Rupture de l'essieu du train avant
de l'Airbus A321-211 C-GJWI
exploité par Air Canada
à l'aéroport international Lester B. Pearson
Toronto (Ontario)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Le 19 janvier 2004, vers 14 h 10, heure normale de l'Est, l'Airbus A321-214 (immatriculé C-GJWI et portant le numéro de série 1772) exploité par Air Canada sous le numéro de vol ACA 413 atterrit sur la piste 06L de l'aéroport international Leaster B. Pearson à Toronto (Ontario). Il arrive de Montréal (Québec). Pendant le roulage jusqu'à la porte 209 de l'aérogare 2, l'équipage de conduite entend un bruit provenant de la région du train avant. Au moment où l'appareil vire sur la ligne d'entrée de la porte, les signaleurs au sol constatent que la roue droite du train avant est absente (voir photo 1) et ils font immédiatement arrêter l'appareil. Le personnel de maintenance inspecte le train avant et établit que l'appareil peut se rendre jusqu'à la porte en toute sécurité. L'administration aéroportuaire ferme la piste 06L pour vérifier s'il y a des composants de l'appareil sur cette piste et des dommages à la surface d'atterrissage. La roue avant est par la suite retrouvée sur l'aire de trafic. L'incident ne fait aucun blessé et les dommages à l'appareil se limitent au train avant. Les composants endommagés sont déposés de l'appareil et envoyés au Laboratoire technique du Bureau de la sécurité des transports à des fins d'inspection.
Renseignements de base
Depuis 1989, il y a eu dans le monde 67 incidents liés à des ruptures de roulements de train avant sur des A319, des A320 et des A321. De ce nombre, 43 ont causé des dommages aux essieux et nécessité par la suite le remplacement du piston coulissant du train avant. Les enquêtes entourant ces incidents n'ont permis d'établir aucun facteur déterminant définitif. On a mis en oeuvre différentes modifications pour tenter de résoudre ce type d'incident : renfort de l'essieu du train avant au moyen d'une douille métallique, insertion d'une entretoise entre les deux moitiés du train avant et de plus grosses roues avant permettant l'utilisation de roulements de roue plus gros. Ces modifications ont contribué à réduire la fréquence de rupture sans toutefois permettre d'éliminer complètement le problème. Ces modifications ont été apportées grâce à la collaboration de l'avionneur, et des fabricants des roues et des roulements.
Examen des composants
À la suite de l'incident survenu le 19 janvier 2004 vers 14 h 10, heure normale de l'Est (HNE)Note de bas de page 1, le Laboratoire technique du Bureau de la sécurité des transports (BST) a examiné les deux roues avant, l'essieu de train avant rompu, essieu qui était demeuré partiellement à l'intérieur de la roue avant droite, la tige coulissante du train avant et l'enregistreur de données de vol (FDR).
On a extrait les données du FDR et étudié les renseignements concernant l'atterrissage en question dans cet incident et les huit atterrissages précédents. On n'a décelé aucune anomalie au cours de ces atterrissages.
Le train avant (portant la référence D23592020 et le numéro de série L2212) avait été fabriqué par Liebherr, une filiale de Messier-Dowty. Le roulement à rouleaux (portant la référence 42690H*2-629 et aucun numéro de série) avait été fabriqué par Timken Company. Le suffixe 629 indique que ce roulement est de qualité aérospatiale et respecte des normes supérieures en matière de conception et de production.
On a découvert que le côté intérieur de la roue était recouvert de graisse décolorée. Le graisseur du roulement intérieur, qui se trouve habituellement près du roulement afin de réduire la migration de la graisse ainsi que l'endommagement ou la rupture ultérieure du roulement, a été retrouvé détaché et appuyé contre le graisseur du roulement extérieur. Les deux surfaces de contact étaient propres et elles ne comportaient aucune trace de graisse. Les graisseurs (voir la photo 2) sont faits d'un genre de caoutchouc et ils sont maintenus en place par un bourrelet saillant moulé sur leur pourtour. Une fois installé, ce bourrelet se loge dans une rainure de la roue. Pendant l'installation de la roue, il se peut que le graisseur soit déplacé, car la roue est glissée sur l'essieu du train avant. Si tel est le cas, il se peut que ce déplacement passe inaperçu, car l'installateur ne peut voir le graisseur en raison de la position de ce dernier à l'intérieur de la roue.
On a inspecté l'essieu des roues du train avant, et il a été établi qu'il s'était rompu le long de sa circonférence, près du joint (voir la photo 3 et l'annexe A). Les deux surfaces de rupture semblaient souillées de taches émanant de la surface du diamètre intérieur. De plus, les surfaces de rupture étaient recouvertes de résidus carbonés. Tout indiquait que l'essieu avait été soumis à des températures élevées, car la peinture des surfaces intérieure et extérieure était boursouflée, écaillée et décolorée, et le cadmiage avait fondu et il s'était resolidifié pour former des perles. La rupture avait pris naissance à la surface du diamètre intérieur de l'essieu. Un cadmiage protège contre la corrosion les surfaces des diamètres intérieur et extérieur de l'essieu.
On a utilisé un microscope électronique à balayage pour examiner les surfaces de rupture de l'essieu. La partie tachée de ces dernières correspondait à une rupture intergranulaire en blocs, typique des aciers fragilisés. Le reste des surfaces était d'aspect ductile.
L'analyse radiographique à rayons X diffusés du spectre des surfaces intergranulaires a révélé la présence de cadmium, ce qui a confirmé que le mode de rupture de l'essieu avait été entraîné par la fragilisation provoquée par le métal liquide (cadmiage). Les microstructures du matériau dont est constitué l'essieu étaient conformes à celles d'un acier à haute résistance typique, comme on doit en trouver dans ce genre d'application.
On a déposé l'essieu de roue afin d'exposer le cône du roulement à rouleaux. Les rouleaux étaient lâches, décolorés et très usés. La cage du roulement à rouleaux avait subi d'importants dommages, et seule une petite partie de celle-ci avait conservé sa forme d'origine. Les surfaces de rupture avaient subi des dommages qui les rendaient méconnaissables, et il a été impossible de les examiner pour déterminer le mode de rupture. La surface de la bague intérieure du roulement était décolorée et elle semblait avoir subi une déformation plastique. La majeure partie des rouleaux avaient conservé leur forme, mais leur surface était légèrement décolorée. Quatre des rouleaux avaient été déformés et avaient une couleur bleue décolorée. Deux d'entre eux présentaient des traces de dérapage latéral sur la bague intérieure. Tout indiquait également qu'à un moment donné, après la rupture, la bague intérieure tournait par rapport au manchon en aluminium de l'essieu et que, par la suite, le manchon a été traîné par la bague intérieure.
La chaleur générée par le frottement du roulement défectueux a fait monter la température de l'essieu au-dessus du point de fusion du cadmium, lequel est supérieur à 321 °C. Tout indiquait également que le manchon en alliage d'aluminium avait partiellement fondu, ce qui nécessite une température de plus de 660 °C.
Selon des renseignements obtenus à la suite de recherches sur les ruptures de roulements à rouleaux, le lubrifiant sert de tampon entre la cage et les rouleaux. La cage garde les rouleaux parallèles et en empêche le dérapage latéral lors des variations des charges. Un serrage adéquat de l'écrou de l'essieu permet le maintien de l'alignement et du préchargement du roulement. Une diminution de la lubrification causée par la migration de la graisse du roulement augmente les charges que subit la cage, situation qui peut entraîner la défaillance prématurée du roulement. Il a été impossible de prouver que le roulement à rouleaux s'était rompu à cause d'un manque de lubrification, mais l'examen n'a permis de déceler aucune trace de résidus de graisse sur le roulement intérieur. Il est donc probable qu'une baisse de la quantité de lubrifiant a été un facteur contributif à cet incident.
Résultats du contrôle du lubrifiant
On était préoccupé du fait que du liquide de dégivrage de l'aéronef, c'est-à-dire de l'éthylèneglycol, ait pu migrer dans le roulement et nuire au pouvoir lubrifiant de la graisse. Pour établir si un manque de lubrification avait contribué à la rupture du roulement, on a prélevé des échantillons de graisse lubrifiante (AeroShell® 22) en différents endroits à l'intérieur de l'essieu et du train. On a vérifié si deux de ces échantillons étaient conformes aux spécifications. Un échantillon de graisse frais a également été fourni à titre de référence. Aucun des deux échantillons prélevés de la roue avant ne contenait des niveaux inacceptables d'eau ou d'éthylèneglycol. En raison des températures de frottement excessives produites par la rupture du roulement, aucun échantillon de graisse provenant du roulement n'était disponible pour des essais.
L'enquête a donné lieu aux rapports de laboratoire suivants :
- LP 012/2004 – Data Recorder Analysis (Analyse de l'enregistreur de données)
- LP 014/2004 – Nose Landing Gear Failure (Rupture du train avant)
On peut obtenir ces rapports en s'adressant au Bureau de la sécurité des transports du Canada.
Faits établis
Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs
- Le roulement à rouleaux intérieur droit de la roue avant s'est rompu. Il est probable que le manque de lubrification provoqué par le détachement du graisseur de sa position normale a été un facteur contributif.
- Les températures de frottement produites par la rupture du roulement à rouleaux ont dépassé le point de fusion du cadmium. Le cadmium a pénétré dans la structure intergranulaire de l'essieu du train avant et l'a affaiblie, ce qui a entraîné la rupture de cet essieu à cause de la fragilisation provoquée par le métal liquide.
Fait établi quant aux risques
- Le graisseur détaché du roulement interne a permis à de la graisse de migrer du roulement à rouleaux interne de la roue avant droite vers l'intérieur du train avant. Une diminution de la lubrification augmente les charges que subit la cage et peut entraîner des ruptures du roulement.
Mesures de sécurité
Mesures de sécurité prises
Air Canada a pris des mesures pour que les essieux des trains avant de ses appareils soient recouverts de SermeTel®, afin de réduire les risques d'une rupture des essieux qui résulterait d'une infusion de cadmium provoquée par une température de frottement élevée due à des ruptures de roulements. Le SermeTel® est une base anticorrosive résistant aux produits chimiques qui est appliquée comme premier revêtement avant l'application de revêtements décoratifs constitués de peinture à la résine époxyde et au polyuréthane. Il s'agit d'un composé inorganique constitué d'un milieu de suspension aqueux renfermant un mélange de chromate de magnésium, de phosphates et de silicates ainsi que de la poudre d'aluminium.
Air Canada a également publié une alerte à la maintenance et modifié sa fiche de travail d'installation des trains, afin d'insister sur l'importance de l'inspection des trains avant une installation et de s'assurer que les outils et les couples de serrage recommandés pour l'installation sont utilisés conformément au Manuel d'entretien de l'aéronef. On a modifié les manuels de réparation des trains d'Air Canada, afin de sensibiliser les techniciens à l'importance de l'installation des graisseurs et des joints.
En mai 2004, Goodrich a publié la lettre de service 1991 qui recommande l'utilisation de la graisse Mobil SHC-100 pour les roulements des roues, en raison de ses meilleures propriétés d'adhérence, et aussi parce qu'elle augmente la protection contre le corrosion et accroît la lubrification des roulements. En juillet 2004, Goodrich a également publié le bulletin de service 3-1531-32-3, lequel comporte de nouvelles procédures d'inspection des joints de retenue de graisse à roulements des Airbus A318, A319, A320 et A321.
Airbus a conçu et intégré une bague et un joint de retenue qui font actuellement l'objet d'essais de qualification, notamment pendant le roulage et l'atterrissage sous différentes charges, ainsi que d'essais utilisant de l'eau sous forte pression visant à démontrer l'amélioration des performances de la nouvelle conception en matière de protection du joint et du roulement contre les contaminants externes.
Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .