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Rapport d'enquête maritime M92W1057

Accident mortel à bord d'un véhicule automobile impliquant
le traversier «QUEEN OF NEW WESTMINSTER»
Departure Bay (Colombie-Britannique)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Le 13 août 1992, le «QUEEN OF NEW WESTMINSTER» était accosté au quai no 3 de Departure Bay (Colombie-Britannique). Pendant les dernières étapes de l'embarquement des véhicules sur le pont supérieur du «QUEEN OF NEW WESTMINSTER», on a demandé à une fourgonnette avec six personnes à bord de s'arrêter. Alors que le véhicule était immobilisé sur le tablier de la rampe d'embarquement du terminal, le traversier a commencé à s'éloigner du quai. Le tablier, n'étant plus supporté par le pont du navire, s'est brusquement abaissé et la fourgonnette est tombée sur le pont inférieur puis à l'eau. Trois des occupants du véhicule sont morts et trois ont été repêchés, dont un grièvement blessé.

Le Bureau a déterminé que le traversier a quitté prématurément le quai parce qu'on ne s'est pas conformé aux procédures établies d'autorisation de départ. Le désir du personnel du terminal et de l'équipage du traversier de respecter l'horaire, ainsi que des problèmes de communication liés à l'utilisation de postes radio portatifs par le personnel du terminal, ont aussi joué un rôle dans l'événement.

1.0 Renseignements de base

1.1 Fiche technique du navire

« QUEEN OF NEW WESTMINSTER »
Numéro officiel 322953
Port d'immatriculation Victoria (Colombie-Britannique)
Pavillon Canadien
Type Traversier roulier1 pour passagers et véhicules, d'une capacité de 286 véhicules et 1 360 passagers
Construction 1964, Victoria (Colombie-Britannique)
Jauge brute 8 785,8 tonneaux
Longueur 129,98 m
Largeur 23,93 m
Tirant d'eau max. Av. : 4,07 m
(au moment de Ar. : 3,89 m l'événement)
Groupe propulseur Quatre diesels Wartsila 9R-32D, développant 3 375 kW chacun, entraînant deux hélices à pas variable
Propriétaires British Columbia Ferry Corporation (BCFC)
Victoria (Colombie-Britannique)

1.1.1 Renseignements sur le navire

Le «QUEEN OF NEW WESTMINSTER» est un traversier à deux ponts dont l'unique timonerie se trouve à une extrémité et qui est muni de portes à...

1 Voir l'annexe E pour la signification des sigles et abréviations et les définitions.

2 Les unités de mesure dans le présent rapport sont conformes aux normes de l'Organisation maritime internationale (OMI) ou, à défaut de telles normes, elles sont exprimées selon le système international (SI) d'unités.

3 Toutes les heures sont exprimées en HAP (temps universel coordonné (UTC) moins sept heures), sauf indication contraire.

...l'avant et à l'arrière sur le pont inférieur afin de faciliter l'embarquement. La passerelle de navigation est située à l'avant et il y a des pupitres de commande dans chaque aileron.

Depuis mai 1990, le «QUEEN OF NEW WESTMINSTER» est exploité sur la route 30, le Mid-Island Express, entre Departure Bay, sur l'île de Vancouver, et Tsawwassen (Colombie- Britannique), sur le continent.

1.2 Déroulement de l'événement

Le «QUEEN OF NEW WESTMINSTER» est arrivé au quai no 3 de Departure Bay à 7 h 443 et, après avoir laisser descendre des passagers et des véhicules, il a commencé à embarquer des véhicules et à laisser monter des passagers. Vers 8 h, une fourgonnette, ayant à bord cinq passagers en plus du conducteur, a reçu l'ordre de quitter l'aire de transit principale pour monter à bord du traversier par la rampe supérieure (voir croquis de l'annexe A). Le traversier avait alors quelques minutes de retard sur l'horaire publié. L'officier du pont supérieur (OPS), voyant que l'embarquement était presque terminé, s'est rendue sur la passerelle pour aider le capitaine. Avant de partir, elle a confié à un matelot la responsabilité de l'embarquement des derniers véhicules. Ce matelot, qui était en train de placer un véhicule tirant une remorque déjà à bord, a interrompu l'embarquement des véhicules. Vers 8 h 8, la fourgonnette s'est immobilisée sur le tablier de la rampe, ses roues avant se trouvant sur les rabats de raccordement (voir photo de l'annexe B), dans l'attente d'autres instructions. Les témoignages ne concordent pas concernant le message d'autorisation qu'aurait transmis la préposée à la tour (PT) et celui qu'aurait reçu le préposé à la rampe inférieure (PRI). Quoi qu'il en soit, le traversier a appareillé prématurément à 8 h 9.

Une passagère de la fourgonnette assise près de la porte latérale a vu qu'il se passait quelque chose d'anormal et a fait coulisser la porte du véhicule pour descendre sur le tablier. À peu près au même moment, le tablier et les rabats, n'étant plus supportés par le pont du traversier, se sont brusquement abaissés et la passagère de la fourgonnette a été projetée à l'eau. Le véhicule s'est écrasé sur le pont inférieur avant de tomber à l'eau dans le sillage du traversier qui appareillait (voir photos de l'annexe B).

1.3 Victimes

Équipage Passagers Autres Total
Tués - 3 - 3
Disparus - - - -
Blessés graves - 1 - 1
Blessés légers - 2 - 2
Indemnes 30 468 - 498
Total 30 474 - 504

Deux des occupants de la fourgonnette sont remontés à la surface peu après la chute et ont été repêchés, ainsi que la passagère qui avait été projetée à l'eau auparavant. Trois passagers ont été sortis de la fourgonnette au fond de l'eau. Deux sont morts et la troisième n'a survécu que pour succomber à ses blessures plus tard à l'hôpital.

1.4 Avaries et dommages

Ni le navire ni la rampe d'embarquement n'ont été endommagés. La fourgonnette était une perte totale; la petite quantité d'essence qui s'en est échappée s'est rapidement dispersée (voir photos de l'annexe B).

1.5 Certificats du navire et brevets du personnel

L'armement en personnel, l'équipement et l'exploitation du «QUEEN OF NEW WESTMINSTER» étaient conformes aux règlements en vigueur.

1.6 Antécédents du personnel

Le capitaine, qui était entré au service de la BCFC en 1965 en tant que second lieutenant, avait été nommé capitaine permanent en 1978 et était sur cette liaison depuis juin 1991. Pendant un cycle de travail typique de cinq jours à bord du «QUEEN OF NEW WESTMINSTER», il avait à exécuter deux appareillages et deux accostages par jour.

Le second capitaine possédait 24 ans d'expérience de la navigation. Il était entré au service de la BCFC en 1974 en tant que matelot qualifié et avait gravi les échelons jusqu'au poste de second lieutenant. Il était sur le «QUEEN OF NEW WESTMINSTER» depuis septembre 1991 comme second lieutenant permanent et second capitaine de relève, et il avait déjà fait plusieurs traversées avec le capitaine et le second lieutenant qui se trouvaient à bord au moment de l'accident.

Le second lieutenant était au service de la BCFC depuis 1970 et faisait partie du service pont depuis 1982. Elle avait servi sur des navires de plus en plus gros, et s'était jointe à l'équipage du «QUEEN OF NEW WESTMINSTER» comme second lieutenant en juin 1991.

1.6.1 Employés occasionnels

La BCFC emploie environ 2 000 employés à plein temps auxquels viennent s'ajouter, pendant la haute saison estivale, quelque 1 000 employés occasionnels à temps partiel. Certains de ces employés occasionnels qui sont au service de la compagnie à ce titre depuis bon nombre d'années sont affectés à de nombreux postes à bord et à terre. À terre comme à bord, un régime d'affectation des tâches par roulement est en vigueur. Les employés occasionnels sont appelés au travail soit pour une journée, soit pour une période maximale de 21 jours d'affilée. Il n'y a aucune période de travail garantie, et la plupart des occasionnels ont sur eux un télé-avertisseur, qu'ils se procurent à leurs frais, pour être certains de ne pas manquer d'appels. Le préposé à la rampe supérieure (PRS) et un matelot du pont supérieur (MPS) étaient des employés occasionnels. Le PRS avait suivi un cours de cinq jours sur la manoeuvre de la rampe lors de son embauche en 1990, ainsi qu'une autre journée d'initiation par la suite avant le début d'une saison de travail. Le MPS avait aussi suivi le cours sur la manoeuvre de la rampe et d'autres cours pertinents sur les opérations terrestres, de même que le cours d'initiation au navire. Le MPS était titulaire d'un certificat en Fonctions d'urgence en mer (FUM) de même que d'un certificat de canotier, et il avait acquis cinq ans d'expérience à l'emploi d'une autre compagnie de traversiers.

1.6.2 Préposée à la tour

Les personnes qui sont embauchées par la BCFC comme préposé à la billetterie (PB) reçoivent une formation de préposé aux passagers-piétons, avant de devenir PB. La PB, qui était aussi préposée à la tour (PT), était placée dans la «tour de contrôle» (voir l'aménagement du terminal à l'annexe C), ce qui lui procurait une vue d'ensemble des aires de transit des véhicules et des postes d'amarrage des navires. Le PT coordonne avec le traversier l'embarquement et le déchargement de tous les véhicules standard ou non standard, dirige les préposés aux rampes et les préposés au stationnement, guide les mouvements des véhicules à l'intérieur et à l'extérieur du navire, reste en liaison avec les guérites, tient un registre à des fins statistiques et répond aux demandes téléphoniques de renseignements du grand public et des médias concernant les chargements des traversiers, les départs, les retards et les périodes d'attente. Le PT est plus occupé pendant l'embarquement et le déchargement, car le respect des horaires publiés entre alors en ligne de compte.

Comme il est notoire que ce poste comporte beaucoup de pression et de stress tout en n'étant guère mieux rémunéré, certains PB qui ont plus d'ancienneté refusent le poste et le laissent à une personne moins expérimentée.

La PT de service ce jour-là avait relativement peu d'ancienneté et elle avait reçu en 1990 quatre jours d'initiation aux tâches du poste, de même que quelques jours de formation en août de la même année, comme remplaçante à la tour. En 1991, elle avait été remplaçante à la tour pendant un quart de travail en juin, et à nouveau pour quelques quarts en septembre. Après avoir suivi le cours régulier de trois jours sur les fonctions de préposé à la tour en mars 1992, elle avait assuré la relève pendant quelques heures ce même mois, et pendant un quart en avril comme remplaçante. Du 5 juillet au 13 août 1992, elle avait été PT à plein temps, travaillant pendant quatre jours suivis de deux jours de repos. Quand elle n'était pas PT, elle redevenait PB.

1.6.3 Responsabilités du préposé à la rampe inférieure et procédure d'autorisation

Selon le Ramp Operations Handbook (Guide de manoeuvre des rampes) de la BCFC, troisième édition, 1989, les responsabilités du PRI en matière de communications consistent à relayer les communications au préposé à la rampe supérieure ou à l'officier de pont du navire, à la tour, au préposé à l'embarquement et au second capitaine du navire à quai.

Toute l'information doit passer par ce poste afin que le second capitaine, qui est l'officier du pont inférieur (OPI), soit mis sans délai au courant de l'évolution de la situation. En vertu des règlements de la BCFC, seul le second capitaine peut affirmer au capitaine que le navire est tout à fait paré à appareiller.

En outre, le guide susmentionné précise que le PRI doit s'assurer que le tablier de la rampe supérieure et le tablier de la rampe des passagers sont dégagés du navire (voir photos de l'annexe B). Il ou elle doit alors en informer le second en lui disant que «tout est paré»; ce dernier lui donne alors instruction de relever le tablier de la rampe inférieure. Ces directives sont aussi affichées dans la guérite du PRI où sont situées les commandes hydrauliques.

1.7 Installations à terre et rampe d'embarquement

Le terminal de Departure Bay dessert deux liaisons avec le continent, l'une avec Horseshoe Bay (Colombie-Britannique), et l'autre avec Tsawwassen. Le terminal possède deux aires de transit des véhicules, dont l'une est exclusivement réservée pour le pont supérieur du «QUEEN OF NEW WESTMINSTER». Elle a une capacité d'environ 120 voitures et est appelée «zone jaune». Les véhicules de moins de 3,048 m (10 pi) de hauteur sont dirigés vers cette zone d'où ils embarquent directement sur le pont supérieur du navire au quai no 3. Les véhicules commerciaux, ceux d'une hauteur élevée, ainsi que le reste des véhicules ordinaires sont dirigés vers une autre aire de transit pour être embarqués sur le pont inférieur du traversier. Le pont d'embarquement surélevé à une seule voie qui mène à la rampe supérieure a environ 160 m de long (voir l'annexe C).

À Departure Bay, étant donné que la rampe d'embarquement supérieure n'a qu'une seule voie, le dernier véhicule à être embarqué se trouve généralement sur le pont supérieur. C'est donc l'achèvement de l'embarquement sur le pont supérieur qui déclenche l'autorisation de départ.

1.7.1 Configuration des rampes

On accède aux ponts du navire par des rampes hydrauliques à double niveau avec jambes de force. La rampe elle-même est articulée côté quai par une charnière fixée aux ouvrages terrestres ce qui permet d'ajuster la hauteur de la rampe côté navire. Il y a, de part et d'autre de la rampe, une tour conçue pour recevoir l'axe de blocage actionné hydrauliquement. Du côté navire, la rampe est prolongée par un tablier articulé à contrepoids terminé par des rabats en acier, ce qui permet aux véhicules de passer en douceur de la rampe au pont du navire. Le tablier ne peut supporter le poids des véhicules que lorsqu'il repose sur le pont du traversier; il est alors placé en mode «flottant», de façon à suivre les mouvements du pont du traversier sans que le préposé n'ait à l'ajuster constamment. Le Guide de manoeuvre des rampes ne mentionne pas qu'il est dangereux d'immobiliser un véhicule sur le tablier.

1.7.2 Système de surveillance vidéo et particularités du poste d'amarrage

Il y a des caméras vidéo monochrome à bord, mais uniquement sur le pont inférieur du navire. Elles permettent, en pressant un bouton sélecteur, de surveiller les porte arrière ou avant sur le moniteur monochrome de neuf pouces placé sur la passerelle. À cause du surplomb de l'extrémité arrière du pont promenade, qui est le pont au-dessus du pont-garage supérieur, il n'est pas possible de relever complètement le tablier supérieur avant que le traversier ne quitte le poste d'amarrage (voir photos de l'annexe B). Cela n'est nécessaire qu'au quai no 3 de Departure Bay.

1.7.3 Opérations d'embarquement

Au moment de l'accident, il y avait deux PT de service, dont l'un en pause-repas. Lorsqu'on a eut terminé l'embarquement de tous les gros véhicules commerciaux sur le pont inférieur, l'OPI a demandé au PRI d'envoyer quelques véhicules. Ce dernier a été averti qu'il y avait une voie et demie de voitures (environ 25) dans l'aire de transit principale, dont une «voie» était envoyée au pont inférieur. Peu après, l'OPS a demandé au PRS de lui envoyer six autres véhicules pour «compléter» son chargement. L'information a été transmise au «répartiteur» qui a envoyé six véhicules de l'aire de transit principale à la rampe à une seule voie donnant accès au pont supérieur. Comme l'embarquement était presque terminé et que le traversier était en retard sur son horaire, l'OPS s'est rendue sur la passerelle afin d'aider le capitaine pour l'appareillage comme le voulait l'usage à bord, laissant deux matelots s'occuper des véhicules. Selon la procédure établie, l'OPS n'était pas obligée de rester sur le pont supérieur jusqu'à ce que le tablier soit libre et dégagé du navire. Peu après, l'un des deux matelots s'est rendu à l'avant pour exécuter les tâches d'appareillage qui lui étaient assignées, tandis que l'autre, le responsable, qui était désormais seul, était occupé à déplacer des véhicules sur le pont supérieur pour faire de la place pour les autres. Ce faisant, il a demandé à l'avant-dernier véhicule, une fourgonnette avec six personnes à bord, de s'arrêter, ce qu'elle a fait alors qu'elle se trouvait sur le tablier.

À 8 h 5, la PT a été rejointe par l'agent adjoint du terminal (AAT) qui lui a rappelé l'importance de respecter l'horaire du traversier. Après sa conversation avec l'AAT, la PT a observé les voitures sur le pont d'embarquement conduisant au pont supérieur ainsi que d'autres voitures qui se dirigeaient vers le pont inférieur. Voyant que l'embarquement allait bientôt être terminé, la PT a donné une «autorisation conditionnelle» par radio au PRI. La PT a dit au PRI que lorsque sa rampe serait libre et que le PRS en aurait donné l'autorisation, le navire serait autorisé à appareiller, et elle a précisé qu'il y avait 474 passagers à bord. Une telle «autorisation conditionnelle», bien qu'usuelle et normale, est contraire aux procédures de la compagnie. Le PRI a déclaré que la PT lui avait donné le message «tout est paré» ainsi que le nombre de passagers. Le PRI ne se rappelle pas que la PT ait fait mention de la rampe supérieure dans son autorisation conditionnelle. L'OPI a vérifié auprès du PRI qui lui a dit qu'il n'y avait plus de véhicules et que le navire était autorisé à appareiller avec 474 passagers.

1.7.4 Déroulement des événements avant l'appareillage

Alors qu'il se trouvait sur la rampe inférieure, l'OPI s'est assuré que la rampe des passagers- piétons était dégagée du navire. Il a regardé le tablier de la rampe supérieure et il lui a semblé que ce dernier se trouvait à quatre ou cinq pouces du pont. Il a supposé que l'embarquement était terminé sur le pont supérieur et qu'un véhicule se trouvait sur les rabats du tablier ou tout près, empêchant ainsi le tablier de se relever complètement. Il a nommé cette pratique «shoehorning » (chausse-pied); il s'agit de relever le tablier juste assez pour qu'il ne touche plus le pont et, alors que le traversier s'éloigne du quai, on finit de le relever lorsqu'il n'y a plus de risque de toucher le véhicule à bord. L'OPI a ensuite donné l'ordre aux matelots de larguer les amarres et a averti la passerelle au moyen d'un son long et de trois sons brefs de l'avertisseur, signal qui indique que l'embarquement est presque terminé et que le message «tout est paré» va suivre sous peu. L'OPI (le second capitaine) a ensuite appelé la passerelle au moyen du téléphone acoustique, a donné l'autorisation d'appareiller et a communiqué le nombre de passagers. Entre-temps, en voyant l'OPI appeler la passerelle, le PRI a levé le tablier inférieur sans avoir reçu de directives à cet effet de l'OPI et sans vérifier la position de la rampe supérieure. L'OPS, qui était arrivée sur la passerelle quelques secondes plus tôt, a répondu à l'appel de l'OPI et en a accusé réception. Le capitaine, qui se tenait à quelques pieds d'elle au pupitre de commande central, a aussi entendu le message et en a accusé réception. Il a ensuite regardé le moniteur en circuit fermé montrant le pont arrière inférieur. En constatant que le tablier inférieur était relevé et dégagé, il a émis un son prolongé au moyen du sifflet du navire et a déplacé les commandes du pas de l'hélice de la position trois arrière à quatre avant.

1.8 Communications radio

1.8.1 À bord

Pour les besoins des communications internes entre les aires d'embarquement du pont supérieur et du pont inférieur sur le traversier, des téléphones acoustiques sans parasites étaient installés sur chaque pont. Il y avait aussi un avertisseur sonore reliant le pont inférieur à la passerelle, mais il s'agissait d'un système d'usage facultatif qui ne pouvait remplacer le téléphone. Le traversier était aussi muni de postes très haute fréquence (VHF) portatifs qui servaient surtout au cours de patrouilles de routine sur les ponts-garages, dans des situations d'urgence ou au cours d'exercices à bord. L'OPS et l'OPI n'utilisent pas de radio pendant les opérations d'embarquement et de déchargement à cause des niveaux de bruit élevés, surtout sur le pont inférieur. La communication avec les installations du terminal pendant les opérations d'embarquement se fait d'habitude soit de vive voix, soit au moyen de simples signaux des mains. Le protocole de communication de la compagnie exige que l'information soit transmise au PRI qui la transmet à l'OPI lequel, en tant que second capitaine, a le dernier mot en ce qui concerne l'embarquement.

1.8.2 À terre

Pour assurer les communications nécessaires, l'équipe à terre chargée de l'embarquement dispose de radiotéléphones (R/T) VHF portatifs qui fonctionnent au moyen de piles rechargeables au nickel-cadmium (Ni-Cad). Le guide du fabricant contient un avertissement à l'effet que l'autonomie fournie par les piles rechargeables au Ni-Cad peut être réduite par des charges répétées suivant des décharges partielles.

Or, le personnel du terminal avait l'habitude de recharger les piles pendant de longues périodes après de courtes périodes d'utilisation. Les piles n'ont pas été vérifiées tout de suite après l'événement à l'étude. Rien n'indique de façon certaine que ce phénomène, qui peut empêcher une performance optimale de la radio, ait joué un rôle dans cet événement.

L'enquête a aussi révélé que les communications sur les radios utilisées par le personnel du terminal n'étaient pas toujours de qualité égale et qu'un certain nombre de facteurs entraient en jeu, notamment :

Les radios dont on se servait à terre étaient susceptibles d'être utilisées davantage à cause du nombre, de la diversité et du niveau d'expérience des employés qui s'en servaient. Les employés du terminal qui utilisaient des R/T VHF portatifs étaient tenus, en vertu de la Loi sur la radio, d'avoir les certificats appropriés, mais tel n'était pas le cas.

1.8.3 Protocole de communication établi par la compagnie

Les risques associés à l'absence de communications claires pendant les opérations d'embarquement et de déchargement sont soulignés dans la partie 8 du Guide de manoeuvre des rampes traitant des communications. Il y est précisé que des modes de communications normalisés ont été établis pour diminuer les risques d'accident dus à une communication déficiente et que :

a) le préposé à la rampe doit toujours utiliser un «vocabulaire normalisé» et faire les communications nécessaires en temps voulu;

b) le préposé à la rampe doit obtenir un accusé de réception de sa communication lorsqu'il se sert d'un émetteur-récepteur portatif.

Le guide contient une liste de quelques termes et expressions choisis, par ex. «tout est paré». En l'occurrence, l'embarquement à bord du traversier n'était pas terminé lorsqu'une autorisation conditionnelle a été donnée. On a utilisé un langage non normalisé pour la communication et les messages n'ont pas tous été répétés en entier.

1.8.4 Vocabulaire maritime

Le Vocabulaire normalisé de la navigation maritime publié par l'Organisation maritime internationale (OMI) s'inspire des principes fondamentaux essentiels à une communication efficace en vue de la sécurité. En l'utilisant pour les communications, on élimine tout risque de malentendu et d'ambiguïté susceptible de compromettre la sécurité des opérations. On y insiste sur la nécessité de répéter toute partie du message qui est considérée comme suffisamment importante pour justifier une précaution supplémentaire, par exemple «Ne pas, je répète, ne pas traverser». En outre, il répète que lorsqu'un message contient un conseil ou des directives, la station réceptrice qui accuse réception du message doit en répéter l'essentiel (voir l'annexe D).

1.8.5 Qualité des communications

Pendant que le traversier est à quai, le capitaine se trouve sur la passerelle et voit à la sécurité générale du navire. Il lui incombe notamment de garder le traversier en position, de recevoir les rapports internes, de maintenir une écoute sur les postes radios pour recevoir de l'information concernant la sécurité et les mouvements des navires, et de planifier l'appareillage. Il est toujours sur la passerelle, mais il n'est pas obligé de rester à l'écoute sur la fréquence du terminal. En outre, l'information recueillie sur la fréquence radio du terminal n'était pas jugée d'assez bonne qualité pour que le capitaine s'y fie pour prendre des décisions ou des mesures concrètes. Le capitaine se fondait exclusivement sur les rapports que lui faisaient ses officiers, soit en personne, soit par téléphone, conformément à la politique de la BCFC en matière d'embarquement ou de déchargement.

1.9 Renseignements sur les conditions météorologiques et sur la marée

Les conditions météorologiques enregistrées par le navire concordent avec les observations d'autres témoins. Le ciel était dégagé, avec des vents du nord-ouest de 15 à 21 noeuds et une température de l'air de 19 °C. La marée haute à Nanaïmo (Colombie-Britannique) avait eu lieu aux environs de 5 h 50, et la marée baissait au moment de l'événement.

1.10 Équipement d'urgence

Le traversier et le terminal n'ont fourni qu'une petite partie de l'équipement de sauvetage utilisé à cette occasion. Le gros du matériel a été fourni par les services d'urgence municipaux de Nanaïmo (service d'incendie, services ambulanciers et médicaux, plongeurs et bateaux).

1.11 Services de sauvetage

Sur le pont-garage supérieur, la fourgonnette attendait toujours sur le tablier lorsque le traversier s'est soudainement éloigné du quai. Le PRS a couru à sa guérite pour actionner le commutateur de blocage hydraulique, mais il était déjà trop tard (voir photos de l'annexe B). Il a averti la tour par radio qu'un véhicule était tombé de la rampe. La PT lui a demandé de répéter le message, puis a répondu qu'on allait appeler une ambulance. Lorsque le traversier a commencé à s'éloigner, le MPS a téléphoné à la passerelle pour avertir le personnel navigant qu'un véhicule qui se trouvait sur le tablier était en train de tomber et pour demander qu'on stoppe le navire. Il a ensuite lancé une bouée de sauvetage à l'arrière et fermé les portes arrière afin d'assurer la sécurité des autres passagers. L'OPI a vu une femme tomber de ce qui lui a semblé être la rampe supérieure. Il a actionné le signal d'alerte pour la passerelle, soit cinq coups d'avertisseur, et téléphoné pour indiquer que quelqu'un était tombé à l'eau. Les appels provenant des deux ponts sont arrivés presque en même temps à la passerelle. Les rapports sont parvenus au capitaine par l'intermédiaire de l'OPS et celui-ci, voyant «quelque chose» dans l'eau sur le moniteur vidéo, a manoeuvré le traversier pour assurer la sécurité des personnes dans l'eau.

On a fait entendre la sirène d'urgence du navire et l'équipe d'urgence s'est rendue à l'embarcation de sauvetage no 1 selon les directives transmises par le système de sonorisation du bord, et un appel «MAYDAY» a été lancé. L'embarcation a été affalée et, n'étant pas à propulsion mécanique, elle a dû être propulsée à l'aviron jusqu'au quai no 3 afin de porter secours. On a eu certaines difficultés à affaler l'embarcation et à la propulser à l'aviron. Les problèmes venaient des manoeuvres du traversier, de la manoeuvrabilité réduite de l'embarcation, des conditions de vent et de marée qui régnaient, et du caractère urgent de la situation.

Les corps des victimes ont été ultérieurement récupérés par des plongeurs, et l'embarcation de sauvetage est retournée au traversier qui s'est ensuite rendu au quai no 2.

En entendant l'appel «MAYDAY», un navire privé qui entrait dans le port s'est approché pour offrir son aide, a informé la station radio de la Garde côtière (SRGC) de Vancouver et a été le premier à arriver sur les lieux. Divers organismes d'urgence ont été avertis et on a fait venir de l'aide. Le personnel du terminal de la BCFC a prêté main-forte sur demande aux organismes d'intervention. À 8 h 20, les pompiers de Nanaïmo et des ambulances étaient sur les lieux. Les trois personnes qui se trouvaient à la surface de l'eau ont été repêchées et transportées à l'hôpital. En attendant l'arrivée de plongeurs bien équipés qui étaient en route, un pompier de Nanaïmo a pris le risque énorme, avec un simple appareil respiratoire de surface, de plonger jusqu'au véhicule qu'il a atteint au prix de grandes difficultés afin d'essayer de libérer les personnes emprisonnées sous l'eau, mais en vain. Les plongeurs sont arrivés à 8 h 28 et ont pu libérer deux des victimes. Les lourds dommages subis par le toit de la fourgonnette ont retardé l'enlèvement de la dernière victime, car le toit a dû être soulevé par une grue terrestre pour qu'on puisse libérer l'occupant.

1.12 Profil de la compagnie

La BCFC est une société d'État provinciale créée le 1er janvier 1977. Elle exploite une flotte de 40 navires sur 24 liaisons desservant 43 terminaux. Selon le Rapport annuel de 1991-1992, les traversiers ont acheminé près de 21 millions de passagers et environ 8 millions de véhicules cette année-là. Le Mid-Island Express a transporté environ 1,4 million de passagers et quelque 600 000 véhicules.

1.13 Horaire du traversier

Au moment de l'événement à l'étude, les heures publiées de départ du «QUEEN OF NEW WESTMINSTER» étaient les suivantes :

Départ de Tsawwassen Départ de NanaÏmo
5 h 30 8 h
10 h 30 13 h
15 h 30 18 h
20 h 30 23 h

Les ports sont à quelque 38 milles marins (M) l'un de l'autre et la vitesse commerciale du navire est de 21 noeuds. Ainsi, le temps nécessaire pour la traversée, sans tenir compte des conditions météorologiques et du courant, est de 1 heure et 48 minutes. Il reste donc au traversier environ 42 minutes pour les procédures d'accostage et d'appareillage ainsi que pour le déchargement et l'embarquement des véhicules et des passagers.

En l'occurrence, le traversier était parti de Tsawwassen à 5 h 34 pour sa première traversée, soit avec à peu près quatre minutes de retard sur son horaire. Il avait complété cette première traversée et était arrivé à Departure Bay à 7 h 44. Le déchargement de sa cargaison complète de véhicules avait pris 13 minutes et l'embarquement de sa nouvelle cargaison de véhicules (environ 70 p. 100 de sa charge complète) avait pris une douzaine de minutes. Le traversier a appareillé de Departure Bay à 8 h 9, soit avec neuf minutes de retard sur son horaire.

La compagnie soutient qu'elle n'insiste pas auprès de ses employés pour que les traversiers respectent l'horaire publié. Toutefois, le Guide de manoeuvre des rampes souligne la nécessité de maintenir un écoulement continu des véhicules et répète que si le traversier appareille sans que sa charge soit complète, cela irritera les passagers, et que tout retard dans l'embarquement va se traduire par des coûts considérables. On ne mentionne pas que la sécurité doit passer en premier et qu'il ne faut jamais rien faire qui puisse la compromettre.

1.14 Aspects relatifs à l'exploitation - Formation et vérifications relatives à la sécurité

La BCFC a toute une série de mécanismes en place pour assurer l'exploitation en toute sécurité de son service de traversiers. Tout le personnel des navires et des terminaux suit des cours sur différents sujets comme les procédures d'embarquement, de déchargement et d'autorisation. Les employés doivent démontrer, avant même d'entrer en fonction, qu'ils possèdent les connaissances essentielles au poste qu'ils sont censés occuper. Pour s'assurer qu'on se conforme à ses procédures, la BCFC procéde à l'improviste à des vérifications de sécurité au hasard dans ses nombreux terminaux et sur ses traversiers.

Toutefois, le mode de fonctionnement adopté à bord du traversier depuis un certain temps différait de la procédure établie par la compagnie. Les lacunes sur le plan de la sécurité...

4 Sarter, N.B. et Woods, DD. Situation Awareness: A critical but ill-defined phenomenon. The International Journal of Aviation Psychology. 1 (1). pp. 45-57. 1991.

...résultant de dérogations à la procédure établie n'avaient toutefois pas été constatées lors des vérifications de sécurité de la compagnie; les «autorisations conditionnelles» données par le PT avant que tout soit paré en sont un exemple particulièrement inquiétant. Des pratiques acceptées avaient, avec le temps, pris la place de procédures éprouvées. D'aucuns ont cru que certaines de ces pratiques, qui se sont maintenues jusqu'à l'accident, avaient reçu l'approbation tacite de la compagnie.

1.15 Traitement de l'information et connaissance de la situation

Plusieurs personnes mises en cause dans l'accident ont agi conformément à leurs modèles mentaux ou à leur évaluation personnelle de la situation, mais d'une façon qui ne correspondait pas à la réalité objective. Toute l'information dont on dispose et qui peut être intégrée en une image cohérente, au besoin, pour évaluer une situation et y faire face4 est appelée «connaissance de la situation». Une personne qui exécute une tâche comme l'embarquement à bord d'un traversier ou des manoeuvres d'appareillage doit se fier à la connaissance qu'elle a de la situation lorsqu'elle fait ou met en oeuvre des plans pour diriger les mouvements des véhicules, placer ceux-ci, donner l'autorisation de départ, etc.

Dans l'exercice de leurs fonctions, les gens scrutent leur environnement à la recherche d'indices ou d'information qui vont les aider à comprendre la situation. Leur interprétation des divers indices est conditionnée par une multitude de facteurs, notamment leurs attentes ou leur état d'esprit, ainsi que l'existence d'autres sources d'information. Une fois qu'une hypothèse comme «le navire est paré» est adoptée, cette hypothèse ou évaluation se modifie très difficilement. Et il arrive souvent que des éléments contradictoires, comme la position d'une rampe, passent inaperçus, qu'ils soient ignorés ou qu'ils soient interprétés d'une façon qui correspond à l'évaluation, à moins que l'indice ne soit vraiment incontournable. Ce phénomène est décrit comme étant un raisonnement abductif à partir d'hypothèses confirmées.5

5 Green, R.G., Muir, H., James, M. et col. Human Factors for Pilots. Ashgate, Aldershot, 1991.

2.0 Analyse

2.1 Problèmes liés à l'utilisation de radiotéléphones très haute fréquence par le personnel du terminal - Incidence sur la sécurité

Comme toutes les communications passent par le PRI et que les procédures d'autorisation comportent certains mécanismes en vue de la sécurité, le besoin de communication entre les officiers du navire est réduit.

La forte intensité du bruit causé par les véhicules qui circulent, l'absence de procédures en bonne et due forme et l'usage répandu, chez le personnel du terminal, d'une terminologie autre que le vocabulaire normalisé dans la retransmission de messages essentiels sont autant d'éléments qui sont à l'origine des problèmes de communication éprouvés. Cela explique la retransmission inutile de la même information et l'augmentation consécutive du volume des transmissions. Selon les observations faites et l'information obtenue, le personnel du terminal ne répétait pas toujours le message en entier lors de l'accusé de réception d'une communication. Ainsi, lorsque l'AAT a engagé la conversation avec la PT, qui était seule, pour lui rappeler l'importance de respecter l'horaire du traversier, de l'information d'une importance capitale concernant le déroutement de véhicules pour «compléter» le chargement sur le pont supérieur a échappé à la PT, et ceci est passé inaperçu. L'obligation de répéter le message en entier permet de s'assurer que celui-ci a bien été reçu et compris par le destinataire. En outre, le PRI n'a pas répété en entier à la PT l'autorisation qu'elle venait de lui communiquer afin de vérifier qu'il l'avait bien entendue.

Tous ces facteurs ont rendu la communication peu fiable et inefficace, ce qui n'a pas permis d'assurer une bonne surveillance. Les problèmes de communication n'étaient pas particuliers à cet événement et existaient depuis un certain temps.

Même si des principes de communication sont brièvement exposés dans le guide de la compagnie, seuls quelques termes et expressions normalisés y sont énumérés. Les employés du terminal, qui n'avaient pas les certificats qu'ils étaient tenus d'avoir, ne suivaient pas les principes fondamentaux de communication qui sont essentiels à des opérations d'embarquement sûres dans un environnement bourdonnant d'activité.

La nécessité d'utiliser un langage clair, précis et sans équivoque, essentiel à la sécurité des opérations maritimes, est bien reconnue et clairement énoncée dans le Vocabulaire normalisé de la navigation maritime publié par l'OMI. Cette nécessité est aussi soulignée dans les politiques de la compagnie. Le vocabulaire ne contient pas de termes et expressions relatifs aux opérations d'embarquement ou de déchargement, ni aux procédures d'autorisation. Néanmoins, dans l'intérêt de la sécurité, il faudrait adopter la philosophie et les principes sous-jacents qu'on y retrouve afin de produire une série de termes et d'expressions normalisés pour ces opérations.

2.2 Dangers de l'immobilisation d'un véhicule sur le tablier

Parce que le Guide de manoeuvre des rampes ne fait aucunement allusion aux risques que l'on court en arrêtant un véhicule sur le tablier, et parce que le tablier est en mode «flottant» pendant les opérations d'embarquement, la sécurité du navire, des passagers et de l'équipage peut être compromise lorsque, comme dans le cas à l'étude, le tablier ne repose plus sur le pont du traversier.

2.3Position de la rampe supérieure - Témoignages contradictoires

L'OPI a déclaré qu'il lui avait semblé que la rampe supérieure était dégagée du pont supérieur et qu'il avait cru qu'il s'agissait d'une manoeuvre intentionnelle ( «shoehorning »). Cette manoeuvre consiste, compte tenu de la distance séparant les rabats du tablier de la barrière de sécurité du navire, à laisser des véhicules à l'extérieur de l'aire d'arrimage désignée sur le pont supérieur. Cette zone non protégée, derrière la barrière de sécurité, ne sert que de zone d'appui pour la rampe et le tablier et au passage des véhicules. Dès que l'embarquement est terminé, la barrière est refermée pour bloquer l'entrée (voir photos de l'annexe B). Cette barrière peut être fermée alors que la rampe et le tablier s'appuient toujours sur le pont. À peu près au moment où le véhicule est tombé à l'eau, le MPS a lancé une bouée de sauvetage et a fermé la barrière de sécurité. Cela porte à croire qu'aucun véhicule ne surplombait le tablier supérieur et que rien n'empêchait donc de le relever. Cela est en outre corroboré par le fait que le circuit de commande hydraulique n'était pas actionné et que le tablier était encore en mode «flottant».

2.4 Incidence de l'horaire du traversier sur la sécurité

Même si la compagnie soutient qu'elle n'exerce aucune pression sur ses employés pour que les horaires du traversier soient respectés, les employés pouvaient facilement interpréter les gestes ou le comportement, intentionnels ou non, de la compagnie ou de ses agents, comme étant des pressions. On peut notamment mentionner l'extrait déjà cité du Guide de manoeuvre des rampes (voir section 1.13 pour plus de détails).

Comme les traversiers transportent de grands nombres de passagers et de véhicules et qu'ils sont exploités selon des horaires serrés qu'ils sont censés respecter, particulièrement pendant la saison de pointe estivale, le personnel des navire et des terminaux doit constamment s'employer à éviter les retards, dans la mesure du possible. Une fois que le traversier a pris du retard, il peut difficilement se rattraper afin de respecter son horaire de la journée. En l'occurrence, le traversier avait appareillé avec quatre minutes de retard pour l'aller de sa première traversée et ce retard avait augmenté à neuf minutes au moment d'entreprendre le voyage de retour, même si la cargaison de véhicules ne correspondait qu'à 70 p. 100 de la charge totale.

Les gestes posés et les mesures prises par divers membres du personnel montrent que les employés du terminal et du navire étaient soucieux de respecter l'horaire du traversier. Même si ce facteur a influencé la prise de décisions ainsi que les normes et méthodes de travail employées, il n'est pas possible de mesurer le rôle que cela peut avoir joué dans l'accident étant donné qu'un certain nombre de variables entrent en jeu. On sait néanmois que :

Ces deux facteurs ont joué un rôle dans le départ prématuré du traversier et ont compromis la sécurité des passagers, de l'équipage et du navire.

2.5 Rendement de l'équipage et sécurité

À Departure Bay, étant donné que la rampe d'embarquement supérieure n'a qu'une seule voie, et que le dernier véhicule à être embarqué se trouve généralement sur le pont supérieur, l'achèvement de l'embarquement sur le pont supérieur déclenche l'autorisation de départ. L'OPI aurait donc pu s'attendre à ce que l'embarquement sur le pont supérieur ne soit pas terminé, d'autant plus que le pont inférieur n'était occupé qu'à 70 p. 100. Cependant, comme toutes les autorisations données à l'OPI proviennent du PRI et que toutes les communications passent par le PRI, ce dernier est censé bien connaître toutes les étapes de l'embarquement et il doit s'assurer que la rampe supérieure est dégagée avant de donner une autorisation au traversier. Ce qu'a vu l'OPI qui surveillait la scène l'a porté à croire que l'embarquement était terminé : il ne restait plus de véhicules à embarquer sur le pont inférieur; la rampe des passagers-piétons était déserte; et le minutage concordait. S'il a cru que le navire était paré au départ, il a très facilement pu conclure que la rampe supérieure n'était pas entièrement dégagée du pont supérieur à cause d'une manoeuvre intentionnelle ( «shoehorning »). Cela correspondait à son évaluation de la situation et il est très normal, en l'absence d'indications évidentes du contraire, qu'il ait cru cela plutôt que de penser que la rampe supérieure n'était pas déserte.

Des impératifs d'exploitation comme la nécessité de respecter les horaires et de réaliser des économies peuvent rendre les employés plus vulnérables à de telles distorsions.

2.6 Sécurité associée aux procédures d'embarquement et d'autorisation

Il était d'usage à bord de ce navire que l'OPS se rende sur la passerelle avant que l'embarquement sur le pont supérieur ne soit terminé. Malgré cela, il n'y a pas eu d'échange d'information entre le capitaine et l'OPS concernant l'état d'avancement de l'embarquement sur le pont supérieur, et le capitaine s'est fié uniquement à l'autorisation donnée par le second capitaine. Même s'il n'y avait pas de système de surveillance en circuit fermé du pont supérieur, aucune procédure ne prévoyait que le personnel du pont supérieur avertisse l'OPI ou la passerelle une fois les opérations d'embarquement terminées. On se fiait exclusivement à l'autorisation donnée par le PRI au second capitaine, et cela, dans un environnement bourdonnant d'activité.

3.0 Faits établis

3.1 Faits établis

  1. Le traversier était en retard sur son horaire; un tel retard, une fois pris, est difficile à rattraper, ce qui a imposé une pression supplémentaire au personnel du navire et du terminal.
  2. L'officier du pont supérieur (OPS) a quitté le pont-garage avant que l'embarquement ne soit terminé afin d'accélérer l'appareillage.
  3. L'agent adjoint du terminal (AAT) a eu, avec la préposée à la tour (PT) qui était seule, une conversation à un moment crucial du processus d'embarquement, et de l'information d'une importance capitale a échappé à la PT.
  4. Les procédures établies par la compagnie dans le manuel d'exploitation avaient été remplacées par d'autres pratiques qui compromettaient la sécurité.
  5. La PT a donné une «autorisation conditionnelle».
  6. Le préposé à la rampe inférieure (PRI) n'a pas répété en entier l'autorisation de la PT pour s'assurer qu'il l'avait bien entendue.
  7. Sans s'assurer que l'embarquement sur le pont supérieur était terminé, l'officier du pont inférieur (OPI) a présumé que le tablier était dégagé du pont supérieur et que le traversier était prêt à appareiller.
  8. Le système de surveillance en circuit fermé du traversier ne couvrait pas le pont supérieur, et aucune procédure ne prévoyait que le personnel du pont supérieur avertisse l'OPI ou la passerelle une fois les opérations d'embarquement terminées.
  9. Des méthodes de travail dangereuses, comme les «autorisations conditionnelles», n'avaient pas été constatées au cours des vérifications de sécurité auxquelles procédait la British Columbia Ferry Corporation (BCFC).
  10. Aucune ligne directrice n'interdisait d'immobiliser des véhicules sur le tablier pendant les dernières étapes des opérations d'embarquement.
  11. La charge de travail et les responsabilités de la PT étaient considérables.
  12. L'intensité du bruit des véhicules ainsi que l'utilisation de procédures irrégulières et d'une terminologie autre que le vocabulaire normalisé ont diminué la qualité de la communication.
  13. Il n'existait aucune règle prévoyant la double-vérification des autorisations.
  14. Le PRI ne s'est pas assuré que le tablier de la rampe supérieure était dégagé du navire.
  15. Le PRI a relevé le tablier inférieur sans l'autorisation de l'OPI.
  16. Le traversier a appareillé prématurément et, comme la rampe supérieure n'était plus supportée par le pont du navire, la fourgonnette et ses occupants ont été projetés à l'eau.
  17. Pendant l'opération de sauvetage, on a eu de la difficulté à affaler l'embarcation de sauvetage et à la propulser à l'aviron avec une équipe d'intervention d'urgence réduite.

3.2 Causes

Le traversier a quitté prématurément le quai parce qu'on ne s'est pas conformé aux procédures établies d'autorisation de départ. Le désir du personnel du terminal et de l'équipage du traversier de respecter l'horaire, ainsi que des problèmes de communication liés à l'utilisation de postes radio portatifs par le personnel du terminal, ont aussi joué un rôle dans l'événement.

4.0 Mesures de sécurité

4.1 Mesures prises

4.1.1 Examen des opérations

Après l'événement à l'étude, la British Columbia Ferry Corporation (BCFC) a procédé à un examen opérationnel de ses procédures, en collaboration avec la Garde côtière canadienne (GCC). Cet examen a débouché sur une série de recommandations destinées à améliorer la sécurité des passagers et des équipages.

4.1.2 Recommandations de la Commission d'enquête

Par suite de l'événement, une commission d'enquête a été instituée sous la présidence de l'ancien juge en chef Nathan Nemetz. La Commission a présenté 14 recommandations visant à prévenir la répétition d'événements de ce genre. La BCFC a donné suite à toutes ces recommandations.

4.1.3 Procédures d'embarquement des véhicules

En 1992, le BST a envoyé à la GCC un Avis de sécurité maritime afin de s'assurer que les nouvelles procédures d'embarquement de la BCFC ne risquaient pas d'entraîner l'arrêt des véhicules sur le tablier d'une rampe ou dans la zone juste derrière celle-ci. Par la suite, la BCFC a incorporé, à la version révisée de son Guide de manoeuvre des rampes, des directives interdisant que des véhicules ou des piétons s'immobilisent sur un tablier reliant un navire à une rampe d'embarquement.

En outre, la GCC a formulé plusieurs recommandations concernant les procédures d'embarquement ainsi que des améliorations aux terminaux de Horseshoe Bay et de Nanaïmo. Conséquemment, la BCFC a pris les dispositions ci-après au terminal de Nanaïmo :

Au terminal de Horseshoe Bay, la BCFC a aussi installé une barrière du type filet à cargaison ainsi que des barrières temporaires pour limiter le passage des piétons.

4.1.4 Horaire des départs

La BCFC a chargé un groupe d'étude mixte de se pencher sur les horaires des traversiers et leur incidence sur la sécurité. Le processus d'examen a débouché, en mai 1993, sur sept recommandations visant à réduire le risque pour la sécurité associé aux horaires en vigueur. Ces recommandations sont actuellement en voie d'application.

4.1.5 Vérification de sécurité des procédures d'embarquement et de déchargement

On a procédé à une vérification de sécurité des dispositions prises pour la fermeture des rampes, ainsi que des procédures d'autorisation à terre et à bord des navires. Des directives précises sur la façon de donner des autorisations ont été rédigées à l'intention des officiers d'embarquement de pont, des préposés à la rampe supérieure et des seconds lieutenants.

4.1.6 Formation des préposés aux rampes

La BCFC a révisé ses méthodes de formation des préposés aux rampes. Les nouveaux employés du terminal seront tenus de suivre les cours d'entretien des équipements techniques ( Building Service Maintenance ) et de contrôle de la circulation ( Traffic Control ) avant de recevoir de la formation sur l'opération des rampes.

4.1.7 Préposés aux tours - Charge de travail et formation

La charge de travail des préposés aux tours a été repensée et elle se limite maintenant aux tâches directement reliées au contrôle de la circulation des véhicules, à l'embarquement et aux autorisations. En outre, les 56 préposés aux tours de la BCFC doivent désormais participer au programme de formation révisé.

4.1.8 Communications radio - Formation et procédures

La BCFC a préparé un Manuel de formation radio de base et elle a établi des protocoles normalisés dans tous ses terminaux afin d'améliorer la fiabilité et l'efficacité des communications radio des employés des terminaux.

4.1.9 Surveillance par caméra vidéo

Des caméras vidéo reliées à des moniteurs couleur placés sur la passerelle ont été installées à bord du «QUEEN OF NEW WESTMINSTER» afin de permettre au capitaine de voir simultanément les ponts inférieur et supérieur, à l'avant comme à l'arrière, ainsi que les passages piétonniers. Tous les grands traversiers de la BCFC ont également été équipés de caméras vidéo semblables.

4.1.10 Feux d'avertissement du tablier de la rampe

Pour signaler l'appareillage des navires, on a installé, sur tous les grands traversiers de la BCFC, un feux unique accessible seulement quand les tabliers de rampe sont libres et dégagés du navire ainsi que des feux stroboscopiques d'avertissement à chaque point d'accès des passagers et des véhicules.

4.1.11 Embarcation rapide de sauvetage (ERS)

Des embarcations pneumatiques à coque rigide rapides ont été placées à bord des grands traversiers de la BCFC, et de la formation est donnée au cours des exercices d'embarcation.

Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. La publication de ce rapport a été autorisée le par le Bureau, qui est composé du Président, John W. Stants, et des membres Gerald E. Bennett, Zita Brunet, l'hon. Wilfred R. DuPont et Hugh MacNeil.

Annexes

Annexe A - Croquis montrant la configuration des rampes

Annexe B - Photographies

«QUEEN OF NEW WESTMINSTER»
quittant le quai no3 à Departure Bay. Nota : Turbulence du sillage.
Annexe B - Photographies3

Les deux tabliers sont relevés avant le départ.
Annexe B - Photographies4
directives interphone
directives interphone
Rabats du tablier
Rabats du tablier

Annexe C - Aménagement du terminal

Annexe D - Extraits du Vocabulaire normalisé de la navigation maritime (TP 4330)

Annexe E - Sigles et abréviations

AAT
agent adjoint du terminal
Ar.
arrière
Av.
avant
BCFC
British Columbia Ferry Corporation
BST
Bureau de la sécurité des transports du Canada
C
Celsius
ERS
embarcation rapide de sauvetage
FUM
Fonctions d'urgence en mer
GCC
Garde côtière canadienne
HAP
heure avancée du Pacifique
kW
kilowatt(s)
m
mètre(s)
M
mille(s) marin(s)
MPS
matelot du pont supérieur
Ni-Cad
nickel de cadmium
OMI
Organisation maritime internationale
OPI
officier du pont inférieur
OPS
officier du pont supérieur
PB
préposé à la billetterie
pi
pied(s)
PRI
préposé à la rampe inférieure
PRS
préposé à la rampe supérieure
PT
préposé à la tour
rabat
voir «rampe»
rampe
Passerelle lancée entre le terminal et le pont du navire, dont l'extrémité, côté navire, peut s'abaisser ou se relever. À l'extrémité côté navire de la rampe, un tablier articulé, muni de contrepoids, permet d'ajuster rapidement la hauteur de la rampe à celle du pont du navire. À son extrémité côté navire, le tablier est prolongé par des «volets» d'acier articulés, appelés rabats de rampe, qui permettent aux véhicules de passer en douceur du pont du navire au tablier et inversement.
roulier (à manutention horizontale)
Méthode de chargement et de déchargement de la cargaison faisant appel à des rampes.
R/T
radiotéléphone
SI
système international (d'unités)
SRGC
station radio de la Garde côtière
tablier
voir «rampe»
UTC
temps universel coordonné
VHF
très haute fréquence
°
degré(s)