Rapport d'enquête aéronautique A13A0033

Rupture de la roue avant à l'atterrissage
Air Labrador Limited
de Havilland DHC-6-300, C-FOPN
St. Anthony (Terre-Neuve-et-Labrador)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    L'aéronef de Havilland DHC-6-300 Twin Otter (immatriculé C-FOPN, numéro de série 291) est en cours d'atterrissage à l'aéroport de St. Anthony (Terre-Neuve-et-Labrador) avec 2 membres d'équipage et 8 passagers à son bord. L'aéronef touche d'abord la piste avec le pneu gauche, rebondit et reprend son envol avant de faire un toucher dur avec la roue avant. Le train d'atterrissage avant s'affaisse, l'aéronef glisse sur le nez et s'immobilise à 96 pieds du côté nord de la piste 10. Il n'y a aucun blessé. L'aéronef est gravement endommagé. La radiobalise de repérage d'urgence de 406 mégahertz ne s'active pas. L'accident a lieu à 12 h 53, heure avancée de Terre-Neuve-et-Labrador.

    Renseignements de base

    Déroulement du vol

    À 12 h 32Note de bas de page 1, l'aéronef a quitté l'aéroport de Mary's Harbour (Terre-Neuve-et-Labrador) pour un vol selon les règles de vol à vue (VFR) en direction de St. Anthony (Terre-Neuve-et-Labrador). Le premier officier était le pilote aux commandes (PF), et le commandant de bord était le pilote qui n'est pas aux commandes (PNF).

    L'équipage a obtenu des renseignements sur les conditions météorologiques du système automatisé d'observations météorologiques (AWOS) de St. Anthony, qui signalait des vents du 030° vrais (V) à 27 nœuds, avec rafales à 38 nœuds.

    Pendant que l'aéronef était en approche de la piste 10, les vérifications avant atterrissage ont été effectuées, et les volets ont été réglés à 20°.

    Le commandant de bord et le premier officier (P/O) ont discuté des mesures à prendre en vue de l'approche et de l'atterrissage en raison du fort vent traversier qui sévissait.

    Il a été décidé que le P/O poursuivrait l'approche. Le commandant de bord lui a donné des directives pour que l'aéronef demeure aligné sur l'axe de la piste.

    Juste avant l'atterrissage, le P/O éprouvait de la difficulté à manœuvrer l'aéronef. Le commandant de bord a demandé au P/O s'il voulait transférer les commandes. Le P/O a répondu par l'affirmative, et le transfert des commandes s'est effectué moins de 2 secondes avant l'atterrissage. L'aéronef a touché la piste sur la roue principale gauche et a rebondi avant de faire un toucher dur avec la roue avant. La roue avant s'est séparée de l'aéronef, et la maîtrise en direction a été perdue.

    L'aéronef a fait un mouvement de lacet vers la gauche, et le bout de l'aile droite est entré en contact momentanément avec la surface de la piste. L'aéronef a glissé sur le nez sur une distance de 488 pieds avant de s'immobiliser du côté nord de la piste, à environ 2000 pieds du seuil de la piste (photo 1).

    Photo 1. Avion en cause, après son immobilisation sur le côté de la piste (source : Gendarmerie royale du Canada)
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    Avion en cause, après son immobilisation

    Aucun passager ou membre d'équipage n'a été blessé.

    Dommages à l'aéronef

    La roue avant et une partie de la fourche avant se sont détachées de la jambe du train d'atterrissage avant, et l'aéronef s'est affaissé sur cette jambe (photo 2).

    Photo 2. Photo de l'aéronef en cause endommagé prise durant la récupération (source : Gendarmerie royale du Canada)
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    Aéronef en cause endommagé, décrit au text au-dessus

    L'extrémité inférieure de la jambe du train d'atterrissage avant s'est déplacée vers l'arrière, et la cloison structurale où elle était fixée a été déformée, tout comme divers revêtements de la cellule et éléments structuraux de la section avant du fuselage et du plancher du poste de pilotage.

    Les cadres d'attache des jambes gauche et droite du train d'atterrissage principal étaient rainurés en raison de leur contact avec les jambes du train d'atterrissage.

    Le carénage de l'extrémité de l'aile droite et le support de la charnière de l'aileron extérieur étaient abrasés en raison de leur contact avec la surface de la piste.

    La surface de la piste a été légèrement endommagée en raison du frottement de l'amortisseur oléopneumatique du train avant et de la charnière de l'aileron extérieur.

    Renseignements sur les pilotes

    Le jour précédent, l'équipage avait quitté Goose Bay (Terre-Neuve-et-Labrador), avait accompli les tâches de vol du jour et avait passé la nuit à l'extérieur de la base. Le jour de l'événement, l'équipage avait effectué 8 vols avant le vol en cause. Les membres de l'équipage accomplissaient à tour de rôle les tâches de PF et de PNF.

    Les dossiers indiquent que l'équipage de conduite possédait les licences et les qualifications nécessaires pour effectuer le vol, conformément à la réglementation en vigueur. Rien n'indique que la fatigue, une incapacité ou des facteurs physiologiques auraient pu nuire au rendement de l'équipage.

      Commandant de bord Premier officier
    Licence Licence de pilote de ligne - avion Licence de pilote professionnel - avion
    Date d'expiration du certificat médical 1er octobre 2013 1er avril 2013
    Nombre total d'heures de vol 4500 660
    Nombre d'heures de vol sur type 3500 (400 à titre de commandant de bord) 450
    Nombre d'heures de vol au cours des 90 derniers jours 106 198
    Nombre d'heures de vol au cours des 30 derniers jours 43 81
    Heures libres avant le début de la période de travail 10 10

    Renseignements sur l'avion

    Le DHC-6 Twin Otter est un aéronef utilitaire à décollage et atterrissage courts, de type bimoteur turbopropulsé, non pressurisé, à aile haute, avec train d'atterrissage tricycle fixe, d'une capacité de 19 passagers. Il a été conçu et fabriqué par de Havilland Canada. L'avion en cause avait été fabriqué en 1970, et au moment de l'événement, avait accumulé un total de 16 808 heures de vol depuis sa fabrication.

    Figure 1. Emplacements des fractures sur le train d'atterrissage avant
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    Schéma des fractures sur le train d'atterrissage avant, décrit au text

    Les dossiers indiquent que l'aéronef était certifié, équipé et entretenu conformément à la réglementation en vigueur et aux procédures approuvées, et ne présentait aucune défectuosité connue avant le vol menant à l'événement.

    L'ensemble du train d'atterrissage avant, de même que le vérin de commande qui y était fixé (figure 1), ont été envoyés au Laboratoire du BST.

    La rupture initiale du train d'atterrissage avant est survenue lorsque le bras inférieur du compas s'est fracturé sous le point d'attache au bras supérieur du compas (figure 1, A). Des ruptures supplémentaires sont indiquées aux points B et C dans la figure 1.

    Toutes les fractures découlaient d'une surcharge, et il n'existait aucune condition préalable qui aurait pu contribuer à la rupture du train d'atterrissage avant.

    Le manuel de vol de l'aéronef DHC-6-300 indique ce qui suit [en anglais seulement] :

    With full flap (37.5°) crosswind landings have been demonstrated in a maximum crosswind component of 20 knots measured at 6 feet, which is equivalent to 27 knots at 50 feet. This was the maximum encountered during crosswind landing trials, and is not considered limiting. The preferred technique requires that the upwind wing be lowered during the approach with sufficient opposite rudder applied to align the aircraft with the runway. As airspeed decreases during the flare and rollout, both of these control applications must be increasedNote de bas de page 2.

    Le manuel de vol n'indique pas une composante maximale constatée de vent traversier pour d'autres positions des volets. Le commandant de bord a utilisé le bulletin météorologique de l'AWOS pour calculer que la composante maximale de vent traversier était de 32 nœuds à 90° par rapport à la piste.

    Renseignements météorologiques

    Selon le bulletin météorologique de l'AWOS de St. Anthony, les conditions météorologiques qui prévalaient à 12 h 30 étaient les suivantes : vents 030 °V à 27 nœuds avec rafales à 38 nœuds, visibilité de 9 milles terrestres (sm), nuages fragmentés à 900 pieds au-dessus du sol (agl), ciel couvert à 3200 pieds agl, température de 2 °C, point de rosée de 0 °C, et calage altimétrique de 29,60 pouces de mercure.

    Renseignements sur l'aérodrome

    L'aéroport de St. Anthony (CYAY) comporte 1 piste à surface asphaltée se trouvant à l'intérieur d'une zone de contrôle classée espace aérien de type E. La piste 10/28 a une longueur de 4000 pieds et une largeur de 100 pieds. La piste 10, orientée à 099° magnétiques (M), présente une pente descendante de 0,5 % et elle est desservie par un système d'approche de non-précision de navigation de surface/système mondial de navigation par satellite et un système d'approche de non-précision de radiophare omnidirectionnel à très haute fréquence.

    La piste 10 comporte des feux de rangée centre (AD), des feux d'identification de piste (AS) ainsi que des feux de seuil et d'extrémité de piste de moyenne intensité. Un indicateur de trajectoire d'approche de précision (PAPI), se prêtant aux aéronefs dont la hauteur entre les yeux et les roues est de 10 pieds ou moins, se trouve également sur l'approche de la piste 10. Tous ces systèmes étaient en état de fonctionnement au moment de l'événement.

    Compte tenu du vent réel qui sévissait à ce moment, et de la piste utilisée, la composante de vent traversier aurait été de 30 nœuds en rafales au cours de l'approche finale de l'aéronef.

    Enregistreurs de bord

    L'aéronef était pourvu d'un enregistreur de conversations de poste de pilotage à semi-conducteurs Honeywell (numéro de pièce 980-6020-001, numéro de série 1963). Le personnel du BST a retiré l'enregistreur de conversations de poste de pilotage et l'a envoyé au Laboratoire du BST, ses données intactes.

    L'appareil n'était pas doté d'un enregistreur de données de vol, et il n'était pas tenu d'en avoir un en vertu de la réglementation en vigueur.

    Entreprise

    Air Labrador Limited (Air Labrador) a été fondée en 1948, et son siège social se trouve à Goose Bay (Terre-Neuve-et-Labrador). La compagnie assure des vols nolisés et des vols réguliers pour le transport de marchandises ainsi que des vols pour urgences médicales. Sa flotte actuelle comprend 7 Twin Otter, 1 Cessna Caravan, 1 Beechcraft 1900D et 1 King Air 100.

    La compagnie examine les curriculum vitae et convoque en entrevue des candidats qui proviennent parfois directement de l'école de pilotage au moment de leur embauche. La formation des équipages de conduite des Twin Otter est donnée à l'interne. Une fois qu'un pilote a acquis une expérience adéquate, et qu'il existe une possibilité d'avancement, il se voit offrir une formation lui permettant de passer au poste de commandant de bord. Cette formation comprend 20 heures de formation technique au sol, 5 heures de formation de commandant de bord supervisée et au moins 20 heures de formation préparatoire au vol de ligne.

    Les équipages de vol ne reçoivent pas une formation en gestion des ressources en équipe, et cette formation n'est pas non plus exigée par la réglementation en vigueur.

    Système de gestion de la sécurité d'Air Labrador

    Air Labrador est devenue, en 2003, un exploitant assujetti à la sous-partie 705 du Règlement de l'aviation canadien (RAC). En 2007, l'entreprise a commencé la mise en œuvre d'un système de gestion de la sécurité (SGS) en vue de satisfaire aux exigences de Transports Canada. Air Labrador avait finalisé l'étape 3 de 4, qui comprenait l'élaboration d'un manuel sur le SGS. Au printemps 2009, la compagnie a cessé de mener ses activités en vertu de la sous-partie 705 du RAC, et le processus de certification du SGS a été interrompu. Air Labrador mène actuellement ses activités en vertu de la sous-partie 704 du RAC et n'est donc pas tenue, en vertu de la réglementation, d'avoir un SGS. Toutefois, Air Labrador dispose encore d'un manuel complet du SGS. La pratique de la compagnie consistait à inviter les personnes nouvellement embauchées à consulter le manuel du SGS pour obtenir des directives. Toutefois, seules les parties du manuel qui traitent du signalement des incidents étaient utilisées. Aucune formation périodique sur le SGS n'est donnée, aucune réunion officielle sur la sécurité n'est tenue, et il n'existe aucune mesure proactive permettant de repérer les dangers.

    S'il survient une situation nécessitant un examen d'équipe, le directeur général, le pilote en chef et un responsable de la sécurité aérienne de la compagnie effectuent cet examen. Les rapports sur des incidents opérationnels sont examinés selon une approche traditionnelle à l'égard de la gestion de la sécurité. Cette approche repose principalement sur la conformité à la réglementation, ainsi que sur la réaction à des événements indésirables par la détermination de leurs causes sous-jacentes et la prise de mesures particulières visant à empêcher qu'ils ne se reproduisent. Toute mesure corrective et préventive subséquente est consignée sur le formulaire d'enquête sur les dangers du SGS de l'entreprise.

    Procédures d'utilisation normalisées

    On s'attend à ce que les commandants de bord fassent preuve de bon jugement lorsqu'ils donnent de la formation aux premiers officiers débutants. Les membres de l'équipage assurent, tour à tour, les fonctions de pilote aux commandes, à moins que le commandant de bord n'en décide autrement.

    Les procédures d'utilisation normalisées (SOP) d'Air Labrador propres aux Twin Otter n'indiquent pas à quel moment le commandant de bord devrait permettre au P/O de jouer le rôle de pilote aux commandes ou à quel moment il doit le relever de cette fonction. La compagnie s'attend à ce que chaque commandant de bord détermine, à sa discrétion, si un premier officier possède les compétences voulues pour effectuer le vol.

    Selon les SOP d'Air Labrador propres aux Twin Otter, le PF doit tenir un exposé d'approche. Un tel exposé a pour objet de garantir que le PNF est au fait des intentions du PF au moment de l'approche et de l'atterrissage, ainsi que de déterminer les responsabilités du PNF. Aucun exposé d'approche n'a été effectué durant le vol en cause.

    Rapports du Laboratoire du BST

    L'enquête a donné lieu aux rapports de laboratoire suivants :

    • LP 0592013 - Examination of Nose Landing Gear Assembly (Examen du train d'atterrissage avant)
    • LP 0622013 - CVR Download and Transcription (Téléchargement et transcription des données de l'enregistreur de conversations de poste de pilotage)
    • LP 0632013 - Nonvolatile Memory Download (Téléchargement des données de la mémoire non volatile)

    Analyse

    Les procédures d'utilisation normalisées (SOP) de la compagnie n'indiquaient pas le moment auquel un commandant de bord pouvait autoriser un premier officier (P/O) à manœuvrer l'aéronef. On s'attendait à ce que les commandants de bord déterminent, à leur discrétion, si le P/O avait les compétences nécessaires pour manœuvrer l'aéronef dans les conditions de vol existantes. Aucun exposé d'approche n'a été effectué durant le vol en cause.

    Lorsqu'il envisage de permettre au P/O de manœuvrer l'aéronef dans des conditions difficiles, le commandant de bord doit évaluer les risques. Le commandant de bord doit être prêt à prendre les commandes de l'aéronef au moment opportun, au besoin, pour assurer la sécurité du vol.

    Le transfert des commandes s'est effectué durant l'arrondi, lorsque les volets étaient réglés à 20° pour l'approche. Une fois les commandes de l'aéronef transférées au commandant de bord, on disposait d'un temps insuffisant pour bien positionner l'aéronef en vue de l'atterrissage en raison du fort vent traversier qui sévissait. Il s'en est ensuivi un toucher dur, qui a causé l'affaissement du train avant en raison de ruptures causées par une surcharge.

    Faits établis

    Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

    1. Le commandant de bord a permis au premier officier de poursuivre l'approche, qui était particulièrement difficile.
    2. Les commandes de l'aéronef ont été transférées au commandant de bord lorsqu'il ne restait pas suffisamment de temps pour bien positionner l'aéronef en vue de l'atterrissage.
    3. L'aéronef a effectué un atterrissage dur, qui a causé l'affaissement du train avant en raison de ruptures causées par une surcharge.

    Faits établis quant aux risques

    1. Si un exposé qui est requis n'est pas effectué, il est possible que les membres de l'équipage ne partagent pas un plan commun pour l'approche et l'atterrissage, et il est possible que le transfert des commandes ne se fasse pas à un moment opportun, ce qui est susceptible d'accroître le risque d'accident à l'atterrissage.

    Mesures de sécurité

    Mesures de sécurité prises

    Air Labrador Limited

    Air Labrador a étudié cet événement. Le commandant de bord a été temporairement affecté au poste de premier officier jusqu'à la finalisation de sa formation supplémentaire. La compagnie a modifié les procédures d'utilisation normalisées propres aux Twin Otter pour indiquer que le commandant de bord doit effectuer tous les atterrissages lorsque les vents traversiers excédaient 10 nœuds. Toutefois, si, de l'avis du commandant de bord, le premier officier est apte à effectuer l'atterrissage, il reviendra au commandant de bord de déterminer s'il le lui laisse faire ou non.

    Les procédures d'utilisation normalisées d'Air Labrador propres aux Twin Otter stipulent maintenant qu'il est interdit d'effectuer un atterrissage dans des vents traversiers de plus de 30 nœuds à 90°.

    Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet incident. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le . Il est paru officiellement le .