Panne moteur et atterrissage forcé
du Noorduyn Norseman MK V C-FECG
exploité par Gogal Air Services Limited
à 15 nm au nord de Snow Lake (Manitoba)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
L'avion Noorduyn Norseman Mark V (immatriculation C-FECG, numéro de série N29-43), monté sur des flotteurs et exploité par Gogal Air Services Limited, quitte Burntwood Lake Lodge (Manitoba) pour effectuer un vol de 20 minutes à destination de Snow Lake. Après environ 10 minutes de vol, le moteur commence à avoir des ratés et à perdre de la puissance. Le pilote tente en vain de rétablir la puissance du moteur. À 9 h, heure avancée du Centre, le pilote exécute un atterrissage forcé à 15 milles marins au nord de Snow Lake, dans une zone marécageuse peu boisée. Le pilote et les sept passagers débarquent de l'avion sans être blessés. L'avion est considérablement endommagé, même si les forces de l'impact ont été faibles et que la radiobalise de repérage d'urgence ne se soit pas déclenchée. Le pilote communique par radio avec un transporteur aérien qui effectue un vol dans la région, et il informe l'autre pilote de l'accident. Un hélicoptère de l'entreprise est envoyé sur le lieu de l'accident, et il transporte le pilote et les passagers jusqu'à Snow Lake.
Renseignements de base
La station météorologique la plus proche est située à Flin Flon (Manitoba), à environ 40 milles marins (nm) à l'ouest de Snow Lake. Le message météorologique pour l'aviation de 9 h, heure avancée du Centre (HAC)Note de bas de page 1, de Flin Flon était le suivant : vent du 360° vrais à 6 nœuds, visibilité de 15 milles terrestres, ciel dégagé, température de 12 °C et point de rosée de 8 °C. Le matin de l'accident, les conditions météorologiques de Flin Flon étaient les mêmes qu'à Snow Lake. Dans certains cas, ces conditions météorologiques peuvent favoriser la formation de givrage dans le carburateur. Le pilote n'a remarqué aucun givrage du carburateur pendant les vols effectués le jour de l'accident. L'entreprise est titulaire d'un certificat d'exploitation aérienne lui permettant d'effectuer des vols selon les règles de vol à vue (VFR), et les conditions météorologiques se prêtaient aux vols VFR au moment de l'accident.
Le pilote était titulaire d'une licence de pilote professionnel d'avion et d'hélicoptère. Il détenait un certificat médical de catégorie 1 valide jusqu'au 1er septembre 2008. L'attestation prouvant que le pilote avait réussi un vol de vérification des compétences sur le Norseman était valide jusqu'au 31 mai 2009.
L'avion devait quitter l'hydrobase de l'entreprise à Snow Lake pour se rendre à Burntwood Lake Lodge, situé à 37 nm au nord, et ramener sept passagers et leurs bagages. Le pilote a effectué une inspection avant le vol et ajouté 100 litres (159 livres) de carburant dans le réservoir gauche. La quantité totale de carburant à bord de l'avion s'élevait donc maintenant à environ 500 livres. On prévoyait consommer 150 livres de carburant pour effectuer le vol aller-retour de 40 minutes. Le vol vers le lac Burntwood s'est déroulé sans incident, et les performances de l'avion étaient normales. Les passagers et les bagages ont été embarqués au lac Burntwood. On a estimé que la masse totale de l'avion avait été atteinte ou qu'elle était près de la masse maximale autorisée de 7540 livres.
L'avion a décollé du lac Burntwood, et le pilote a mis l'avion en palier à 1000 pieds au-dessus du sol. Après environ 10 minutes de vol, le moteur a commencé à avoir des ratés et à perdre de la puissance. Le pilote a poussé la commande de mélange du moteur jusqu'à la position plein riche, mis en marche le réchauffeur du carburateur et changé de réservoir de carburant. Les performances du moteur ne se sont pas améliorées, et l'avion a commencé à perdre de l'altitude. Le pilote a tenté d'atteindre un lac situé à environ trois milles de là, mais à environ un mille du lac, il s'est rendu compte qu'il n'y parviendrait pas. Il a alors orienté l'avion vers une zone marécageuse qui se trouvait sous lui. L'avion s'est posé sur l'herbe du marécage, et il a glissé sur environ 200 verges dans les roseaux, avant d'entrer dans un bouquet d'arbres à une vitesse d'environ 30 mi/h. Les ailes et les flotteurs ont amorti le plus gros de l'impact, et l'avion s'est arrêté doucement. Le flotteur droit s'est coincé sous le fuselage, ce qui a fait basculer l'avion vers la droite. Le pilote est sorti par la porte de gauche, et il a aidé les passagers à quitter la cabine. Aucune blessure n'a été signalée.
L'avion a été examiné sur le lieu de l'accident. Un écoulement de carburant propre et clair a été découvert sur la cellule principale, près du filtre à carburant. Le capotage du moteur a été enlevé, et l'examen initial du moteur Pratt & Whitney R1340 AN-1 (numéro de série 18620) a révélé que la pipe d'échappement du cylindre numéro deux s'était fissurée et ouverte. Le moteur a été déposé et envoyé à l'atelier technique du BST de la Région du Centre pour y être examiné de plus près.
Cet examen a révélé un peu d'usure par frottement à plusieurs endroits, mais aucune autre anomalie importante n'a été cernée à l'exception de la défaillance du cylindre numéro deux. On a fait tourner le moteur, et on a constaté que la soupape d'échappement du cylindre numéro deux restait en position fermée. On a déterminé que, à cause de l'ouverture de la pipe, l'espace entre le poussoir et le culbuteur de la soupape d'échappement s'était élargi à un point tel que la soupape ne pouvait plus s'ouvrir. Si une soupape d'échappement reste fermée pendant que le moteur fonctionne, les gaz d'échappement chauds et pressurisés peuvent réintégrer avec force le dispositif d'admission commun par l'ouverture normale de la soupape d'admission. De petites particules de calamine incandescentes dans les gaz d'échappement chauds peuvent provoquer le préallumage du mélange carburant-air dans le dispositif d'admission et perturber le mélange carburant-air normal dans les autres cylindres, ce qui peut alors causer un fonctionnement irrégulier et une perte de puissance du moteur.
Le cylindre a été démonté et envoyé au laboratoire technique du BST aux fins d'analyse. Le mécanisme de la soupape, le jeu de palier et les culbuteurs de soupape ont été examinés, et on a constaté que tous se trouvaient dans les limites acceptables d'utilisation. La crique du cylindre numéro deux se situait entre l'orifice de vidange d'huile du côté intérieur et l'orifice de vidange d'huile du côté extérieur, et elle s'étendait jusque dans la zone de la bride du bouchon de soupape (voir les Photos 1).
La rupture du cylindre a été examinée sous un microscope électronique à balayage (MEB). On a constaté la présence de porosité et d'une forte oxydation de la pièce coulée à plusieurs endroits dans le faciès de rupture ainsi que dans la zone où la crique a pris naissance. On a trouvé des rides, ce qui indique que la fatigue a causé la rupture et la défaillance. La fatigue s'est d'abord manifestée dans une zone de concentration de contraintes géométriques, dans l'angle droit où les ailettes de refroidissement sont fixées au cylindre (voir les Photos 2).
Le fonctionnement normal du culbuteur a provoqué la charge de traction cyclique requise pour favoriser la croissance de la crique de fatigue. L'ensemble des porosités de la pièce coulée à l'angle de l'ailette de refroidissement était fort probablement présent depuis que le cylindre avait été initialement coulé, ce qui indique que la fatigue s'est installée dès que le cylindre a été mis en service. La crique de fatigue a longtemps existé sans atteindre le seuil de détection; elle a seulement atteint cette limite de détection alors que la fatigue était installée depuis très longtemps. L'importance considérable de la corrosion, de la coloration et du frottement sur le faciès de rupture indiquait que la crique de fatigue s'était produite longtemps avant la défaillance. En raison du martèlement des surfaces les plus proches du point d'origine de la crique, il est toutefois impossible de déterminer le temps qui s'est écoulé entre le moment où la crique aurait pu être détectée et celui de la défaillance.
Un examen des dossiers techniques a confirmé que l'entretien de l'avion avait été fait conformément au calendrier de maintenance approuvé de Gogal Air Services. La dernière inspection aux 100 heures de l'avion avait été effectuée le 7 août 2007, soit 51 heures de vol avant l'accident en question. Le moteur totalisait 1031 heures de vol depuis sa dernière révision. On prévoit une utilisation de 1200 heures entre deux révisions du moteur, mais un excédent de 50 heures est toléré. La révision de la culasse du moteur avait été faite le 16 août 2002, alors que le moteur avait accumulé 436 heures de vol depuis sa dernière révision. On avait alors posé neuf cylindres Pratt & Whitney à paroi chromée ayant subi une révision. Le 26 juillet 2003, à 555 heures depuis la révision du moteur ou à 119 heures depuis la révision de la culasse, le cylindre numéro un a été changé, car la pipe d'échappement était criquée. Le 14 juin 2008, à 992 heures depuis la révision du moteur ou à 556 heures depuis la révision de la culasse, le cylindre numéro trois a été changé à cause d'une défaillance du siège de la soupape d'admission. Le 6 juillet 2008, lors du vol en question, à 1031 heures depuis la révision du moteur ou à 595 heures depuis la révision de la culasse, une pipe d'échappement criquée a causé la défaillance du cylindre numéro deux.
Aucune période de révision n'est prescrite dans le cas des cylindres, et on ne consigne pas la durée de vie utile des cylindres ni leurs cycles de révision. Les cylindres sont révisés lorsque le moteur est révisé ou lorsque les cylindres sont déposés prématurément à cause d'un problème qui les touche. Pendant la révision, les cylindres sont inspectés, notamment au moyen d'un contrôle par ressuage de la culasse et, dans certains cas, d'un contrôle par ultrasons du filetage du cylindre. Certains ateliers de révision inscrivent la date de la révision et leur propre code sur la jupe, ou ils inscrivent un numéro de série sur la pipe d'échappement à des fins de suivi. Aucune exigence ne prescrit de consigner la durée de vie du cylindre ou les renseignements sur sa réparation. Certains cylindres fonctionnent depuis très longtemps, et d'autres non.
Dans certaines conditions, une pièce utilisée depuis très longtemps peut se briser. Même s'il a été impossible d'obtenir des données complètes ou le temps total de fonctionnement du cylindre brisé (numéro deux), on a remarqué de nombreuses inscriptions faites en atelier qui se chevauchaient sur la jupe du cylindre et les deux pipes d'échappement.
Pratt & Whitney a fabriqué les moteurs de la série R1340 de 1925 à 1960. Après 1960, aucun nouveau cylindre n'a été fabriqué, mais il y avait sur les marchés civil et militaire une grande quantité de cylindres neufs en réserve. À la fin des années 90, un fournisseur a produit un prototype de culasse dure dont le dôme, les parois et le boîtier du culbuteur étaient en principe plus résistants. La production de ces cylindres a été interrompue en raison de problèmes techniques sur lesquels le fournisseur se penche actuellement.
Le moteur de la série R1340 de Pratt & Whitney équipe de nombreux avions Norseman et DHC-3 Otter, qui sont toujours largement utilisés de nos jours. Le moteur R1340 de Pratt & Whitney, comme beaucoup de moteurs à pistons, a subi de nombreuses défaillances à cause des cylindres. La plupart des défaillances dues aux cylindres sont réglées au cours de la révision du moteur ou de son entretien courant. Les défaillances des cylindres en vol n'aboutissent pas toujours à une perte de puissance et à un atterrissage forcé.
Un examen des dossiers de l'avion a révélé que celui-ci avait fait deux atterrissages forcés. Le 12 septembre 1989, l'avion avait dû se poser sur le lac Mawdesley (15 nm à l'est de The Pas, au Manitoba) à cause d'une défaillance de la soupape d'échappement du cylindre numéro trois. Le cylindre avait alors accumulé 586 heures depuis la révision du moteur. Le 14 juin 1990, l'avion avait fait un amerrissage forcé sur le lac Emerald (25 nm au nord-est de Flin Flon, au Manitoba), à la suite d'une défaillance de la soupape d'échappement du cylindre numéro deux. Ce dernier cylindre avait accumulé 625 heures depuis la dernière révision du moteur. La réussite d'un atterrissage forcé repose surtout sur le fait de trouver un endroit convenable pour poser l'aéronef. Ces atterrissages forcés ont eu lieu dans une région où l'on trouve énormément de plans d'eau; ils n'ont donc causé ni accident ni dommages à l'avion.
Transports Canada a publié l'Avis de difficulté en service no AV-2007-02 traitant des défaillances des culasses et des brides des cylindres des moteurs Pratt & Whitney de la série R985. L'avis contient des renseignements relatifs aux inspections qui peuvent être utiles et applicables à l'inspection des cylindres des moteurs de la série R1340.
Analyse
La fatigue a provoqué la défaillance de la pipe d'échappement du cylindre numéro deux dans une zone de porosités de la pièce coulée et de concentration de contraintes géométriques. L'origine des porosités dans la pièce coulée remonte probablement à la fabrication du cylindre, quelque 50 à 80 ans avant l'accident en question. Il n'a pas été possible de déterminer le nombre d'heures de fonctionnement du cylindre, car aucune exigence ne prescrit de consigner des données relatives au nombre total d'heures d'utilisation. De nombreuses inscriptions faites par des ateliers de réparation figurent sur la jupe du cylindre et sur la pipe d'échappement, ce qui laisse entendre que le cylindre totalisait de nombreuses heures de fonctionnement. La zone de fatigue subissait une charge de traction normale, et de nombreuses années se sont écoulées avant que la crique se produise. L'importance considérable de la corrosion, de la coloration et du frottement sur le faciès de rupture indiquait que la crique de fatigue s'était produite longtemps avant la défaillance. Comme la crique n'a pas été détectée durant le contrôle par ressuage fait au moment de la révision effectuée 595 heures avant le vol en question, il est probable qu'elle s'est développée de façon à être détectée seulement après cette date. La porosité de la pièce coulée, l'âge du cylindre et la longue période de fonctionnement du cylindre ont grandement contribué à la défaillance en question.
La défaillance et la rupture de la pipe d'échappement du cylindre numéro deux ont empêché l'ouverture de la soupape d'échappement. Les gaz d'échappement chauds ont été refoulés vers le dispositif d'admission par l'ouverture de la soupape d'admission, ce qui a perturbé le mélange carburant-air dans les autres cylindres et causé la perte de puissance du moteur.
Les dossiers indiquent que trois des neuf cylindres du moteur ont fait l'objet d'une défaillance dans les 600 heures précédant la révision, soit à mi-durée de vie du moteur avant révision. La défaillance de la pipe d'échappement du cylindre numéro un s'est produite moins de 120 heures suivant la révision des cylindres. Les trois cylindres défectueux étaient situés près de la partie supérieure du moteur, ce qui pourrait indiquer un problème de contrainte thermique associée au débit d'air, mais il n'y a aucune preuve à cet effet. La dernière défaillance d'un cylindre a provoqué l'accident en question, et il est à l'origine de l'atterrissage forcé. Par le passé, d'autres défaillances des cylindres se sont également produites dans la partie supérieure du moteur, et elles ont causé deux atterrissages forcés qui ont été documentés. Toutefois, ces atterrissages forcés n'ont causé ni dommages à l'avion ni accident. Dans l'accident en question, la perte de puissance du moteur s'est produite dans une région où il n'était pas possible d'exécuter un atterrissage sans endommager l'avion. Le pilote a conservé la maîtrise à l'atterrissage et posé l'avion de façon à réduire les risques de dommages à l'avion et de blessures aux occupants.
L'enquête a donné lieu au rapport de laboratoire suivant :
- LP 148/2008 – Cylinder Failure, Noorduyn Norseman MK V, C-FECG (Défaillance de cylindre, Noorduyn Norseman MK V, C-FECG)
Ce rapport est disponible sur demande auprès du Bureau de la sécurité des transports du Canada.
Faits établis
Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs
- La fatigue dans une zone de porosité de la pièce coulée et de concentration de contraintes géométriques a provoqué la défaillance de la pipe d'échappement du cylindre numéro deux. L'origine des porosités de la pièce coulée remonte probablement à la fabrication du cylindre, quelque 50 à 80 ans avant l'accident en question.
- La défaillance de la pipe d'échappement du cylindre numéro deux a empêché l'ouverture de la soupape d'échappement. Les gaz d'échappement chauds ont été refoulés vers le dispositif d'admission par la soupape d'admission, ce qui a perturbé le mélange carburant-air dans les autres cylindres et causé la perte de puissance du moteur.
- La perte de puissance du moteur s'est produite dans une région où il n'était pas possible d'exécuter un atterrissage forcé sans endommager l'avion.
Fait établi quant aux risques
- Certains des cylindres du moteur de la série R1340 initialement fabriqués par Pratt & Whitney sont vieillissants et fonctionnent depuis longtemps, ce qui fait augmenter les risques de fatigue du matériel pouvant mener à une défaillance prématurée du cylindre. Certaines défaillances des cylindres peuvent provoquer une perte de puissance du moteur et entraîner un atterrissage forcé ou un accident.
Autre fait établi
- L'Avis de difficulté en service no AV-2007-02 publié par Transports Canada traite de la défaillance de la culasse et des brides des cylindres des moteurs Pratt & Whitney de la série R985. L'avis en question donne des renseignements relatifs aux inspections qui peuvent être utiles ou applicables à l'inspection des cylindres de la série R1340.
Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .