Rupture du train avant à l'atterrissage
de l'Embraer EMB-110P1 C-FPCU
exploité par Air Creebec Inc.
à Cochrane (Ontario)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Deux pilotes effectuent une séance d'entraînement à bord de l'Embraer EMB-110P1 immatriculé C-FPCU, numéro de série 110445, exploité par Air Creebec Inc. Vers 11 h 30, heure avancée de l'Est, lors de la course à l'atterrissage sur la piste 13 de l'aéroport de Cochrane (Ontario), le train avant de l'avion s'affaisse partiellement. L'avion vire à droite et sort un instant sur le côté de la piste. Le pilote met du frein à gauche pour empêcher l'avion de quitter complètement la piste. La maîtrise en direction de l'appareil est reprise, l'avion est ramené sur la piste puis immobilisé sur la piste. Le nez de l'avion a subi des dommages importants. L'hélice droite a été endommagée quand elle a heurté un feu de bord de piste. Aucun des deux pilotes n'a été blessé.
Renseignements de base
Déroulement du vol
La séance d'entraînement avait débuté à Timmins (Ontario). L'avion s'était comporté normalement au départ de Timmins et rien ne laissait présager avant l'atterrissage à Cochrane qu'un affaissement du train avant était imminent.
L'équipage a fait une approche simulée selon les règles de vol aux instruments (IFR) à l'aide du radiophare non directionnel (NDB) de la piste 31, puis il a fait une approche indirecte sur la piste 13 de l'aéroport de Cochrane. Après une approche à basse altitude sur la piste 13, l'équipage a fait un circuit à vue avant de procéder à l'atterrissage. Le train d'atterrissage principal a touché la piste, et le train avant est sorti normalement sans force excessive au toucher des roues.
La piste 13/31 de l'aéroport de Cochrane mesure 4500 pieds de longueur sur 100 pieds de largeur, et sa surface est asphaltée. La surface de la piste était sèche au moment de l'atterrissage.
Les dossiers indiquent que l'avion était certifié, équipé et entretenu conformément à la réglementation en vigueur et aux procédures approuvées. La masse et le centrage se trouvaient dans les limites prescrites.
Équipage de conduite
Le commandant de bord possédait une licence de pilote de ligne en état de validité et un certificat médical de validation, et il avait réussi sa vérification de compétence pilote. Le copilote était titulaire d'une licence de pilote professionnel en état de validité et d'un certificat médical de validation, et il était en formation sur type. L'équipage de conduite possédait les licences et les qualifications nécessaires au vol et en vertu de la réglementation en vigueur.
Conditions météorologiques
Ciel dégagé, visibilité de 15 milles, vent calme. La météo n'est pas un facteur contributif de l'accident.
Enregistreurs de bord
L'avion n'était pas équipé d'un enregistreur de données de vol (FDR), et il n'y avait pas d'exigence réglementaire en ce sens. L'avion était équipé d'un enregistreur de la parole dans le poste de pilotage (CVR).
Antécédents en service du train avant
Le train d'atterrissage avant au complet a été envoyé au Laboratoire technique du BST pour examen. Les antécédents en service depuis la dernière révision ont également été obtenus de l'exploitant. Le train avant (Figure 1) porte la référence 110P2-410-21 et le numéro de série 507, et il a été construit par un fabriquant français nommé ERAM (aujourd'hui Messier-Dowty).
On peut voir le point de rupture du train avant sur la Figure 2.
Le train d'atterrissage avant (Photo 1) avait été révisé par Aeromil (anciennement Aeromech PTY LTD) en Australie le 11 janvier 2007. Sur le certificat après maintenance délivré par Aeromil, il était indiqué « unknown » (inconnu) à la case « temps depuis la mise en service initiale », ce qui indique que ce renseignement n'a peut-être pas été fourni à Aeromil lorsqu'on lui a envoyé le train d'atterrissage avant pour révision. Air Creebec Inc. a reçu le train d'atterrissage avant et l'a installé sur le C-FPCU le 28 janvier 2007. Au moment de l'installation, l'avion totalisait 24 859 heures en service et 37 591 cycles.
Depuis l'installation du train avant, l'avion avait accumulé 1408 heures de service et 1893 cycles.
Entre la révision du train avant et la présente date, il n'y a pas eu d'accord sur la maintenance entre Transports Canada et l'organisme de réglementation de l'Aviation civile de l'Australie. Ainsi, le certificat après maintenance utilisé par Aeromil pour certifier les travaux effectués sur le train d'atterrissage avant n'était pas conforme aux paragraphes 571.11(3) et 571.08(1) du Règlement de l'aviation canadien (RAC). Le train d'atterrissage avant n'aurait pas dû être installé sur l'avion. Air Creebec n'était pas au courant de cela, lorsque le train d'atterrissage a été installé sur l'avion. Les dossiers de maintenance indiquent qu'il s'agissait du troisième train d'atterrissage avant installé par Air Creebec sur sa flotte d'EMB 110. Depuis, la compagnie a modifié ses pratiques de maintenance.
Procédures de révision d'Aeromil
Les procédures de révision d'Aeromil étaient conformes à la dernière version du manuel de maintenance des composants d'Embraer (Embraer Component Maintenance Manual), révision 2, en date du 30 mars 2005, TP110/251. Le processus d'essai non destructif (END) utilisé par Aeromil pour les pièces en alliage d'aluminium (et qui a été utilisé pour le corps de l'amortisseur du train d'atterrissage avant qui s'est rompu) faisait appel à un liquide fluorescent ARDROX 970P25, et il était conforme aux sous-parties 3-8 et 3-11 du manuel de maintenance des composants d'Embraer.
Examen du train d'atterrissage avant
Un examen visuel des faciès de rupture a révélé quelques détails visibles sur le bras rompu du corps de l'amortisseur logeant le tourillon. La principale crique de fatigue occupait une large zone noire; en outre, de petites criques de fatigue en forme d'ongle étaient visibles sur le côté opposé de l'alésage du bras rompu. Le reste de la fracture indiquait une rupture ductile due à une surcharge. La surface intérieure du bras du corps de l'amortisseur en alliage d'aluminium avait une couleur jaunâtre répartie inégalement, ce qui est typique de l'aluminium anodisé. La coloration était plus pâle vers l'ouverture du bras, signe que la surface était usée (Photo 2). L'examen a également révélé des marques dentelées et des signes de progression de la fatigue qui sont typiques des criques de fatigue.
Les dommages relevés sur la tête de blocage du corps de l'amortisseur consistaient essentiellement en une déformation plastique sur un des coins. Ces dommages ont été attribués à la rupture du tourillon de liaison.
Microscopie optique
La microscopie optique a permis de confirmer les détails observés sur le faciès de rupture lors de l'examen visuel, comme des marques concentriques et de petites criques de fatigue. Un contraste notable entre deux sections de la crique de fatigue principale est demeuré à la suite du dégraissage des pièces. La surface de l'alésage présentait également des signes d'usure. La couleur de la surface allait de la couleur de l'aluminium anodisé à la couleur du métal nu. (Photo 2).
Examen de la surface de rupture
Des examens par microscopie électronique à balayage (MEB) et par spectroscopie de rayons X à dispersion d'énergie (EDS) ont été effectués. Deux zones de l'alésage étaient très oxydées et recouvertes d'une substance en plusieurs endroits. Un spectre EDS a permis de déterminer la composition de ces substances. La zone sans substance était essentiellement composée d'aluminium et d'oxygène. L'examen sous fort grossissement des zones a révélé une surface ressemblant à de la « boue séchée » non typique d'un revêtement anodique d'aluminium. Cette composition peut indiquer la présence d'hydroxyde d'aluminium. L'autre zone était recouverte d'une substance inconnue.
La zone de la principale crique de fatigue présentait des stries de fatigue. Les stries ne semblaient pas aiguisées, vraisemblablement en raison du frottement et de l'oxydation. Les spectres EDS et les cartes de la substance recouvrant la surface de l'alésage du bras indiquent un composé riche en carbone, en oxygène, en soufre et en silicium.
L'examen par MEB de l'une des sections de la principale crique de fatigue a révélé des stries de fatigue claires et dépourvues de débris. Un spectre EDS de ces sections a révélé des quantités négligeables d'oxydation, mais a révélé des éléments propres à l'alliage d'aluminium du corps de l'amortisseur.
Le petit morceau de l'amortisseur qui s'est rompu présentait deux petites criques de fatigue en forme d'ongle. Un examen par MEB des criques a révélé des signes d'oxydation, ce qui donne à penser que ces criques n'étaient pas récentes. Des dépôts brillants près du point d'origine des criques avaient une composition chimique similaire à la substance trouvée dans la principale crique de fatigue.
Surface intérieure de l'alésage et identification du composé
On pouvait clairement voir des marques d'usinage ou de polissage sur toute la circonférence des sections à nu de la surface de l'alésage. La surface de toutes les sections à nu aurait dû être un alliage d'aluminium anodisé, comme le veulent les spécifications. Il semble que le revêtement anodique de la surface intérieure de l'alésage était très usé. On peut discerner les endroits usés grâce à leur coloration jaunâtre plus pâle constatée lors de l'examen visuel initial.
Le composé trouvé sur le faciès de rupture de l'alésage était reconnaissable même après le dégraissage. On a déterminé que le composé était un adhésif servant à fixer la bague, appelé Wurth A-04-0368 DOS Flange Sealant. Aeromil a utilisé cet adhésif lors de l'installation de la bague dans le bras de liaison du tourillon sur le train avant. L'adhésif comprend du carbone, de l'oxygène, du silicium et du soufre. Il y avait également une plus grande concentration de silicium dans la crique qu'il n'y en avait dans l'adhésif, ce qui peut être dû à des résidus du liquide pénétrant utilisé lors de l'inspection par ressuage de l'alésage pendant la révision.
Surface intérieure près du point d'origine de la crique de fatigue
L'endroit sur la surface de l'alésage près du point d'origine de la crique présentait non seulement des rainures sur toute la circonférence (dues à l'usinage ou au polissage), mais également des signes d'usure importante. De nombreuses piqûres ont été constatées en certains endroits, ainsi que de nombreuses criques secondaires qui étaient parfois remplies de l'adhésif précité. Parmi les autres caractéristiques observées à cet endroit, il y avait un contraste inégal de différentes teintes de gris, ce qui indique des compositions différentes dues à des degrés d'oxydation différents, donc d'une usure inégale du revêtement anodique.
Identification des autres matières étrangères
D'autres éléments ont été trouvés sur la surface de l'alésage du bras. Certains de ces éléments avaient la même composition que les éléments trouvés sur le faciès de la rupture. Parmi ces composés, on a pu identifier du sulfure de molybdène. Ce composé est régulièrement utilisé dans d'autres parties de l'aéronef, vraisemblablement comme lubrifiant, mais il n'aurait pas dû se trouver entre la bague et l'alésage, puisque les deux pièces auraient dû être étroitement scellées ensemble.
Analyse
Le train d'atterrissage avant avait été révisé et certifié par l'entreprise australienne Aeromil. Le Canada et l'Australie n'ont pas conclu d'accord sur la maintenance, ce qui signifie qu'aucun des deux pays ne reconnaît la certification par l'autre de pièces qui ont fait l'objet de maintenance. Air Creebec a installé sur son avion le train d'atterrissage avant, qui avait été révisé par une entreprise australienne, et qui avait reçu un certificat après maintenance qui n'est pas reconnu ni accepté par Transports Canada, ce que Air Creebec ne savait pas.
L'examen des faciès de rupture par des méthodes visuelles, par des méthodes optiques ou par MEB suggère qu'avant la rupture du corps de l'amortisseur sous l'effet de contraintes ductiles monocycliques excessives, il y avait eu progression des criques. Ces criques étaient des criques de fatigue, et c'est la crique principale qui a fini par causer la rupture du train d'atterrissage avant. La principale crique de fatigue avait deux zones distinctes qui ont progressé en deux étapes pendant une durée inconnue. Une des zones présentait des stries de fatigue claires sans oxydation ni débris. L'autre zone était très oxydée, elle présentait des signes de frottement et une substance s'y trouvait; elle est donc considérée comme la première des deux zones à s'être développée. Il a été établi que cette substance était de l'adhésif solidifié servant à fixer la bague comportant du carbone, de l'oxygène, du silicium et du soufre.
La principale crique de fatigue dans le bras avait plusieurs points d'origine. La surface intérieure du bras présentait également des imperfections qui auraient pu contribuer à l'amorce de la crique. Cependant, cette théorie n'a pu être prouvée, puisque la surface de l'alésage était usée et endommagée. Les multiples points d'origine de la principale crique de fatigue indiquent qu'il y a peut-être eu plus d'un point d'initiation de la crique de fatigue. L'origine de la crique initiale n'a pu être déterminée. Elle peut avoir été provoquée par le processus d'alésage du bras de liaison lors de la fabrication, par l'état des outils utilisés lors de la fabrication, ou par la présence de matière étrangère ou de débris.
La présence d'une matière étrangère (le sulfure de molybdène) dans l'alésage indique qu'un petit espace est apparu entre la bague et l'alésage, probablement alors que la principale crique de fatigue progressait pendant la période d'utilisation de la pièce après révision. L'usure et les piqûres présentes sur la surface d'alésage indiquent également que la bague était desserrée dans l'alésage. Les piqûres étaient vraisemblablement dues à la présence d'eau pendant la période d'utilisation du train d'atterrissage avant.
Des traces de l'adhésif servant à fixer la bague ont été trouvées dans une zone du faciès de rupture en fatigue ainsi que dans des criques secondaires avoisinantes. Si l'adhésif s'était solidifié, il est peu probable qu'il aurait pu imprégner les criques. Par conséquent, il est raisonnable de penser que les criques étaient présentes lorsque l'adhésif était à l'état liquide au moment de l'installation de la bague lors de la révision, et que le liquide a imprégné les criques déjà existantes sur l'alésage du bras.
La présence de la crique aurait dû être décelée lors de la révision, mais pour des raisons inconnues, elle ne l'a pas été. La charge de travail, les conditions de travail, les outils, la compétence du préposé, le manque de surveillance, ou une erreur de lecture ou d'interprétation des instructions pourraient être à l'origine de la non-détection de la présence de la crique. Comme le composant avait été révisé en Australie environ deux ans avant le vol ayant mené à l'accident, on a jugé qu'une enquête plus poussée ne permettrait probablement pas de déterminer les problèmes qui existaient à cette époque, et une enquête plus poussée n'a pas été entreprise.
L'enquête a donné lieu au rapport de laboratoire suivant :
- LP 121/2008 – Nose Landing Gear Failure (Rupture du train d'atterrissage avant)
On peut obtenir ce rapport en s'adressant au Bureau de la sécurité des transports du Canada.
Faits établis
Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs
- La rupture du train d'atterrissage avant a été causée par la fracture du bras de liaison du corps de l'amortisseur oléopneumatique logeant le tourillon. La fracture a été provoquée par la présence d'une crique de fatigue dans l'alésage du bras de liaison.
- La crique s'est propagée pendant la période d'utilisation du train d'atterrissage avant précédant la révision, et a poursuivi sa progression pendant la période d'utilisation après révision de l'avion, ce qui a fini par causer une rupture en surcharge.
- Pour des raisons inconnues, la présence de la crique n'a pas été décelée lors de la révision.
Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .