Perte de maîtrise et désintégration en vol
du Piper PA-46-350P (Jetprop DLX) C-FKKH
exploité par ADWEL Investments Ltd.
à 16 nm au nord-est de Wainwright (Alberta)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Le Piper PA-46-350P Jetprop DLX (immatriculé C-FKKH et portant le numéro de série 4622092) en exploitation privée décolle d'Edmonton (Alberta) vers 7 h 33, heure avancée des Rocheuses, à destination de Winnipeg (Manitoba) selon un plan de vol aux instruments. Peu de temps après la mise en palier au niveau de vol (FL) autorisé, à savoir le FL 270, le contrôleur radar voit l'avion passer le FL 274 en montant. Lorsqu'il contacte le pilote, ce dernier signale des problèmes de pilote automatique et d'horizon artificiel et précise qu'il a du mal à maintenir l'altitude. Par la suite, il annonce que son horizon artificiel bascule continuellement et qu'il ne peut plus se fier à l'instrument pour maîtriser l'avion.
L'écran radar montre que l'avion change plusieurs fois de cap et d'altitude avant d'entamer un virage à droite en piqué, après quoi la cible disparaît de l'écran. La station d'information de vol de Lloydminster (Alberta) reçoit le signal d'une radiobalise de repérage d'urgence pendant environ une minute et demie, puis plus rien. La Gendarmerie royale du Canada retrouve l'épave de l'avion à 12 h 5, à environ 16 milles marins au nord-est de Wainwright. Les cinq occupants de l'avion ont tous péri dans l'accident.
Renseignements de base
Déroulement du vol
L'avion Piper PA-46-350P Jetprop DLX (C-FKKH) a quitté l'aéroport City Centre d'Edmonton (CYXD) à 7 h 33Footnote 1, avec un pilote et quatre passagers à son bord. Après que le pilote a eu signalé sa mise en palier au niveau de vol (FL) 270 à 7 h 51, le radar du centre de contrôle régional (de l'anglais Area Control Centre ou ACC) d'Edmonton a confirmé que l'avion volait à un cap magnétique (M) de 080° à une vitesse sol de 250 nœuds.
À 7 h 55, l'ACC a remarqué que l'avion montait au-dessus de l'altitude autorisée, et il a contacté le pilote à ce sujet, lequel lui a indiqué qu'il avait un problème de pilote automatique. L'avion est revenu au FL 270 environ trois minutes plus tard mais, dans les deux minutes qui ont suivi, il est descendu au FL 269, puis il est remonté au FL 274 avant de revenir au FL 270. À 8 h 6, le pilote a informé l'ACC que son horizon artificiel basculait en permanence et il a demandé les conditions météorologiques de Saskatoon et de Regina (Saskatchewan), renseignements qui lui ont été rapidement communiqués. À 8 h 7, le pilote a informé l'ACC qu'il avait de nouveau perdu son horizon artificiel et il a demandé un bloc d'espace aérienFootnote 2 ainsi que les conditions météorologiques de Regina. L'ACC a répondu en informant le pilote qu'il était en train de virer vers le sud en passant au cap de 186 °M et de perdre de l'altitude. À 8 h 8, l'avion s'est mis en palier au FL 260 au cap de 195 °M. Il est ensuite remonté au FL 265 au cap de 230 °M avant d'entamer une descente continue. Pendant la descente, le cap a varié entre 218 et 243 °M. Au cours de la minute suivante, l'ACC a signalé au pilote qu'il était en train de franchir le FL 244 puis le FL 232 en descente.
Une radiobalise de repérage d'urgence (ELT) a commencé à émettre à 8 h 10 min 30 s. Le dernier écho radar avec encodage d'altitude envoyé par l'avion est parvenu à 8 h 11, à 9000 pieds au-dessus du niveau de la mer (asl). Le dernier écho sans encodage (sans altitude) a été émis environ 30 secondes plus tard. L'ELT a cessé d'émettre à 8 h 12. Jusqu'à la descente finale, la vitesse sol de l'avion est demeurée constante, entre 240 et 260 nœuds. Au cours de la descente finale, la vitesse sol a chuté à 100 nœuds, ce qui est le signe d'une trajectoire de vol proche de la verticale. L'avion ne possédait ni enregistreur de données de vol ni enregistreur de la parole dans le poste de pilotage, ce qui ne contrevenait pas à la réglementation.
Renseignements sur l'épave
Le gros de l'épave se trouvait dans des broussailles, à environ 16 milles marins (nm) au nord-est de Wainwright (Alberta), par 53°02,461′ N, 110°35,939′ W, à une altitude de 1901 pieds asl. L'avion pointant au 090 °M a été trouvé enfoncé dans 18 pouces de neige, sur la pente douce de la rive amont de la rivière Battle.
Une très grande partie de la partie inférieure du fuselage était écrasée, ce qui laisse croire que l'avion a percuté le sol à l'horizontale et à un taux de descente élevé. Vu de dessus, on a constaté une légère rotation de l'appareil dans le sens anti-horaire (axe de lacet). Les dommages relevés sur les pales d'hélice ont confirmé que l'hélice était en rotation au moment de l'impact, mais qu'elle ne tournait pas à pleine puissance. L'aile droite s'était arrachée sous l'effet des charges positives à environ 54 pouces de son emplanture, et l'extrados a éraflé le dessus de la cabine, comme le montrent les déformations et les traces de peinture et de caoutchouc. L'aile gauche s'était arrachée à environ 88 pouces de l'emplanture, et les surfaces de rupture présentaient des déformations causées par des charges positives et négatives. Aucune trace de peinture ou de matériau n'a été constatée sur l'extrados. La dérive et la partie supérieure arrière du fuselage, à laquelle était encore fixé le tiers inférieur de la gouverne de direction, s'étaient détachées d'un seul bloc. Les deux stabilisateurs, les gouvernes de profondeur et le volet du compensateur s'étaient détachés de la partie arrière du fuselage en raison de la rupture de la fixation avant du stabilisateur droit.
Habituellement, lorsqu'un avion se retrouve en piqué en spirale, l'empennage se disloque en raison des contraintes aérodynamiques négatives excessives que le pilote inflige à cette partie de la cellule en essayant de redresser l'appareil pour sortir du piqué. Une fois affranchi des forces aérodynamiques négatives et du poids de l'empennage, l'avion pique vers le bas, ce qui a pour effet de soulager les ailes, qui se rompent sous l'action des charges aérodynamiques négatives. La séquence de désintégration du C-FKKH a débuté par la rupture de l'aile droite, qui a été provoquée par une charge positive. Elle s'est poursuivie par la rupture de l'aile gauche, qui a été soumise à des charges positives puis négatives, et s'est terminée par la rupture de l'empennage, qui a été causée par une charge en torsion.
Toutes les pièces arrachées ont été retrouvées éparpillées le long d'une bande étroite longue d'environ 1,92 nm et orientée au 333 °M par rapport au fuselage. L'examen des surfaces de rupture effectué par le laboratoire du BST a montré que toutes les ruptures ont été causées par une surcharge structurale; aucune anomalie antérieure à l'accident n'a été relevée.
D'après les données radar, l'avion se trouvait en descente entre 20 000 et 16 000 pieds asl lorsqu'il a commencé à se désintégrer. Le taux de descente dépassait 30 000 pieds par minute, la vitesse de translation avant ayant connu une pointe à environ 460 nœuds en vitesse corrigée (KCAS), soit quelque 390 nœuds en vitesse indiquée (KIAS). Un essai de vibrations en piqué jusqu'à une vitesse d'environ 266 KIAS avait été réalisé lors des essais de certification effectués sur le PA-46-350P d'origine.
Expérience du pilote
Le pilote, un cadre du groupe d'entreprises A.D. Williams, utilisait de temps à autre les avions de la société. Il avait entamé sa formation au pilotage en juillet 1983. Il était titulaire d'une licence de pilote professionnel avec qualification de vol aux instruments (IFR) de groupe 3 qui lui avait été délivrée le 6 décembre 2007. Le jour de l'accident, le pilote totalisait 2200 heures de vol, dont 987 sur PA-46-310P et 166 sur le C-FKKH.
Les 2 et 3 août 2006, la société Eclipse International, une société spécialisée dans la formation sur les avions de la série PA-46, avait donné un cours de formation de 5,7 heures au pilote dans le cadre de sa conversion sur le PA-46P Jetprop, un avion à turbopropulseur. En plus de la formation théorique, la formation en vol comprenait des exercices portant sur le pilotage et les procédures aux instruments, l'avionique, les pannes de pilote automatique et de directeur de vol, et sur le rattrapage des assiettes anormales. Aucun exercice à l'aide d'un tableau de bord partiel n'était prévu, et cet exercice n'est pas obligatoire.
Le pilote avait réussi son vol de contrôle de compétence IFR le 5 décembre 2007. Aucun exercice à l'aide d'un tableau de bord partiel n'avait été effectué durant ce vol, ce type d'évaluation ne constituant pas une exigence de Transports Canada. La dernière formation à l'aide d'un tableau de bord partiel documentée du pilote avait eu lieu le 6 mai 2001, à l'occasion d'une formation périodique sur l'ancien appareil de la société, un PA-46-310P. Aucun document ne précisait si le pilote avait déjà piloté manuellement le C-FKKH sans l'aide du pilote automatique en altitude et en conditions IFR.
La partie théorique de la formation initiale sur PA-46P que le pilote avait suivie en août 2006 avait porté sur la masse et le centrage, sur la masse maximale au décollage (de l'anglais gross take-off weight ou GTOW) et sur les limites de centrage. La formation avait également mis l'accent sur la charge utile réelle que l'avion pouvait transporter et sur les limites de masse des soutes à fret avant et arrière. En juin 2007, le pilote avait aussi participé à un séminaire sur la sécurité axé sur les problèmes de masse et de centrage ainsi que sur les problèmes de limite de centrage arrière en lien avec la vitesse de décrochage, les vrilles et les spirales.
Tous les renseignements concernant le pilote ont été compilés en consultant les dossiers de Transports Canada, le carnet de vol du pilote et le carnet de bord de l'aéronef, et en s'informant sur les cours et séminaires suivis par le pilote, car la société qui exploitait l'appareil ne détenait aucun dossier de formation et de qualification, contrairement à ce qu'exige le manuel d'exploitation de la compagne. Ce dernier est obligatoire en vertu de l'article 9.11 du programme de l'Association canadienne de l'aviation d'affaires (ACAA).
D'après les instructeurs chargés de dispenser trois des cours de sécurité au sol et en vol propres aux avions de la série PA-46, il est impératif de voler à l'aide d'un tableau de bord partiel en cas de panne de l'horizon artificiel, plutôt que d'essayer d'utiliser l'horizon artificiel électrique de secours du tableau de bord droit, et ce en raison de la largeur du tableau et des problèmes de parallaxe.
Conditions météorologiques
Le centre d'information de vol (de l'anglais flight information centre ou FIC) d'Edmonton avait transmis un exposé météorologique verbal au pilote en tenant compte des prévisions du Service météorologique du Canada (SMC). Le pilote avait été informé qu'il pourrait rencontrer un faible givrage mixte en montée entre 7000 et 12 000 pieds en présence de nuages culminant au FL 220. Les prévisions indiquaient que les nuages se dissiperaient à proximité de Lloydminster.
Les données concernant les phases de départ et de montée initiale du vol ne faisaient état d'aucune information météorologique digne de mention. L'atmosphère conditionnellement instable, les couches de nuages locales et les petites couches de cisaillement auraient pu se traduire par des turbulences occasionnelles légères à modérées lors de la montée initiale, mais pas par des conditions critiques pour l'avion. Les niveaux intermédiaires relativement secs rencontrés en montée auraient également réduit au minimum toute probabilité de givrage supérieur au léger givre blanc occasionnel lors de la traversée des nuages.
Traverser les couches nuageuses intermédiaires à l'est de CYXD aurait augmenté les risques de givrage, comme le montrent les prévisions de zone graphiques publiées le jour de l'accident. Le fait que l'avion ait atteint le FL 270 sans incident permet toutefois de penser que le pilote n'a pas rencontré de difficulté en montée.
L'imagerie par satellite a montré que, dans les dernières phases du vol, l'avion aurait survolé des couches nuageuses importantes associées à un creux inversé au-dessus de la partie du centre-est de l'Alberta. Compte tenu du manque de renseignements météorologiques représentatifs en altitude, il a été difficile de déterminer avec certitude la hauteur réelle du sommet de la couche nuageuse principale associée à ce système. L'imagerie par satellite à infrarouge montre que des cirrus auraient été associés au système au FL 270 ou à proximité, mais il semblerait que les couches nuageuses plus actives se soient trouvées bien au-dessous de l'altitude de croisière de l'avion, à savoir le FL 270.
Une activité convective générée à partir de la couche nuageuse principale du creux inversé a été constatée. Les plafonds d'échos radar captés pendant le vol ont montré des échos de précipitations jusqu'à 20 000 pieds asl. Les évaluations faites par les spécialistes des prévisions météorologiques le matin de l'accident ont mis l'accent sur la présence de plusieurs altocumulus castellanus épars plafonnant au FL 220. L'évaluation des données aérologiques en altitude faites à 6 h à Stony Plain (Alberta) mentionnait toutefois la possibilité que d'autres altocumulus castellanus isolés se forment à un niveau de vol pouvant atteindre le FL 250. Il ne faut donc pas exclure la présence possible de turbulences et/ou de givrage importants liés aux altocumulus castellanus à cette altitude.
Il importe également de souligner que si l'on tient compte de la dernière position enregistrée de l'avion à l'altitude assignée, l'appareil serait descendu à travers les couches nuageuses denses inférieures et le pilote aurait probablement perdu les principales références visuelles par rapport au sol ou à l'horizon.
Un Pilatus PC-12 a suivi le même itinéraire que le C-FKKH au FL 270 une quinzaine de minutes plus tard. Le pilote du PC-12 a signalé un givrage faible à nul en montée, accompagné de légères turbulences au moment de franchir le FL 230. Une fois au FL 270, le pilote s'est trouvé tantôt à l'intérieur tantôt à l'extérieur de la partie supérieure des nuages sans subir de turbulence ni de conditions givrantes. La température extérieure était alors de −55 °C. Le pilote a précisé qu'il était en dehors des nuages et qu'il pouvait voir le sol alors qu'il se trouvait à l'est de Lloydminster, soit à environ 20 nm à l'est du lieu de l'accident.
Renseignements sur l'aéronef
L'avion en cause dans l'accident – un PA-46-350P à l'origine – avait été construit en 1989. En octobre 2000, l'appareil, qui totalisait 1265,4 heures d'utilisation depuis sa mise en service initiale, a été converti en modèle Jetprop DLX. La société Jetprop L.L.C a doté l'appareil d'un moteur PT6A-34 et d'une hélice Hartzell HC E4N 3N, conformément au certificat de type supplémentaire ST00541SE. Dans le cadre de la transformation, la cellule de l'avion a également subi des modifications importantes qui ont notamment touché le bâti-moteur (neuf), le capotage (redessiné), le circuit carburant (ajout d'une nourrice), les commandes moteur, les instruments, les circuits électriques, le circuit de pressurisation, les commutateurs de commande et le circuit à dépression de secours. La transformation avait pour principal effet d'optimiser la fiabilité du moteur. En mars 2003, à 1385,6 heures d'utilisation totale, le moteur PT6A-34 a été remplacé par un moteur PT6A-35, afin d'améliorer les performances en montée et à haute altitude. À cette époque, le certificat de type supplémentaire SA00859AT a également été incorporé afin de pouvoir ajouter 10 gallons américains de carburant dans chaque réservoir d'aile, ce qui portait la capacité de carburant totale à 151 gallons (1070,6 livres). L'avion a été importé au Canada au mois de juillet 2006 alors qu'il avait accumulé 1609,9 heures d'utilisation totale depuis la mise en service initiale.
La vitesse maximale en croisière (Vno) du PA-46-350P original était de168 KIAS, sa vitesse à ne pas dépasser (Vne) étant de 198 KIAS à la masse maximale. Une fois la transformation réalisée, l'avion a été assujetti aux dispositions réglementaires plus strictes de la Part 25 de la Federal Aviation Administration (FAA), ce qui s'est traduit par une unique limitation consistant en un rajustement de la vitesse maximale en exploitation (Vmo) à 172 KIAS.
La durée de vie utile originale de la voilure du C-FKKH était de 15 580 heures en service, et de 10 145 heures en service pour le fuselage. Après la transformation, les durées de vie en service ont été revues à la baisse : 14 148,5 heures en service pour la voilure et 9257,0 heures en service pour le fuselage, ces baisses étant dues aux contraintes plus grandes induites par le fonctionnement de la turbine.
La rubrique Operating Altitude Limitations (limites d'altitude en exploitation) du manuel d'utilisation du PA-46-350P précise ce qui suit : [Traduction] « L'avion n'est pas autorisé à voler à une altitude-pression supérieure à 25 000 pieds ». L'article 2.25 du certificat de type supplémentaire ST00541SE stipule ce qui suit : [Traduction] « L'avion est autorisé à voler jusqu'au FL 270 inclusivement s'il est équipé d'une avionique conforme aux exigences énoncées dans le règlement 91 ou le règlement 135 des Federal Aviation Regulations (FAR) ». Le certificat de type supplémentaire précise ensuite que [Traduction] « ... pour les vols effectués au-dessus du FL 250, le pilote doit disposer d'une source d'oxygène d'appoint et d'un masque à oxygène de type mise rapide ».
L'alinéa 605.32(3)a) du Règlement de l'aviation canadien (RAC) prévoit ceci : « Le pilote aux commandes de vol d'un aéronef doit utiliser un masque à oxygène si l'aéronef n'est pas muni de masques à oxygène de type mise rapide et est utilisé à un niveau de vol égal ou supérieur à 250. » Il n'y avait pas de masques à oxygène de type mise rapide à bord de l'avion accidenté et le pilote ne portait pas de masque à oxygène au moment de l'accident. Aucun document n'indiquait que le pilote avait suivi la formation de sensibilisation au vol à haute altitude exigée en vertu de l'article 9.6 du manuel d'exploitation de la compagnie.
Masse et centrage
D'après les calculs effectués, la masse de l'avion était d'environ 5157 livres au décollage et de 5012 livres au moment de l'accident, le centre de gravité (CG) étant situé à 147,97 pouces en arrière du point de référence. La masse maximale au décollage (GTOW) était de 4300 livres et les limites de centrage se situaient entre 143,3 pouces et 147,1 pouces en arrière du point de référence. Compte tenu de ce qu'il transportait et de son plein de carburant, le C-FKKH aurait eu une charge utile de 267 livres.
L'article 6.3 (masse et centrage) du manuel d'exploitation de la compagnie stipule ceci :
[Traduction]
Le pilote aux commandes est tenu de s'assurer que l'avion est chargé correctement, ce qui suppose qu'il vérifie l'arrimage des charges, la masse de l'avion et la répartition des poids. Il faut répartir les charges de manière à ce que le CG reste dans les limites permises durant tout le vol. Les masses maximales au décollage et à l'atterrissage ne doivent pas dépasser les masses maximales indiquées dans le manuel de vol approuvé.
Il n'existe aucun document consignant les calculs de masse et centrage de cet avion, tous vols confondus, en dépit des exigences de l'article 3.3 du manuel d'exploitation de la compagnie. Le nom des passagers ayant volé à bord du Piper était inscrit sur des manifestes de vol de la société, ce qui a permis de faire une estimation du poids des passagers et des quantités totales de carburant à bord (non consignées) en tenant compte de la durée des segments de vol effectués. Du 1er juin 2007 au 30 janvier 2008, l'avion a effectué 12 vols à une GTOW supérieure aux masses maximales prescrites. Il est probable que l'avion a effectué plusieurs autres vols à une masse supérieure à la GTOW, une fois incluses les réserves de carburant permettant de voler en IFR.
Pilotage de l'avion
Les avions de la série PA-46 sont caractérisés par une commande de profondeur très sensible. Autrement dit, le moindre effort sur la commande de profondeur suffit à modifier l'assiette longitudinale de l'avion (cabré ou piqué). Le plan fixe horizontal et les gouvernes de profondeur associées induisent habituellement une charge aérodynamique négative permettant de compenser le poids de la partie avant du fuselage et celui du moteur.
Les calculs du constructeur ont permis de déterminer qu'en raison de l'excédent de poids et du centrage arrière hors plage, les charges aérodynamiques imposées sur le plan fixe horizontal de C-FKKH auraient été inversées, ce qui signifie qu'elles auraient été positives (couple à piquer) au lieu d'être négatives (couple à cabrer). Cette situation aurait exacerbé la sensibilité de la commande de profondeur et réduit la stabilité longitudinale de l'avion. Les efforts aux commandes sont également moins importants à mesure que la densité de l'air diminue aux altitudes plus élevées. L'allègement des forces exercées sur les commandes pourrait permettre au pilote d'imposer un facteur de charge supérieur (nombre de g) à la cellule en déployant moins d'effort.
Entretien de l'avion
La sous-partie 605 du RAC stipule que l'entretien d'un aéronef exploité en vertu d'un certificat d'exploitation privé peut être effectué par un technicien d'entretien d'aéronef (TEA) titulaire d'une licence de TEA et d'une qualification appropriées. L'exploitant est tenu de mettre en place un programme de maintenance approuvé et de posséder les manuels de maintenance et les qualifications de TEA requises. Le Piper qui fait l'objet du présent rapport était entretenu par un organisme de maintenance agréé (OMA) local qualifié pour entretenir les Piper monomoteur à piston, mais pas les modèles PA46 Jetprop DLX.
La dernière tâche de maintenance exécutée sur le C-FKKH a consisté à déposer, à vérifier au banc et à réinstaller l'horizon artificiel et le calculateur du pilote automatique. Ce travail a été accompli peu de temps avant l'accident. Le 4 février 2008, plusieurs réparations avaient été effectuées, et certains composants du moteur et de la cellule avaient été remplacés. La dernière inspection réalisée avait consisté en une inspection aux 100 heures effectuée le 8 novembre 2007, à 1810,1 heures cellule. Outre l'instabilité de l'horizon artificiel, aucune autre anomalie n'avait été signalée avant le vol.
Circuit de dépression
Le circuit à dépression d'origine monté en usine comprenait deux pompes à dépression mécaniques – une pompe principale et une pompe de secours – ainsi que des composants et des conduites associés. Le circuit de C-FKKH avait été modifié dans le cadre de la transformation en Jetprop DLX, en vue d'incorporer une pompe primaire entraînée par moteur et un circuit à dépression de secours à éjecteur. Le circuit à dépression entraînait l'horizon artificiel situé sur la planche de bord gauche (côté pilote) et le gyroscope directionnel monté sur la planche de bord droite. Tous les composants du circuit ont été examinés. Une seule anomalie a été relevée sur l'indicateur de dépression, une pièce d'origine montée en usine. La plage de dépression normale du circuit se situe entre 4,8 et 5,2 pouces de mercure (po Hg), et cette plage est réglée en utilisant l'indicateur de dépression de l'avion en guise de référence. Une inspection a permis de constater que l'indicateur affichait des valeurs supérieures ou inférieures au vide qui régnait effectivement dans le circuit. Lorsque l'indicateur indiquait 4,8 po Hg, la valeur réelle était d'environ 4,16 po Hg. Lorsque l'indicateur affichait 5,2 po Hg, la valeur réelle correspondait à environ 4,58 po Hg. Aucun document ne permettait de savoir si l'indicateur avait été vérifié ou étalonné depuis sa fabrication, ou à l'occasion du changement de moteur intervenu en octobre 2000, mais rien de tel n'était exigé. Le fabricant de l'horizon artificiel a déclaré que le vide minimum requis pour faire fonctionner l'instrument est 4,5 po Hg.
Inspection des instruments
La totalité des instruments de vol, de l'avionique et des composants du pilote automatique ont été examinés minutieusement par les enquêteurs du BST en présence des représentants des fabricants respectifs. Les composants du pilote automatique ont été envoyés aux fabricants en vue de subir des essais approfondis sous la supervision du BST. Les enquêteurs se sont plus particulièrement penchés sur l'horizon artificiel directeur de vol King KI256, qui porte le numéro de série X16749.
La principale caractéristique d'un gyroscope est sa fixité dans l'espace (on parle aussi d'inertialité). Le rotor conserve sa position dans l'espace tant qu'aucune force externe n'intervient pour modifier son orientation. Cela en fait l'appareil idéal lorsqu'il s'agit de fournir une direction physique de référence pour des instruments tels que l'indicateur d'assiette et le conservateur de cap. L'inertie gyroscopique d'un rotor en rotation augmente lorsque sa masse et sa vitesse de rotation augmentent. Une autre caractéristique du gyroscope est la précession, à savoir la capacité de l'axe gyroscopique à s'incliner ou à tourner lorsque des forces s'appliquent. L'axe peut donc osciller lorsque des forces de déviation s'exercent. Il peut également se renverser ou basculer lorsque la force appliquée surpasse l'inertie gyroscopique.
Dans l'accident à l'étude, le pilote a signalé la défaillance de son horizon artificiel King KI256 peu de temps après qu'un écart par rapport au vol contrôlé a été constaté. Étant donné que le KI256 transmet des informations d'assiette en tangage et en roulis à la fois au pilote automatique et au pilote de l'avion, il n'a pas été possible de déterminer à quel moment le pilote a débrayé le pilote automatique pour reprendre les commandes de l'appareil. Si le pilote automatique avait été embrayé au moment où le gyroscope de verticale a basculé, il aurait débrayé automatiquement une fois les paramètres programmés du gyroscope dépassés.
Au cours de vols précédents, le pilote avait déjà connu des problèmes avec l'instrument. Le KI256 et le calculateur du pilote automatique (KC192) qui s'y rattache avaient été déposés et soumis à un essai au banc avant le vol. Les techniciens avaient alors remarqué que les signaux transmis au calculateur du pilote automatique par le KI256 étaient trop instables (gigue) pour pouvoir être réglés et que les paliers du rotor faisaient du bruit. Une révision complète avait été recommandée, mais elle n'a pas pu être effectuée avant la semaine suivante, et aucun instrument de rechange n'était alors disponible. Comme les valeurs fournies par le KI256 semblaient conformes aux paramètres du banc d'essai, le pilote a demandé à ce que l'instrument soit réinstallé pour pouvoir effectuer le vol en question, et ce avant que des réparations plus poussées soient effectuées, et tout en sachant que les problèmes touchant le pilote automatique n'avaient pas été corrigés. Pourtant, l'article 1.1.1 de l'annexe A du manuel d'exploitation de la compagnie est précis à ce sujet : [Traduction] « Le pilote automatique doit être en état de service si un seul pilote est censé être à bord. »
L'horizon artificiel KI256 avait été fabriqué en 1989. Il a été installé à bord d'un avion pour la première fois en 1994. En janvier 1995, il est retourné en usine pour y subir une inspection poussée. Après cette inspection, l'instrument a été installé à bord de l'avion en question en février 1995. Aucun document ne faisait état d'un entretien depuis cette date, et les scellés posés en usine à l'occasion de l'inspection étaient intacts. Le temps de service total de l'avion depuis la dernière révision était de 1236,3 heures ou, en durée calendaire, de 13 ans. Aucune durée de vie moyenne avant réparation n'est recommandée pour ces instruments, mais le fabricant a précisé aux enquêteurs que la durée de vie moyenne était d'environ trois ans.
En procédant à l'inspection de l'horizon artificiel KI256, les enquêteurs du BST ont constaté une usure interne et des détériorations importantes qui existaient déjà avant l'accident :
- les paliers et l'axe du rotor présentaient une usure excessive et des détériorations dues aux frottements;
- le cardan présentait d'importantes détériorations causées par les frottements.
Le transfert de peinture qui s'est produit au moment de l'impact entre le rotor et le boîtier ne s'est pas traduit par un enlèvement de matière, ce qui indique que le rotor n'était pas en rotation au moment de l'impact.
L'examen des autres instruments gyroscopiques (l'horizon de secours, les deux gyroscopes directionnels et les deux indicateurs de virage électriques) a permis de déceler des éraflures qui prouvent que les instruments tournaient à grande vitesse au moment de l'impact.
Historique des accidents à des Piper PA-46-310P et PA-46-350P
Sur un total de 1016 avions PA-46-310P et PA-46-350P construits, 165 ont été en cause dans des accidents graves (ce qui représente 16 %). Douze accidents se sont traduits par une désintégration en vol, dont sept sont survenus en moins de deux ans. En 1990, le National Transportation Safety Board (NTSB) des États-Unis a ouvert une enquête spéciale portant sur la navigabilité des avions PA-46. Dans son rapport, rendu public en 1992, le NTSB a conclu qu'il n'y avait aucune anomalie au niveau de la conception et de la construction. Par contre, il a fait état d'une combinaison d'erreur du pilote et d'omissions dans le manuel d'exploitation concernant l'utilisation du réchauffeur de Pitot en conditions de givrage.
L'interrupteur de réchauffage du Pitot droit de C-FKKH était à la position ON. Il n'a pas été possible de déterminer la position de l'interrupteur de réchauffage du Pitot de gauche en raison des dommages survenus à l'impact.
Gestion de la sécurité et supervision de l'Association canadienne de l'Aviation d'affaires
L'Association canadienne de l'aviation d'affaires (ACAA) se donne pour mission de représenter les exploitants d'aéronefs d'affaires, de la petite entreprise à un seul pilote-propriétaire jusqu'au département des vols de grandes entreprises.
Transports Canada et l'ACAA ont mené une étude de faisabilité conjointe sur l'autoréglementation de l'aviation d'affaires au Canada. Un rapport a été publié en 2000Footnote 3. Leur étude concluait qu'il était possible de modifier la sous-partie 604 du RAC en vue de transférer les responsabilités réglementaires à l'ACAA. L'approche réglementaire proposée comportait l'élaboration d'un ensemble de règles fondées sur les performances directement liées au système de gestion de la sécurité (SGS) de l'exploitant. Le SGS s'inscrit dans le cadre du développement de la politique de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI). Le SGS est la stratégie adoptée par Transports Canada pour améliorer la sécurité dans les secteurs du transport aérien commercial et de l'aviation d'affaires. Ces règles devaient être incluses dans des normes élaborées par l'ACAA et s'intituler système de normes de sécurité des opérations aériennes pour l'aviation d'affaires (système NSOA-AA).
Le 1er janvier 2003, l'ACAA a commencé à gérer la certification des exploitants régis au Canada par la sous-partie 604. Une vérification satisfaisante du SGS de l'exploitant par une tierce partie est la condition essentielle pour obtenir un certificat d'exploitant privé (CEP). Afin de vérifier que l'exploitant se conforme aux NSOA-AA de l'ACAA et que son SGS est acceptable, des vérifications sont nécessaires.
L'ACAA ne recommande aucun vérificateur en particulier et n'établit pas les contacts. Une liste des vérificateurs et leurs coordonnées sont affichées sur son site Web. L'ACAA s'efforce d'éliminer toute perception de relation employeur-employé entre elle et les vérificateurs. Outre les conflits d'intérêt intrinsèques ou l'influence possible des compagnies auxquelles les vérificateurs offrent leurs services, l'ACAA répugne à imposer aux vérificateurs une rotation entre les exploitants, car elle considère qu'il s'agit là d'une ingérence dans les relations vérificateur-client.
Exploitation de la compagnie
La société ADWEL Investments Ltd. (ADWEL) exploitait l'avion en vertu d'un CEP de l'ACAA. Un manuel d'exploitation de la compagnie avait été élaboré afin de respecter le programme CEP. Ce manuel récapitulait les devoirs et les obligations incombant à toutes les personnes prenant part aux opérations aériennes de la compagnie.
Pour obtenir un CEP, une compagnie doit élaborer un SGS et le faire approuver par l'ACAA. Le programme du SGS suppose que l'exploitant analyse tous les aspects de son exploitation en vue de répertorier tous les dangers perçus, de définir les caractéristiques des dangers et des risques associés, et de mettre au point une stratégie d'atténuation efficace. L'exploitant doit évaluer les risques chaque année ou chaque fois qu'un problème de sécurité exige une évaluation des risques.
La société ne disposait d'aucune documentation attestant qu'une évaluation des risques avait été faite depuis la délivrance du CEP en octobre 2006. Le pilote contractuel, embauché pour assumer des fonctions de vol lorsque le principal pilote n'était pas disponible, n'aurait pas dû voler au-dessus du FL 250 en raison de l'absence de masque à oxygène à pose rapide, et il n'aurait pas dû partir avec plus de trois passagers et deux heures d'autonomie de carburant du fait des limites de poids imposées à l'avion. Aucune de ces situations n'a été mentionnée lors de la première vérification effectuée en 2006 par l'ACAA ou lors de la vérification datée de décembre 2007.
Les exploitants doivent faire appel aux services d'un vérificateur accrédité en choisissant ce dernier dans une liste fournie par l'ACAA, et l'entente qui intervient entre le vérificateur et les exploitants ne lie que ces deux parties. Par conséquent, l'exploitant exerce un contrôle sur la vérification en ce sens qu'il choisit le vérificateur et qu'il négocie la portée de la vérification. Le 5 décembre 2007, une vérification s'imposait, étant donné les changements opérés au sein de la structure administrative de la société ADWEL. Une vérification partielle visant 5 des 124 éléments de la liste de vérifications de certification 2007 de l'ACAA a été effectuée. Le programme CEP de l'ACAA ne fait référence à aucune vérification partielle et il ne fait état d'aucune directive ou liste de vérifications. L'intervalle de temps qui sépare la vérification de certification initiale et la vérification obligatoire suivante avait été évalué à trois ans, ce qui correspond à l'intervalle maximum autorisé.
Cadre réglementaire pour l'aviation d'affaires – Autres cas
Eu égard au transfert des responsabilités réglementaires, Transports Canada et l'ACAA ont relevé un certain nombre de risques dans leurs études conjointes initiales. De façon à gérer ces risques, l'approche proposée comportait l'élaboration d'un ensemble de règles fondées sur les performances directement liées au SGS de l'exploitant. Sachant que la supervision des exploitants resterait une nécessité après le transfert des responsabilités, l'ACAA devait mener des vérifications pour s'assurer du respect des règlements et des normes de la part des exploitants, en plus de développer et de tenir à jour un programme d'assurance de la qualité dans son processus de vérification.
Le 11 novembre 2007, un avion d'affaires exploité par la société Jetport Inc. effectuait un vol entre Hamilton (Ontario) et Fox Harbour (Nouvelle-Écosse). Au moment de l'atterrissage, l'avion a touché le sol sept pieds avant le seuil de la piste (rapport A07A0134 du BST). Le train principal droit s'est affaissé et l'avion s'est arrêté 1000 pieds plus loin, hors de la piste. Deux occupants ont été grièvement blessés et les huit autres ont été légèrement blessés. Jetport possédait un CEP qui avait été délivré par l'ACAA au titre de la sous-partie 604 du RAC.
Le BST a enquêté sur cet accident et a identifié les problèmes de sécurité suivants dans son rapport final :
- L'ACAA considérait qu'elle ne pouvait pas contraindre un exploitant à respecter les exigences du programme CEP et elle ne tenait pas à imposer un calendrier de mise en place et de développement des SGS. Par conséquent, certains exploitants risquent de ne jamais se conformer pleinement au SGS.
- Contrairement aux recommandations des études de faisabilité effectuées par Transports Canada et l'ACAA, cette dernière n'a pas établi de programme d'assurance de la qualité dans son processus de vérification.
- Depuis l'entrée en vigueur de cette nouvelle méthode de supervision des exploitants régis par la sous-partie 604, Transports Canada n'a pas exercé une surveillance efficace de l'ACAA, des vérificateurs accrédités et des titulaires de CEP. Transports Canada n'avait pas de programme établi, pour assister en tant qu'observateur ou participer aux vérifications effectuées par les vérificateurs accrédités de l'ACAA, destiné à vérifier si cette nouvelle méthode répondait aux objectifs de sécurité.
Par conséquent, le Bureau a recommandé que :
l'Association canadienne de l'aviation d'affaires établisse un calendrier de mise en place du SGS pour ses titulaires de certificat.
Recommandation A09-05 du BST
le ministère des Transports veille à ce que l'Association canadienne de l'aviation d'affaires adopte un programme d'assurance de la qualité efficace pour la vérification de ses titulaires de certificat.
Recommandation A09-06 du BST
Analyse
Le circuit de dépression semble avoir fonctionné normalement, même si c'est à une valeur de réglage inférieure à celle prescrite par le fabricant, l'indicateur surestimant les valeurs affichées. À la suite des problèmes d'horizon artificiel KI256 constatés lors des vols précédents – instabilité des signaux de sortie envoyés au pilote automatique et bruit des paliers – l'atelier d'instruments avait recommandé le remplacement ou la révision générale de l'instrument défaillant. Même si aucune durée de vie moyenne avant réparations ou remplacement n'était précisée sur l'instrument, l'état des paliers et des autres composants internes démontre qu'un délai de 13 ans et de 1200 heures constituent des intervalles trop longs entre des entretiens ou une révision.
Le manque d'entretien du KI256 a laissé libre court aux frottements importants des composants internes, qui ont été provoqués par les paliers abîmés. Ces frottements, qui se sont probablement conjugués à la valeur de fonctionnement excessive du circuit de dépression, auraient fait tourner le gyroscope de verticale à une vitesse bien inférieure à la valeur requise pour assurer une stabilisation adéquate. Ce phénomène a rendu le pilote automatique instable, et le basculement continu consécutif du gyroscope a privé le pilote des données d'assiette.
La GTOW de l'avion dépassait la limite maximale d'environ 857 livres au décollage et d'environ 712 livres au moment de l'accident. Le CG dépassait la limite arrière d'environ 0,87 pouce, ce qui représente à peu près 23 % des 3,8 pouces de la plage de centrage. Pendant la formation d'avancement du pilote et les séminaires sur la sécurité auxquels il avait pris part, l'importance des problèmes de masse et de centrage touchant ce modèle d'avion avait été soulignée. La séquence de désintégration inhabituelle et l'assiette horizontale du fuselage au moment de l'impact concordent avec un centrage arrière excessif avant et après la désintégration en vol.
Le chargement de l'avion à la limite arrière du centrage a augmenté la sensibilité de la profondeur sur un appareil déjà connu pour l'efficacité de cette gouverne et a fait chuter la stabilité en tangage. Cette perte de stabilité aurait augmenté la charge de travail du pilote, car l'avion aurait été difficile à compenser pour garder la vitesse sélectionnée. Toute perte d'altitude par rapport au vol en palier aurait accentué l'angle de piqué ou la spirale et entraîné une survitesse quasi instantanée. La vitesse sol constante montre que le pilote a maintenu une vitesse de croisière élevée pendant plusieurs minutes alors qu'il tentait de garder la maîtrise de la situation, avant d'entrer en spirale. Le délai de sécurité à respecter avant que la vitesse et les charges aérodynamiques dépassent les limites structurales a donc été écourté.
La dernière formation officielle à l'aide d'un tableau de bord partiel à laquelle le pilote avait pris part datait du 6 mai 2001. Elle avait eu lieu à l'occasion de la formation périodique sur l'ancien appareil de la compagnie, un PA-46-310P. Aucun exercice à l'aide d'un tableau de bord partiel n'a été exigé au moment des vols de vérification de compétence périodiques ou de la transformation sur le PA-46P Jetprop. Il semblerait que le pilote n'ait pas eu les compétences requises pour voler à l'aide d'un tableau de bord partiel. Les caractéristiques de pilotage limitées de l'avion associées au mauvais fonctionnement de l'horizon artificiel KI256 ont dépassé les capacités du pilote, lequel n'a pas été capable de maîtriser son appareil dans des conditions météorologiques de vol aux instruments (IMC).
Effectuer des opérations IFR à un seul pilote sur ce type d'avion pressurisé à turbopropulseur volant à haute altitude nécessite un niveau de compétence élevé. Le manuel d'exploitation de la compagnie exigeait que l'avion soit doté d'un pilote automatique en état de service afin de soulager la charge de travail du pilote, et il demandait à ce que le pilote automatique soit normalement embrayé peu après le décollage et qu'il le reste jusqu'à l'approche finale. En temps normal, le pilote ne devrait pas piloter l'avion manuellement, hormis pour le décollage et l'atterrissage. Par conséquent, il ne devait pas être préparé à faire face à une défaillance du pilote automatique et de l'indicateur d'assiette principal dans des conditions météorologiques de vol aux instruments.
Aucune défaillance structurale ou autre n'a été constatée avant la désintégration en vol. La vitesse calculée au moment de la désintégration était d'environ 390 KIAS, ce qui représente plus du double de la Vmo et correspond à environ 46 % de plus que la vitesse d'essai de vibration en piqué utilisée pendant la certification. Les limites structurales de l'avion ont été dépassées pendant la descente non contrôlée, et le dépassement de ces limites est à l'origine de la désintégration en vol.
Avant que le programme CEP soit transféré à l'ACAA, les inspections et les vérifications des titulaires de CEP incombaient à Transports Canada. Les vérifications sont à présent effectuées par des vérificateurs indépendants accrédités auprès de l'ACAA, lesquels sont choisis par le titulaire du CEP; de plus, les conditions de la vérification sont négociées entre les deux parties concernées.
L'enquête a mis au jour plusieurs manquements, parmi lesquels l'absence de dossiers renfermant des renseignements sur le pilote, l'absence de masques à oxygène de type mise rapide, la surcharge de l'appareil, le non-respect de la plage de centrage, l'absence de documentation portant sur la masse et le centrage et une maintenance non approuvée. Selon les normes de l'ACAA, la compagnie aurait dû avoir un SGS qui lui permette de déceler de tels manquements et d'en atténuer la portée, et une évaluation des risques aurait dû être effectuée dans les 12 mois qui ont suivi la délivrance du CEP. Or, aucune évaluation des risques n'a été faite.
La vérification partielle effectuée au mois de décembre 2007 n'avait pas pour but de déceler des risques ou des manquements, et elle n'a pas permis de constater que le SGS de ce nouvel exploitant CEP n'était pas en place. L'une des options de surveillance les plus efficaces consiste à faire appel à des vérificateurs indépendants. Cette solution constitue un outil efficace pour éviter la complaisance et mettre en lumière des conditions qui se dégradent lentement. Les vérifications qui se contentent de confirmer l'existence des contrôles exigés par les règlements sont dépourvues de toute efficacité; une bonne vérification cherche à savoir si les contrôles sont mis en pratique efficacement et si la stratégie de contrôle est au point. Dans le présent cas, plusieurs lacunes humaines et organisationnelles ont conduit à l'accident. La supervision subséquente du développement du programme SGS de ce nouvel exploitant de CEP n'a pas été efficace, car les intervalles de vérification ont été repoussés jusqu'à la limite maximale autorisée, soit trois ans.
Lorsque l'organisme de réglementation ou son représentant autorisé ne supervise pas efficacement les titulaires de CEP, les risques de passer à côté de lacunes de sécurité sont plus élevés.
L'enquête a donné lieu aux rapports de laboratoire suivants :
- LP 060/2008 – Instrument Examination (Examen des instruments)
- LP 064/2008 – Structural Examination (Examen des structures)
- LP 092/2008 – Breakup Analysis (Analyse de la désintégration)
On peut obtenir ces rapports en s'adressant au Bureau de la sécurité des transports du Canada.
Faits établis
Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs
- L'horizon artificiel est tombé en panne en raison de l'usure excessive des paliers et des autres composants, qui n'avaient pas bénéficié d'un entretien approprié, et en raison du circuit de dépression, qui ne fonctionnait peut-être pas conformément aux valeurs minimales exigées pour l'instrument.
- L'horizon artificiel a été réinstallé dans l'avion afin que le pilote puisse effectuer le vol en question, et ce sans que l'instrument ait été soumis à la révision générale qui avait été recommandée.
- Le pilote automatique est devenu inutilisable au moment où l'horizon artificiel a cessé de lui transmettre des renseignements sur l'assiette.
- Le pilote ne s'était pas entraîné depuis de nombreuses années à exécuter des vols aux instruments à l'aide d'un tableau de bord partiel; il n'a pas été en mesure de passer à un pilotage à l'aide d'un tableau de bord partiel et il a perdu la maîtrise de l'appareil alors qu'il volait dans des conditions météorologiques de vol aux instruments (IMC).
- L'avion était en surcharge par rapport à sa masse maximale certifiée, et son centre de gravité dépassait la limite de centrage arrière. Ces deux facteurs ont compliqué davantage le pilotage du fait de l'augmentation de la sensibilité de la commande de profondeur et de la baisse de stabilité en tangage.
- Les limites structurales de l'avion ont été dépassées pendant la descente non contrôlée, et ce dépassement est à l'origine de la désintégration en vol.
- Le système de gestion de la sécurité (SGS) de la compagnie, qui permet de déceler les dangers et d'en atténuer les risques, présentait de nombreuses lacunes.
- La compagnie n'avait pas effectué l'évaluation annuelle des risques qui était exigée en vertu de son SGS. Ce manquement a contribué à faire augmenter les risques qu'un danger passe inaperçu.
- Les vérifications de l'Association canadienne de l'aviation d'affaires (ACAA) n'ont pas permis d'identifier les risques auxquels les opérations de la compagnie étaient exposées.
Faits établis quant aux risques
- Le manque de redondance des instruments nécessaires contribue à faire augmenter les risques de perte de maîtrise pendant des vols effectués par un seul pilote dans des conditions météorologiques de vol aux instruments (IFR).
- Le pilote n'a pas réduit sa vitesse alors qu'il essayait de garder le contrôle de l'avion; une vitesse inférieure lui aurait donné plus de marge par rapport à la vitesse maximale en exploitation (Vmo).
- Il n'y avait aucun masque à oxygène de type mise rapide à bord de l'avion et le pilote ne portait pas de masque à oxygène au moment de l'accident, contrairement aux exigences de la réglementation en la matière.
- Lorsque l'organisme de réglementation ou son représentant autorisé ne supervise pas efficacement les titulaires de certificat d'exploitant privé (CEP), les risques de passer à côté de lacunes de sécurité sont plus élevés.
Autre fait établi
- L'organisme de maintenance agréé (OMA) qui assurait l'entretien de l'avion n'était pas accrédité pour entretenir des avions PA-46.
Mesures de sécurité
Mesures prises
Transports Canada
En novembre 2007, la responsabilité de la supervision de l'Association canadienne de l'aviation d'affaires (ACAA) a été transférée de la Direction des normes à la Direction des opérations nationales. En février 2008, un gestionnaire de projet a été affecté à la Direction des opérations nationales pour développer et mettre en place un programme de supervision de l'ACAA. En janvier 2009, cette personne a été nommée chef de la Division des entreprises de transport aérien au sein de la Direction des opérations nationales en conservant la responsabilité générale de la supervision de l'ACAA. Pour l'assister, deux inspecteurs des opérations ont été chargés de la supervision directe de l'ACAA.
Après examen du programme portant sur les certificats d'exploitant privé (CEP) effectué le 11 mars 2009, Transports Canada a considéré que les conclusions de son évaluation à laquelle elle avait mis un terme le 21 septembre 2007 n'avaient pas été entièrement traitées. Transports Canada a pris des mesures afin que l'ACAA règle les problèmes encore en suspens.
En avril 2009, Transports Canada a amorcé une série de réunions mensuelles entre ses inspecteurs et l'ACAA afin de passer en revue les incidents et les rapports de sécurité dans le but de surveiller la façon dont l'association gère les renseignements touchant la sécurité, respecte ses processus et ses procédures, et exerce un suivi des cas nécessitant des mesures correctives.
Association canadienne de l'aviation d'affaires
L'ACAA a entrepris un examen interne de son programme CEP en 2008 de façon à cerner les domaines dépassant le cadre de l'évaluation de Transports Canada de 2007 qui pourraient être révisés ou modifiés. Cet examen a donné lieu à des recommandations visant à améliorer certains secteurs. Voici notamment les changements qui ont été adoptés à la suite de ces recommandations.
L'ACAA a modifié la partie 2 des Normes de sécurité des opérations aériennes pour l'aviation d'affaires afin d'éliminer toute ambiguïté concernant la fréquence des vérifications et de clarifier le besoin d'une vérification partielle et d'une mise à jour du profil de risque. Une vérification de renouvellement obligatoire un an après une vérification de certification a été ajoutée. Ces changements décrivent également le processus et la procédure permettant de juger de la validité d'un CEP d'après les normes de vérification. En outre, le manuel du programme CEP (Section III – Procédures de vérification) a été modifié pour décrire comment une vérification pour des motifs justifiés est mise sur pied et gérée.
L'ACAA a indiqué avoir apporté des changements à son programme au niveau de la supervision des vérificateurs accrédités. Elle a adopté un cadre d'assurance de la qualité pour le programme CEP qui a été consigné dans le manuel avec l'ajout d'une nouvelle section (Section V - Cadre d'assurance de la qualité (AQ) du programme CEP). Cette section décrit les procédures de participation aux vérifications. L'ACAA a aussi mentionné avoir établi une procédure de contrôle de la qualité du programme CEP en vue d'assurer la normalisation des vérifications et l'application uniforme des politiques et des procédures de vérification.
Préoccupation liée à la sécurité
Dans cet accident, un seul pilote était aux commandes d'un aéronef à turbine volant à haute vitesse et haute altitude selon les règles de vol aux instruments (IFR), conditions dans lesquelles un pilote automatique est obligatoire. Le pilote automatique et l'indicateur d'assiette principal dépendaient du même gyroscope. Compte tenu de la défaillance du gyroscope principal, le pilote aurait non seulement dû piloter manuellement mais il aurait également dû passer immédiatement au pilotage à l'aide d'un tableau de bord partiel ou utiliser l'horizon artificiel de secours situé sur le tableau du copilote. Ces deux options demandent beaucoup d'attention.
Un pilote ne peut acquérir la maîtrise du vol à l'aide d'un tableau de bord partiel que par la formation et l'expérience pratique, et il importe de noter que l'utilisation des instruments du copilote n'est pas recommandée en raison de l'erreur de parallaxe inhérente à la largeur du tableau de bord. La probabilité est forte qu'un pilote soit dépassé par la complexité de cette technique de pilotage et devienne saturé par les tâches à accomplir.
Il semblerait qu'il y ait au moins deux moyens de remédier à cette lacune de sécurité : soit on prévoit une redondance supplémentaire – en séparant éventuellement les sources d'entrée du pilote automatique et de l'horizon artificiel – soit on s'assure que le pilote est compétent pour voler à l'aide d'un tableau de bord partiel.
Le pilote du Piper PA-46-350P ne s'était pas entraîné au vol à l'aide d'un tableau de bord partiel depuis plusieurs années et il n'était pas tenu de le faire pour obtenir le renouvellement de sa qualification IFR. Qui plus est, il est probable qu'il n'avait pas eu à démontrer ses compétences en pilotage à l'aide d'un tableau de bord partiel depuis l'obtention de sa licence de pilote professionnel ou depuis la formation initiale qu'il avait suivie en vue d'obtenir la qualification de vol aux instruments. Or, de telles compétences se détériorent au fil du temps si elles ne sont pas mises en pratique.
Au Canada, de nombreux avions à hautes performances sont pilotés en conditions IFR par un seul pilote. C'est pourquoi le Bureau s'inquiète du fait qu'à défaut de demander une augmentation de la redondance des instruments ou une mise à jour des compétences des pilotes en matière de pilotage à l'aide d'un tableau de bord partiel, ou les deux, de tels accidents risquent de se reproduire.
Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .