Abordage
entre le «AMÉLIA DESGAGNÉS» et la «6E7221»
Voie maritime du Saint-Laurent
Morrisburg (Ontario)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Vers 15 h 5 le 23 mai 1992, le «AMÉLIA DESGAGNÉS», cargo canadien de marchandises diverses, a été mis en cause dans un abordage avec l'embarcation de plaisance canadienne, numéro de permis 6E7221, qui était tombée en panne dans le chenal. Cinq des occupants de l'embarcation de plaisance, qui s'étaient jetés à l'eau avant l'abordage, ont subi des blessures légères. L'embarcation de plaisance, qui a subi de légères avaries, a été remorquée vers la rive. L'abordage a eu lieu le long de la frontière canado-américaine en plein jour et par bonne visibilité.
Le Bureau a déterminé que le «AMÉLIA DESGAGNÉS» et l'embarcation de plaisance se sont abordés en raison d'une panne moteur de l'embarcation de plaisance. Les occupants de l'embarcation de plaisance n'ont pas pu indiquer de façon évidente qu'ils étaient en détresse. Le fait que le personnel de quart à bord du «AMÉLIA DESGAGNÉS» n'a pas observé une veille visuelle efficace a contribué à l'abordage.
1.0 Renseignements de base
1.1 Fiche technique des bâtiments
« AMÉLIA DESGAGNÉS » | S/O | |
---|---|---|
Numéro officiel | 369043 | - |
Numéro de permis | - | 6E7221 |
Port d'immatriculation | Québec (Québec) | - |
Bureau d'immatriculation | - | Brockville (Ontario) |
Pavillon | Canadien | Canadien |
Type | Cargode - marchandises diverses | Embarcation de plaisance |
Jauge brut | 4 490 tonneaux 1 | 5 tonneaux |
Longueur | 108,24 m | 6 m |
Tirant d'eau | av. :7,57 m | - |
ar : 7,75 m | - | |
Construction | 1976 Collingwood (Ontario) | 1989 Texas (États-Unis) |
Groupe propulseur | 2 942 kW entraînant une hélice à pas variable | serà essencw de 130 HP, en bord/ hors-bord |
Propriétaires | Transports Desgsgnés inc. Québec (Québec) | G.F. Perrin's Sales and Service Brockville (Ontario) |
1. Les unités de mesure dans le présent rapport sont conformes aux normes de l'Organisation maritime internationale (OMI) ou, à défaut de telles normes, elles sont exprimées selon le système international (SI) d'unités.
2. Voir l'annexe C pour la signification des sigles et abréviations.
3. Toutes les heures sont exprimées en HAE (temps universel coordonné (UTC) moins quatre heures), sauf indication contraire.
1.1.1 Renseignements sur les bâtiments
Le «AMÉLIA DESGAGNÉS» est un cargo de marchandises diverses qui est doté de trois cales et dont le gaillard avant est surélevé. La salle des machines, les emménagements et la passerelle de navigation se trouvent à l'arrière. Deux séries de grues de pont sont installées à l'avant de la passerelle.
L'embarcation de plaisance «6E7221» est un runabout en fibre de verre non ponté fabriqué par la société Glastron. Le poste de commande, protégé par un pare-brise, est situé sur tribord.
1.2 Déroulement du voyage
À certains égards, les témoignages du personnel à bord du «AMÉLIA DESGAGNÉS» diffèrent grandement de ceux des occupants de l'embarcation de plaisance.
1.2.1 Selon le personnel navigant du «AMÉLIA DESGAGNÉS»
Dans l'après-midi du 23 mai 1992, le «AMÉLIA DESGAGNÉS» descendait la Voie maritime du Saint-Laurent et transportait un chargement de céréales en direction de Québec (Québec).
Vers 15 h3, le navire se trouvait en amont de la bouée 95; il faisait route, sur un cap au 057° Vrai (V) et Gyro (G), à une vitesse fond de 11,5 noeuds (kn) au centre du chenal. Le capitaine, qui assurait la conduite du navire, a observé la «6E7221» rattraper le «AMÉLIA DESGAGNÉS» sur bâbord et disparaître derrière la partie avant du navire. Un grand nombre d'embarcations de plaisance se trouvaient dans le chenal, cet après-midi-là, et les membres de l'équipage du «AMÉLIA DESGAGNÉS» n'ont pas porté une attention particulière à la «6E7221». Ils ont présumé que la «6E7221» croiserait la route du navire sur l'avant et qu'elle serait éventuellement visible sur tribord.
Vers 15 h 5, le «AMÉLIA DESGAGNÉS», qui se trouvait entre les bouées 93 et 95, amorçait un changement de cap à tribord au 075° (V) & (G). Le capitaine, qui se trouvait à la fenêtre tribord de la timonerie, a aperçu trois femmes et deux hommes qui nageaient près de l'épaule tribord du navire et il a crié pour les avertir du danger. Au même moment, l'officier de quart a aperçu, d'une fenêtre bâbord, la «6E7221» arrêtée et un seul occupant sur l'épaule bâbord du navire. Un coup de sifflet d'avertissement a été donné. Le «AMÉLIA DESGAGNÉS» a navigué entre l'embarcation de plaisance et les nageurs, passant à trois ou quatre mètres d'eux. Le capitaine a vite appelé Voie maritime Iroquois et informé le personnel du danger que représentaient les nageurs dans le chenal de navigation.
La machine principale et l'hélice n'ont été ni ralenties ni arrêtées; aucun équipement d'urgence n'a été déployé. Apparemment, le «AMÉLIA DESGAGNÉS» n'a heurté ni l'embarcation de plaisance ni les nageurs.
1.2.2 Selon les occupants de la «6E7221»
Le conducteur avait pris possession de la «6E7221» le 22 mai 1992. L'après-midi du 23 mai, cinq invités l'accompagnaient pour une excursion sur le fleuve Saint-Laurent.
Vers 15 h, l'embarcation de plaisance a rattrapé le «AMÉLIA DESGAGNÉS» à une vitesse d'environ 20 kn sur le côté canadien du fleuve. Le moteur en bord/hors-bord de la «6E7221» a calé alors que l'embarcation se trouvait à environ deux ou trois encablures en avant du navire. On n'est pas arrivé à faire démarrer le moteur de nouveau. Une des invités a fait des signes des bras pour indiquer la situation de détresse. La «6E7221» a dérivé vers le centre du chenal dans la trajectoire du «AMÉLIA DESGAGNÉS» qui commençait à venir sur tribord. Alors que le «AMÉLIA DESGAGNÉS» n'était plus qu'à quelques mètres de la «6E7221», les cinq invités se sont jetés à l'eau du côté de la rive américaine. La «6E7221» a été heurtée par le navire mais n'a pas chaviré, et le conducteur est demeuré à bord.
On a entendu un coup du sifflet du navire et quelqu'un crier du navire. Après que le «AMÉLIA DESGAGNÉS» s'est éloigné, deux des femmes ont rejoint la «6E7221», sont montées à bord et ont lancé trois gilets de sauvetage à l'eau pour venir en aide aux autres. Les gilets de sauvetage ont ultérieurement été récupérés; la troisième femme, toujours à l'eau, en avait récupéré un avant d'être secourue. Deux embarcations de plaisance parties de la rive canadienne ont repêché les autres invités et remorqué la «6E7221» à Mariatown (Ontario).
1.3 Victimes
Il n'y a eu aucun blessé à bord du «AMÉLIA DESGAGNÉS».
Les cinq invités à bord de la «6E7221» ont subi de légères égratignures et contusions tout en subissant de faibles effets d'hypothermie. On a rapporté qu'un invité a failli se noyer.
1.4 Avaries et dommages
1.4.1 Avaries au «AMÉLIA DESGAGNÉS»
À l'écluse suivante, celle d'Eisenhower, on a examiné l'étrave du «AMÉLIA DESGAGNÉS». On n'a observé aucune avarie ni marque.
1.4.2 Avaries à la «6E7221»
Il y avait une éraflure d'une longueur d'un mètre sur la défense en caoutchouc au droit du livet de pont tribord de la «6E7221». Juste en contrebas de cette éraflure, il y avait, sur la coque en fibre de verre peinte en blanc, une perforation de 125 sur 125 mm au centre de rayures noires sur une surface de 170 sur 170 mm. Un échantillon de la peinture noire provenant de ces rayures et un échantillon de peinture provenant de l'avant du «AMÉLIA DESGAGNÉS» ont été examinés au Laboratoire technique du BST. On a estimé que la similarité des deux échantillons analysés «confirmerait le contact du «AMÉLIA DESGAGNÉS» contre l'embarcation plus petite et correspondrait à un abordage entre les deux bâtiments.»
1.5 Certificats et brevets
1.5.1 Certificats du «AMÉLIA DESGAGNÉS»
L'armement en personnel, les certificats et l'équipement du «AMÉLIA DESGAGNÉS» étaient conformes aux règlements en vigueur.
1.5.2 Permis de la «6E7221»
Puisque la «6E7221» était destinée au marché américain, elle n'avait qu'une plaque de capacité indiquant qu'elle répondait aux normes minimales de construction de la Garde côtière américaine et qu'elle pouvait transporter au plus huit personnes ou 566 kg (1 250 lb). Le 10 mars 1992, la société G.F. Perrin's Sales & Service avait obtenu de Transports Canada un permis pour l'embarcation de plaisance au bureau de Brockville (Ontario). Le transfert de propriété n'avait pas encore été effectué au moment de l'événement.
1.5.3 Brevets du personnel du «AMÉLIA DESGAGNÉS»
Les membres de l'équipage du «AMÉLIA DESGAGNÉS» directement mis en cause dans l'événement à l'étude étaient dûment brevetés pour les postes qu'ils occupaient et le type de voyage qu'effectuait le navire.
Le «AMÉLIA DESGAGNÉS» faisait l'objet d'une exemption de pilotage obligatoire dans la région de l'Administration de pilotage des Grands Lacs.
1.5.4 Le conducteur de la «6E7221»
Le conducteur de la «6E7221» n'était pas titulaire d'un brevet ou d'une licence et aucun règlement ne l'obligeait à en avoir.
1.6 Antécédents du personnel
1.6.1 Capitaine du «AMÉLIA DESGAGNÉS»
Le capitaine comptait 21 ans de temps en mer, dont 12 ans en qualité de capitaine. Il commandait le «AMÉLIA DESGAGNÉS» depuis le 6 mai 1992 et possédait une vaste expérience sur la Voie maritime du Saint-Laurent.
1.6.2 Officier de quart du «AMÉLIA DESGAGNÉS»
Le second lieutenant, qui était l'officier de quart, comptait 15 ans de temps en mer, dont 9 ans en qualité d'officier de pont. Il occupait ce poste à bord du «AMÉLIA DESGAGNÉS» depuis le 6 mai 1992.
1.6.3 Conducteur de la «6E7221»
La «6E7221» était la troisième embarcation de plaisance du conducteur. Il comptait environ huit ans d'expérience en qualité de plaisancier mais n'avait pas suivi de cours de navigation. Il ne connaissait ni le Règlement international pour prévenir les abordages en mer (Règlement sur les abordages) ni le système de balisage canadien.
1.7 Renseignements sur les conditions météorologiques et sur la marée
Le personnel du «AMÉLIA DESGAGNÉS» et celui de l'écluse d'Iroquois ont enregistré des vents du sud-ouest de 15 à 20 kn. La visibilité était bonne et il n'y avait pas de précipitation.
La publication Instructions nautiques pour les Grands Lacs, volume 1, dixième édition, mentionne que le courant atteint souvent deux noeuds dans le secteur de Morrisburg-Iroquois. La vitesse du courant au moment de l'événement n'a pas pu être déterminée, mais il a été établi que le niveau de l'eau était de plus de 0,75 m au-dessus du zéro des cartes.
1.8 Équipement de navigation
1.8.1 Le «AMÉLIA DESGAGNÉS»
Un des deux radars était en marche mais, en raison de la bonne visibilité, on n'assurait pas de veille radar systématique. Le navire n'est pas muni d'un traceur de route. On estimait que l'erreur du gyrocompas était négligeable.
1.8.2 La «6E7221»
La «6E7221» n'était pas munie d'équipement de navigation particulier et il n'y avait pas de carte du secteur à bord. Conformément à la Règle 33 du Règlement sur les abordages, la «6E7221» était munie d'un appareil de signalisation sonore, c'est-à-dire un klaxon à commande électrique. Le klaxon n'a toutefois pas fonctionné au moment de l'abordage en raison de la panne d'électricité.
1.8.3 Aides à la navigation
Le «AMÉLIA DESGAGNÉS» était gouverné au 057° (V) & (G), sur l'alignement lumineux de Mariatown avant le changement de cap à tribord au 075° (V) & (G) et l'abordage avec la «6E7221».
1.9 Communications radio
1.9.1 Entre les bâtiments
Aucun règlement n'exigeait qu'il y ait un radiotéléphone à bord de la «6E7221» et elle n'en était pas munie, ce qui a empêché la communication radio entre les bâtiments.
1.9.2 Stations radio de la Voie maritime
À 15 h 5, peu après que le navire s'est éloigné de la «6E7221» et des personnes à l'eau, le capitaine du «AMÉLIA DESGAGNÉS» a rapporté à Voie maritime Iroquois le danger possible dans le chenal de navigation.
Le Centre de contrôle du trafic de la Voie maritime du Saint-Laurent de Saint-Lambert (Québec), n'a pas demandé de plus amples renseignements mais a communiqué avec Voie maritime Eisenhower afin de déterminer quel centre avait l'autorité de s'occuper de la situation. Il a été décidé, puisque l'on croyait que l'événement était survenu en eaux américaines, qu'un surintendant de Voie maritime Eisenhower devait s'en occuper. La Police provinciale de l'Ontario a été informée de la situation à 15 h 13.
1.10 Équipement d'urgence
1.10.1 Équipement de sauvetage à bord du «AMÉLIA DESGAGNÉS»
Aucun équipement de sauvetage à bord du «AMÉLIA DESGAGNÉS» n'a été utilisé.
1.10.2 Équipement de sécurité de la «6E7221 »
En vertu du Règlement sur les petits bâtiments, l'équipement de sécurité dont une embarcation de la taille de la «6E7221» doit être munie comprend, entre autres, une ancre et du cordage, deux avirons et dames de nage ou deux pagaies de même qu'un engin à lancer comme une bouée de sauvetage approuvée, un coussin de sauvetage approuvé ou une ligne d'attrape flottante. La «6E7221» avait un aviron, une ancre et une ligne d'attrape flottante à bord. En outre, les règlements exigent d'avoir à bord six signaux pyrotechniques de détresse, à moins, entre autres, que l'embarcation navigue sur une rivière à moins d'un mille de la rive, comme c'était le cas de la «6E7221» au moment de l'événement. La «6E7221» n'avait pas de signaux pyrotechniques de détresse.
Il y avait six gilets de sauvetage à bord de la «6E7221» mais aucun des occupants n'en portait au moment de l'événement.
1.11 Recherches et sauvetage
Les cris des personnes à l'eau ont attiré l'attention des personnes sur la rive canadienne qui ont appelé la Police provinciale de l'Ontario. Lorsque celle-ci est arrivée moins de cinq minutes après avoir été appelée, tous les occupants de la «6E7221» étaient sains et saufs sur la rive, et l'ambulance que la Police provinciale de l'Ontario avait dépêchée était sur les lieux. On a prodigué les premiers soins aux cinq invités puis on les a transportés à un hôpital local où ils ont été examinés avant d'obtenir leur congé.
Les membres de l'équipage du «AMÉLIA DESGAGNÉS» n'ont pas déclenché une opération de sauvetage, étant donné qu'ils croyaient que les plaisanciers nageaient.
1.12 Conduite des deux bâtiments
Le capitaine du «AMÉLIA DESGAGNÉS», qui avait la conduite du navire, était à une fenêtre tribord avant de la timonerie, l'officier de quart assurait la veille visuelle à une fenêtre bâbord, et le timonier était au poste de barre. Le pilotage se faisait par repère visuel.
La «6E7221» descendait le côté bâbord du chenal de navigation principal. Il y a suffisamment d'eau à l'extérieur du chenal, dans cette partie de la Voie maritime du Saint- Laurent, pour y naviguer une embarcation de plaisance de cette taille.
1.13 Panne d'électricité à bord de la «6E7221»
Le 24 mai 1992, la «6E7221» a été retournée au vendeur; on a vérifié la batterie et on l'a remplacée après avoir constaté qu'elle était à plat. Lorsqu'on a fait démarrer le moteur, le voltmètre sur le tableau de bord n'indiquait que 12 volts au lieu d'une valeur supérieure à 14 volts. Le disjoncteur du tableau électrique du moteur est demeuré fermé. La jauge a indiqué une valeur correcte après l'installation d'un nouvel alternateur sur le moteur en bord/hors-bord.
1.14 Visibilité restreinte sur la passerelle du «AMÉLIA DESGAGNÉS»
Comme dans le cas de la plupart des navires de commerce, le champ de vision d'un observateur sur la passerelle du «AMÉLIA DESGAGNÉS» est restreint à l'avant du navire. Sur le «AMÉLIA DESGAGNÉS», la présence de deux paires de grues de pont situées à l'avant de la passerelle empire la situation; même lorsque les flèches des grues sont abaissées, les cabines des grues réduisent le champ de vision vers l'avant.
Depuis le poste de barre au centre du navire, l'angle mort sur le plan vertical entre les deux paires de grues était d'environ 190 m en avant de la proue, compte tenu de l'assiette du navire au moment de l'événement. En raison de ce champ de vision réduit, le personnel navigant a adopté des postes de barre et de veille de chaque côté de la passerelle. En outre, les grues faisaient un angle mort d'approximativement huit degrés sur le plan horizontal. Vu que le «AMÉLIA DESGAGNÉS» était un navire déjà construit au 2 janvier 1992, le Bulletin de la sécurité des navires no 3/93 de la Garde côtière canadienne (GCC) portant sur la visibilité de la passerelle de navigation ne s'y appliquait pas. Cependant, le navire satisfaisait, de façon générale, aux lignes directrices.
1.15 Règlement sur les abordages
L'usage veut que les navires se tiennent du côté tribord du chenal et que les petites embarcations n'entravent pas la navigation des navires de taille plus importante qui doivent l'emprunter. La Règle 9 du Règlement sur les abordages, qui traite de la question des navires en eaux restreintes, stipule, entre autres, que «les navires faisant route dans un chenal étroit ... doivent ... naviguer aussi près que possible de la limite extérieure droite» et que «les navires de longueur inférieure à 20 mètres ... ne doivent pas gêner le passage des navires qui ne peuvent naviguer en toute sécurité qu'à l'intérieur d'un chenal étroit ....» Quant à l'observation d'une veille visuelle, la Règle 5 stipule que «tout navire doit en permanence assurer une veille visuelle ... appropriée, en utilisant également tous les moyens disponibles ... de manière à permettre une pleine appréciation ... du risque d'abordage».
1.16 Bulletins de la sécurité des navires
La Direction de la sécurité des navires de la GCC a émis deux Bulletins de la sécurité des navires (nos 10/87 et 11/88) traitant de l'interaction entre les gros bâtiments et les petits qui se rencontrent et se trouvent en situation rapprochée. Ces bulletins, qui devraient être lus conjointement, rappellent aux «navigateurs qui pilotent des petits bâtiments ... [qu'] il serait dangereux de supposer que les navigateurs responsables de ces gros navires peuvent toujours apercevoir un petit bâtiment, apprécier la situation et éviter de mettre en danger ce petit bâtiment.» Il y est également dit qu' «afin d'éviter une position très rapprochée, les petits bateaux peuvent devoir quitter le chenal lorsque leur sécurité l'exige.» Les bulletins rapportent que plusieurs accidents graves, dont certains ont entraîné des pertes de vie, sont survenus lorsque de petits bateaux ont gêné le passage de navires plus gros dans des chenaux étroits.
2.0 Analyse
2.1 Conduite de la «6E7221»
La conduite de la «6E7221» était assurée par le conducteur qui, malgré son expérience de la navigation de plaisance, n'avait suivi aucun cours de navigation maritime. Étant donné que les propriétaires d'embarcations de plaisance ne sont pas soumis à une formation obligatoire au Canada, beaucoup d'entre eux ignorent le privilège dont bénéficient les plus gros bâtiments en vertu du Règlement sur les abordages.
Dans le secteur où s'est produit l'abordage, la profondeur de l'eau était amplement suffisante pour permettre à un bâtiment de la taille et du type de la «6E7221» de naviguer sans danger à l'extérieur du chenal de navigation principal qui est étroit et éviter une situation rapprochée. La «6E7221» se trouvait dans le chenal de navigation principal et n'était pas maintenue du côté tribord du chenal.
Il est possible que les occupants de la «6E7221» auraient eu suffisamment de temps pour ramener l'embarcation de plaisance à l'extérieur du centre du chenal, s'il y avait eu un deuxième aviron à bord.
2.2 Quart de navigation à bord du «AMÉLIA DESGAGNÉS »
Les navires de commerce rencontrent de nombreuses embarcations de plaisance qui naviguent dans le chenal de navigation principal, souvent sans égard pour la sécurité des plaisanciers. La fréquence de ces rencontres est telle que les équipages des navires de commerce peuvent exercer une moins bonne surveillance des embarcations de plaisance. Habituellement, les embarcations de plaisance à moteur sont beaucoup plus rapides et manoeuvrables que les navires de commerce plus gros. Par contre, les manoeuvres déconcertantes et imprévisibles qu'exécutent les embarcations de plaisance rendent difficile l'appréciation de l'existence du risque d'abordage.
Lorsque la «6E7221» a dépassé le «AMÉLIA DESGAGNÉS» et a été perdue de vue, les membres de l'équipage s'attendaient à ce que l'embarcation de plaisance réapparaisse sur tribord, tout comme plusieurs autres l'avaient fait ce jour-là. On n'a pris aucune mesure particulière pour suivre la route de la «6E7221».
Il était difficile d'assurer une veille visuelle adéquate en raison des angles morts créés par les grues à l'avant de la timonerie. Après s'être éloigné de la «6E7221» et des personnes qui étaient à l'eau, le capitaine du «AMÉLIA DESGAGNÉS» a donné son interprétation de la situation dans son rapport à Voie maritime Iroquois, c'est-à-dire qu'une embarcation de plaisance était arrêtée dans le chenal et que des personnes nageaient.
Les chenaux étroits offrent très peu d'espace de manoeuvre aux navires plus gros et il peut être risqué pour de tels bâtiments de ralentir ou de stopper dans de forts courants ou des vents de travers. À une vitesse en surface de 10 kn, le «AMÉLIA DESGAGNÉS» aurait franchi les trois encablures qui le séparait de la «6E7221» en panne en moins de deux minutes. Le «AMÉLIA DESGAGNÉS» n'aurait eu qu'un choix limité de mesures à prendre, même si la présence de la «6E7221» avait été remarquée immédiatement.
2.3 Signaux pyrotechniques de détresse
Une interprétation stricte du Règlement sur les petits bâtiments indique que la «6E7221» n'était pas tenue d'avoir des signaux pyrotechniques de détresse à bord. Cependant, comme le klaxon ne fonctionnait pas et qu'il n'y avait pas de radiotéléphone à bord, les occupants de la «6E7221» auraient pu utiliser un signal pyrotechnique de détresse pour signaler leur présence, s'il y en avait eu à bord.
2.4 Intervention
Le «AMÉLIA DESGAGNÉS» n'a pas signalé l'événement en tant que situation d'urgence, et les centres de trafic de la Voie maritime du Saint-Laurent ont perdu du temps en essayant d'établir avec précision le lieu de l'événement et de vérifier si l'événement s'était produit en eaux canadiennes ou américaines afin de déterminer quelles autorités il fallait aviser.
2.5 Entretien du moteur de l'embarcation de plaisance
Le conducteur avait récemment pris possession de la «6E7221». Il n'avait apparemment eu aucun problème à faire démarrer le moteur et effectuait le premier essai en mer d'importance. La fiabilité et les besoins en matière d'entretien du moteur étaient donc encore en observation.
3.0 Faits établis
3.1 Faits établis
- La «6E7221» a subi une panne de moteur dans le chenal de navigation principal à deux ou trois encablures en avant du «AMÉLIA DESGAGNÉS».
- Il a été constaté par la suite que la panne était due à une défectuosité électrique causée par un alternateur défectueux.
- Sans groupe propulseur, la «6E7221» a dérivé vers le centre du chenal.
- Il n'y avait qu'un seul aviron à bord de la «6E7221». Il aurait pu servir à déplacer l'embarcation de plaisance vers l'extérieur du chenal, mais il n'a pas été utilisé.
- À cause de la panne d'électricité, on n'a pas pu utiliser le klaxon électrique de l'embarcation de plaisance pour émettre un signal de détresse et on a seulement donné un signal visuel avec les bras.
- Aucun règlement n'exigeait que l'embarcation de plaisance ait des signaux pyrotechniques de détresse et il n'y en avait pas à bord.
- À cause de la présence de grues sur le pont, le «AMÉLIA DESGAGNÉS» avait un angle mort de huit degrés sur le plan horizontal, et l'angle mort sur le plan vertical entre les paires de grues était d'environ 190 m en avant de la proue.
- Les membres de l'équipage du «AMÉLIA DESGAGNÉS» n'ont pas remarqué la situation critique de la «6E7221».
- Cinq des six occupants de la «6E7221» se sont jetés à l'eau avant que le «AMÉLIA DESGAGNÉS» heurte leur embarcation.
- Pour ceux qui se trouvaient sur la passerelle du «AMÉLIA DESGAGNÉS», la première indication d'une situation dangereuse a été d'apercevoir la «6E7221» et de dépasser les personnes à l'eau.
- La machine principale du «AMÉLIA DESGAGNÉS» n'a pas été ralentie ni stoppée.
- Aucun des occupants de la «6E7221» ne portait de dispositif de flottaison.
- L'événement a été signalé en tant qu'incident dangereux, et un temps précieux a été perdu à déterminer la juridiction.
- Les membres de l'équipage du «AMÉLIA DESGAGNÉS» n'ont pas déployé d'équipement de sauvetage parce qu'ils ont présumé que les personnes dans l'eau étaient des plaisanciers qui nageaient à partir de la «6E7221».
3.2 Causes
Le «AMÉLIA DESGAGNÉS» et l'embarcation de plaisance se sont abordés en raison d'une panne moteur de l'embarcation de plaisance. Les occupants de l'embarcation de plaisance n'ont pas pu indiquer de façon évidente qu'ils étaient en détresse. Le fait que le personnel de quart à bord du «AMÉLIA DESGAGNÉS» n'a pas observé une veille visuelle efficace a contribué à l'abordage.
4.0 Mesures de sécurité
4.1 Préoccupations liées à la sécurité
4.1.1 Abordages entre des navires de commerce et des embarcations de plaisance
Au cours des 10 dernières années, plus de 54 abordages se sont produits entre des embarcations de plaisance et de gros navires de commerce. De ce nombre, 19 accidents étaient dus à l'inattention ou à une veille peu efficace, 15 à des erreurs de manoeuvre ou à des imprudences, 9 à la visibilité réduite, 8 à des défaillances mécaniques et 2 à une vitesse excessive.
Le Centre de sauvetage maritime de la Garde côtière canadienne (GCC) de Québec a signalé 12 abordages et 14 quasi-abordages dans ce district depuis 1987. Dans les eaux restreintes du fleuve Saint-Laurent et de la Voie maritime du Saint-Laurent, ces événements ont causé des avaries diverses allant d'éraflures mineures à la perte totale d'embarcations de plaisance.
En 1987 et 1988, la GCC a publié deux Bulletins de la sécurité des navires (nos 10/87 et 11/88) en vue de recommander aux navigateurs d'éviter les situations très rapprochées dans les chenaux étroits et dans les ports. Malgré les campagnes de promotion de la sécurité que mènent régulièrement la GCC et d'autres organismes sans but lucratif, le manque d'aptitudes et de connaissances élémentaires en matelotage chez les plaisanciers continue de donner lieu à des situations qui risquent de causer des accidents.
Nul n'est tenu, au Canada, de posséder un permis ou une licence pour conduire une embarcation de plaisance. Dernièrement, la GCC et la province d'Ontario ont amorçé des discussions visant à établir des exigences de base en matière de compétence et de formation obligatoires auxquelles serait assujettie l'obtention d'un permis ou d'une licence pour conduire une embarcation de plaisance.
Bien que les navires de commerce aient la responsabilité de surveiller les mouvements des embarcations plus petites, les gros navires ne disposent pas toujours de suffisamment d'espace de manoeuvre à l'intérieur de chenaux étroits ou en eaux restreintes. Le Bureau croit que les plaisanciers continuent de prendre des risques lorsque, par manque d'aptitudes ou de connaissances, par inattention ou par imprudence, ils gênent le passage de gros navires de commerce.
Les risques augmentent lorsqu'une défaillance mécanique se produit dans un chenal étroit et que le plaisancier ne dispose pas des moyens voulus pour faire part de sa situation par radiotéléphone ou à l'aide de signaux pyrotechniques, afin de prévenir les autres bâtiments qui naviguent en sa direction.
Étant donné la fréquence des abordages entre des embarcations de plaisance et de gros navires de commerce de même que la possibilité que de tels accidents soient graves, le Bureau s'inquiète du fait que les exigences actuelles destinées à assurer la sécurité des plaisanciers ne soient pas adéquates, surtout en ce qui a trait aux aptitudes et connaissances exigées des plaisanciers et à la présence à bord d'équipement d'urgence, de détresse et de communication. Le Bureau se réjouit des initiatives comme celle que la GCC et la province d'Ontario ont prise en vue d'établir des exigences en matière d'obtention d'un permis ou d'une licence pour conduire une embarcation de plaisance. La GCC, les autorités provinciales et les organismes non gouvernementaux sont invités à prendre d'autres mesures visant à sensibiliser davantage les plaisanciers à la sécurité.
Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. La publication de ce rapport a été autorisée le par le Bureau, qui est composé du Président, John W. Stants, et des membres Gerald E. Bennett, Zita Brunet, l'hon. Wilfred R. DuPont et Hugh MacNeil.
Annexes
Annexe A - Carte du lieu de l'événement
Annexe B - Photographies
Annexe C - Sigles et abréviations
- ar.
- arrière
- av.
- avant
- BST
- Bureau de la sécurité des transports du Canada
- G
- gyro (degrés)
- GCC
- Garde côtière canadienne
- HAE
- heure avancée de l'Est
- HP
- puissance en horse-power
- kg
- kilogramme(s)
- kn
- noeud(s) : mille(s) marin(s) à l'heure
- kW
- kilowatt(s)
- lb
- livre(s)
- m
- mètre(s)
- mm
- millimètre(s)
- OMI
- Organisation maritime internationale
- SI
- système international (d'unités)
- UTC
- temps universel coordonné
- V
- vrai (degrés)
- °
- degré(s)