Incursion de piste
du Learjet 35A, N70AX
exploité par R & M Aviation Inc.
à l'aéroport international de Toronto/ Lester B. Pearson (Ontario)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Un avion Learjet 35A (immatriculé N70AX, numéro de série 155), exploité par R & M Aviation Inc. circulait depuis l'aire de trafic de l'aviation générale, côté nord de l'aéroport, en vue d'un décollage de la piste 06L à l'aéroport international de Toronto/Lester B. Pearson à destination de Chicago - Rockford (Illinois) aux États-Unis. L'équipage de N70AX a reçu l'instruction d'emprunter la voie de circulation Juliette, d'attendre à l'écart de la voie de circulation Papa, puis de continuer sur la voie de circulation Foxtrot et d'attendre à l'écart de la piste 05. À 22 h 6 min 34 s, heure normale de l'Est, l'avion arrive au point d'attente de la piste 05 et, sans s'arrêter, entre sur la piste à 22 h 6 min 43 s. Au même moment, un avion Westwind IAI 1124 d'Israel Aircraft Industries (immatriculé C-FJOJ, numéro de série 271), exploité par Fast Air, atterrit sur la piste 05. L'équipage de C-FJOJ voit N70AX et l'évite en passant derrière. Les deux avions passent à 60 pieds l'un de l'autre.
Renseignements de base
Le Learjet N70AX a quitté son aéroport d'attache, Aurora (Illinois) aux États-Unis à 9 h 53, heure normale du Centre (HNC)Footnote 1 avec les pilotes et une équipe médicale à bord. Le vol avait pour objet le transport d'un patient de Miami (Floride) aux États-Unis à l'aéroport international de Toronto/Lester B. Pearson (LBPIA). Après le vol, l'équipage devait retourner à Aurora avec une escale à Rockford (Illinois) pour passer les douanes. L'heure de retour prévu à Aurora était de 17 h 00 HNC. Le vol a été retardé en raison des conditions de transport du patient, autant à Miami qu'à Toronto. Le vol est arrivé à Toronto à 18 h 3, heure normale de l'EstFootnote 2, en retard sur l'heure prévue. Il a quitté Toronto à 22 h 20.
Les pilotes possédaient les licences et les qualifications voulues selon la réglementation de la Federal Aviation Administration (FAA) des États-Unis. Le commandant de bord (CDB) avait une expérience sur le type d'avion, mais le copilote venait d'être qualifié et n'avait que 15 heures de vol sur type. C'était son troisième vol. Les pilotes ne connaissaient pas Toronto LBPIA : le CDB s'y était posé deux fois de jour et le copilote n'y était jamais allé. Ils étaient en service depuis environ 12 heures et auraient presque atteint la limite autorisée de 14 heures au retour à leur base. L'expérience de l'équipage ainsi que ses heures de service et de repos au moment de l'incident s'établissent comme suit :
Expérience et heures de service de l'équipage | Commandant | Copilote |
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Heures de vol totales / sur type | 5270 / 360 | 7100 / 15 |
Heures de vol dans les 90 derniers jours / sur type | 180 / 180 | 150 / 15 |
Heures de vol dans les 30 derniers jours / sur type | 35 / 35 | 45 / 15 |
Heures de vol dans les 3 derniers jours / sur type | 10 / 10 | 10 / 5 |
Heures de vol dans dernières 24 heures / sur type | 5 / 5 | 5 / 5 |
Heures de service avant l'accident | 12 | 12 |
Période libre avant la prise de service | 48 | 11 |
Période éveillée avant l'incident | 13 | 14 |
Durée de la dernière période de sommeil | 10 | 7 |
Au départ de Toronto, le CDB était aux commandes et occupait le siège gauche. Avant de circuler, le copilote a reçu l'autorisation du contrôle de la circulation aérienne (ATC) pour le vol. À 22 h 3, il a reçu l'autorisation de « circuler avec virage à droite sur Juliette et attendre à l'écart de Papa ». L'équipage a compris l'autorisation et l'a relue correctement, sans demander ni donner d'indication qu'il avait besoin d'instructions en séquence. Avant que N70AX n'atteigne Papa, l'ATC lui a donné l'instruction de « continuer sur Foxtrot et d'attendre à l'écart de la piste 05 ». Le copilote a relu correctement l'instruction et a commencé la liste de vérifications de circulation au sol et avant décollage. Le CDB avait la carte d'aéroport. Il dirigeait l'avion, cherchait le point d'attente de la piste 05 et répondait aux questions du copilote sur les éléments de la liste de vérifications. Le CDB a vu des feux au loin qu'il a pris pour la piste 05 et a traversé ce qui lui semblait être une voie de circulation. C'était en fait la piste 05.
Les pilotes ne se sont pas rendu compte qu'ils traversaient la piste 05 et aucun d'eux n'a vu le Westwind C-FJOJ sur la piste avant d'en être informé par l'ATC. Le copilote avait les yeux baissés sur la liste de vérifications.
Le Westwind C-FJOJ avait été autorisé à atterrir piste 05. L'équipage a vu le Learjet dans ses phares d'atterrissage quand celui-ci est entré sur la piste. Il l'a évité en freinant et en obliquant à gauche pour passer derrière. La nuit était claire avec une visibilité illimitée. Il n'y avait aucun obstacle à la vue entre N70AX et C-FJOJ pendant la phase finale de l'approche et l'atterrissage.
L'effectif de la tour de contrôle de Toronto LBPIA au moment de l'incident comptait dix contrôleurs dont sept en poste et trois en relève. Leur charge de travail était faible à modérée. Les postes de contrôleur des fréquences tours et sols nord et sud étaient tous occupés. Les fréquences suivantes étaient en usage :
Poste contrôleur | Fréquence (MHz) |
---|---|
Tour nord | 118,7 |
Tour sud | 118,35 |
Sol nord | 121,65 |
Sol sud | 121,9 |
Le contrôleur tour nord contrôlait C-FJOJ pendant son approche. La piste était dégagée lorsque l'autorisation d'atterrir a été donnée et l'était encore quand C-FJOJ a survolé le seuil de piste.
Annexe AInitialement, le contrôleur sol nord a pensé que N70AX allait s'arrêter à l'écart de la piste 05 tel qu'il avait été autorisé. Le contrôleur tour nord a exprimé un doute et le contrôleur sol nord a regardé l'écran du radar de surveillance de la surface d'aéroport (ASDE) et constaté que N70AX entrait sur la piste. Presque au même moment, l'alarme de conflit a sonné.
La séquence des événements ci-dessous a été établie d'après les enregistrements des communications ATC et de l'ASDE :
Heure | N70AX | C-FJOJ |
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22 h 06 min 20 s |
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22 h 06 min 34 s |
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22 h 06 min 43 s |
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Déclenchement de l'alarme de conflit dans la tour | ||
22 h 06 min 46 s |
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22 h 06 min 49 s |
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Les contrôleurs ont la responsabilité de suivre la progression des aéronefs qui évoluent selon leurs instructions. Une instruction du personnel de NAV CANADAFootnote 3 précise que la « surveillance des vols et des services d'information de vol attentifs » est l'objectif principal lorsque les contrôleurs accomplissent des tâches simultanées. Cela signifie qu'ils doivent établir des priorités dans un contexte de tâches multiples et ne pas se laisser distraire par des tâches secondairesFootnote 4. Selon le Manuel d'exploitation du contrôle de la circulation aérienne de NAV CANADA (MANOPS ATC), les contrôleurs doivent explorer visuellement les aires de manœuvre avant d'émettre une autorisation ou une instruction et « le plus souvent possible ». Les pilotes à l'atterrissage s'attendent à ce que la piste soit libre de tout obstacle lorsqu'ils franchissent le seuil de piste.
Toronto LBPIA est doté d'un ASDE qui affiche en temps réel dans la tour la position des aéronefs et autres véhicules sur les aires de manœuvre de l'aéroport. Selon le MANOPS ATC, les contrôleurs doivent utiliser l'ASDE pour renforcer l'observation visuelle du trafic qui évolue sur les aires de manœuvre la nuit, par faible visibilité ou lorsque le contrôleur le juge nécessaire pour faciliter le contrôle. Le MANOPS note que l'exploration visuelle est considérée comme la technique principale. Le MANOPS autorise l'usage de l'ASDE pour confirmer le respect des instructions.
L'ASDE est doté d'un logiciel secondaire appelé système de surveillance et d'alarme de conflit (RIMCAS) qui suit les cibles et avertit en cas de conflit. L'ASDE et le RIMCAS fonctionnaient au moment de l'incident. Ils étaient configurés pour surveiller le secteur d'arrivée de la piste 05 devant C-FJOJ pendant son approche finale et son atterrissage et servir d'alarme visuelle en cas de conflit dans les 30 secondes et d'alarme sonore dans les neuf secondes devant l'avion. Dans ce contexte, un conflit existe lorsque l'autre avion franchit le bord de la piste. Les alarmes et les avertissements RIMCAS sont destinés au personnel ATC seulement. Ils ne donnent aucun avertissement direct aux pilotes.
L'ASDE et le RIMCAS actuellement installés à Toronto ont atteint leur limite. Des améliorations aux capacités d'avertissement du système sont impossibles en raison de l'âge du logiciel et du système d'exploitation. Un système amélioré, comme il en existe à d'autres emplacements de NAV CANADA, est réputé offrir une meilleure protection.
La voie de circulation Foxtrot disposait d'une ligne d'axe peinte et d'un balisage lumineux d'axe vert jusqu'à l'intersection avec la piste 05. L'intersection était signalée par des panneaux de numéro et de direction de piste disposés de chaque côté de la voie de circulation. Le point d'attente, environ 200 pieds avant le bord de piste, était signalé par deux lignes jaunes continues et deux lignes pointillées peintes sur fond noir en travers de la voie de circulation, et par des feux d'intersection de piste (deux feux jaunes qui s'allument en alternance sur les bords de la voie de circulation en regard de la ligne d'attente). Le point d'attente est également matérialisé par des barres d'arrêt dotées de feux rouges encastrés en travers de la voie de circulation qui sont allumés lorsque la piste est en usage par faible visibilité. Les barres d'arrêt n'étaient pas allumées au moment de l'incident. Ces marques et ces feux sont conformes aux exigences d'une exemption au Règlement de l'aviation canadien (RAC). Le balisage et les feux étaient en bon état, dépourvus d'obstructions et en fonctionnement, sauf pour les barres d'arrêt.
Les incursions de piste sont connues depuis des années comme un problème de sécurité mondiale. En juillet 1999, le Comité national de la sécurité de l'Aviation civile de Transports Canada (TC) a formé un sous-comité sur les incursions de piste (SCIP) pour établir une stratégie nationale. TC et NAV CANADA ont entrepris des études parallèles qui ont mené à une vingtaine de recommandations.Footnote 5 Une équipe chargée des mesures de prévention des incursions de piste (EPIP) a été formée pour superviser la mise en place des recommandations des études, lesquelles portaient, entre autres, sur un programme de sensibilisation, des modifications dans la réglementation et les procédures et d'autres mesures visant à prévenir les incursions ou atténuer leurs effets. Les principales mesures de prévention visaient :
- la normalisation du balisage et de la signalisation des voies de circulation;
- la normalisation de la terminologie des instructions ATC pour les aéronefs au sol;
- l'obligation de donner des autorisations explicites et spécifiques pour franchir toutes les pistes, y compris les pistes inactives;
- l'obligation pour les pilotes de relire les instructions de roulage et d'attente à l'écart.
En 2005, le nombre d'incursions a diminué et l'EPIP a été dissoute. Un an plus tard, l'industrie a réuni un groupe de spécialistes sur la sécurité des pistes et la prévention des incursions dirigé par NAV CANADA en vue de poursuivre la surveillance des mesures de prévention.
Le Canada et les États-Unis ont développé un système conjoint de balisage des voies de circulation amélioré pour prévenir les pilotes à l'approche d'un point d'attente. Le balisage comporte une ligne d'axe plus large (ajout de pointillés jaunes de chaque côté de la ligne d'axe menant au point d'attente), prolongement des lignes d'attente existantes jusque dans les bas-côtés de la voie de circulation et une signalisation du point d'attente peinte au sol. Ce balisage a été adopté dans les grands aéroports aux États-Unis entre 2005 et 2008. En septembre 2008, Transports Canada a émis une exemption aux Normes et pratiques recommandées pour les aérodromesFootnote 6 afin d'autoriser les exploitants d'aéroport à adopter ce balisage.
Les incursions de piste sont sur la liste des améliorations prioritaires du National Transportation Safety Board (NTSB) des États-Unis depuis 1990. L'une des recommandations vise la mise au point d'un dispositif pouvant avertir directement les pilotes dans le poste de pilotage en cas de conflit quand le laps de temps est insuffisant pour qu'un avertissement indirect par l'ATC soit donné. La FAA a étudié un système de feux de signalisation de piste (RWSL) en vue d'atteindre cet objectif. Les premiers éléments mis à l'essai ont donné de bons résultats,Footnote 7 indiquant qu'un tel système est réalisable. La FAA a commencé à l'installer sur quelques grands aéroports tout en poursuivant la mise au point d'autres éléments conformément à son programme général de sécurité des pistes. Au Canada, le seul système d'avertissement d'incursion de piste est le RIMCAS. Il avertit seulement les contrôleurs, sans aucune indication directe aux pilotes. Transports Canada et NAV CANADA n'ont pas jugé utile une telle capacité et l'installation d'un système RWSL ou d'un système équivalent n'est pas prévue.
L'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) a publié un manuel sur les incursions de pisteFootnote 8 en 2007. Son but est d'offrir des conseils aux États contractants sur la prévention des incursions de piste. Le Canada a participé à sa préparation. Certaines recommandations du manuel s'appliquent aux circonstances de cet incident, notamment :
- Toutes les communications associées aux opérations de surface (véhicules, trafic sécant, etc.) devraient être effectuées sur la fréquence utilisée pour le décollage et l'atterrissage des avions;
- Pendant tous leurs mouvements à la surface, les pilotes devraient piloter leur avion « tête haute » pour mieux surveiller l'aérodrome.
- Les barres d'arrêt devraient être allumées pour indiquer que tous les mouvements à la surface doivent être interrompus et éteintes pour indiquer que la circulation peut reprendre.
Transports Canada n'a pas adopté ces mesures et il n'y est pas obligé, car le document de l'OACI est informatif. Toutefois, au début de février 2009, Toronto LBPIA a commencé à utiliser les barres d'arrêt de cette façon pour lutter contre les incursions de piste par les avions traversant les pistes 06L - 24R. Neuf jours plus tard, une incursion s'est produite alors que les barres d'arrêt étaient allumées. L'équipage n'a pas vu les barres d'arrêt ni les marques d'attente, mais s'est arrêté avant d'entrer sur la piste, car il savait qu'il s'approchait de la piste et l'a vue grâce à d'autres moyens.
L'OACI a établi quatre niveaux de gravité. Selon les définitions de l'OACI, l'événement serait classé « A », signifiant qu'il s'agit d'un incident grave où une collision a été évitée de justesse. Sur l'échelle de l'OACI, c'est le niveau le plus grave.
Une étude de l'Association du transport aérien international (IATA)Footnote 9 sur les incursions de piste a relevé des facteurs qui se rapportent à l'incident en question, notamment :
- les dérogations des pilotes, définies comme des actions entraînant une infraction à la réglementation, comptent pour plus de 55 pour cent des incursions de piste.
- plus de la moitié des incursions de piste se produisent pendant le roulage au départ;
- la gestion de la charge de travail pendant le roulage réduit souvent la surveillance du cheminement au sol et des autorisations à un seul pilote. L'une des principales distractions relevées concerne la liste de vérifications avant décollage;
- lorsque le franchissement d'une ligne d'attente est la cause de l'incursion, le balisage d'aérodrome, l'obscurité et la faible visibilité sont des facteurs contributifs;
- la fatigue (comme au cours de la troisième ou quatrième étape de la journée) et la pression opérationnelle ont été citées comme facteurs contributifs courants.
Les incursions de piste sont des événements rapportables selon la réglementation du Bureau si elles sont à l'origine d'un accident, d'une collision ou d'un risque de collision visant un avion d'une masse maximale homologuée au décollage de plus de 5 700 kg, ou un hélicoptère de plus de 2 250 kg. Au cours des 10 dernières années, il y a eu 14 enquêtes sur des incursions de piste, dont trois sont encore en cours.
Les enquêtes terminées indiquent que cinq événements mettaient en cause une dérogation de la part du pilote, dont un seulement avec un franchissement d'une ligne d'attente, et six visaient des instructions ATC inappropriées. Les autres facteurs contributifs étaient essentiellement les mêmes que ceux notés dans les autres études sur les incursions de piste, notamment l'obscurité, la faible visibilité ou les erreurs de communication. Si les facteurs humains sont toujours présents dans ces événements, il n'a pas été possible de dégager une lacune de système ou une cause unique, ni une stratégie de prévention unique, outre l'éducation et la sensibilisation.
Le RIMCAS n'a pas joué son rôle de défense dans les 11 événements ayant fait l'objet d'une enquête du Bureau. Toutefois, un fait relevé dans l'un des événements indique que sans un système automatique donnant un avertissement direct aux pilotes dans le poste de pilotage, le temps de réaction du RIMCAS risque d'être insuffisant pour prévenir un accident. Un autre rapport note les limitations physiologiques de la vue chez l'être humain dans les techniques de balayage visuel, autant chez les pilotes que chez les contrôleurs.
La majorité des incursions de piste n'étant pas rapportables au Bureau, les dossiers de Transports Canada sur ces incidents au Canada ont été consultés. Sur une période de 10 ans, de 1999 à 2008, 3 831 incursions ont été enregistrées à travers le pays, dont 183 à Toronto LBPIA. Les tendances actuelles sont présentées à l'Annexe B - Historique des incursions de piste au Canada. Les rapports d'incursions de piste ont diminué de 2002 à 2005 à Toronto LBPIA et à travers le pays, mais ont augmenté pas la suite. Ces tendances sont étroitement liées au nombre de mouvements d'aéronefs. Environ le tiers des incursions à Toronto LBPIA ont eu lieu de nuit.
Analyse
Cet incident s'est produit parce que le pilote de N70AX a mal évalué la distance qui le séparait de la piste 05. Il a continué à rouler en coupant la trajectoire d'un avion à l'atterrissage malgré les mesures passives destinées à empêcher les incursions, notamment :
- le balisage et la signalisation d'aéroport étaient conformes aux normes applicables;
- le balisage et la signalisation étaient sans obstruction et la visibilité était bonne;
- les instructions ATC étaient conformes aux normes applicables, clairement comprises et correctement relues.
Les pilotes ont mal jugé leur position sur l'aéroport. Le balisage du point d'attente n'a pas été suffisant pour attirer leur attention ou modifier leur perception de leur position. Les facteurs contributifs qui ont potentiellement réduit leur niveau de conscience sont similaires à ceux relevés dans les études précédentes :
- l'incursion s'est produite au roulage avant le départ;
- un seul pilote surveillait le trajet et le respect des instructions;
- la liste de vérifications avant décollage les a distraits;
- l'obscurité;
- la fatigue liée à la troisième étape de la journée après 12 heures de service;
- la pression opérationnelle (autogène, car l'équipage allait atteindre la limite de temps en service au retour à sa base).
Une signalisation supplémentaire du point d'attente, comme des barres d'arrêt allumées ou des marques de voie de circulation élargies aurait pu être utilisée, mais il n'est pas certain qu'elle aurait pu modifier la perception que les pilotes avaient de leur position. En effet, lorsque Toronto LBPIA a commencé à utiliser les barres d'arrêt pour souligner un point d'attente sur une autre piste, il n'a pas fallu attendre longtemps pour voir l'échec de ce moyen de défense pour un équipage qui recherchait activement des indices pour situer la piste.
Il n'est pas certain non plus que l'utilisation d'une fréquence commune pour les avions au roulage et les avions à l'atterrissage ou au décollage aurait eu un effet, car les fréquences séparées ont pour but d'éviter les erreurs de coordination entre les contrôleurs. Dans ce cas-ci, tout dépendait du moment de l'émission des autorisations et des changements de fréquence et cela aurait induit d'autres risques comme la surcharge de travail du contrôleur.
La surveillance par les contrôleurs de la circulation aérienne est un moyen de défense supplémentaire contre les incursions. Le contrôleur sol surveillait cinq avions au moment de l'incident et aucun d'eux n'avait une priorité vraiment inférieure. Quatre des avions étaient du côté est de l'aéroport et un seul, N70AX, était au nord-ouest de la tour, obligeant le contrôleur à faire un balayage visuel d'un large secteur. Juste avant l'incursion, il a regardé de nouveau vers N70AX, mais l'imminence de l'incursion n'était pas évidente en raison du mouvement relatif de l'avion directement vers la tour et donc difficile à déceler à l'œil, particulièrement la nuit. Le contrôleur a bien essayé de regarder l'écran ASDE pour plus de certitude, mais les événements se sont produits tellement rapidement qu'il n'a pas remarqué que N70AX avait franchi la ligne d'attente et continuait sur la piste jusqu'à ce que l'alarme sonore se déclenche après l'incursion de piste.
Le RIMCAS est prévu pour apporter une défense supplémentaire. L'alarme sonore ne donne pas suffisamment de temps au contrôleur pour émettre une instruction à l'un ou l'autre des avions et n'a pas pu empêcher une collision potentielle. Dans cet incident, même avec un réglage sur faible visibilité, le RIMCAS n'aurait donné qu'un préavis de neuf secondes avant que le Learjet entre sur la piste. Indépendamment du réglage de visibilité, bonne ou mauvaise, l'alarme RIMCAS survient seulement après une incursion. Par conséquent, dans sa configuration actuelle, le RIMCAS permet seulement d'atténuer les conséquences en prévenant la collision qui pourrait en résulter. Prévenir une collision après une alarme RIMCAS dépend essentiellement des instructions que le contrôleur peut donner à temps aux équipages pour qu'ils réagissent. Cet incident montre que dans la plupart des situations critiques, le manque de temps et la rapidité des événements peuvent déjouer cette défense et le contrôleur ne dispose pas du temps voulu pour éviter la collision. Pour être efficace, le RIMCAS devrait donner un signal bien avant que l'avion n'arrive au point d'attente pour permettre au contrôleur d'intervenir et de prévenir l'incursion.
Le nombre d'incursions de piste a chuté entre 2002 et 2005 en raison de la baisse du trafic aérien. Depuis, il est retourné aux valeurs antérieures en dépit des mesures de défense qui ont été prises. Les mesures passives visant à réduire les erreurs des pilotes qui entrent sur une piste au point d'attente peuvent réduire ce type d'incursion, mais elles ne pourront pas les éliminer. Le risque résiduel reste élevé en raison des conséquences potentiellement catastrophiques en cas de collision à haute vitesse. La probabilité d'un impact à haute vitesse est plus élevée à mi-longueur de piste, là où un avion au départ atteint sa vitesse de décollage, ou un avion à l'atterrissage n'a pas encore ralenti à la vitesse de roulage.
Les incursions de piste surviennent pour de multiples raisons, notamment à cause des erreurs des pilotes, des contrôleurs, des chauffeurs de véhicules et des personnes. Les systèmes ASDE et RIMCAS restent les seuls dispositifs automatiques qui peuvent détecter de façon autonome les incursions, mais le délai d'avertissement et le manque de temps de réaction en limitent leur efficacité. De plus, les ASDE et RIMCAS actuellement installés à Toronto LBPIA ne peuvent plus être améliorés pour offrir le plus haut niveau de protection qui est réputé exister sur d'autres sites de NAV CANADA.
Faits établis
Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs
- Les pilotes du Learjet N70AX ne connaissaient pas l'aéroport international de Toronto/Lester B. Pearson de Toronto et ont mal jugé leur position au sol. En conséquence, ils ne se sont pas arrêtés à l'écart de la piste selon l'instruction de l'ATC et sont entrés sur la piste par inadvertance en coupant la trajectoire d'un avion à l'atterrissage.
- Le copilote n'a pas participé au suivi du trajet au sol ni au respect des instructions, car il effectuait des vérifications pendant que le commandant de bord circulait.
Faits établis quant aux risques
- Le niveau de vigilance de l'équipage peut être réduit par les pressions opérationnelles et la fatigue après une longue journée en service et des étapes multiples.
- Le système de surveillance et d'alarme de conflit (RIMCAS) ne prévient pas en temps voulu pour prévenir les incursions, ni permettre aux contrôleurs d'éviter une collision.
- Il n'existe pas à l'heure actuelle de dispositif automatique d'avertissement d'incursion de piste pour prévenir directement les équipages en cas d'incursion ou de conflit imminent.
Mesures de sécurité
Mesures prises
L'avion a été doté d'un Garmin 696 qui donne la position de l'appareil sur un aéroport. Il est à l'essai pour une utilisation conjointe avec les cartes d'aérodrome afin de réduire les risques d'erreur de circulation.
Préoccupations liées à la sécurité
Deux têtes
La pratique d'exécuter des listes de vérifications non essentielles pendant le roulage au départ est couramment répandue. Comme l'a montré cet incident, cette pratique réduit souvent la surveillance du cheminement au sol et le respect des autorisations à un seul pilote. Le Bureau est préoccupé par le fait que la pratique de faire des vérifications non essentielles, à moins qu'elles ne soient explicitement abrégées, pendant le roulage afin d'accélérer le départ continuera à soustraire une défense essentielle contre les éventuelles incursions de piste.
L'ASDE et le RIMCAS à l'aéroport international de Toronto/Lester B. Pearson
Le radar de surveillance de la surface d'aéroport et le système de surveillance et d'alarme de conflit (l'ASDE et le RIMCAS) à l'aéroport international de Toronto/Lester B. Pearson ont semble-t-il atteint leur limite et ne peuvent plus être améliorés en raison du type et de l'âge du logiciel. NAV CANADA envisage leur remplacement. Dans cette attente, le Bureau est préoccupé par le fait que l'aéroport commercial le plus fréquenté au Canada soit apparemment exploité avec un ASDE et un RIMCAS qui n'offrent pas le même niveau de protection existant pourtant sur d'autres aéroports au Canada.
Avertissement direct d'incursion de piste dans les postes de pilotage
Il n'est pas certain qu'un système ASDE RIMCAS amélioré puisse réduire de façon marquée le risque d'incursions de piste et de ces conséquences potentiellement catastrophiques. Ce système continuera à dépendre de l'interprétation des avertissements par le contrôleur et de ses communications radio subséquentes avec les avions et les véhicules. La transmission directe d'avertissements dans les postes de pilotage est à l'origine de la mise à l'essai et de l'installation de feux de signalisation de piste (RWSL) par la Federal Aviation Administration sur certains aéroports aux États-Unis.
Toutefois, le besoin d'un tel système pour compléter l'ASDE et le RIMCAS n'a pas été reconnu par Transports Canada ni par NAV CANADA. Par conséquent, le Bureau est préoccupé par le fait que le risque de collision à haute vitesse persistera tant que les avions au décollage et à l'atterrissage ne recevront pas un avertissement direct d'incursion sur la piste qu'ils utilisent.
Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .
Annexes
Annexe A - Position des aéronefs
(Ce document n'existe pas en français.)
Annexe B - Historique des incursions de piste au Canada
Les données ci-dessous ont été extraites de la base de données du Système de compte rendu quotidien des événements de l'aviation civile (CADORS) de Transports Canada selon la définition d'incursion de piste de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) :
« Toute situation se produisant sur un aérodrome, qui correspond à la présence inopportune d'un aéronef, d'un véhicule ou d'une personne dans l'aire protégée d'une surface destinée à l'atterrissage et au décollage d'aéronefs. »
(Ce document n'existe pas en français)
Annexe B1. Incursions de piste - Ensemble des aéroports canadiens
(Ce document n'existe pas en français)
Annexe B2. Incursions de piste - Aéroport international de Toronto/Lester B. Pearson