Perte d'espacement
mettant en cause l'entreprise Serco Facilities Management Inc.
à Goose Bay (Terre-Neuve-et-Labrador)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Les services de contrôle de la circulation aérienne à Goose Bay (Terre-Neuve-et-Labrador) sont fournis par Serco Facilities Management Inc., une entreprise sous contrat avec le ministère de la Défense nationale. Le Beech 1900 de la compagnie Prince Edward Air, portant l'indicatif de vol Comet 9732, en rapprochement, descend du niveau de vol 210 et passe 13 000 pieds à environ 65 milles marins (nm) à l'ouest de Goose Bay. Le Havilland DHC-8 de la compagnie Air Labrador, portant l'indicatif de vol Labair 8301, en éloignement, vole en palier à 12 000 pieds lorsque l'équipage reçoit un avis de résolution du système de surveillance du trafic et d'évitement des collisions. Les deux avions se croisent à 50 nm à l'ouest de Goose Bay avec un espacement d'environ 1,8 nm sur le plan latéral et 300 pieds sur le plan vertical, là où l'espacement requis est de 3 nm sur le plan latéral ou 1000 pieds sur le plan vertical. Au moment de l'incident, le ciel est clair et la visibilité est illimitée. Les deux avions volent selon les règles de vol aux instruments et sont sous le contrôle du contrôle terminal de Goose Bay.
Renseignements de base
À 12 h 25 min 31, temps universel coordonné (UTC)Note de bas de page 1, Labair 8301 (LAL8301) a décollé de Goose Bay en direction de Wabush. On lui a assigné un cap de 290° magnétiques (M) et on l'a autorisé à monter jusqu'à 12 000 pieds (pi). À 12 h 26 min 26, Speedair 7901 (SPD7901), un Saab 340, a signalé qu'il venait de décoller de la piste 26 de Goose Bay en direction lui aussi de Wabush, qu'il maintenait le cap de la piste (259 °M) et qu'il montait au niveau de vol (FL) 200. L'espacement réglementaire utilisé pour le départ était conforme l'article 531.2A du Manuel d'exploitation du contrôle de la circulation aérienne (MANOPS ATC) de NAV CANADA utilisé par les Forces canadiennes. Les avions ont été identifiés au radar après le décollage à moins de 1 nm de l'extrémité de la piste. L'espacement radar a été établi à partir de ce point en demandant à SPD7901 de maintenir le cap de la piste, qui était différent de la trajectoire de LAL8301. L'espacement radar requis dans la région de contrôle terminal de Goose Bay est de 3 nm. Cet espacement a été établi et maintenu entre LAL8301 et SPD7901 pendant leur montée en direction de Wabush.
À 12 h 31 min 49, Comet 9732 (CME9732), qui était en route de Wabush à Goose Bay, a communiqué avec le contrôle terminal de Goose Bay pour signaler qu'il se trouvait au FL 210. Ce vol de transport de marchandises avait quitté Wabush environ une demi-heure plus tôt que d'habitude. Il n'était donc pas habituel qu'il se trouve dans l'espace aérien du contrôle terminal de Goose Bay au même moment que les vols réguliers au départ. Le contrôleur a donné l'autorisation de descendre à 6000 pi et a dit à l'équipage de commencer à descendre bientôt en raison du trafic en provenance de Goose Bay. CME9732 a immédiatement commencé à descendre. Le plan d'espacement consistait à faire descendre CME9732 à une altitude inférieure à celle des deux avions au départ afin que, au moment où ces avions se trouveraient à moins de 3 nm de CME9732 sur le plan horizontal sur leurs trajectoires respectives, l'espacement soit d'au moins 1000 pi sur le plan vertical. Le plan a été mis en œuvre au moment où le contrôleur a donné l'autorisation de descendre à CME9732. Il restait maintenant à surveiller l'évolution des trois avions afin de s'assurer que le plan s'exécute comme prévu.
Environ trois minutes plus tard, à 12 h 34 min 47, CME9732 a demandé les altitudes des avions volant en direction opposée. Le contrôleur a répondu qu'un avion était en palier à 12 000 pi (LAL8301) et que l'autre montait vers le FL 210 et qu'il venait de passer 13 000 pi. SPD7901 avait en fait reçu l'autorisation de se rendre au FL 200 et non au FL 210.
À 12 h 35 min 37, le contrôleur s'est occupé d'un autre avion qui se trouvait près de Goose Bay. À 12 h 39 min 26, le contrôleur a reporté son attention vers l'ouest lorsque l'équipage de SPD7901 a demandé de prendre comme altitude finale 16 000 pi plutôt que le FL 200. Le contrôleur a constaté que SPD7901 se trouvait maintenant à une altitude supérieure à celle de CME9732 (qui se trouvait à moins de 16 000 pi) et il a autorisé SPD7901 à descendre à 16 000 pi. Il n'a été fait aucune mention de la position de LAL8301, et le contrôleur n'a pas remarqué que CME9732 et LAL8301 étaient près l'un de l'autre.
À 12 h 39 min 40, après avoir modifié leur trajectoire en réponse à un avis de résolution du système de surveillance du trafic et d'évitement des collisions (TCAS), les membres d'équipage de LAL8301 ont communiqué avec le contrôle terminal de Goose Bay afin de demander s'il y avait d'autres avions dans le secteur en précisant que le TCAS indiquait la présence d'autres appareils.
Le contrôleur a immédiatement ordonné à LAL8301 d'effectuer un virage à gauche d'environ 30° puis à CME9732 de prendre le cap 80°. L'équipage de CME9732 a signalé que LAL8301 était en vue sur la droite et l'équipage de LAL8301 a signalé que CME9732 était en vue. Au moment où l'espacement a été le plus faible, les deux avions se sont trouvés à environ 300 pi sur le plan vertical et 1,8 nm sur le plan horizontal l'un de l'autre.
Le radar de Goose Bay n'a pas de fonction d'avertissement de conflit. Il n'y avait aucun obstacle à la visibilité.
Le contrôleur possédait 14 ans d'expérience en qualité de contrôleur de la circulation aérienne et il était qualifié depuis trois ans pour travailler au poste de contrôle terminal de Goose Bay. Il revenait d'un congé de quatre jours, il était bien reposé et il était en service depuis environ une heure.
CME9732 était exploité en configuration cargo, il n'était pas équipé d'un TCAS et il n'était pas tenu de l'être.
En 1995, le directeur des Services de la circulation aérienne de Transports Canada a publié un des bulletins de sécurité des Services de la circulation aérienne intitulés Squawk 7700Note de bas de page 2. Ces bulletins visent à rappeler aux contrôleurs les mesures de sécurité courantes, et ils sont offerts et distribués, de même que d'autres publications, avec la version actuelle des MANOPS ATC sur disque compact. Le titre du bulletin Squawk 7700 numéro 9501 est « Le syndrome de la trajectoire inverse ». Il décrit une des erreurs des phases de planification, d'exécution et de surveillance en ce qui a trait à la résolution des changements d'altitude d'avions qui se trouvent sur des trajectoires inverses. Dans l'exemple cité dans l'article, l'auteur précise ceci :
. . . des aéronefs qui étaient identifiés radar et à qui un service radar était fourni. Les situations spécifiques de conflit étaient connues et les solutions PLANIFIÉES étaient simples : autoriser A à monter/descendre au travers de l'altitude de B qui était sur une trajectoire inverse, et SURVEILLER l'évolution attentivement.
Malheureusement, l'intention de SURVEILLER, si elle n'est pas rattachée à un événement de rappel (compte rendu d'altitude, vérification de distance, etc.) qui permet d'initier un PLAN alternatif si les événements ne fonctionnement pas comme prévus, ne donnera pas les bénéfices escomptés si la mémoire flanche ou si l'on succombe à la distraction.
. . . Une situation de face-à-face (trajectoire inverse) est sans pitié. Plusieurs contrôleurs se font prendre par un PLAN d'espacement qui n'a aucun point de vérification d'alerte ou de sortie de secours. Des vérifications systématiques ou une trajectoire décalée peut prévenir le pire si vous oubliez de surveiller ou êtes distrait.
Dans le rapport d'enquête aéronautique no A01W0160, le BST a déterminé que :
Le contrôleur . . . a perdu la vue d'ensemble de la situation lorsque son attention s'est concentrée sur le problème d'espacement de deux des cinq appareils présents dans son secteur, et ce, au détriment d'un autre problème d'espacement, avec [un autre appareil] qu'il n'a ni décelé ni résolu.
Aucune procédure de contrôle de la circulation aérienne n'exige que les contrôleurs indiquent les conflits possibles sur l'écran radar de façon normalisée, comme c'est le cas pour les fiches de progression de vol. Cet état de fait accroît les risques qu'un contrôleur oublie un conflit parce que ce dernier n'est pas manifeste sur l'écran radar.
De plus, dans le rapport d'enquête aéronautique no A01P0127, le BST a déterminé qu'il y avait :
. . . des risques plus grands . . . à ordonner des changements d'altitude à des appareils sous guidage radar qui suivent des trajectoires inverses. Au niveau du contrôle . . . on considère qu'un tel plan ne pardonne pas la moindre erreur, car il impose au contrôleur une surveillance accrue, il augmente le risque d'erreur due à la distraction et il rend toute erreur potentielle beaucoup plus difficile à corriger.
Le contrôleur ne s'est pas assuré de la présence d'un espacement vertical avant la perte de l'espacement latéral.
Aucune règle ni aucune norme d'espacement dans les MANOPS ATC, le Règlement de l'Aviation canadien ou les procédures d'exploitation locales de Goose Bay exige que les contrôleurs indiquent un événement de rappel, plus rapproché dans le temps et l'espace du conflit potentiel, afin de ne pas oublier que le plan doit être surveillé de près et qu'un plan de rechange doit être mis en œuvre, au besoin.
L'article 902.5 du MANOPS ATC exige que des indicateurs d'avertissement (« W » rouge) soient tracés sur les fiches de progression de vol appropriées pour identifier tout conflit entre aéronefs. Ces indicateurs d'avertissement servent à attirer l'attention du contrôleur sur une situation potentiellement dangereuse ou critique. Aucun indicateur d'avertissement n'a été tracé sur les fiches de progression de vol pour rappeler au contrôleur le conflit potentiel. Le contrôleur n'a pas non plus actionné le marqueur de cible électronique (ligne de direction/de relèvement) de l'affichage radar, qui peut aussi être utilisé pour identifier les aéronefs qui nécessitent une attention particulière.
Analyse
Même s'il n'y avait généralement aucun conflit entre ces vols en raison de leur horaire différent, le contrôleur était conscient que l'avion en descente et les deux avions en montée auraient besoin d'être espacés.
Le contrôleur avait eu suffisamment d'indications pour ne pas perdre de vue le conflit potentiel entre ces trois avions. CME9732 a demandé les altitudes des deux avions au départ, ce qui a forcé le contrôleur à noter les positions et les altitudes des trois avions. Plus tard, SPD7901 a demandé une altitude finale de 16 000 pi, ce qui a obligé le contrôleur à reporter son attention sur la situation et à se rendre compte qu'un conflit d'altitude avait été réglé, comme cela avait été planifié, au moment où CME9732 était descendu à une altitude inférieure à celle de SPD7901 au départ. Par contre, le succès partiel du plan d'espacement a peut être empêché le contrôleur de se rendre compte qu'il y avait un autre conflit d'espacement à résoudre.
La combinaison de facteurs ci-dessous à contribué à l'incident :
- les avions se trouvaient sur des trajectoires inverses;
- aucun vecteur ni changement de cap n'a été donné pour assurer un espacement sur le plan latéral;
- aucun événement de rappel ni point de vérification d'alerte n'a été utilisé comme aide-mémoire;
- il n'y avait pas de fonction d'avertissement de conflit sur le radar de Goose Bay;
- aucun indicateur d'avertissement n'a été tracé sur les fiches de progression de vol.
Un plan d'espacement qui s'appuie uniquement sur la mémoire pour régler une situation de conflit risque de faire l'objet d'oublis ou de distractions. Un plan à plusieurs aéronefs qui fournit une solution partielle mais qui exige une surveillance supplémentaire pour être mené à bien risque encore plus d'être source d'erreurs, car il peut donner le sentiment que la stratégie a déjà porté fruit.
Faits établis
Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs
- Le contrôleur a créé une situation de conflit qui faisait appel à sa mémoire lorsqu'il a donné à CME9732 l'autorisation de descendre.
- En réussissant à résoudre un conflit grâce au plan d'espacement élaboré à l'origine, le contrôleur a oublié qu'il y avait deux conflits potentiels dans le plan d'origine et il n'a pas pris les mesures qui s'imposaient pour résoudre le second conflit.
Fait établi quant aux risques
- Le radar de Goose Bay n'a pas de fonction d'avertissement de conflit. Une telle fonction aurait pu déceler rapidement la perte d'espacement.
Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .