Mauvais type de carburant et atterrissage forcé
Keystone Air Service Ltd.
Piper PA-31-350, C-FXLO
Thompson (Manitoba) 1 nm au sud-ouest
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
À 18 h 17, heure avancée du Centre, l’aéronef Piper PA-31-350 (immatriculé C-FXLO, numéro de série 31-8052022), exploité par Keystone Air Service Ltd., a décollé de la piste 06 de l’aéroport de Thompson (Manitoba) pour effectuer un vol selon les règles de vol aux instruments à destination de l’aéroport international James Armstrong Richardson de Winnipeg (Manitoba) avec 2 pilotes et 6 passagers à son bord. Peu de temps après la rotation, les 2 moteurs ont commencé à perdre leur puissance. L’équipage a tenté de retourner à l’aéroport, mais l’aéronef ne pouvait maintenir l’altitude. Le train d’atterrissage a été sorti en prévision d’un atterrissage forcé sur une autoroute située au sud-ouest de l’aéroport. En raison de véhicules qui approchaient sur l’autoroute, l’atterrissage forcé a été effectué dans une zone boisée adjacente à cette dernière, à environ 700 mètres au sud du seuil de la piste 06. Les occupants ont subi des blessures de gravité variable, mais ont été en mesure de se porter mutuellement assistance et de sortir de l’aéronef. La radiobalise de repérage d’urgence s’est déclenchée; il n’y a pas eu d’incendie. Les services d’urgence ont été contactés au moyen d’un appel au 911 et par la station d’information de vol de l’aéroport de Thompson. Des shérifs du ministère de la Justice du Manitoba qui roulaient sur l’autoroute ont été les premiers à prêter assistance après qu’un membre de l’équipage leur ait fait signe d’arrêter.
Renseignements de base
Déroulement du vol
L'équipage de conduite et les passagers de l'aéronef Piper PA-31-350 (immatriculé C-FXLO, numéro de série 31-8052022) effectuant le vol KEE208 exploité par Keystone Air Service Ltd. (Keystone) avaient quitté l'aéroport international James Armstrong Richardson de Winnipeg (Manitoba) (CYWG) à 8 h 19Note de bas de page 1 pour effectuer une série de vols à destination de plusieurs communautés du nord du Manitoba. Le premier officier a donné un exposé sur les mesures de sécurité à l'intention des passagers. Par la suite, des exposés abrégés ont été effectués à chaque arrêt au cours de la journée. Les 2 derniers arrêts planifiés étaient à l'aéroport Oxford House (CYOH) et à l'aéroport Pikwitonei (CZMN). Durant l'escale à CYOH, l'équipage a évalué les conditions météorologiques à CZMN, a déterminé que le vol ne pouvait être effectué selon les règles de vol à vue, et a annulé ce segment du voyage. Poursuivant son évaluation, l'équipage a constaté qu'un vol selon les règles de vol aux instruments à destination de CYWG, en prévoyant des aéroports de dégagement adéquats, exigerait du carburant supplémentaire. L'équipage a donc résolu de se rendre à l'aéroport de Thompson (Manitoba) (CYTH), situé à environ 102 milles nautiques (nm) de CYOH, pour procéder à un avitaillement. Les membres du personnel de suivi des vols de Keystone ont reçu l'instruction, par téléphone, d'alerter le concessionnaire de carburant à CYTH. Toutefois, la question de savoir si le technicien en manutention de carburant d'aéronef (TMCA) avait reçu un appel de Keystone demeure incertaine. L'aéronef effectuant le vol KEE208 a quitté CYOH à 16 h 40.
Avant l'arrivée de l'aéronef effectuant le vol KEE208, le TMCA présent à CYTH a avitaillé un aéronef en carburant Jet-A1, puis a ramené le véhicule distributeur (photo 1) au bureau du concessionnaire de carburant. Le TMCA a stationné le véhicule distributeur de Jet-A1 à l'extérieur du bureau en laissant tourner le moteur, et est entré dans le bâtiment.
La pluie était continue à CYTH lorsque le vol KEE208 est arrivé à 17 h 28. Alors que le vol KEE208 roulait au sol pour rejoindre l'aire de trafic, le TMCA est sorti du bâtiment et est allé à la rencontre de l'aéronef avec le véhicule distributeur de Jet-A1, sans savoir quel type ni quelle quantité de carburant seraient nécessaires. Le TMCA a rangé le véhicule distributeur de Jet-A1 devant le vol KEE208, le côté gauche du camion faisant face à l'aéronef.
Le commandant de bord (CdB), qui effectuait des vérifications d'arrêt, a aperçu le véhicule rouge et blanc en face de l'aéronef au moment de l'arrêt du dernier moteur. Le CdB, qui avait l'intention d'indiquer la quantité de carburant nécessaire au TMCA, a donné comme instruction au premier officier d'installer une cale pour immobiliser l'aéronef et d'escorter les passagers jusqu'au terminal.
Le premier officier est sorti de l'aéronef, a escorté les passagers vers le bout de l'aile gauche et leur a demandé d'attendre là pendant qu'une cale était mise en place sous la roue avant. Le premier officier n'a pas regardé les inscriptions sur le camion, mais a constaté que le TMCA éprouvait de la difficulté à déterminer quelles goulottes pour carburant aviation correspondaient aux réservoirs principaux. Le premier officier lui a montré chacune des goulottes pour carburant aviation et lui a donné comme instruction de faire le plein des réservoirs principaux et de mettre 80 litres de carburant dans chaque réservoir auxiliaire. Ensuite, le premier officier a escorté les passagers jusqu'à l'aérogare. Pour s'y rendre, le groupe a emprunté la porte côté piste du bâtiment du concessionnaire de carburant, qui est habituellement réservée aux équipages de conduite. Le CdB, ayant vu et entendu le premier officier discuter avec le TMCA, n'a pas parlé à ce dernier de la quantité de carburant nécessaire. Le CdB a effectué les tâches après vol, puis est sorti de l'aéronef à 17 h 34 et s'est dirigé vers le bâtiment du concessionnaire de carburant. Le CdB a informé une personne se trouvant derrière le comptoir à l'intérieur du bâtiment que quelqu'un viendrait signer le bordereau de carburant avant 18 h.
Le TMCA n'a pas vu les inscriptions indiquant le type de carburant nécessaire qui se trouvaient à côté des goulottes pour carburant aviation de l'aéronef, mais a constaté que le bec en éventail pour carburant Jet-A1 n'entrait pas dans la goulotte de l'aéronef (photo 2). Le TMCA a remplacé ce bec par un bec à diamètre réduit (photo 3). L'aéronef a été avitaillé de 406 litres de carburant Jet-A1, répartis entre les 4 réservoirs. Après l'avitaillement, le bec en éventail pour carburant Jet-A1 a été réinstallé. Le TMCA a imprimé un bordereau de carburant et a indiqué, dans le registre de l'écoulement des stocks du véhicule, le retrait et la réinstallation du bec en éventail pour carburant Jet-A1. Le TMCA est retourné au bâtiment du concessionnaire de carburant, a stationné le véhicule de distribution et a éteint le moteur.
À 18 h, le CdB est retourné au bâtiment du concessionnaire de carburant, mais n'a pas été en mesure d'entrer par la porte côté aérogare sécurisée pour ramasser le bordereau de carburant. Les lumières étaient éteintes et le CdB ne pouvait voir s'il y avait un bordereau de carburant sur le comptoir. Le CdB est retourné à l'aérogare. L'équipage et les passagers ont quitté le terminal par la porte côté piste, ont réintégré l'aéronef et se sont préparés en vue du départ. Ni le CdB ni le premier officier n'ont tenté d'entrer dans le bâtiment du concessionnaire de carburant par la porte côté piste. Le premier officier a vérifié les bouchons des réservoirs et a enlevé la cale de sous la roue avant de l'aéronef. Le premier officier a donné un exposé abrégé sur la sécurité. Tous les occupants de l'aéronef ont bouclé leurs ceintures de sécurité et les ont conservées ainsi tout au long du vol à l'étude. En plus de leurs ceintures abdominales, les pilotes avaient des bretelles de sécurité. Les vérifications prévol ont été effectuées; toutefois, aucun échantillon n'a été prélevé dans les puisards de carburant. Les moteurs ont été démarrés à 18 h 13, et l'équipage a obtenu l'autorisation de voler selon les règles de vol aux instruments, autorisation qui était en vigueur jusqu'à 18 h 19. En raison du trafic prévu en entrée, on a accéléré la circulation vers la piste 06, et la course au décollage a débuté à 18 h 17 (figure 1).
Le premier officier a effectué le décollage à partir du siège de droite; à ce moment, les moteurs (Lycoming TIO 540 J2B et LTIO 540 J2B) semblaient fonctionner normalement. Après la rotation, l'aéronef n'accélérait ni ne montait comme prévu, et la pression d'admission des 2 moteurs avait chuté. L'équipage a commandé la rentrée du train d'atterrissage et des volets. Le premier officier a amorcé un virage à faible inclinaison vers la droite et s'est concentré sur le maintien de la vitesse anémométrique tandis que le CdB tentait de déterminer la cause de la perte de puissance.
À 18 h 19 min 1 s, le CdB a fait un appel radio à la station d'information de vol (FSS) de CYTH pour l'informer qu'il amorçait un virage vers la droite pour faire demi-tour et atterrir sur la piste 06. L'aéronef n'a pas été en mesure de monter à plus de 400 pieds environ au-dessus du sol (agl).
À 18 h 19 min 17 s, le CdB a avisé la FSS que le vol KEE208 allait effectuer un virage en vent arrière pour rejoindre la piste 06. L'équipage voyait l'aéroport alors que l'aéronef effectuait l'étape vent arrière à 18 h 19 min 45 s. La puissance des 2 moteurs a diminué davantage et l'avion a commencé à perdre de l'altitude. Le CdB a donné comme instruction au premier officier d'effectuer un atterrissage forcé sur l'autoroute 391 et a placé le levier de commande du train d'atterrissage à la position « DOWN ». Le CdB a ensuite constaté que des véhicules approchaient sur l'autoroute et a pris les commandes de l'aéronef. Le CdB a effectué un virage vers la droite et a procédé à un atterrissage forcé contrôlé dans une zone boisée partiellement dégagée située à environ 50 mètres au nord de l'autoroute et parallèle à celle-ci. La porte de la cabine s'est ouverte sous le choc du premier contact de l'aéronef avec le relief. L'aéronef s'est immobilisé près de la fin de la zone partiellement dégagée. Sa radiobalise de repérage d'urgence (ELT) s'est activée à 18 h 21 min 14 s. La FSS a tenté à plusieurs reprises, sans succès, d'entrer en communication avec le vol KEE208.
Renseignements météorologiques à l'aéroport de Thompson
Heure | 17 h | 18 h | 18 h 33 |
---|---|---|---|
Type de bulletin météorologique | Message d'observation météorologique régulière pour l'aviation (METAR) | METAR | Message d'observation météorologique spéciale d'aérodrome (SPECI) |
Direction du vent (° vrais) | 050 | 050 | 050 |
Vitesse du vent (nœuds) | 12 nœuds avec rafales à 19 nœuds | 11 nœuds avec rafales à 16 nœuds | 9 nœuds avec rafales à 17 nœuds |
Visibilité (milles terrestres) | 7 | 7 | 6 |
Précipitations | Faible pluie | Faible pluie | Faible pluie |
Couches de nuages (pieds agl) | Épars à 500 Fragmentés à 700 Ciel couvert à 900 |
Quelques nuages à 400 Fragmentés à 600 Ciel couvert à 900 |
Quelques nuages à 400 Fragmentés à 600 Ciel couvert à 900 |
Température (°C) | 9 | 9 | 9 |
Point de rosée (°C) | 8 | 8 | 9 |
Calage altimétrique (po Hg) | 29,88 | 29,88 | 29,86 |
Renseignements sur l'épave
L'angle de descente de l'aéronef à travers les arbres jusqu'au point d'impact du train d'atterrissage principal était d'environ 10°; l'aéronef était en cabré, les ailes à l'horizontale. À partir du point du premier impact, l'aéronef a glissé sur une distance de 30 m avant de s'immobiliser. La longueur totale du sillon laissé par l'épave à partir du premier impact avec les arbres était d'environ 76 m. Le lieu de l'écrasement était une zone partiellement dégagée, parsemé de roches, de débris et de rebuts de métal, ce qui indiquait que cette zone était probablement un ancien dépotoir.
Les 2 stabilisateurs horizontaux de l'aéronef avaient été arrachés. Les ailes avaient été elles aussi arrachées, vers l'extérieur des 2 nacelles moteur. Les volets étaient relevés et le train d'atterrissage était sorti au moment de l'impact. La fourche et la roue du train d'atterrissage avant avaient été arrachées, et l'impact avait fait rentrer la portion restante de la jambe du train d'atterrissage dans le logement de train. L'amortisseur oléopneumatique du train d'atterrissage principal gauche était replié à 90°. La jambe du train d'atterrissage principal droit s'était partiellement effondrée. Le boîtier de la batterie de l'aéronef reposait sur le sol à environ 6 m devant sa structure de soutien, sur la cloison avant du fuselage.
Le moteur gauche n'était retenu que par des fils et des câbles. Le moteur droit était encore partiellement fixé à la cloison pare-feu; toutefois, plusieurs tubes du bâti moteur avaient été sectionnés. Les bougies et les couronnes de piston avaient un aspect propre et semblaient avoir été décapées à la grenaille. Les hélices avaient subi peu de dommages en rotation; toutefois, toutes les pales étaient considérablement pliées et tordues.
Les 4 réservoirs de carburant avaient subi des ruptures et laissé fuir du carburant le long du sillage laissé par l'épave. Une odeur de carburant aviation flottait partout sur le site d'écrasement. Les bouchons des réservoirs étaient en place, et les goulottes pour carburant aviation présentaient un diamètre d'environ 2,3 pouces. Il restait suffisamment de carburant dans la cuve du filtre à carburant de droite et dans le réservoir de carburant auxiliaire gauche pour prélever des échantillons.
Possibilités de survie
L'aéronef était pourvu de bretelles de sécurité et de ceintures abdominales pour les membres de l'équipage. Le siège du CdB était intact et fixé au rail du plancher. Le siège du premier officier était fixé à son rail, mais son baquet s'était affaissé.
Il y avait au total 6 sièges passagers disposés en 3 rangées. Chaque siège passager était pourvu d'une ceinture abdominale, et chacun des sièges passagers, à l'exception de ceux de la troisième rangée, comportait un appui-tête. Les baquets de tous les sièges passagers s'étaient affaissés dans une certaine mesure, exception faite de ceux des sièges de la première et de la deuxième rangées du côté gauche de la cabine. Le plancher de la cabine et le rail de siège du côté droit avaient fléchi vers le bas durant l'écrasement.
Les sièges passagers de la première rangée faisaient face à l'arrière et donc, leurs dossiers étaient orientés vers la cloison du poste de pilotage. Les dossiers des sièges passagers de la première rangée avaient été plaqués vers l'avant contre la cloison du poste de pilotage, ce qui l'avait partiellement détachée. Les pattes intérieures du siège de droite de la deuxième rangée s'étaient effondrées, et sa patte avant s'était détachée du rail. L'ensemble du coussin inférieur et du baquet du siège de la troisième rangée de droite s'était détaché de son support à charnière à piano et son côté intérieur s'était tordu vers l'avant.
Renseignements sur l'aéronef
Le Piper PA-31-350 est un aéronef bimoteur homologué pour les vols de jour et de nuit selon les règles de vol à vue ainsi que selon les règles de vol aux instruments. Il est pourvu de moteurs à pistons qui exigent de l'essence aviation (AVGAS) présentant un taux d'octane d'au moins 100.
Il doit y avoir sur la surface des ailes, près de chaque goulotte pour carburant aviation, des inscriptions indiquant le type de carburant et le taux d'octane minimal nécessaires Note de bas de page 2. Sur l'aéronef de l'événement à l'étude, à côté de 3 des goulottes pour carburant aviation, des inscriptions indiquaient le type de carburant de l'aéronef, le taux d'octane nécessaire ainsi que la capacité de carburant de l'aéronef (photo 2). L'inscription adjacente à la goulotte du réservoir de carburant principal gauche indiquait uniquement le taux d'octane et la capacité. Chacune des inscriptions était en caractères noirs sur fond blanc.
Les tests menés sur les échantillons recueillis dans l'épave ont été effectués sous la direction du laboratoire du BST. Les résultats ont démontré que les échantillons étaient composés d'environ 32 % de carburant AVGAS et de 68 % d'un hydrocarbure plus lourd, ce qui correspond aux propriétés du carburant Jet-A1.
Le carburant est stocké dans 4 réservoirs souples à carburant (2 dans chaque aile). Les réservoirs extérieurs (auxiliaires) contiennent chacun 40 gallons américains de carburant, tandis que les réservoirs intérieurs (principaux) ont une capacité de 56 gallons américains chacun; au total, 182 gallons sont utilisables.
Les robinets de purge servant à la prise d'échantillons de carburant se trouvent là où sont les puisards de carburant (4 robinets), les cuves des filtres à carburant (2 robinets) et la partie inférieure du système d'intercommunication (1 robinet). La prise d'échantillons d'eau, de sédiments et de carburant aux robinets de purge fait partie des vérifications prévolNote de bas de page 3. Selon les procédures d'utilisation normalisées (SOP) des PA-31 de Keystone [traduction] : « les activités d'inspection externe prévol [...] doivent être effectuées au moment du premier vol de la journée ou chaque fois qu'un aéronef a été complètement éteint ou laissé sans surveillanceNote de bas de page 4 ». Il était de pratique courante pour les membres des équipages de conduite de Keystone d'échantillonner le carburant à partir des robinets de purge avant le premier vol de la journée, mais pas après les opérations d'avitaillement subséquentes.
Le bulletin de service no 797A publié par Piper le 2 avril 1985 exigeait l'installation de goulottes pour carburant aviation à diamètre réduit pour éviter les erreurs d'avitaillement. Ce bulletin de service a fait l'objet d'une révision pour y inclure des instructions à observer en cas d'introduction de carburant aviation dans un aéronef pourvu de moteurs à pistons. Le bulletin de service n° 797B est devenu obligatoire au moment de la publication de la consigne de navigabilité (CN) 87-21-01 de la Federal Aviation Administration (FAA) des É.-U., entrée en vigueur le 2 novembre 1987. L'aéronef était conforme à cette consigne.
Selon l'examen par le BST du plan de vol exploitation/document de contrôle du chargement préparé par l'équipage du vol KEE208, le centre de gravité et la masse de l'aéronef au décollage se situaient à l'intérieur des limites acceptables. L'aéronef avait fait l'objet d'une inspection planifiée environ 82 heures de vol avant l'événement. Un examen des dossiers d'entretien de l'aéronef a montré que celui-ci avait été entretenu conformément aux règlements et normes en vigueur. Aucun défaut n'avait été signalé avant le vol à l'étude.
Renseignements sur l'équipage
Les dossiers indiquent que l'équipage de conduite possédait les licences et les qualifications nécessaires pour effectuer le vol, conformément à la réglementation en vigueur. Le CdB était titulaire d'une licence de pilote de ligne et d'un certificat médical de catégorie 1 avec restriction l'obligeant à porter des lunettes. Le CdB portait des lunettes au moment du vol à l'étude. Le CdB avait accumulé environ 2000 heures de vol au total, dont 1000 heures de vol sur l'aéronef PA-31-350. Pendant la période de 7 jours précédant l'événement, le CdB avait accumulé 34,8 heures de service en vol et 14,4 heures de vol. Le CdB était arrivé au hangar vers 6 h 30. Au moment de l'événement, le CdB était en service depuis environ 11,75 heures et était éveillé depuis environ 12,75 heures.
Le CdB occupait le siège de gauche. Le CdB était le pilote surveillant pendant la partie initiale du vol et est devenu le pilote aux commandes peu de temps avant l'atterrissage forcé.
Le premier officier était titulaire d'une licence de pilote professionnel et d'un certificat médical de catégorie 1. Le premier officier avait accumulé environ 446 heures de vol au total, dont 120 heures de vol sur l'aéronef PA-31-350. Pendant la période de 7 jours précédant l'événement, le premier officier avait accumulé 21,9 heures de service en vol et 9,6 heures de vol. Le premier officier était arrivé au hangar vers 6 h 30. Au moment de l'événement, le premier officier était en service depuis environ 11,75 heures et était éveillé depuis environ 13,75 heures.
Une évaluation de la fatigue du CdB et du premier officier a été effectuée. Cette évaluation a permis de conclure qu'il était peu probable que le CdB et le premier officier éprouvaient de la fatigue attribuable au manque de sommeil.
Les 2 membres de l'équipage avaient déjà, dans le passé, effectué des vols à destination de CYTH et obtenu du carburant du concessionnaire de carburant en question. Habituellement, le CdB examinait attentivement les bordereaux de carburant, les prenait en photo et envoyait les photos par courriel à Keystone.
Concessionnaire de carburant de l'aéroport de Thompson
Le concessionnaire de carburant Esso à l'aéroport de Thompson (CYTH) était Mara-Tech Aviation Fuels Ltd. (Mara-Tech), qui exploitait l'installation et le matériel détenus par la Compagnie Pétrolière Impériale Ltée (Impériale) en vertu d'un contrat de concession du secteur de l'aviation. Outre l'exploitation quotidienne de son installation, Mara-Tech était responsable de la dotation en personnel ainsi que de la formation des employés. Fourni par l'Impériale, le matériel de formation comprenait une série de CD et de cassettes VHS dont le contenu était organisé en modules. Chaque module était accompagné d'un questionnaire à choix multiples.
Aux termes d'un contrat de concession du secteur de l'aviation, le concessionnaire de carburant est tenu de respecter les procédures et normes d'exploitation de l'Impériale. En outre, le concessionnaire de carburant est titulaire d'un permis en vertu duquel il est autorisé à utiliser les marques de commerce de l'Impériale, par exemple Esso et Esso Aviation, dans le cadre de ses activités de commercialisation.
Technicien en manutention de carburant d'aéronef
Le gérant de l'installation de l'aéroport de Thompson exploitée par Mara-Tech a embauché le TMCA, dont la formation a débuté le 6 août 2015. Le TMCA ne possédait pas d'expérience en aviation et, par conséquent, ne connaissait pas les types d'aéronefs et leurs caractéristiques respectives, comme l'emplacement des goulottes pour carburant aviation et les exigences sur les types de carburants.
La formation du TMCA consistait à lire le matériel de formation de l'Impériale, à visionner les CD et à remplir les questionnaires à choix multiples correspondants. Des certifications supplémentaires telles que le permis d'exploitation de véhicules côté piste et le permis pour le transport de matières dangereuses, ont été administrées par le gérant de l'installation exploitée par Mara-Tech à l'aéroport de Thompson. Le TMCA a obtenu le certificat de formation à la manutention de carburant aviation de Mara-Tech le 10 août 2015. En outre, le TMCA a reçu une formation pratique qui consistait à accompagner le gérant sur le terrain pour acquérir de l'expérience en avitaillement. Le TMCA a procédé à son premier avitaillement sans aide le 22 août 2015. La plupart des aéronefs que le TMCA a avitaillés nécessitaient du carburant Jet-A1. Toutefois, compte tenu des différents types d'aéronefs présents, il a été parfois nécessaire de retirer le bec en éventail pour carburant Jet-A1 afin de le remplacer par le bec à diamètre réduit.
Avitaillement
Transports Canada, Aviation civile (Transports Canada [TC]) ne réglemente pas les concessionnaires de carburant et n'exerce pas non plus de contrôle à leur égard. Toutefois, le sujet traité dans la Circulaire de la Sécurité des aérodromes de TC (CSA) 2006-029Note de bas de page 5 « Entreposage, manutention et distribution des carburants d'aviation dans les aérodromes », donne des renseignements et des directives à l'attention des personnes responsables des opérations d'avitaillement aux aérodromes. La version la plus récente de ce document est la Circulaire d'information (CI) 300-012, publiée le 1er octobre 2014. Elle réitère la position de TC concernant la troisième édition de la norme B836-F14, Entreposage, manutention et distribution des carburants aviation dans les aérodromes, de l'Association canadienne de normalisation (CSA). Conformément à la CI 300-012,
Note de bas de page 6La norme B836-F14 « prescrit les exigences minimales en matière de conception, construction, exploitation, entretien et interventions en cas d'urgence pour l'entreposage, la manutention et la distribution des carburants aviation dans les aérodromesNote de bas de page 7. » Cette norme prévoit des dispositions relatives à la formation du personnel et à la préparation d'un manuel d'exploitation.
En conséquence, l'Impériale fournit à ses concessionnaires de carburant agréés le [traduction] Manuel des normes d'exploitation en aviation (MNEA) : procédures à l'intention des concessionnaires dans les aéroports, accompagné d'un guide de référence rapide. Le MNEA énonce des normes et des procédures à l'intention des concessionnaires de carburant et comprend un certain nombre de documents, chacun portant sur un aspect particulier des activités d'un établissement d'avitaillement présent dans un aéroport.
Le document ADD-P-Z605 (605), intitulé Overwing Fuelling, est divisé en 6 sections. Les sections 2 à 5 portent sur la procédure d'avitaillement d'un aéronef comme telle. Cette procédure est décrite au moyen de tableaux dont les colonnes sont intitulées [traduction] : « Étape (numéro), Procédure, Explications, Risques et Actions ». Les procédures sur la vérification du taux d'octane du carburant, tiréesNote de bas de page 8 des sections 2 à 5, sont les suivantes [traduction] :
Section 2. Prise des commandes
- Étape 1 : « Prendre la commande et la répéter au client pour la confirmer. »
- Étape 2 : « Toutes les commandes de carburant doivent être inscrites sur une feuille de production pour commandes de ravitaillement. »
Section 3. Confirmation du taux d'octane
- Étape 1 : « Remplir le formulaire de commande de carburant ou consulter la liste des commandes permanentes de carburant. »
- Étape 2 : « À l'arrivée à l'aéronef, confirmer physiquement le taux d'octane en comparant l'information sur l'étiquette du pistolet à celle de la décalcomanie sur le réservoir d'aile. »
- Étape 3 : « Utiliser le pistolet à embout adaptable. » (Cette étape contient une explication détaillée sur l'utilisation du bec verseur et précise le risque présent à cette étape, soit l'avitaillement avec un carburant à taux d'octane incorrect.)
Section 4. Arrivée et avitaillement
- Étape 13 : « Comparer le taux d'octane indiqué sur le bec verseur à celui de la décalcomanie sur le réservoir d'aile. »
Section 5. Rangement du matériel et départ
- Étape 2 : « Remplir les documents nécessaires. »
- « Veiller à ce que le bordereau de livraison [bordereau de carburant] soit signé, à moins qu'il s'agisse d'une commande permanente de carburant. »
L'enquête a révélé que les techniciens en manutention de carburant d'aéronef de l'établissement exploité par Mara-Tech à l'aéroport de Thompson utilisaient rarement le formulaire de commande de carburant. Le concessionnaire de carburant avitaillait couramment des aéronefs exploités par plusieurs compagnies différentes. Un examen des bordereaux de carburant produits durant la semaine précédant l'événement a permis de déterminer qu'environ 6 % d'entre eux avaient été signés par un membre d'un équipage de conduite.
Il incombait au personnel d'avitaillement de se tenir à jour sur les questions abordées dans le bulletin Operations Focus Letter publié périodiquement par l'Impériale. Les erreurs d'avitaillement ont été traitées dans chacun des bulletins. L'Impériale a également produit 2 numéros de l'Aviation Technical Bulletin (AVTec) qui portaient sur les erreurs d'avitaillement. Le bulletin AVTec 13.08, publié en août 2013, passait en revue les procédures d'avitaillement par l'extrados et énumérait les documents disponibles sur un site Web de l'Impériale. Le bulletin AVTec 15.01, publié en février 2015, présentait une étude de cas sur une erreur de carburant, suivie d'un rappel des procédures visant à empêcher que de telles situations surviennent.
L'Impériale produit également le document Toolbox Talk. Un traité de 8 pages, intitulé Misfuelling Awareness (ADD-T-Z133), vise à sensibiliser davantage le personnel aux erreurs de carburant et à empêcher la survenue de telles erreurs. Le document est présenté sous forme de diaporama et son contenu a été résumé sur une affiche murale publiée en juillet 2013, distribuée aux concessionnaires de carburant (annexe A). L'affiche était présente sur le mur du bureau du concessionnaire de carburant, mais elle était partiellement masquée par d'autres documents.
Dans le cadre d'une évaluation des risques sur place (SLRA) que l'Impériale a effectuée en septembre 2011, il a été établi que les erreurs d'avitaillement représentaient des risques résiduels de degré moyen. Cette SLRA a permis de déterminer que [traduction] « le risque d'introduction de carburant à taux d'octane incorrect dans les aéronefs » exigeait une mise à jour du plan d'urgence interne du concessionnaire de carburant présent à l'aéroport de Thompson.
Les enquêteurs ont examiné les bulletins, les lettres et le plan d'urgence interne; chacun de ces documents était accompagné d'une feuille d'approbation signée par le TMCA.
Une version mise à jour du plan d'urgence interne a été publiée en juin 2012. Elle indiquait les étapes à suivre ci-dessous en cas d'avitaillement d'un aéronef de mauvais type de carburant [traduction] :
- Aviser IMMÉDIATEMENT le client/le(s) pilote(s)
- Laisser votre véhicule devant l'aéronef en cause
- Appeler le superviseur
- Aider le client/pilote à vidanger le carburant ou à effectuer toute autre opération
- Veiller à ce qu'un mécanicien d'entretien d'aéronef (MEA) donne l'autorisation de décoller
L'avitaillement en carburant AVGAS dans un aéronef fonctionnant au carburant Jet-A1 pourrait ne pas poser problème (le pilote donnera cette information); mais le contraire (Jet-A1 dans un aéronef fonctionnant au AVGAS) est ABSOLUMENT À PROSCRIRENote de bas de page 9.
À la suite de la SLRA, 2 employés de l'Impériale ont inspecté l'établissement de Mara-Tech à l'aéroport de Thompson en mai 2014. Ils ont assisté à l'exécution de plusieurs opérations d'avitaillement par l'extrados qui ont été effectuées conformément aux procédures prévues dans le MNEA.
Selon le manuel d'exploitation de la compagnie (MEC) de Keystone [traduction] : « les pilotes avitaillent habituellement les aéronefs eux-mêmes. Toutefois, lorsqu'un tiers procure des services d'avitaillement, les pilotes doivent superviser l'avitaillement de leurs aéronefs pour veiller à ce que les exigences en matière d'avitaillement soient satisfaitesNote de bas de page 10. »
En outre, les SOP des PA-31 de Keystone indiquent ce qui suit [traduction] :
Note de bas de page 11Au cours de l'enquête, il est devenu manifeste que, malgré les directives du MEC et des SOP, la supervision de l'avitaillement n'était pas cohérente parmi les pilotes de Keystone. Le degré de supervision semblait varier en fonction de la confiance qu'avaient les pilotes à l'égard des concessionnaires de carburant présents aux différentes destinations de Keystone. Par exemple, un concessionnaire de carburant dans un grand centre était vu comme étant plus fiable, et, par conséquent, était moins supervisé, qu'un concessionnaire établi dans un petit aéroport. Certains pilotes effectuaient régulièrement une certaine supervision, tandis que d'autres étaient rarement présents à l'aéronef au moment de son avitaillement.
Cécité inattentionnelle
Lorsqu'une personne est occupée mentalement par une tâche ou autrement absorbée dans ses pensées, elle peut orienter son regard en direction d'un objet ou d'un événement sans toutefois le remarquer ou l'enregistrer dans son conscientNote de bas de page 12. Ce phénomène, appelé cécité inattentionnelleNote de bas de page 13, survient lorsqu'une personne ne tient pas compte, par erreur, d'une information importante pouvant être captée par les sens. En raison de la cécité inattentionnelle, un pilote en train d'effectuer une tâche donnée peut manquer ou ne pas « voir » un événement se produisant simultanément.
Historique des erreurs d'avitaillement
Dans un passage sur les défaillances moteur en cours d'utilisation causées par des erreurs d'avitaillement, la circulaire consultative AC 20-105B de la FAA indique que [traduction] : « un moteur à pistons [à essence] qui brûle du carburéacteur Jet A à des réglages de puissance élevée fait l'objet de détonations, d'une chute rapide de puissance et d'une chaleur surélevée de ses culasses de cylindre, le tout étant suivi rapidement d'une défaillance complète du moteurNote de bas de page 14 ».
À la suite d'une série d'événements causés par des erreurs d'avitaillement survenus dans les années 1980, le secteur de l'aviation a mis en œuvre des initiatives pour empêcher d'autres événements de ce type. Certains fabricants d'aéronefs ont émis des bulletins de service et ont offert des trousses de réduction de diamètre des goulottes pour carburant aviation des aéronefs exigeant du carburant AVGAS. Par la suite, la FAA et TC ont émis des directives de navigabilité qui rendaient obligatoires les bulletins de service.
Cela a entraîné l'installation, sur le matériel d'avitaillement, de becs en éventail n'entrant pas dans les goulottes des réservoirs de carburant AVGAS de plus petit diamètre. Les fournisseurs de carburant ont apposé des étiquettes et des inscriptions supplémentaires sur le matériel d'avitaillement. On a mis en œuvre de nouveaux programmes de formation à l'intention des TMCA et publié des manuels d'exploitation plus élaborés. La circulaire consultative AC 20-105B de la FAA et les bulletins de service publiés par certains fabricants d'aéronefs ont incité les exploitants à retirer les mots « Turbo » et « Turbocompresseur » du capot moteur des aéronefs à moteurs à turbocompresseurs. Les erreurs d'avitaillement ont été abordées également dans un Avis aux techniciens d'entretien d'aéronefs et aux propriétaires d'aéronefs (N-AME-AO)Note de bas de page 15 de TC ainsi que dans plusieurs numéros de sa publication Sécurité aérienne — NouvellesNote de bas de page 16.
En 1993, des normes sur les dimensions des goulottes des réservoirs de carburant ont été intégrées à l'article 23 des Federal Aviation Regulations (FARs), ayant pour titre Airworthiness Standards: Normal, Utility, Acrobatic and Commuter Category Airplanes [Normes de navigabilité : Avions de catégorie normale, utilitaire, acrobatique et navette]Note de bas de page 17. Les normes précisaient que les réservoirs de carburant des aéronefs pourvus de moteurs à essence devaient comporter des goulottes pour carburant aviation d'un diamètre n'excédant pas 2,36 pouces; que les réservoirs de carburant des aéronefs pourvus de turbomoteurs devaient comporter des goulottes pour carburant aviation d'un diamètre d'au moins 2,95 pouces; et que chaque goulotte pour carburant aviation devait comporter des inscriptions indiquant le type de carburant et le taux d'octane minimal requisNote de bas de page 18. Le Canada a adopté des normes identiques en matière de navigabilité, à savoir la Partie V — Navigabilité Chapitre 523 — Avions de catégorie normale, utilitaire, acrobatique et navette (523.973 et 523.1557). Les normes de navigabilité de la FAA et de TC sur les giravions ne précisent pas de diamètre pour les goulottes pour carburant aviation pour ces aéronefs.
Certains aéronefs et giravions propulsés par des turbomoteurs ne peuvent être avitaillés au moyen du bec en éventail pour carburant Jet-A1. Les goulottes pour carburant aviation de certains aéronefs fabriqués avant la norme actuelle ne satisfont pas aux exigences en vigueur sur les dimensions. Des aéronefs dont les moteurs à pistons ont été remplacés par des turbomoteurs comportent toujours leurs anciennes goulottes pour carburant aviation. Sur certains aéronefs, l'angle et l'emplacement des goulottes pour carburant aviation empêche l'utilisation du bec en éventail pour carburant Jet-A1. En conséquence, plusieurs véhicules distributeurs de Jet-A1 et armoires d'avitaillement fixes comportent un bec à diamètre réduit qui peut être installé temporairement à la place du bec en éventail pour carburant Jet-A1.
Un examen de la base de données du BST a révélé que depuis 1980, il y a eu 21 événements documentés où un aéronef a été avitaillé avec du carburéacteur plutôt que du carburant AVGAS; de tous ces événements, 10 sont survenus depuis 2000 (annexe B). De ces 21 événements, 17 se sont produits à un aérodrome, 3 étaient reliés à un avitaillement effectué à partir de fûts et 1 s'est produit à un quai pour hydravions. Ces cas d'erreurs d'avitaillement ont entraîné 8 écrasements et 11 atterrissages forcés. Ils ont causé 1 décès et de nombreux blessés, dont des blessés graves. Dans 2 cas, l'erreur d'avitaillement a été constatée avant le départ de l'aéronef.
Rapports de laboratoire du BST
Le BST a complété les rapports de laboratoire suivants dans le cadre de la présente enquête :
- LP230/2015 – Analysis of Fuel Samples [Analyse d'échantillons de carburant]
- LP286/2015 – Radar Data Analysis [Analyse des données radar]
Analyse
Les 2 pilotes possédaient les licences et les qualifications nécessaires pour effectuer le vol. Une évaluation de la fatigue des membres de l'équipage de conduite a permis de déterminer qu'il était peu probable que la fatigue attribuable au manque de sommeil ait constitué un facteur contributif dans cet événement. L'aéronef avait été entretenu conformément aux règlements en vigueur, et aucune défectuosité n'avait été signalée avant le vol à l'étude. L'examen de l'épave n'a pas révélé la présence de défectuosités préexistantes qui auraient pu contribuer à l'accident. Les dommages occasionnés aux hélices indiquent que les moteurs ne produisaient pas beaucoup de puissance au moment de l'impact. Tôt dans l'enquête, il est devenu manifeste que l'aéronef avait été avitaillé avec le mauvais type de carburant, soit du Jet-A1 au lieu d'AVGAS. Les conditions météorologiques au moment de l'événement ont été écartées comme facteur majeur dans l'événement. L'analyse mettra l'accent sur les questions relatives à la survie des occupants après l'écrasement et l'utilisation d'un mauvais type de carburant.
Possibilités de survie
La procédure d'atterrissage forcé sur l'autoroute a dû être abandonnée en raison du trafic qui approchait. L'aéronef a été piloté de façon contrôlée dans les arbres, à un angle de descente d'environ 10°, en cabré, les ailes à l'horizontale. Une grande quantité d'énergie a été dissipée par l'arrachement des ailes ainsi que par la déformation et l'effondrement du train d'atterrissage, alors déployé.
Le fuselage est demeuré en position horizontale, et la cabine a procuré un espace offrant des chances de survie. Le fuselage s'est tordu durant l'impact initial avec le relief, ce qui a fait ouvrir la porte de la cabine. Toutefois, les occupants de l'aéronef sont demeurés dans la cabine durant l'accident, car ils portaient tous leur ceinture de sécurité. Le plancher de la cabine a lui aussi été déformé, ce qui a fait en sorte que plusieurs pattes de siège se sont séparées de leurs points de fixation. Certains baquets de siège s'étaient partiellement affaissés en absorbant l'énergie libérée par l'impact initial. L'utilisation, par les occupants, de tous les systèmes de retenue disponibles dans l'aéronef a contribué à leur survie.
Aucun incendie ne s'est déclaré après l'impact. La batterie de l'aéronef a été arrachée de ce dernier, ce qui a probablement éliminé les sources potentielles d'incendie d'origine électrique. La pluie continue et le terrain mouillé ont vraisemblablement éliminé les étincelles générées par le contact avec le relief. Ces facteurs ont probablement empêché le carburant déversé de prendre feu. L'absence d'un incendie après l'impact a contribué à la survie de tous les occupants de l'aéronef.
Mauvais type de carburant
La supervision de l'opération d'avitaillement d'un aéronef par l'équipage est une importante mesure de protection administrative contre les risques. Il s'agit habituellement d'une exigence énoncée dans le manuel d'exploitation de la compagnie et dans les procédures d'utilisation normalisées (SOP) d'un exploitant aérien. Elle fournit à l'équipage l'occasion d'observer les marques et les inscriptions apposées sur le matériel d'avitaillement. L'équipage peut également transmettre au technicien en manutention de carburant d'aéronef (TMCA) de l'information sur l'entretien de son aéronef, ainsi que sur le type et la quantité de carburant nécessaires.
D'autres mesures de protection administratives comprennent le recours à une liste des commandes permanentes de carburant ou à un formulaire de commande de carburant, ainsi que la confirmation verbale selon laquelle le TMCA doit obtenir le type et la quantité de carburant nécessaires. La comparaison, par le TMCA, des inscriptions adjacentes aux goulottes pour carburant aviation de l'aéronef aux marques du bec verseur du pistolet de carburant constitue également une mesure de protection administrative.
Il existe une mesure de protection physique, soit le bec en éventail pour carburant Jet-A1, qui n'entre normalement pas dans les goulottes des réservoirs de carburant AVGAS. Toutefois, pour diverses raisons, il est impossible, ou très difficile, d'utiliser le bec en éventail pour carburant Jet-A1 sur certains aéronefs à turbomoteur. Les aéronefs qui ont été fabriqués avant l'entrée en vigueur des normes de navigabilité actuelles, ou qui ont été modifiés par l'installation de turbomoteurs, peuvent être pourvus de goulottes pour carburant aviation qui ne satisfont pas aux exigences sur les dimensions. Les normes de navigabilité sur les giravions ne précisent pas de diamètre pour les goulottes pour carburant aviation de ces appareils. Ainsi, le matériel d'avitaillement comprend couramment un bec à diamètre réduit qui s'installe temporairement sur le pistolet en présence de goulottes pour carburant aviation non standard. Lorsque le matériel d'avitaillement comprend un bec à diamètre réduit pour convenir aux goulottes pour carburant aviation non standard, cela augmente le risque qu'un aéronef fonctionnant au carburant AVGAS soit rempli de carburant Jet-A1.
Lorsqu'une opération d'avitaillement est terminée, le TMCA devrait présenter le bordereau de carburant à l'équipage pour qu'il l'examine attentivement et le signe. L'équipage a la possibilité de prélever des échantillons de carburant dans les puisards dans le cadre de la vérification prévol. Toutefois, selon les concentrations de carburant présentes, on ignore la mesure dans laquelle cette méthode d'échantillonnage serait efficace pour la détection de carburant Jet-A1 dans du carburant AVGAS.
Un certain nombre de mesures de protection administratives et physiques ont été mises en place par les exploitants d'aéronefs, les organismes de réglementation et les fournisseurs de carburant pour éliminer les risques associés à l'avitaillement des aéronefs. Ainsi, la chaîne d'approvisionnement en carburant aviation constitue un système robuste et fiable. Toutefois, si l'on contourne ou l'on ne met pas en œuvre les mesures de protection administratives et physiques contre les erreurs pouvant survenir dans le cadre des opérations d'avitaillement, il existe un risque qu'un mauvais type de carburant soit utilisé.
En ce qui concerne l'événement à l'étude, plusieurs facteurs ont probablement fait en sorte que l'erreur d'avitaillement est passée inaperçue. Ces facteurs comprennent : la contrainte de temps; la confiance de l'équipage de conduite dans le concessionnaire de carburant fondée sur les expériences passées; l'attention de l'équipage de conduite portée sur d'autres activités liées à son travail durant l'opération d'avitaillement. Ces facteurs ont probablement causé la cécité inattentionnelle éprouvée par les membres de l'équipage, qui n'ont pas vu les inscriptions présentes sur le véhicule distributeur, lesquelles leur auraient permis de se rendre compte qu'il y avait erreur de type de carburant.
Les membres de l'équipage avaient développé un certain degré de confiance envers différents concessionnaires de carburant présents dans les aérodromes et envers leurs TMCA. Toutefois, dans l'événement à l'étude, le TMCA avait à son actif environ 1 mois d'expérience en avitaillement et avait commencé seulement depuis peu à travailler sans supervision. Le TMCA avait reçu la formation requise et avait obtenu sa certification. Ne connaissant pas bien tous les types d'aéronefs, le TMCA devait encore se faire indiquer, par les équipages de conduite, les types de carburant requis et l'emplacement des goulottes pour carburant aviation.
Avant l'arrivée du vol KEE208 exploité par Keystone Air Service Ltd., le TMCA ne connaissait ni l'aéronef ni le type de carburant requis, et a conduit le véhicule distributeur Jet-A1 jusqu'à l'aéronef. Que le commandant de bord (CdB) n'ait pas remarqué les inscriptions de carburant Jet-A1 sur le véhicule distributeur est probablement attribuable à la cécité inattentionnelle. Le CdB était occupé à effectuer des tâches après vol dans le poste de pilotage et avait l'intention d'indiquer la quantité de carburant nécessaire. Toutefois, le premier officier s'en est chargé, lorsqu'il a été constaté que le TMCA éprouvait de la difficulté à repérer les goulottes des réservoirs de carburant. Après avoir indiqué au TMCA l'emplacement des goulottes en question, le premier officier lui a précisé la quantité de carburant nécessaire, mais pas le type de carburant. Le premier officier n'a pas remarqué non plus les inscriptions sur le véhicule distributeur. Le TMCA était tenu de présenter un formulaire de commande de carburant sur lequel l'équipage devait inscrire le type et la quantité de carburant nécessaires. Toutefois, les employés du concessionnaire de carburant ne se servaient presque jamais de ce formulaire.
L'opération d'avitaillement n'a pas été supervisée de manière adéquate par l'équipage de conduite. Le TMCA a vu le premier officier et le CdB partir pour se rendre à l'aérogare; considérant qu'il s'agissait d'une approbation implicite de leur part, le TMCA a commencé l'opération d'avitaillement. Les inscriptions adjacentes aux goulottes des réservoirs de carburant n'ont pas été comparées aux marques sur le bec en éventail pour carburant Jet-A1.
Le bec en éventail pour carburant Jet-A1 n'entrait pas dans la goulotte pour carburant aviation, mais le TMCA avait eu le même problème sur d'autres types d'aéronefs et l'avait résolu en remplaçant le bec en éventail pour carburant Jet-A1 par un bec à diamètre réduit. C'est ainsi qu'un bec à diamètre réduit a été installé sur le pistolet, ce qui a permis de faire passer du carburant Jet-A1 par les goulottes des réservoirs de carburant AVGAS. Lorsque le matériel d'avitaillement comprend un bec à diamètre réduit pouvant être inséré dans les goulottes des réservoirs de carburant non standard, cela augmente le risque qu'un aéronef fonctionnant au carburant AVGAS soit rempli de carburant Jet-A1.
Une fois l'opération d'avitaillement terminée, le TMCA a imprimé un bordereau de carburant sur lequel il était indiqué que du carburant Jet-A1 avait été distribué. Lorsque le TMCA a quitté le bâtiment, le bordereau de carburant est demeuré à l'intérieur. Le CdB n'a pas été en mesure d'entrer dans le bâtiment par la porte côté aérogare sécurisée, et les membres de l'équipage n'ont pas tenté d'ouvrir la porte côté piste en retournant à l'aéronef. Ainsi, il n'a pas été possible pour les membres de l'équipage de procéder à un examen du bordereau de carburant, qui indiquait que l'avitaillement s'était fait avec du carburant Jet-A1.
Comme l'aéronef avait été éteint et laissé sans surveillance durant l'escale, les SOP exigeaient que les membres d'équipage procèdent à un échantillonnage du carburant dans le cadre des vérifications prévol. Toutefois, la pratique normale consistait à prélever des échantillons avant le premier vol de la journée seulement. Le prélèvement d'échantillons dans les 4 puisards des réservoirs de carburant aurait pu indiquer la présence de carburant Jet-A1. Le prélèvement d'un échantillon dans les 2 cuves des filtres à carburant avant le lancement des moteurs aurait probablement permis de déceler la présence majoritaire de carburant AVGAS.
Au moment où les membres de l'équipage ont démarré les moteurs, c'est le carburant AVGAS restant dans les conduites de carburant et les cuves des filtres à carburant qui était consommé. Comme l'étape de la circulation vers la piste avait été accélérée, l'aéronef avait quitté le sol avant que le mélange de carburants, qui comprenait environ 32 % de carburant AVGAS et 68 % de carburant Jet-A1, n'ait atteint les moteurs. Comme le mélange de carburants était présent dans les 4 réservoirs de carburant, toute tentative de rétablir la puissance moteur en sélectionnant un autre réservoir de carburant se serait soldée par un échec. En conséquence, l'équipage a donc dû composer avec la baisse de puissance et la défaillance inévitable des 2 moteurs. La seule option qui restait était un atterrissage forcé à l'extérieur de l'aéroport. L'avitaillement au moyen du type incorrect de carburant a entraîné la perte de puissance des 2 moteurs, ce qui a exigé un atterrissage forcé.
Faits établis
Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs
- L'avitaillement au moyen du type incorrect de carburant a entraîné la perte de puissance des 2 moteurs, ce qui a exigé un atterrissage forcé.
- L'opération d'avitaillement n'a pas été supervisée de manière adéquate par l'équipage de conduite.
- Un bec à diamètre réduit a été installé sur le pistolet, ce qui a permis de faire passer du carburant Jet-A1 par les goulottes des réservoirs de carburant AVGAS.
- Il n'a pas été possible pour les membres de l'équipage de procéder à un examen du bordereau de carburant, qui indiquait que l'avitaillement s'était fait avec du carburant Jet-A1.
Faits établis quant aux risques
- Si l'on contourne ou l'on ne met pas en œuvre les mesures de protection administratives et physiques contre les erreurs pouvant survenir dans le cadre des opérations d'avitaillement, il existe un risque qu'un mauvais type de carburant soit utilisé.
- Lorsque le matériel d'avitaillement comprend un bec à diamètre réduit pouvant être inséré dans les goulottes des réservoirs de carburant non standard, cela augmente le risque qu'un aéronef fonctionnant au carburant AVGAS soit rempli de carburant Jet-A1.
Autres faits établis
- Les aéronefs qui ont été fabriqués avant l'entrée en vigueur des normes de navigabilité actuelles, ou qui ont été modifiés par l'installation de turbomoteurs, peuvent être pourvus de goulottes pour carburant aviation qui ne satisfont pas aux exigences sur les dimensions.
- Les normes de navigabilité sur les giravions ne précisent pas de diamètre pour les goulottes pour carburant aviation de ces appareils.
- L'utilisation, par les occupants, de tous les systèmes de retenue disponibles dans l'aéronef a contribué à leur survie.
- Il n'y a pas eu d'incendie après impact, probablement parce que la batterie s'était détachée de l'aéronef et que le lieu de l'écrasement était saturé d'eau de pluie.
- L'absence d'un incendie après l'impact a contribué à la survie de tous les occupants de l'aéronef.
Mesures de sécurité
Mesures de sécurité prises
Keystone Air Service Ltd.
Le 16 septembre 2015, une note de service urgente a été envoyée par le gestionnaire des opérations de Keystone Air Service Ltd. (Keystone) à tous les pilotes de la compagnie. Cette note de service rappelait l'importance de la supervision, par l'équipage, des opérations d'avitaillement de son aéronef ainsi que les attentes de Keystone quant à la conformité à son Manuel d'exploitation de la compagnie (MEC), plus précisément à l'alinéa 4.12.6 sur la supervision des activités d'avitaillement.
Transports Canada
Conformément à la politique et aux procédures de Transports Canada (TC), une inspection de validation du programme après accident a été effectuée du 21 au 25 septembre 2015. L'inspection a mis en lumière certaines préoccupations en matière de sécurité, ce qui a entraîné l'annulation du certificat d'exploitation aérienne de Keystone. Par la suite, TC a procédé à un examen approfondi du dossier de sécurité aérienne de Keystone. Le 29 décembre 2015, le ministre des Transports a annulé le certificat d'exploitation aérienne de Keystone, invoquant l'intérêt public et le dossier de sécurité aérienne de la compagnie.
Le présent rapport conclut l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .
Annexes
Annexe A – Affiche de l’Impériale sur l’avitaillement par l’extrados
Annexe B — Erreurs d'avitaillement dans la base de données du Bureau de la sécurité des transports
Dossier du BST no | Classe inv. | Vol | Voilure fixe | Voilure tournante | |
---|---|---|---|---|---|
A80Q0056 | Nil | Britten-Norman Islander | OUI | X | |
A83O4077 | Nil | Piper PA-31 | OUI | X | |
A88Q0058 | C5 | Piper PA-28 | OUI | X | |
A92W0078 | C5 | Rockwell Aero Commander 685 | Non | X | |
A93O0287 | C5 | Canadair CL215 | Non | X | |
A97A0131 | 5 | Piper PA-31 | OUI | X | |
A97A0132 | 5 | Hughes 269C | OUI | X | |
A97C0140 | 5 | Beech 60 Duke | OUI | X | |
A98C0114 | 5 | Piper PA-31-350 | OUI | X | |
A98O0292 | 5 | Schweizer 269C (300C) | OUI | X | |
A99F0064 | 5 | Piper PA-31 | OUI | X | |
A00O0181 | 5 | Cessna 414 | OUI | X | |
A02P0089 | 5 | Piper PA23-250 | OUI | X | |
A05P0063 | 5 | De Havilland DHC-2 | OUI | X | |
A07Q0230 | 5 | Piper PA-31 | OUI | X | |
A07W0228 | 5 | Piper PA-31-350 | OUI | X | |
A10C0123 | 3 | Rockwell Aero Commander 500S | OUI | X | |
A11Q0036 | 3 | 3 Robinson R44 IIs | OUI | X | |
A15F0029 | 5 | Piper PA-46-350P | OUI | X | |
A15C0134 | 3 | Piper PA-31-350 | OUI | X | |
A16Q0059 | 5 | Piper PA-31 | OUI | X |