plus grand nombre de répétitions (pratiques) sera généralement le comportement par défaut (automatique). Selon les conclusions de ces études, pour que le pilote ait pu acquérir un nouveau comportement automatique à la place de l'ancien, il aurait fallu qu'il puisse pratiquer avec la nouvelle configuration d'interrupteurs pendant 30 jours, 85 heures ou 1000 répétitions de plus qu'avec l'ancienne configuration. Sans une telle somme de pratique, il serait difficile pour le pilote de choisir automatiquement l'interrupteur approprié pour larguer la charge externe de l'hélicoptèreNote de bas de page 6.

    Dans une situation d'urgence, le pilote largue normalement l'élingue en commandant l'ouverture du crochet de charge externe. Le succès de cette manoeuvre peut toutefois être compromis par manque de temps à cause de facteurs comme l'altitude, le relief, le type d'urgence et le degré de familiarité du pilote avec le dispositif de largage rapide en cause. Dans le cas présent, le pilote n'a pas largué l'élingue et celle-ci s'est prise dans un arbre pendant la tentative d'atterrissage d'urgence. Il a été impossible de déterminer quelle mesure le pilote a prise en regard de l'élingue, non plus que de confirmer l'état de service des deux dispositifs de largage rapide. Les enquêteurs ont appris que le pilote avait l'habitude de piloter l'hélicoptère avec l'interrupteur du crochet de charge externe en position armée, mais il a été impossible de déterminer dans quelle position se trouvait l'interrupteur à cause des dommages qu'il a subis. Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a identifié des rapports d'événements où les pilotes avaient fait des erreurs dans le largage de la charge externe, dont les rapports suivants :

    A02P0251 - Elaho Valley, Squamish (Colombie-Britannique), MD500D, 9 octobre 2002;

    A00W0020 - Robb Seismic Camp (Alberta), Bell 205A, 22 janvier 2000;

    A87P0025 - Gabriola Island (Colombie-Britannique), Bell 206, 15 mai 1987.

    1.5 Renseignements sur l'épave et sur l'impact

    1.5.1 Généralités

    Le cap final de l'hélicoptère était d'environ 160° supérieur au cap de départ. Le réservoir héliporté s'est détaché de l'élingue au niveau du dispositif de largage à distance du crochet de charge avant l'impact; l'élingue et le dispositif sont demeurés attachés à l'hélicoptère au moment où il approchait de la route. On a retrouvé l'extrémité de l'élingue avec le dispositif de largage à distance du crochet de charge enroulé autour d'un autre arbre dont la cime était arrachée, mais non le tronc, à quelque 80 pieds de l'endroit où se trouvait le réservoir héliporté, dans le sens de la trajectoire de vol. L'élingue reposait en ligne directe entre cet arbre et l'hélicoptère.

    On a trouvé l'hélicoptère reposant sur son côté gauche et tous les composants de la cellule et du système de poussée étaient présents et correctement orientés l'un par rapport à l'autre, à l'exception des stabilisateurs horizontaux, qui étaient situés à proximité, mais qui étaient séparés de la poutre de queue. Cette dernière était également à proximité, mais séparée du fuselage principal aux environs de son point de fixation. L'ensemble rotor de queue, y compris la boîte d'engrenages 90°, était intact et en place sur la dérive, et les bords d'attaque des deux pales ne présentaient aucun dommage d'impact. L'arbre de transmission du rotor de queue montrait une fracture de type en torsion sur presque toute sa circonférence, à peu de distance de la boîte d'engrenages 42°; les deux boîtes d'engrenages contenaient encore de l'huile et la chaîne de commande de pas était intacte. Les pales du rotor principal reposaient en position longitudinale par rapport au fuselage; les pales étaient tordues et brisées vers le bas, mais leur bord d'attaque ne présentait aucun dommage d'impact. L'ensemble de commande du rotor principal était correctement orienté par rapport au reste de l'aéronef, mais le mât du rotor principal était détaché de la transmission. Le boîtier de la transmission était complètement fondu, et les engrenages internes étaient visibles. L'arbre creux d'entrée transmission reposait sur des débris fondus de la transmission, mais demeurait fixé au moteur par l'arbre de transmission principal. Le pignon d'attaque n'était pas brisé. La cabine de l'aéronef était lourdement endommagée par l'incendie qui a suivi l'écrasement, et il ne restait pas grand chose des instruments ni des panneaux électriques.

    1.5.2 Examen du moteur

    L'examen du moteur effectué après l'accident a révélé qu'il n'y avait pratiquement aucun dommage à la section de la turbine de travail (PT), au boîtier d'entraînement des accessoires et à la boîte de réduction du moteur; toutefois, il y avait d'importants dommages à la section du générateur de gaz. Cette dernière comprend principalement cinq disques de compresseur axial (chacun précédé d'une entretoise) plus un seul étage de compresseur centrifuge, le tout entraîné par une turbine de compresseur (CT) à un seul étage située à la sortie de la chambre de combustion. Autour de chaque entretoise, entre les aubes des disques axiaux séquentiels, se trouve un ensemble d'aubes fixes de stator fixées au carter extérieur du compresseur.

    Pendant l'examen en cours de démontage du moteur, on a observé que toutes les aubes des disques axiaux des quatrième et cinquième étages étaient fracturées au niveau du talon de l'aube ou près de celui-ci. Vingt talons d'aube et treize montants du disque du quatrième étage étaient brisés au niveau du centre du disque lui-même. Les débris, y compris les vingt talons d'aube, ont été trouvés empilés dans le carter inférieur du compresseur, la moitié à l'emplacement des disques axiaux des quatrième et cinquième étages.

    Après avoir retiré les débris matériels du compresseur, le rotor du compresseur, y compris la turbine, pouvait tourner. Les extrémités d'aube des disques axiaux des trois premiers étages montraient des souillures de métal dans les deux directions; les étages étaient de plus en plus souillés de l'avant vers l'arrière. Le premier, le deuxième, le troisième et le quatrième stators et les aubes directrices de sortie montraient tous des zones localisées de rayures, de décoloration du métal et de déformation sur la partie extérieure de la lèvre longitudinale où il y a eu contact avec les entretoises. Les dommages subis par les stators variaient de criques localisées au niveau des talons d'aube du deuxième stator à du rainurage, des déchirements et une déformation vers l'avant des aubes directrices de sortie. Les cinq entretoises montraient de profondes rayures à l'endroit où il y avait eu contact entre les entretoises et la lèvre des ensembles d'aubes fixes de stator. L'extrémité arrière de l'entretoise de quatrième étage (entre les disques axiaux de quatrième et cinquième étages) montrait les dommages les plus importants et portait une rainure qui avait traversé l'entretoise sur environ un tiers de sa circonférence.

    Le dernier étage du compresseur est le rouet centrifuge. Même s'il y avait d'importantes rainures sur l'entrée du carter du rouet, les dommages sur les aubes du rouet étaient surtout concentrés sur les bords d'attaque, et on ne trouvait que quelques encoches et rayures plus à l'arrière. Le carter du rouet (du côté avant du rouet) montrait des creux dont la forme correspondait à celle des aubes du rouet. Comme il n'y avait aucun signe de souillures métalliques dans les creux, le Laboratoire technique du BST a conclu qu'il est probable que l'ensemble rotor n'était pas en rotation au moment de l'écrasement.

    On a pris des mesures de déviation des entretoises des troisième, quatrième et cinquième étages et des extrémités d'aubes des trois premiers étages axiaux avant le démontage du rotor du compresseur (l'instrument de mesure ne pouvait atteindre les entretoises des premier et deuxième étages). Lorsque les données ont été reportées sur un graphique à coordonnées polaires, les mesures des extrémités d'aube ont révélé des formes ovales ou elliptiques. L'ovalisation des extrémités d'aube devenait progressivement plus prononcée du premier étage au troisième étage. Les tracés graphiques des mesures des trois entretoises arrière révélaient des formes rondes centrées loin de l'axe principal du rotor, la déviation maximale se situant au niveau de l'entretoise du quatrième étage. Le Laboratoire du BST a examiné les composants démontés du rotor du compresseur et a confirmé que la longueur des aubes des trois premiers étages axiaux variait autour de la circonférence de chaque composant et d'un composant à l'autre. Le Laboratoire du BST a également conclu qu'il n'y avait aucun signe d'un corps étranger qui aurait pénétré à l'intérieur du compresseur. Toutes les surfaces de fracture des disques et des aubes qui n'étaient pas souillées montraient des signes de défaillance en surcharge; les autres surfaces de fracture étaient trop souillées pour que l'on puisse tirer une conclusion sur le mode de défaillance. Toutefois, l'état des surfaces de fracture et les nombreux fragments de matériau d'aubes laissent croire que l'ensemble rotor a continué à tourner pendant quelque temps après la défaillance initiale.

    À l'extrémité de sortie de la chambre de combustion, les gaz chauds traversent un ensemble d'aubes directrices fixes qui dirige les gaz vers les aubes de la turbine du compresseur (CT). Après avoir traversé les aubes de la CT, les gaz passent au travers d'un autre ensemble d'aubes directrices fixes qui les dirige vers les aubes de la turbine de travail (PT) avant qu'ils ne sortent du moteur. La distance entre les disques de la CT et de la PT est d'environ 5 cm, et les aubes directrices de la PT occupent la plus grande partie de cet espace. On a observé qu'environ la moitié des aubes directrices de la CT montrait des dommages inégaux sur leur bord de fuite, ce qui révèle une fusion. Les extrémités et les bords de fuite de toutes les aubes de la CT montraient le même type de dommage et leur taille était réduite de quelque 30 pour cent. Les aubes directrices de la PT montraient de légers dommages au niveau des bords d'attaque des aubes, tandis que les aubes de la PT étaient pratiquement intactes. L'ensemble rotor du compresseur est supporté à chaque extrémité par un palier; aucun des deux paliers n'était endommagé.

    On a vérifié l'équilibre dynamique du disque de la CT (tel qu'il a été trouvé) et on a constaté qu'il était au-delà des spécifications. On a donc recherché d'autres indications d'une oscillation latérale de la CT qui aurait pu migrer vers l'avant à travers le palier numéro deux et exercer une force de flexion externe sur l'axe de rotation rigide du rotor du compresseur. On n'a découvert aucun indice pour appuyer l'hypothèse d'une progression des dommages dans cette direction. De tels indices auraient pu être des signes de frottement sur le carter entourant le disque de la CT, des dommages sur le palier numéro deux, un contact entre l'arbre à extrémité creuse du rotor du compresseur et l'arbre de travail qui tourne à l'intérieur de celui-ci (en sens opposé), ou des dommages thermiques aux aubes fixes et mobiles de la PT, ce qui aurait laissé croire à un état de surchauffe prolongé.

    Le rotor du compresseur est un « empilage » de plusieurs pièces pour lesquelles le motoriste a établi des procédures spécifiques décrites dans le manuel de révision. Ce sont les ateliers de réparation et de révision agréés qui peuvent effectuer ce travail. La firme Cappsco International Corp., qui a révisé le moteur en cause, est agréée par la Federal Aviation Administration (FAA) des É.-U. pour ce type de travail et elle fait l'objet de vérifications régulières de la part de la FAA. Aux États-Unis, la réglementation exige que les ateliers de maintenance appliquent des procédures de contrôle de la qualité et qu'ils emploient uniquement du personnel qualifiéNote de bas de page 7.

    On a examiné les dossiers et les procédures utilisés pour effectuer le travail de révision sur le moteur en cause. On a découvert que, au cours de la procédure d'assemblage du rotor du compresseur, les composants de l'ensemble ont été empilés verticalement en commençant par l'extrémité arrière. Après la mise en place du disque de deuxième étage, on a installé l'arbre de travail et le manchon interne, on a ensuite placé l'entretoise de premier étage chauffée, suivie du disque du premier étage. Les trous de boulon du disque du premier étage doivent être alignés avec les trous de boulon du manchon interne, et le motoriste a prévu deux tiges de guidage à visser à l'intérieur des trous de boulon du manchon interne afin de faciliter l'alignement de ces trousNote de bas de page 8. Toutefois, on a utilisé un poinçon tenu à la main pour effectuer cette tâche. Ce même poinçon a ensuite été utilisé pour tenter de faire pivoter les deux pièces uniformément afin d'aligner les languettes internes et les fentes des disques du premier et du deuxième étages, dont la vue était obstruée par le manchon. Le résultat de cette opération a été que les languettes et les fentes des disques de compresseur du premier et du deuxième étages n'étaient pas alignées et ne s'emboîtaient pas correctement avec l'entretoise du premier étage. D'après des renfoncements sur le disque du deuxième étage du compresseur (pièce neuve), on a tenté au moins à deux reprises de faire emboîter les disques du premier et du deuxième étages du compresseur alors que leurs fentes et leurs languettes respectives n'étaient pas alignées. Ce faisant, on a brisé le coin supérieur de chaque languette. Au cours du processus de compression final, un fragment du matériau enlevé a été écrasé entre les deux disques aux dimensions de l'espace restant lorsque les deux disques axiaux ont été pressés contre la circonférence extérieure de l'entretoise du premier étage. Le Laboratoire du BST a découvert des dommages semblables sur la surface correspondante arrière des fentes d'alignement du disque de cinquième étage et sur les languettes d'alignement du rouet (également une pièce neuve). Avant d'installer le manchon, on peut vérifier que les languettes et les fentes sont correctement engagées les unes dans les autres. Comme l'ajustement entre les entretoises et les disques est serré, les entretoises sont préchauffées pour faciliter l'assemblage, ce qui oblige l'installateur à terminer la tâche en temps voulu.

    L'ensemble rotor du compresseur ainsi assemblé est alors comprimé à l'aide d'une presse hydraulique. On stipule d'effectuer trois cycles de compression et de relâchement avant de serrer les dix boulons de retenue du disque de premier étage au couple prescritNote de bas de page 9. Dans le cas présent, on n'a appliqué qu'une seule charge de compression. Le motoriste n'a pas fourni d'explication sur la nécessité des trois cycles de compression, ni sur les conséquences de ne pas suivre cette procédure.

    La mesure de longueur de l'ensemble rotor du compresseur dont il est fait mention dans le manuel de révision, soit la dimension « A », est une comparaison des trois mesures prises autour de la circonférence pendant le cycle de compression final dans la presse hydraulique et de nouveau à la sortie de la presse pour déterminer si le plan du disque de premier étage est bien perpendiculaire à l'axe de l'ensemble. La dimension « A », prise après que l'ensemble soit sorti de la presse, doit être consignéeNote de bas de page 10. Cette dimension n'a toutefois pas été mesurée pendant que l'ensemble rotor était dans la presse hydraulique, ni après sa sortie de la presse. Une autre longueur, mesurée entre les épaulements des paliers numéro un et numéro deux a été prise et consignée, et on a déterminé qu'elle était conforme aux spécifications. On a remarqué au cours de l'enquête que, lorsque les dimensions de toutes les pièces concernées sont additionnées, la dimension entre les épaulements des paliers numéro un et numéro deux se situe automatiquement à l'intérieur des spécifications, même sans appliquer aucune compression sur l'ensemble.

    L'ensemble rotor du compresseur a été équilibré avant son installation dans le moteur, et les vérifications de vibrations subséquentes, à la fois au banc d'essai et pendant un vol d'essai après installation dans l'hélicoptère, n'ont révélé aucune anomalie.

    Même si le moteur n'a pas été complètement détruit dans l'incendie qui a suivi l'écrasement, il a néanmoins été exposé à une chaleur suffisante pour déformer les surfaces extérieures et pour brûler les tuyaux flexibles et les faisceaux de câbles. On a jugé qu'il était peu probable que les garnitures et les joints internes du régulateur de carburant (FCU) soient demeurés intacts, c'est pourquoi on a décidé de ne pas tester le FCU ni de le démonter pour fins d'examen.

    Par radiographie, on a déterminé que l'électrorobinet de surpassement manuel (d'urgence) du FCU, que le pilote peut sélectionner pour contourner le régulateur de la turbine de travail (PTG) et commander manuellement le débit de carburant, était en position automatique/normale.

    L'air fournie par le compresseur sert non seulement à la combustion mais aussi au refroidissement du moteur; ainsi, toute réduction du débit d'air causée par une défectuosité du compresseur lui-même peut engendrer une augmentation des températures internes du moteur. Comme nous l'avons décrit plus haut, les aubes du rotor du compresseur montraient des signes de frottement (contact entre un rotor et son stator). Le frottement est généralement causé par un déséquilibre de masse, une fracture d'une aube de turbine ou de compresseur, des paliers ou des joints défectueux, ou par un mauvais alignement du rotor, qu'il soit thermique ou mécaniqueNote de bas de page 11.

    La transmission avait également été récemment installée dans l'hélicoptère, et on a examiné les dossiers de maintenance concernant la révision et les réparations subséquentes avant l'installation. Étant donné son état, on n'a pas procédé à un examen détaillé en cours de démontage de la transmission ni d'aucune partie de la chaîne dynamique. De plus, sur ce modèle d'hélicoptère, une défaillance de la chaîne dynamique ne pourrait pas causer une auto-destruction de la section générateur de gaz du groupe motopropulseur.

    1.6 Renseignements sur l'incendie

    La source du déclenchement de l'incendie après écrasement n'a pas été déterminée. Les réservoirs de carburant du Bell 204 sont situés dans les coins inférieurs arrière de la structure de la cabine; le C-GEAP était équipé de gros réservoirs de carburant d'une capacité de 915 litres. On avait fait le plein des réservoirs de l'hélicoptère au cours de la soirée précédente avec du turbocombustible de qualité Jet A. Au moment de l'accident, il devait y avoir quelque 810 litres de carburant à bord.

    Analyse

    2.1 Généralités

    La décision du pilote d'effectuer un virage pour se diriger vers le chemin forestier indique qu'il avait sans doute détecté un problème et qu'il retournait à l'aire de rassemblement, mais qu'il n'a pas eu le temps d'atteindre le chemin. Étant donné la trajectoire de vol, il est probable que la panne moteur a pris la forme d'une détérioration rapide et progressive avant la défaillance finale du compresseur. La combinaison d'altitude et de caractéristiques du relief ont placé l'hélicoptère dans un régime de vol où la probabilité de réussite d'un vol en autorotation était minimale. L'accrochage du réservoir héliporté dans les arbres suivi de celui de l'élingue toujours reliée à l'appareil ont compromis encore davantage la capacité du pilote à réussir un atterrissage d'urgence. La réaction du pilote à ces événements peut fournir une explication sur la perte de régime du rotor. Puisque l'on considère que ni le rendement de l'hélicoptère ni la chaîne dynamique n'entrent en ligne de compte dans cet accident, l'analyse portera principalement sur la perte de puissance du moteur et sur les raisons pour lesquelles l'élingue est demeurée attachée à l'hélicoptère.

    2.2 Perte de puissance moteur

    Les résultats de l'examen en cours de démontage du moteur ont révélé que les deux événements suivants sont survenus dans la section du générateur de gaz : une température excessive au niveau de la turbine du compresseur, et un contact entre les ensembles rotor et stator du compresseur.

    2.2.2 Température excessive de la turbine

    La rapport du pilote qui signalait une diminution de N2 indiquait que le moteur atteignait le débit carburant maximal autorisé par le réglage de compensation de décollage N1. Subséquemment, le pilote a légèrement augmenté la compensation de décollage N1 sur le FCU. Comme la masse de l'hélicoptère et celle du réservoir héliporté chargé dépassaient la masse maximale pour le vol stationnaire hors de l'effet de sol dans les conditions existantes, il fallait utiliser une technique de pilotage efficace de même que le plus de puissance moteur possible pour parvenir à soulever hors du lac le réservoir héliporté chargé. Même si un réglage de compensation de décollage du FCU plus élevé que la normale ne devrait pas amener le générateur de gaz à dépasser la limite permise, ce réglage n'assurerait pas de protection contre un surrégimeNote de bas de page 12 pour d'autres raisons, comme une demande de puissance élevée. Comme l'hélicoptère soulevait mieux la charge après le réglage final de la compensation de décollage N1 et que la compensation avait été réglée à au moins deux reprises depuis l'installation du moteur dans l'hélicoptère, il est possible que le moteur ait alors été utilisé à un régime N1 plus élevé que la limite affichée. Si ce réglage était trop élevé, il est possible que le moteur ait fonctionné à l'intérieur de la plage EGT recommandée, mais dans une plage où les températures internes du moteur atteignaient des valeurs excessives non déterminées, ce qui augmentait le risque de dégradation des composants de la partie chaude du moteur.

    ***Comme les aubes de la PT et même les aubes directrices de sortie de la PT, situées immédiatement derrière la CT, n'ont pas subi les dommages thermiques constatés sur les aubes de la CT, on peut conclure qu'il y a eu une augmentation subite de la température, mais la température excessive n'a pas duré assez longtemps pour faire fondre les aubes mobiles et les aubes directrices de sortie de la PT avant l'extinction du moteur. Puisque l'on n'a effectué aucun réglage de rendement maximal N1 au cours d'une période d'environ neuf heures d'utilisation du moteur avant l'accident, il est peu probable qu'un réglage de compensation N1 excessif ait pu produire le type d'augmentation subite de température constaté. Toutefois, lorsque la dégradation du compresseur a entraîné une augmentation du débit carburant par le régulateur de la turbine de travail, tout dommage attribuable à une température excessive aurait sans doute été accéléré par un débit carburant supérieur à la normale.

    2.2.3 Contact du rotor du compresseur

    On a demandé au Laboratoire du BST d'expliquer les formes elliptiques des tracés des mesures des extrémités d'aube du compresseur (voir section 1.5.2, alinéa 5). Voici un résumé des conclusions :

    [Traduction]

    Les composants qui forment l'ensemble rotor ont tous une forme circulaire et sont con çus pour tourner autour de leur centre géométrique (axe de rotation). Un élément de conception critique de tout ensemble qui tourne à des vitesses de rotation élevées est l'équilibrage de chaque composant et de l'ensemble au complet. En état d'équilibre, le centre de masse du rotor (axe de masse) est le même que l'axe de rotation du rotor. Un état de déséquilibre est causé par le déplacement de l'axe de masse par rapport à l'axe de rotation par l'addition ou la soustraction de matériau (masse). En état de déséquilibre, les forces centrifuges provoquent des oscillations latérales de l'ensemble tournant qui sont susceptibles de provoquer un contact avec les composants fixes. Les conséquences d'un tel contact peuvent être aussi minimes qu'un frottement (souillure) des extrémités d'aube ou aussi graves qu'une destruction complète du moteur. Puisque le rotor a fait l'objet d'un équilibrage dynamique et de vérifications de vibrations sur le moteur à l'atelier de révision, et de nouveau après l'installation du moteur dans l'hélicoptère, on peut conclure que l'axe de masse de l'ensemble rotor était le même que son axe de rotation. La forme elliptique du tracé des extrémités d'aube était attribuable aux différences de longueur des aubes probablement causées par un désalignement subséquent de l'ensemble rotor.

    Les dommages découverts à l'intérieur du rotor du compresseur ne peuvent être apparus que pendant la révision, et il n'y a aucun écart connu par rapport à la procédure de révision stipulée. Par conséquent, le Laboratoire a également examiné les composants du rotor pour déterminer si, en raison d'une compression incomplète du rotor pendant l'assemblage, il aurait pu se produire une compression subséquente pendant le fonctionnement du moteur, ce qui aurait desserré les boulons de retenue et permis à l'ensemble de fléchir et d'osciller dans l'axe latéral. Le Laboratoire a rapporté que :

    [Traduction]

    . . . si les vis se seraient subs équemment desserrées pendant le fonctionnement du moteur, alors les composants du rotor n'auraient pas conservé leur compression, et il est alors raisonnable de croire que du mouvement relatif serait survenu entre les composants adjacents, ce qui se serait manifesté par des signes comme de l'usure par frottement sur leurs surfaces correspondantes, mais les examens au microscope optique effectués par le Laboratoire n'ont rien révélé de la sorte, ni sur les surfaces correspondantes, ni sur aucune des dix vis.

    Puisque l'ensemble rotor du compresseur a été équilibré avant d'être installé dans le moteur et que les vérifications de vibrations subséquentes n'ont pas révélé d'anomalie, on peut conclure que le fragment de matériau écrasé que l'on a découvert entre les disques du premier et du deuxième étages du compresseur n'a pas eu d'influence sur la dimension finale ou l'alignement de l'ensemble rotor. La forme ovalisée indique que l'ensemble rotor a tourné en état de déséquilibre. Après chaque contact, le centre de masse du rotor a changé, entraînant une rotation autour d'un nouvel axe de masse, ce qui a empiré la situation. Aucune conclusion n'a pu être tirée sur le mode de défaillance des surfaces de fracture des aubes souillées. Il est possible qu'une défaillance progressive ou une défaillance attribuable à la fatigue se soit produite, mais aucun indice concluant n'a été trouvé.

    La somme de tous les renseignements recueillis nous amène à la conclusion que, pour des raisons indéterminées, un déséquilibre s'est produit dans le rotor du compresseur pendant que le moteur tournait. Ce déséquilibre a produit une oscillation latérale et un contact subséquent entre l'ensemble rotor et les composants fixes environnants. De concert avec ces anomalies, toute perturbation de l'écoulement d'air et tout frottement propre à ralentir le rotor du compresseur ont entraîné une réduction du débit d'air vers la chambre de combustion, ce qui a eu pour effet d'enrichir le mélange air-carburant et d'augmenter la température au niveau des aubes directrices de sortie et du disque de la CT. Une perte d'efficacité du compresseur a provoqué une baisse de N2 (vitesse de rotation de la PT et du rotor principal), ce qui a amené le PTG à augmenter le débit carburant (augmentant ainsi la vitesse de rotation du compresseur vers la limite de rendement maximal) afin de maintenir N2 au régime choisi (100 pour cent), augmentant ainsi encore plus la température au niveau des aubes directrices de sortie de la CT et jusqu'au point de fusion des aubes du disque de la CT. Si le compresseur fonctionnait déjà à des régimes N1 supérieurs à la limite affichée, le processus susmentionné aurait été accéléré. De plus, le jeu d'extrémité des aubes du compresseur peut également avoir été réduit, augmentant ainsi le risque de contact entre les composants fixes et tournants. Lorsque le contact des aubes est devenu suffisamment important, les aubes des quatrième et cinquième étages du compresseur ont commencé à se rompre en surcharge, ce qui a entraîné la destruction de toutes ces aubes. Il s'en est suivi une panne totale du moteur avant que les aubes mobiles et les aubes directrices de sortie de la PT ne commencent à fondre.

    2.3 Opérations avec charge externe

    Le circuit électrique du dispositif de largage à distance du crochet de charge de l'élingue avait été intentionnellement neutralisé; par conséquent, le pilote ne pouvait larguer le réservoir héliporté attaché à l'élingue. Selon les discussions et les démonstrations, il est possible de tordre une manille de manière à ce qu'elle se libère du crochet de charge et, puisque ni le dispositif de largage à distance du crochet de charge ni la tête de commande et la manille du réservoir héliporté n'étaient endommagés, on peut conclure que c'est sans doute l'explication la plus probable du fait que le réservoir héliporté se soit détaché lorsqu'il a heurté les arbres.

    L'emplacement de l'interrupteur de largage de charge externe varie d'un hélicoptère à l'autre et d'un exploitant à l'autre. Par conséquent, lorsqu'un pilote passe d'un hélicoptère à l'autre ou d'un exploitant à l'autre, il n'est pas familier avec la position de cet interrupteur. En situation d'urgence, le pilote n'est alors pas en mesure d'agir rapidement et instinctivement pour actionner l'interrupteur du dispositif de largage d'urgence.

    Dans l'hélicoptère en cause, la position de l'interrupteur sur la poignée du manche de pas cyclique n'était pas celle à laquelle le pilote était habitué. Il est fort probable que le pilote n'avait pas encore eu le temps de modifier son comportement automatique de manière à activer instinctivement dans une situation d'urgence l'interrupteur de largage de charge externe qui se trouvait dans une « nouvelle » position. Par conséquent, il est probable que l'action du pilote dans la situation d'urgence n'a pas permis de déclencher l'ouverture du mécanisme de largage du crochet de charge externe et que l'élingue soit demeurée attachée à l'hélicoptère et qu'elle se soit prise dans un arbre pendant que l'appareil était encore en vol. Ce facteur a compromis encore davantage les possibilités de survie à cet accident. Il a été impossible de spéculer si des éléments comme le port d'un harnais de sécurité par le pilote, la solidité de son siège ou la vulnérabilité de l'aéronef aux forces d'impact ou à l'incendie qui a suivi l'écrasement auraient pu modifier les possibilités de survie du pilote à l'impact.

    La réglementation actuelle ne stipule pas d'emplacement spécifique pour l'interrupteur de largage de charge externe; par conséquent, les nombreuses variations constituent un risque de tentative infructueuse de largage ou de largage accidentel. La réglementation exige la présence d'un deuxième dispositif de largage rapide de charge externe. La pédale de commande de largage installée dans l'hélicoptère en cause était une méthode de largage approuvée, mais son efficacité est compromise par le fait que pour l'utiliser, le pilote doit lever le pied d'une commande de vol primaire dans une situation d'urgence. Dans le rapport d'enquête A93W0159 du BST, on a déterminé que le pilote n'avait pas pu utiliser la pédale parce qu'il ne maîtrisait pas le comportement de l'hélicoptère.

    L'enquête a donné lieu au rapport de laboratoire suivant :

    • LP 111/2003 – Engine Analysis (Analyse du moteur).

    Le présent rapport est disponible sur demande auprès du Bureau de la sécurité des transports du Canada.

    3.0 Conclusions

    3.1 Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

    1. Un déséquilibre de l'ensemble rotor du compresseur du moteur s'est produit pendant l'utilisation du moteur, ce qui a provoqué un contact entre les ensembles rotor et stator. Ce contact a provoqué la destruction de l'ensemble rotor du compresseur et la panne totale du moteur. Aucune conclusion n'a pu être tirée sur le mode de défaillance qui a causé le déséquilibre.
    2. La combinaison d'altitude, de caractéristiques du relief et de la présence d'une élingue traînante a compromis la capacité du pilote à réussir un atterrissage d'urgence en autorotation.

    3.2 Faits établis quant aux risques

    1. Certaines procédures utilisées dans le processus de révision du moteur n'étaient pas conformes au manuel de révision du motoriste; l'omission de suivre les instructions du motoriste pourrait compromettre l'intégrité de l'ensemble et provoquer une panne.
    2. Les réglages sur place de la compensation de décollage du régulateur carburant du moteur sans la confirmation d'une vérification de rendement maximal N1 entraînent le risque d'une utilisation fréquente ou continue à des régimes de générateur de gaz et à des températures internes supérieures aux limites prescrites.
    3. Le fait que l'interrupteur de largage de charge externe n'est pas placé toujours au même endroit augmente le risque de confusion du pilote dans une situation d'urgence lorsqu'il tente d'actionner le mécanisme d'ouverture du crochet de charge externe, ce qui pourrait rendre plus compliqué un atterrissage d'urgence.
    4. Le dispositif de largage rapide de charge externe à pédale de secours est un système approuvé, mais son efficacité est réduite, car le pilote doit lever le pied d'une commande de vol primaire dans une situation d'urgence.

    4.0 Mesures de sécurité prises

    Le 9 décembre 2003, la Federal Aviation Administration (FAA) a effectué une inspection des installations et des procédures de Cappsco International. La FAA a déterminé que, au moment de l'inspection, les inspecteurs étaient convaincus que la firme Cappsco International possédait les données, l'expérience et les connaissances nécessaires pour effectuer correctement la révision des moteurs pour lesquels elle était qualifiée.

    Tous les utilisateurs canadiens du moteur T5311B ont été informés des préoccupations reliées à la sécurité identifiées au cours du processus de révision dans les ateliers de Cappsco International.

    La compagnie Gemini Helicopters Inc. a normalisé les poignées de manche de pas cyclique de tous ses aéronefs (à l'exception des Robinson 44, qui ne sont pas compatibles pour une telle modification) afin que les interrupteurs soient dans la même position sur chaque type d'appareil. Elle a également installé la commande de largage d'urgence (manuelle) sur le manche de pas collectif dans ses Eurocopter AS350 et elle est présentement à la recherche de certificats de type supplémentaires applicables aux autres appareils de sa flotte. La raison de cette modification est que l'actionnement des systèmes de largage d'urgence (poignées ou pédales distinctes) installés dans les autres aéronefs nécessite également l'utilisation de la main ou du pied, ce qui oblige le pilote à lâcher une commande de vol pour larguer la charge externe à l'aide du dispositif manuel. Lorsque la commande est placée sur le collectif, il devient possible de l'actionner sans que le pilote doive retirer ses mains ou ses pieds des commandes de vol primaires.

    Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .

    Annexes

    Annexe A - Ensemble rotor du compresseur

    Annexe B - Glossaire

    asl
    au-dessus du niveau de la mer
    BST
    Bureau de la sécurité des transports du Canada
    C
    Celsius
    cm
    centimètre
    CT
    turbine de compresseur
    EGT
    température de gaz d'échappement
    FAA
    Federal Aviation Administration (E.-U.)
    FCU
    régulateur de carburant
    kg
    kilogramme
    N1
    désigne la vitesse de rotation du générateur de gaz (compresseur) et est exprimée en pourcentage du régime nominal
    N2
    désigne la vitesse de rotation de la turbine de travail et est exprimée en pourcentage du régime nominal
    NTSB
    National Transportation Safety Board (U.S.)
    PT
    turbine de travail
    PTG
    régulateur de la turbine de travail
    RAC
    Règlement de l'aviation canadien
    T5
    température d'entrée de la turbine
    T9
    température des gaz d'échappement
    °
    degré