Rapport d'enquête aéronautique A07A0029

Sortie de piste accidentelle
de l'Antonov AN 124-100 RA-82078
exploité par Volga-Dnepr Airlines
à Gander (Terre-Neuve-et-Labrador)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    Le 31 mars 2007, un Antonov AN 124-100 (immatriculation RA-82078, numéro de série 38718017006), exploité par Volga-Dnepr Airlines, effectue le vol numéro VDA 2100 entre Greer (Caroline du Sud), aux États-Unis, et Gander (Terre-Neuve-et-Labrador). À son arrivée à Gander, l'équipage effectue une approche de la piste 03-21. L'avion se pose à 2 h 16, heure avancée de Terre-Neuve, mais il ne réussit pas à s'arrêter avant le bout de piste. Il sort à gauche de la piste 03-21, près de l'extrémité départ, et s'immobilise à environ 480 pieds de la chaussée, en sens opposé. Plusieurs feux de bord de piste sont brisés. Les neuf membres d'équipage et les dix passagers à bord sortent de l'avion indemnes. Les dommages subis par l'avion se limitent à des entailles dans les pneus.

    Renseignements de base

    L'équipage de conduite en service au moment de l'accident comprenait un commandant de bord, un copilote, deux mécaniciens de bord, un navigateur et un opérateur radio. Un autre commandant de bord, un mécanicien de bord et un navigateur se trouvaient aussi à bord, mais ils n'étaient pas en service à ce moment-là. Les membres de l'équipage de conduite possédaient les licences et les qualifications nécessaires au vol. Le commandant de bord en service, qui pilotait l'appareil au moment de l'atterrissage, avait déjà effectué environ 35 vols vers Gander.

    La masse et le centrage de l'avion respectaient les limites prescrites, et l'avion ne présentait aucune défaillance mécanique.

    L'aéroport de Gander dispose de deux pistes en asphalte. La piste 03-21 mesure 10 200 pieds de longueur sur 200 pieds de largeur, et elle présente une pente ascendante de 0,34 pour cent à l'atterrissage. La piste 13-31 mesure 8900 pieds de longueur sur 200 pieds de largeur, et elle présente une pente descendante de 0,50 pour cent à l'atterrissage. Les pistes 03-21 et 13-31 offrent une approche de précision au moyen d'un système d'atterrissage aux instruments (ILS).

    Le vol 2100 de Volga-Dnepr Airlines (VDA 2100) avait quitté Greer (Caroline du Sud), aux États-Unis, à 22 h 36, heure avancée de Terre-Neuve (HAT)Note de bas de page 1. La phase de croisière s'était déroulée sans incident. Avant d'amorcer une descente vers Gander, il avait été décidé d'effectuer une approche de la piste 03-21 pour y atterrir : elle est la plus longue des deux pistes disponibles. Si les conditions le permettaient, les équipages de Volga-Dnepr Airline, visiteurs assidus de Gander, utilisaient habituellement la piste la plus longue.

    Photo 1. AN 124-100, immatriculation RA-82078
    Image
    Photo of AN 124-100, immatriculation RA-82078

    À l'approche de Gander, l'équipage a pris connaissance du message qui avait été diffusé à 1 h 34 par le service automatique d'information de région terminale (ATIS) de l'aéroport de Gander, connu sous le nom d'Oscar. Le message de l'ATIS donnait les renseignements suivants : vent de surface du 325° vrais (V) à deux nœuds, visibilité de 1 mille terrestre, ciel couvert à 800 pieds, température de −1 °C, point de rosée de –2 °C et piste 13-31 en service. En outre, l'ATIS présentait le compte rendu de l'état de la surface de la piste (compte rendu RSC) qui avait été diffusé à 23 h 6, lequel indiquait que les deux pistes étaient dégagées et mouillées sur une largeur de 180 pieds au centre de la piste. Les données du compte rendu RSC avaient été recueillies par le personnel au sol de l'aéroport de Gander, et le compte rendu avait été diffusé environ deux heures et demie avant l'arrivée du vol VDA 2100.

    L'équipage a demandé les vecteurs radar du repère d'approche initiale pour une approche ILS directe de la piste 03-21.

    À 2 h 4, 12 minutes avant le toucher des roues, l'équipage de conduite a reçu l'observation météorologique spéciale de Gander de 2 h 2, laquelle contenait les renseignements suivants : vent de surface du 320 °v à deux nœuds, visibilité de 1 mille terrestre dans de la neige légère, plafond fragmenté à 600 pieds, ciel couvert à 1800 pieds, température de –2 °C, point de rosée de −2°C et calage altimétrique de 29,49 pouces de mercure. Le message ATIS diffusé en anglais aurait été reçu, puis traduit vers le russe, par l'opérateur radio avant d'être transmis à l'équipage de conduite qui se préparait à l'approche à ce moment-là. L'équipage de conduite n'a pas demandé si un compte rendu RSC plus récent avait été diffusé, et il n'est pas possible de déterminer s'il était au courant qu'il neigeait à Gander.

    L'équipage a effectué une approche ILS directe couplée au pilote automatique sur la piste 03-21, et il a repéré visuellement les feux de piste alors qu'il était à environ 600 pieds au-dessus du sol. Le pilote automatique a été débrayé tout juste avant la hauteur de décision. Le commandant de bord a piloté l'avion manuellement, et l'avion a franchi le seuil de piste alors qu'il était à environ 50 pieds au-dessus du sol.

    À l'atterrissage, la vitesse de l'avion était de 140 nœuds (14 nœuds de moins que la vitesse prévue). Le train d'atterrissage principal de l'avion a touché le sol à environ 3400 pieds au-delà du seuil de piste; il restait une distance d'arrêt de 6800 pieds. Le point de toucher normal pour un avion suivant un alignement de descente ILS se trouve habituellement à 1000 pieds au-delà du seuil de piste. Jusqu'à ce que l'avion touche le sol, les freins de roues, les déporteurs et l'inversion de poussée ne peuvent pas être utilisés pour ralentir l'avion.

    Environ trois secondes après l'atterrissage, les déporteurs ont été déployés et l'inversion de poussée maximale a été actionnée. Le commandant a d'abord serré les freins de roues, puis le copilote l'a aidé. Le freinage a été amorcé cinq secondes après que l'avion eut atteint la vitesse de freinage prévue de 135 nœuds; il ne restait plus que 4800 pieds de piste pour arrêter l'avion. L'efficacité du freinage était mauvais. Le dispositif d'antidérapage fonctionnait pendant la course à l'atterrissage, ce qui indique que le frottement entre les pneus et la chaussée de la piste était faible.

    Les déporteurs sont restés déployés, et l'inversion de poussée a été maintenue jusqu'à ce que l'avion s'immobilise. Toutefois, 17 secondes après le toucher des roues, l'inversion de poussée a été réduite à 75 nœuds pendant environ 15 secondes, avant de revenir à sa valeur maximale pour être ensuite maintenue jusqu'à l'arrêt de l'avion. L'inversion de poussée initiale était conforme à la technique utilisée lors d'atterrissages antérieurs, ce qui indique que l'équipage procédait de façon normale. Les inverseurs de poussée de l'avion en question ne sont pas très efficaces s'ils sont utilisés à moins de 90 nœuds.

    La vitesse de décélération a considérablement diminué 31 secondes après le toucher des roues, sans aucune modification apparente de la configuration de l'avion. À ce moment-là, l'inversion de poussée maximale a été rétablie. Il a été impossible de déterminer ce qui a causé une réduction de la vitesse de décélération.

    Pendant la dernière étape de la course à l'atterrissage, il est devenu évident que l'avion ne s'arrêterait pas sur la piste. L'avion a été intentionnellement dirigé vers le côté gauche de la piste pour ne pas heurter l'équipement ILS qui était situé tout près de l'extrémité départ de la piste. L'avion a quitté le bord gauche de la piste 03-21, près de l'extrémité de piste, à une vitesse d'environ 35 nœuds. L'avion a viré vers la gauche, et il s'est immobilisé à environ 480 pieds de l'extrémité de la piste, orienté quasiment dans le sens opposé à l'atterrissage. L'équipage a exécuté un arrêt d'urgence au cours duquel il a déterminé qu'une évacuation immédiate n'était pas nécessaire.

    Figure 1. Position finale de l'avion
    Image
    Figure of Position finale de l'avion

    Le personnel de maintenance de l'aérodrome a avisé le contrôleur de la tour de contrôle de Gander de la sortie de piste. Le contrôleur a alors déclenché l'alarme d'écrasement. L'équipe de sauvetage et de lutte contre les incendies d'aéronefs (SLIA) est intervenue en envoyant trois véhicules de la caserne des pompiers de l'aéroport. Alors qu'ils se dirigeaient vers l'avion, les chauffeurs des véhicules de secours ont constaté que la chaussée était glissante. Un compte rendu RSC diffusé 16 minutes après l'accident en question signalait une mince couche de neige mouillée sur une largeur de 180 pieds au centre de la piste 03-21. Avant l'accident, le personnel et les véhicules de déneigement avaient seulement été affectés à la piste 13-31, qui était la piste en service.

    RA-82078, l'avion en question dans le présent accident, avait également effectué une sortie de piste accidentelle à Trenton (Ontario), en 1996 (rapport A96H0006 du BST). En 1998, un autre avion AN 124 exploité par Volga-Dnepr Airlines avait quitté la piste 13-31 à l'atterrissage, à l'aéroport de Gander. Tout récemment, le 9 novembre 2007, RA-82078 avait exécuté un atterrissage long et une sortie de piste à l'aéroport de Gander (rapport A07A0135 du BST).

    À Gander, le freinage sur piste est mesuré au moyen d'un décéléromètre monté sur un véhicule réservé aux essais. L'instrument en question mesure la force de décélération exercée sur le véhicule lorsqu'on serre les freins. Des données sont relevées par intermittence, du seuil de la piste jusqu'à son extrémité. Ces données servent ensuite à établir une valeur moyenne. Les valeurs sont présentées en tranches décimales, de 0 à 1,0; 1,0 correspond à une piste en dur sèche, et 0, à une chaussée offrant très peu ou pas de freinage efficace sur roues, comme si elle était entièrement recouverte d'une couche de glace vive. Ces valeurs représentent le coefficient canadien de frottement sur piste (CRFI). L'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) recommande que les comptes rendus RSC indiquent l'état de la chaussée pour chaque tiers de piste.

    Lorsque la chaussée est seulement mouillée, sans aucune autre contamination, les données de freinage ne sont pas relevées et aucun CRFI n'est calculé à l'intention des services de la circulation aérienne et des pilotes. Des données servant à établir le CRFI n'avaient pas été relevées pour le compte rendu RSC de 23 h 6, car la chaussée des deux pistes était dégagée et mouillée, et il n'y avait aucune accumulation de neige.

    Des données servant à déterminer le CRFI ont été relevées sur la piste 03-21, 12 minutes après l'accident. En tout, 19 lectures ont été prises, et elles étaient comprises entre 0,32 près du milieu de la piste et 0,59 près de l'extrémité de piste. La moyenne des 19 lectures était de 0,48. La valeur minimale du CRFI pour piloter un avion de type AN 124 est de 0,47. Même si les membres de l'équipage de conduite russe du vol VDA 2100 étaient plus familiers avec les aéroports qui offrent un CRFI pour chaque tiers de piste, au lieu d'une moyenne pour toute sa longueur comme le font les aéroports canadiens, le commandant de bord du vol en question avait déjà atterri à Gander 35 fois.

    Analyse

    Aucune défaillance mécanique n'a contribué à l'accident en question. Par conséquent, l'analyse sera axée sur la connaissance de l'état de la piste, le point de toucher des roues sur la piste, le retard du freinage des roues et la réduction de la vitesse de décélération.

    Le message ATIS reçu par l'équipage indiquait que la piste 03-21 était dégagée et mouillée et que la piste 13-31 était en service. Douze minutes avant l'atterrissage, l'équipage a reçu une observation météorologique spéciale indiquant qu'il neigeait légèrement. Le fait que la dernière observation météorologique était un message spécial et que ce dernier indiquait qu'il neigeait aurait dû mettre l'équipage sur ses gardes quant au changement des conditions météorologiques et, en conséquence, à la contamination possible de la piste sélectionnée pour l'atterrissage. Cependant, l'équipage n'a pas demandé un compte rendu RSC à jour.

    La piste 13-31 était la piste en service en raison d'un vent léger de l'ouest. Les pistes en service sont choisies en fonction de divers facteurs, comme la direction du vent de surface, la direction prédominante des aéronefs à l'approche et la distance de roulage. Avant l'accident en question, le personnel chargé du déneigement et les véhicules nécessaires à cette tâche avaient seulement été affectés à la piste 13-31.

    L'avion s'est posé environ 2400 pieds au-delà du point de toucher habituel (3400 pieds moins 1000 pieds). Le fait que l'avion ait effectué un atterrissage long, à 14 nœuds de moins que la vitesse prévue, indique que l'avion a flotté sur cette distance avant de se poser. Comme la piste était contaminée par de la neige, la distance d'arrêt réduite a grandement accru les risques que l'avion ne puisse pas s'arrêter sur la longueur de piste restante.

    Les freins de roues ont été serrés par le commandant et le copilote, cinq secondes après que l'avion a atteint la vitesse de freinage prévue de 135 nœuds. Les freins ont été serrés à 2000 pieds au-delà du point de toucher des roues; il restait donc 4800 pieds de piste pour arrêter l'avion. Le fait que les deux pilotes aient tenté de serrer les freins simultanément peut indiquer qu'ils étaient préoccupés par la distance d'arrêt restante.

    L'analyse des données de vol enregistrées a indiqué que la vitesse de décélération initiale aurait pu permettre d'arrêter l'avion avant le bout de piste. L'équipage a eu recours à l'inversion de poussée après l'atterrissage, mais il n'a cependant pas maintenu l'inversion de poussée maximale disponible avant d'être certain de pouvoir s'arrêter sur la longueur de piste restante. Même si l'inversion de poussée a peu d'effet lorsqu'elle est utilisée à moins de 90 nœuds, cet effet limité et l'absence d'une poussée normale résiduelle durant les 15 secondes au cours desquelles la puissance au régime de ralenti a été rétablie auraient pu être suffisants pour éviter une sortie de piste.

    L'enquête a donné lieu au rapport de laboratoire suivant :

    • LP 032/2007 – FDR Analysis (Analyse de l'enregistreur de données de vol)

    On peut obtenir ce rapport en s'adressant au Bureau de la sécurité des transports du Canada.

    Faits établis

    Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

    1. L'avion s'est posé environ 2400 pieds au-delà du point de toucher habituel, ce qui a considérablement réduit la distance d'arrêt disponible.
    2. La chaussée de piste contaminée a fait augmenter la distance nécessaire pour arrêter l'avion.
    3. Le serrage tardif des freins et le non-maintien de l'inversion de poussée maximale avant qu'on soit certain que l'avion s'arrêterait sur la piste restante ont contribué à la sortie de piste.

    Mesures de sécurité prises

    Volga-Dnepr Airlines a pris des arrangements avec l'administration aéroportuaire de Gander (Gander International Airport Authority) pour obtenir sur demande un rapport des coefficients canadiens de frottement sur piste (CRFI) pour chaque tiers de piste.

    À la suite de l'accident en question, Volga-Dnepr Airlines a mené sa propre enquête, et l'entreprise a élaboré un programme interne d'assurance de la qualité visant tout particulièrement ses opérations aériennes intensives à l'aéroport de Gander pour la période 2007-2008. L'entreprise envisage de rendre ce programme permanent.

    Volga-Dnepr Airlines élabore actuellement un tableau fiable pour la conversion des valeurs CRFI en coefficient de frottement. Un tableau sera prêt d'ici le début de l'hiver prochain (2008-2009).

    Le BST a envoyé une lettre d'information sur la sécurité aérienne (A07A0029-D1-L1) à Transports Canada concernant les différences entre les pratiques canadiennes et celles recommandées par l'Organisation de l'aviation civile internationale pour rendre compte des valeurs de freinage sur piste.

    Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .