Rapport d'enquête aéronautique A05O0225

Collision avec le relief sans perte de contrôle
du Piper PA-31 Navajo C-GKMW
exploité par Wasbusk Air
à Kashechewan (Ontario)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    L'avion Piper PA-31 Navajo (immatriculation C-GKMW, numéro de série 725) de Wasbusk Air décolle de la piste 25 à Kashechewan (Ontario) vers 21 h 30, heure avancée de l'Est, pour un vol à vue de nuit à destination de Moosonee (Ontario), située à 72 milles marins au sud-est. Le commandant de bord est le pilote aux commandes et il occupe le siège de gauche. L'avion prend l'air à peu près à mi-piste, et l'équipage de conduite perd de vue les feux de piste et toute référence visuelle avec le sol peu après le décollage. Le commandant de bord commande la rentrée du train d'atterrissage et, à 200 pieds au-dessus du sol, le copilote rentre les volets, après quoi le commandant de bord règle la puissance de montée. Il y a une légère chute de pression au collecteur du moteur gauche, et le commandant de bord est en train de régler de nouveau la puissance lorsque l'avion percute le sol. L'avion rebondit dans les airs et s'immobilise à environ 300 mètres au-delà de l'extrémité de départ de la piste. Les forces de l'impact endommagent gravement l'avion. Les six passagers et les deux pilotes ne sont pas blessés.

    Renseignements de base

    Wabusk Air est une compagnie de nolisage exploitant trois Piper PA-31 Navajo et un Piper PA-31-350 Chieftain à partir de sa base située à Moosonee (Ontario)Note de bas de page 1. Il achemine passagers et fret à de nombreuses communautés isolées dans le nord de l'Ontario, la baie James et la baie d'Hudson.

    Le pilote commandant de bord travaillait pour Wabusk Air depuis environ six semaines. C'était son premier vol commercial dans une région septentrionale. La plupart des vols qu'il avait effectués pour Wabusk Air avaient été des vols en solo selon les règles de vol à vue (VFR). Il était certifié et qualifié pour le vol en question, conformément à la réglementation en vigueur. Il était titulaire d'une licence de pilote de ligne valide et il était certifié pour piloter le Piper PA-31 en solo selon les règles de vol aux instruments (IFR). Il avait totalisé environ 1600 heures de vol, dont 200 heures la nuit et 245 sur type. Le commandant de bord avait commencé à travailler à 10 h 30, heure avancée de l'EstNote de bas de page 2 le jour de l'accident et il était bien reposé. Il était en service depuis 11 heures au moment de l'accident et il avait totalisé 7,4 heures de vol pour la journée. Le jour précédant l'accident, il avait été de service pendant 11 heures. Il avait eu une journée de repos cinq jours avant l'accident et il avait terminé une semaine de repos de huit jours avant l'accident.

    Le copilote travaillait pour Wabusk Air depuis environ quatre mois, remplissant surtout les tâches de préposé au chargement et de répartiteur. Il était titulaire d'une licence de pilote professionnel valide et il était entraîné conformément au manuel d'exploitation de la compagnie. Il volait souvent comme copilote pour acquérir de l'expérience et accumuler des heures de vol. Sa qualification aux instruments était échue et, par conséquent, il n'était certifié que pour agir comme membre d'équipage de conduite pour les vols VFR. Le copilote avait commencé à travaillé à 8 h 30 le jour de l'accident, et le vol en question était son seul vol de la journée.

    Les dossiers révèlent que l'avion était certifié, équipé et entretenu conformément à la réglementation en vigueur et aux procédures approuvées. Aucune anomalie mécanique n'avait été signalée lors des vols précédents ce jour-là.

    L'avion était équipé d'une modification de Boundary Layer Research, Inc. (CTS SA00047SE). Ce certificat de type supplémentaire (CTS) portait de 6500 à 6730 livres la masse maximale au décollage de l'avion si ce dernier était équipé de compartiments de rangement d'aile, ou à 6840 livres s'il n'en était pas équipé. Cependant, Wabusk Air utilisait par erreur une masse maximale au décollage de 6840 livres. Deux rapports d'inspection de l'avion de Transports Canada, datés du 5 juin 2003 et du 19 juillet 2004, indiquaient que la masse maximale au décollage était respectivement de 6500 et de 6840 livres, même si la masse maximale au décollage correcte était de 6730 livres. Un rapport d'inspection de l'avion de Transports Canada daté du 4 avril 2005 indiquait qu'il n'y avait aucun dispositif de retenue des bagages à main à l'arrière de l'avion.

    Il n'y a pas de messages d'observation météorologique régulière pour l'aviation (METAR) pour Kashechewan. La station d'observation météorologique la plus proche se trouve à Moosonee, laquelle a fait le rapport suivant des conditions météo à 21 h : vent du 200 ° V à sept noeuds, visibilité de neuf milles terrestres, plafond à 6800 pieds au-dessus du sol (agl), température de 12 °C. Selon le rapport, la visibilité était illimitée, et le ciel était obscur sans clair de lune ni étoiles.

    Avant de quitter Moosonee pour le vol aller-retour à destination de Kashechewan, l'équipage de conduite a calculé la masse et le centrage de l'avion au moyen d'un programme d'ordinateur. L'information a été entrée dans le plan de vol opérationnel, y compris les poids standard des passagers ainsi qu'un poids estimé pour les bagages de 30 livres par passagers au départ de Kashechewan. La masse calculée de l'avion au départ de Kashechewan était de 6530 livres.

    À l'arrivée à Kashechewan, l'avion a été reconfiguré, passant de la configuration cargo à la configuration transport de passagers. Tous les bagages qui ne pouvaient être rangés dans le nez de l'avion ont été chargés à l'intérieur de la cabine, derrière le dernier siège à l'arrière. Il n'y avait ni anneaux d'arrimage ni filets d'arrimage du fret, et on n'a pas arrimé ces bagages. Il y avait une balance à bord de l'avion pour peser les bagages, mais elle n'a pas été utilisée. Par conséquent, il n'était pas possible de confirmer avec précision le poids des bagages. Selon le poids consigné des passagers obtenu après l'accident, on a estimé que le poids total des passagers dépassait le poids standard d'environ 135 livres. Malgré ces écarts, on a déterminé que l'avion se trouvait probablement dans les limites de masse et de centrage au moment du décollage.

    L'exposé avant vol, indiquant entre autres comment ouvrir l'issue de secours, comme l'exige l'article 703.39 du Règlement de l'aviation canadien, n'a pas été donné aux passagers. L'exposé vise à expliquer l'utilisation des ceintures de sécurité et à indiquer où se trouve la radiobalise de repérage d'urgence, l'équipement de survie et la trousse de premiers soins. Il demande aussi aux passagers de consulter la carte des mesures de sécurité se trouvant à bord, qui indique l'emplacement et le fonctionnement des sorties de secours.

    Comme l'éclairage sur l'aire de trafic était mauvais, le commandant de bord s'est servi d'une frontale pour aider à charger et à mettre en marche l'avion. Une fois l'avion démarré, il a retiré sa frontale et s'est servi de l'éclairage de l'avion. La piste 25-07 de l'aéroport de Kashechewan a une longueur de 3500 pieds et elle est équipée d'un Système d'éclairage d'aérodrome télécommandé d'aéronef (ARCAL) de type K, de feux de bord de piste d'intensité moyenne ainsi que de feux de seuil et d'extrémité de piste. Tous les feux étaient allumés pour le décollage. Kashechewan se trouve dans une région inhospitalière, et l'aéroport se trouve au sud-ouest de la localité. Lorsqu'on décolle de nuit de la piste 25, les lumières de la localité ne sont pas visibles, et il y a peu ou pas de références visuelle au sol, surtout par une nuit obscure sans lune. Un vol dans un environnement qui s'apparente à un « trou noir » expose les pilotes à de plus grands risques d'illusion sensorielle.

    La forte accélération pendant le décollage et la montée initiale peuvent donner l'impression d'un cabré accentué. L'illusion somatogravique est une sensation erronée en tangage (rotation dans le plan vertical) causée par une accélération linéaire. En conditions normales, on peut reconnaître cette sensation et la corriger visuellement. Toutefois, lorsqu'un décollage a lieu par nuit noire et vers une zone comportant peu de références visuelles, cette illusion influence fortement le pilote. La réaction normale du pilote à cette illusion de cabré consiste à repousser le manche pour réduire l'angle de montée de l'avion.

    Les procédures d'utilisation normalisées (SOP) de Wabusk Air comprennent des procédures que doivent suivre les équipages de conduite lorsqu'ils sont deux pilotes dans le poste de pilotage. Ces procédures visent à assurer l'uniformité parmi les membres d'équipage de conduite et à assurer l'utilisation sûre de l'aéronef. Les procédures de Wabusk Air stipulent qu'au décollage l'aéronef doit effectuer un cabré de 10 ° pour assurer un taux de montée franc, et la vitesse de montée doit être réglée entre le meilleur taux de montée et le meilleur taux de montée plus 10 noeuds (112 à 122 noeuds). Le pilote non aux commandes commande la rentrée du train d'atterrissage et, à 400 pieds agl, rentre les volets et règle la puissance de montée. Cette procédure permet au pilote aux commandes de se concentrer sur le pilotage de l'avion et de maintenir une bonne assiette et une bonne vitesse.

    Après que l'avion s'est immobilisé (voir l'annexe A), un passager assis devant l'issue de secours a donné des coups de pieds dans la porte jusqu'à ce qu'elle s'ouvre, après quoi les passagers sont sortis de l'avion. L'équipage de conduite est sorti en dernier. Les sacs qui n'avaient pas été arrimés étaient éparpillés à l'arrière de la cabine, mais ils n'ont pas retardé l'évacuation.

    Analyse

    On a déterminé que l'avion se trouvait probablement dans les limites de masse et de centrage au moment du vol, que les systèmes de bord fonctionnaient correctement et que les moteurs produisaient la puissance requise pendant le décollage. L'analyse va par conséquent porter sur les facteurs opérationnels et humains associés au pilotage à deux pilotes et le décollage de nuit.

    Pendant son emploi chez Wabusk Air, le commandant de bord avait effectué principalement des vols VFR en solo et, par conséquent, avait eu peu d'occasions de se servir des procédures d'utilisation normalisées destinées à un équipage de conduite à deux pilotes. Plutôt que de suivre des procédures qu'il ne connaissait pas bien, il a décidé de rentrer le train d'atterrissage et de régler la puissance de montée lui-même, comme il l'aurait fait pour un vol en solo. Il n'a pas été possible de déterminer si le commandant de bord avait commandé au pilote non aux commandes de rentrer les volets ou si ce dernier avait effectué cette tâche de lui-même. Quoi qu'il en soit, les volets ont été rentrés sous les 400 pieds agl indiqués dans les procédures. Pendant la rentrée du train d'atterrissage et le réglage de la puissance, l'attention de l'équipage de conduite s'est portée sur des commandes secondaires, les instruments moteur et la vitesse, plutôt que sur l'assiette de l'avion. Il s'en est suivi que l'avion s'est enfoncé insensiblement et a percuté le sol.

    Dans les conditions qui prévaleinet (nuit, références visuelles extérieures limitées), une illusion somatogravique aurait pu amener le pilote à percevoir à tort une augmentation de l'assiette de l'avion. Alors que l'attention du pilote ne portait plus sur l'indicateur d'assiette au cours de la rentrée du train et du réglage de la puissance, l'avion a amorcé une descente et a percuté le sol.

    Faits établis

    Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

    1. L'équipage de conduite n'a pas respecté les procédures d'utilisation normalisées de Wabusk Air en n'assurant pas qu'un taux de montée franc avait été maintenu après le décollage. L'avion s'est enfoncé insensiblement et a percuté le sol.
    2. Au cours du décollage de nuit selon les règles de vol à vue dans un « trou noir », l'équipage de conduite a probablement été victime d'une illusion somatogravique lui donnant la fausse impression qu'il était en montée. Cette situation a probablement contribué au fait que le commandant de bord a laissé l'avion descendre jusqu'au sol.

    Faits établis quant aux risques

    1. Wabusk Air utilisait une masse maximale au décollage de 6840 livres, alors que la masse maximale réelle était de 6730 livres.
    2. Des anneaux d'arrimage et des dispositifs de retenue du fret n'ont pas été montés dans l'avion. Les bagages chargés dans l'avion n'étaient pas retenus en place et ils se sont éparpillés à l'arrière de la cabine pendant l'écrasement.
    3. Il n'y a pas eu d'exposé avant le vol, et les passagers ne connaissaient pas bien le fonctionnement de l'issue de secours de l'avion.

    Autres faits établis

    1. Il y avait une balance à bord de l'avion, mais elle n'a pas servi. comme l'équipage de conduite avait estimé le poids des bagages, le poids réel de ceux-ci n'a jamais été déterminé.
    2. Le poids total des passagers, établi à partir des témoignages des passagers, dépassait les poids standard d'environ 135 livres.
    3. La masse maximale de l'avion au décollage avait été erronément déterminée au cours de deux vérifications exécutées par Transports Canada.

    Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .

    Annexes

    Annexe A - Lieu de l'accident