Perte de maîtrise - mauvais régime rotor
du Robinson R44 (hélicoptère) C-GRDI
exploité par Trek Enterprises Inc.
à 10 nm au sud-est de Peace River (Alberta)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Le 9 avril 2003, l'hélicoptère Robinson R44, immatriculé C-GRDI et portant le numéro de série 0900, part pour un vol local de familiarisation à partir des installations de Trek Enterprises situées à quelque 10 milles marins au sud-est de Peace River (Alberta). Le commandant de bord est accompagné par le futur pilote en chef de l'entreprise, lequel se trouve à bord pour apprendre à connaître le pilote et l'hélicoptère. Après quelques circuits, l'appareil se dirige vers la zone d'entraînement de l'entreprise, où un certain nombre d'exercices d'autorotation avec rétablissement au moteur sont effectués. À deux reprises au moins pendant ces exercices, le régime moteur dépasse la limite permise. Au cours de la quatrième autorotation, alors que le commandant de bord pilote l'hélicoptère, la vitesse et le régime rotor diminuent à un point tel que l'hélicoptère ne peut rester en vol et finit par s'écraser dans un endroit boisé. L'appareil est lourdement endommagé, mais il n'y a aucun incendie consécutif à l'impact. Les deux pilotes subissent de graves blessures aux membres inférieurs. L'accident se produit vers 15 h 15, heure avancée des Rocheuses.
Le système satellitaire de recherche et de sauvetage signale le déclenchement d'une radiobalise de repérage d'urgence et, au second balayage, il est en mesure de calculer l'endroit précis d'où provient le signal. Vers 20 h, heure avancée des Rocheuses, le propriétaire retrouve l'appareil grâce à l'hélicoptère d'une entreprise du voisinage. Les pilotes sont évacués vers l'hôpital de Peace River avant d'être transférés à Edmonton (Alberta).
Renseignements de base
Plut tôt ce matin-là, le vol dont il est question ici avait été précédé d'un autre vol de familiarisation effectué par le pilote en compagnie du propriétaire et gestionnaire des opérations de l'entreprise, lui-même n'étant pas pilote. Ce vol avait duré environ une demi-heure et avait consisté en des exercices de circuit et en un vol local. Après le repas, le commandant de bord est parti avec le futur pilote en chef pour effectuer un autre vol de familiarisation. Le commandant de bord avait piloté pour le compte de l'entreprise l'année précédente, et il s'apprêtait à reprendre du service dans les deux prochains jours. Quant au futur pilote en chef, en vue de sa prise de fonction prochaine à titre de pilote en chef et de pilote instructeur, il était passager au cours du vol afin d'apprendre à connaître le commandant de bord et d'acquérir une certaine expérience sur l'hélicoptère R44.
Le vol n'était pas censé être un vol de formation, et aucun des deux pilotes n'avait procédé à un exposé prévol dans le but de discuter des concepts et des procédures de formation en vol. En cours de vol, le futur pilote en chef a demandé à observer certaines manoeuvres, notamment des exercices d'autorotation avec rétablissement au moteur. Bien que quelque peu réticent à faire les exercices, le commandant de bord s'est dit que le futur pilote en chef devait posséder une expérience suffisante des hélicoptères pour assurer la sécurité du vol. Il savait également que son collègue était sur le point d'être nommé pilote en chef.
Le futur pilote en chef a effectué une démonstration de la première autorotation, le commandant de bord suivant ce qui ce passait en touchant légèrement les commandes. Au cours du rétablissement au moteur, le futur pilote en chef a demandé une vérification de puissance. Le commandant de bord a remarqué que la manette des gaz n'était pas poussée à fond, et il s'est appliqué à corriger la situation. À ce moment-là, une survitesse moteur dépassant 114 % a été constatée, le rotor principal subissant la même survitesse (l'indicateur ne monte pas plus haut que 114). Au cours d'une autorotation subséquente, le commandant de bord a provoqué une seconde survitesse de quelque 110 %.
Au cours de la quatrième autorotation, laquelle était exécutée par le commandant de bord, l'hélicoptère a vu sa vitesse diminuer jusqu'à quelque 50 noeuds pendant un virage à droite ramenant l'appareil vers le terrain d'exercice. À ce moment-là, l'avertisseur sonore de bas régime rotor a retenti, et les commandes de pas cyclique et collectif ont commencé à se déplacer de façon désordonnée. Le futur pilote en chef n'est pas intervenu, car il ne connaissait pas bien l'hélicoptère, et il a supposé que le commandant de bord avait la maîtrise de l'appareil. L'hélicoptère est descendu dans une zone boisée voisine du terrain d'exercice et a percuté le sol.
Le R44 est muni d'un rotor principal à faible inertie, et son manuel de vol recommande de faire les exercices d'autorotation à une vitesse indiquée de 70 noeuds. De plus, un avertissement précise ceci : [TRADUCTION] « pendant des pannes moteur simulées, il va y avoir une diminution rapide du régime rotor qui exige d'abaisser immédiatement le levier de pas collectif pour éviter toute situation dangereuse de bas régime rotor ». Les avis de sécurité (SN) de Robinson SN10, SN20 et SN24 traitent des questions de décrochage à bas régime rotor de l'hélicoptère R44.
Aucune référence faisant allusion aux restrictions de survitesse n'a été trouvée dans le manuel de vol, un régime moteur maximal de 102 % (2692 tr/min) étant indiqué dans la rubrique consacrée aux limites. À l'article 2.540, le document intitulé Robinson Maintenance Manual Model R44 (MMR44) renvoie au bulletin de service 369 de Textron-Lycoming, lequel précise que, dans le cas des giravions équipés de moteurs Textron-Lycoming, [TRADUCTION] « aucune survitesse passagère n'est permise ». Ce même article 2.540 du MMR44 porte également sur différents niveaux de survitesse du rotor et sur les critères d'inspection correspondant à chaque niveau. Le commandant de bord était au courant des restrictions mais, en dépit de ses réticences, il a décidé de poursuivre le vol.
Le commandant de bord était titulaire d'une licence valide de pilote professionnel (hélicoptère) et était qualifié sur R22 et R44; de plus, il attendait sa qualification sur Bell 206 (BH06). Il totalisait quelque 375 heures de vol, dont environ 270 sur R44, y compris les 56 heures accomplies durant la saison précédente entre avril et septembre 2002. Le 26 avril 2002, il avait subi un contrôle de compétence pilote sur R44. De janvier 2003 à mars 2003, le pilote avait effectué 20 heures de formation en vol sur BH06 dans le but d'obtenir sa qualification de type. Le BH06 est différent du R44, en ce sens qu'il possède un rotor principal à forte inertie, ce qui signifie que le régime rotor ne diminue pas aussi rapidement que ne le fait celui d'un R44 en cas de variations de vitesse ou de puissance. Le pilote devait être prêt à voler à compter du 11 avril 2003, et il n'avait pas été aux commandes d'un R44 depuis qu'il avait quitté l'entreprise à la fin de la saison de vol en septembre 2002.
En vertu de la réglementation actuelle, le commandant de bord respectait les exigences de l'article 401.05 du Règlement de l'aviation canadien (RAC) traitant de la mise à jour des connaissances et du maintien des compétences des pilotes. Les exigences en matière de qualification des membres d'équipage se trouvant à l'article 703.88 du RAC et à l'article 2.15 du manuel d'exploitation de la compagnie étaient également respectées, puisque les trois décollages et atterrissages avaient été effectués pendant la formation sur BH06. Un nombre suffisant d'atterrissages et de décollages à bord du R44 avait été accompli au cours du vol précédent en compagnie du gestionnaire des opérations et, au cours du vol subséquent, avant les exercices d'autorotation. Ni le RAC ni le manuel d'exploitation de la compagnie n'exige de passer en revue les procédures d'urgence afin de répondre à la qualification de membre d'équipage au-delà de l'exigence de compétence pilote annuelle. La formation périodique annuelle de l'entreprise (article 5.6.8 du manuel d'exploitation de la compagnie) renvoie au programme résumé dans le programme de formation initiale des pilotes. Aucune mention n'est faite du caractère saisonnier du travail et de la longue période de temps que les pilotes passent sans voler.
Le futur pilote en chef était titulaire d'une licence valide de pilote de ligne (avion) ainsi que d'une licence de pilote professionnel (hélicoptère) avec des annotations pour 10 types d'hélicoptère différents. Il totalisait 8652 heures de vol sur des appareils à voilure fixe et 6023 heures sur des hélicoptères. Il était revenu récemment au pilotage des hélicoptères après avoir passé les deux années et demie précédentes à piloter essentiellement des appareils à voilure fixe. Au cours de la dernière année, il avait accumulé quelque 150 heures de vol, dont 15 sur hélicoptères, y compris 6,5 sur BH06. Environ quatre de ces heures avaient été effectuées la semaine précédant le vol dont il est question ici, alors que le pilote avait suivi un programme d'auto-formation sur BH06B en compagnie de l'ancien pilote en chef de l'entreprise. Il avait été embauché par Trek Enterprises le 2 avril 2003 et devait subir d'ici peu un contrôle de compétence pilote afin d'être autorisé à occuper le poste de pilote en chef. Il ne possédait aucune expérience ni n'était qualifié sur l'hélicoptère R44.
Les conditions météorologiques signalées à l'aéroport de Peace River à 15 h, heure avancée des Rocheuses, étaient les suivantes : vent du 330° vrai à 13 noeuds avec rafales à 20 noeuds; visibilité de 15 milles terrestres dans de la faible pluie et de légères averses de neige; nuages fragmentés à 3000 pieds au-dessus du sol, température de 5 °C, point de rosée de moins 2 °C; calage altimétrique de 29,68, avec tendance à la hausse observée tout au long de la journée. Les conditions météorologiques n'ont pas été un facteur dans le présent accident.
Analyse
La présente analyse va se pencher sur les exigences de mise à jour des connaissances et de maintien des compétences du pilote, sur sa qualification pour donner de la formation en vol, sur son assurance et, enfin, sur le contrôle d'exploitation des vols de l'entreprise.
Le commandant de bord respectait les exigences de l'entreprise et de Transports Canada en matière de mise à jour des connaissances et de maintien des compétences; toutefois, le cycle de formation se base sur une période de 12 mois. Dans le milieu des hélicoptères, il est fréquent que les pilotes restent de longues périodes sans voler, compte tenu de la nature saisonnière de leur emploi. Ce fait n'était reconnu ni par la réglementation ni par les procédures de l'entreprise. Dans le cas présent, même si le commandant de bord avait reçu une importante formation sur BH06 avant son retour chez Trek Enterprises, il n'avait suivi aucune formation aux procédures normales ou d'urgence sur R44 depuis son vol de formation initiale dans l'entreprise en avril 2002. Son niveau d'expérience relativement bas, le nombre limité d'heures de vol qu'il avait accomplies en 2002, l'interruption de ses activités de vol pendant les sept mois de la saison hivernale et sa plus récente formation sur l'hélicoptère différent qu'est le BH06 ont probablement contribué au fait que le commandant de bord ne s'est pas rendu compte, avant la perte de maîtrise, de l'imminence d'une situation de vol dangereuse.
Le commandant de bord s'est senti obligé de poursuivre le vol après la première survitesse du moteur et, en présence du futur pilote en chef ayant une expérience et une fonction plus élevées, il s'est en quelque sorte remis dans la peau d'un élève. C'est ainsi qu'il a poursuivi le vol tout en étant conscient des limites de survitesse et des exigences d'inspection.
Le futur pilote en chef n'était pas encore autorisé à occuper cette fonction, pas plus qu'il n'était qualifié à titre de pilote instructeur, puisqu'il ne possédait pas d'annotation de type pour le R44. Bien qu'au départ, ce vol n'était pas censé être un vol de formation, il l'est en fait devenu pour les deux pilotes. La façon de faire acceptée dans le domaine de la formation en vol exige de procéder à une instruction préparatoire au sol exhaustive ainsi qu'à un exposé prévol avant que le vol de formation comme tel ne puisse avoir lieu. On s'assure ainsi que les deux pilotes comprennent bien ce sur quoi va porter l'exercice ou le vol, qu'ils vont passer en revue les procédures normales et d'urgence et qu'ils vont établir qui commande.
L'entreprise, et plus précisément son gestionnaire des opérations, ne s'est pas assurée que les deux pilotes possédaient les qualifications et les autorisations pour effectuer le vol et qu'ils comprenaient tous les deux la portée et les limites du vol de « familiarisation ».
Faits établis
Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs
- La vitesse et le régime rotor de l'hélicoptère ont diminué à un point tel que l'hélicoptère est devenu ingouvernable; le commandant de bord ne s'est pas rendu compte que l'hélicoptère s'approchait d'une situation de vol critique et il n'a pas pris en temps opportun les mesures correctives qui s'imposaient.
- Le futur pilote en chef n'était pas qualifié sur R44 et il a été incapable de prendre les commandes lorsque le commandant de bord a éprouvé des difficultés au cours d'un exercice.
Faits établis quant aux risques
- Le commandant de bord n'avait aucune expérience récente des procédures normales et d'urgence de l'hélicoptère R44.
- Chaque pilote a supposé que l'autre était suffisamment expérimenté ou compétent pour offrir un niveau de sécurité suffisant pendant le vol.
- La dernière formation et la dernière expérience des deux pilotes avaient eu lieu à bord du BH06, un hélicoptère qui possède un rotor principal à forte inertie. Par conséquent, leur formation n'était pas directement transférable sur l'hélicoptère R44 muni, quant à lui, d'un rotor principal à faible inertie.
- Le commandant de bord était conscient des restrictions en matière de survitesse du moteur et des inspections obligatoires en cas de survitesse du rotor; il a toutefois décidé de poursuivre le vol après la première survitesse du moteur.
- Rien n'est prévu, dans la réglementation comme dans les procédures d'exploitation de l'entreprise, pour la formation des pilotes qui répondent aux exigences réglementaires mais qui ont connu un arrêt de longue durée de leurs activités de pilotage.
Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .