Contact avec le fond
du vraquier «CANADIAN EXPLORER»
Fleuve Saint-Laurent
Près de Lotbinière (Québec)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Le 16 avril 1993, le «CANADIAN EXPLORER» remontait le Saint-Laurent avec une pleine cargaison dans des conditions de navigation hivernale. Le navire, qui était sous la conduite d'un pilote, a touché le fond du côté sud du chenal devant Lotbinière (Québec), de jour et par beau temps.
Le Bureau a déterminé que le «CANADIAN EXPLORER» a touché le fond en franchissant les rapides Richelieu sous la conduite d'un pilote parce que ni le pilote ni l'officier de quart ne surveillaient adéquatement la progression du navire dans un secteur où le courant était fort.
1.0 Renseignements de base
1.1 Fiche technique du navire
«CANADIAN EXPLORER» | |
---|---|
Numéro officiel | 323003 |
Port d'immatriculation | Toronto (Ontario) |
Pavillon | Canadien |
Type | Vraquier |
Jauge brute | 16 353 tonneaux1 |
Longueur | 217,79 m |
Tirant d'eau (au moment de l'événement) | av.2 : 7,87 m ar. : 7,90 m |
Construction | 1965, reconstruit en 1983 Lauzon (Québec) |
Groupe propulseur | Moteur Sulzer de cinq cylindres développant 6 100 BHP |
Propriétaires | Upper Lakes Shipping Corporation, Toronto (Ontario) |
1.1.1 Renseignements sur le navire
Le «CANADIAN EXPLORER» est un vraquier dont les emménagements sont situés à l'arrière.
1 Les unités de mesure dans le présent rapport sont conformes aux normes de l'Organisation maritime internationale (OMI) ou, à défaut de telles normes, elles sont exprimées selon le système international (SI) d'unités.
2 Voir l'annexe B pour la signification des sigles et abréviations.
3 Toutes les heures sont exprimées en HAE (temps universel coordonné (UTC) moins quatre heures), sauf indication contraire.
1.2 Déroulement du voyage
Le 16 avril 1993, le «CANADIAN EXPLORER» a appareillé de Port-Cartier (Québec) et se dirigeait vers Hamilton (Ontario) avec une cargaison de 23 870 tonnes de minerai de fer. L'équipage comprenait 22 personnes, y compris le capitaine. Il y a eu un changement de pilote à Québec (Québec) à 3 h 303. Après quelques brèves formalités entre le pilote et le capitaine, ce dernier a quitté la passerelle pour se rendre à sa cabine vers 3 h 50. L'officier de quart, le timonier à la barre et le pilote, qui avait la conduite du navire, se trouvaient alors sur la passerelle.
Vers 6 h 40, sur ordre du pilote, on a mis le cap au 222° gyroscopique (G) au moment où le navire s'engageait dans les rapides Richelieu (voir l'annexe A). Le navire remontait un fort courant de jusant. Les témoignages ne concordent pas en ce qui concerne la vitesse du navire. Le pilote a soutenu que la vitesse moyenne du navire sur le fond a été de trois à quatre noeuds (kn) dans les rapides Richelieu.
Vers 6 h 47, alors que le navire doublait l'île Richelieu, le pilote a ordonné de mettre le cap au 225° (G). Le timonier a conservé ce cap pendant plus de 15 minutes, jusqu'à ce que le navire touche le fond et embarde sur tribord. Il n'y avait pas d'autre navire dans les parages. Le timonier a demandé des instructions au pilote qui était assis devant lui. Comme il n'obtenait pas de réponse, il a décidé de secouer le pilote pour attirer son attention. Ce dernier s'est alors levé, a regardé par la fenêtre et a ordonné au timonier de gouverner vers le milieu du fleuve.
L'officier de quart a immédiatement appelé le capitaine et a pointé la position du navire. Le contact avec le fond a eu lieu à 7 h 7 par 46°37′15"N et 071°57′W.
À son arrivée sur la passerelle, le capitaine a interrogé le pilote et a appris que celui-ci s'était endormi. Le timonier a entendu cette conversation. Il n'y a pas eu d'autre échange entre le pilote et le capitaine. Le capitaine est demeuré sur la passerelle jusqu'à ce que le pilote soit relevé à Trois-Rivières (Québec).
Le «CANADIAN EXPLORER» a signalé l'événement au Centre du trafic maritime (CTM) de Québec à 7 h 20 et a poursuivi son voyage. Le navire est arrivé à Hamilton à 16 h 52 le 18 avril 1993 sans autre incident.
On a sondé le peak avant et les cales avant sans trouver de voie d'eau. Une inspection ultérieure a permis de relever une légère distorsion du bordé de carène au droit du rayon du bouchain et des planchers du ballast bâbord no 1. Il n'y a pas eu de blessé.
1.3 Certificats du navire
Le «CANADIAN EXPLORER» possédait les certificats, l'armement en personnel et l'équipement qu'il était tenu d'avoir en vertu des règlements en vigueur.
1.3.1 Brevets du personnel
Les membres de l'équipage du «CANADIAN EXPLORER» directement mis en cause dans cet événement possédaient les brevets requis, et le pilote était dûment breveté.
1.4 Antécédents du personnel
Le capitaine possédait 20 ans d'expérience comme officier. Il était capitaine depuis 14 ans et naviguait à bord du «CANADIAN EXPLORER» depuis 1988.
Le second, qui était l'officier de quart, possédait 13 ans d'expérience comme officier. Il était entré au service de la compagnie en juillet 1989 et faisait partie de l'équipage du «CANADIAN EXPLORER» depuis mars 1993.
Le timonier possédait 20 ans d'expérience comme matelot. Il avait pris son expérience comme homme de barre avec la compagnie. Il s'était joint à l'équipage du «CANADIAN EXPLORER» en mars 1993.
Le pilote possédait 16 ans d'expérience de la conduite de navires dans la circonscription no 2 (Québec / Trois-Rivières), dont les 11 dernières années comme pilote de classe A. Il connaissait bien le «CANADIAN EXPLORER» qu'il avait déjà piloté à plusieurs reprises par le passé.
1.5 Conditions météorologiques
Les conditions météorologiques rencontrées par le navire étaient conformes aux prévisions, à savoir des vents du nord-est à 10 kn et une visibilité supérieure à 10 milles. Selon les calculs, le lever du soleil a eu lieu à 6 h.
1.5.1 Renseignements sur le courant et la marée
Le 16 avril 1993, la marée haute à la barre à Boulard (Québec) était à 3 h 54 et la marée basse, à 11 h 20. Au moment de l'événement, la marée descendait. Selon la carte no 1334 du Service hydrographique du Canada, le courant de jusant, dans les rapides Richelieu et la barre à Boulard, est parallèle au chenal. Il porte au 042° à 5,6 kn dans les rapides Richelieu et au 054° à 5,6 kn dans la barre à Boulard. Le courant de jusant dans les rapides Richelieu peut atteindre une vitesse maximale de 8 kn dans certaines conditions ( Instructions nautiques, Fleuve Saint-Laurent, Cap-Rouge à Montréal ).
1.5.2 Niveau de l'eau
Sur les cartes marines, les profondeurs sont données par rapport à un niveau de référence appelé «zéro des cartes», en dessous duquel le niveau de l'eau descend rarement.
Le niveau de l'eau enregistré au marégraphe du quai de Portneuf (Québec), qui se trouve à environ trois milles en aval de Lotbinière, était le suivant :
Date | Maximum | Minimum |
---|---|---|
16 avril | 4,4 m | 0,8 m |
La profondeur à l'endroit où le «CANADIAN EXPLORER» a touché le fond était donc supérieure à la profondeur indiquée sur les cartes marines (voir l'annexe A).
1.6 Équipement de navigation
1.6.1 Instruments de navigation
Le navire était muni, entre autres, de deux radars, un Loran C, un gyrocompas, un compas magnétique et un sondeur à ultrasons. Seuls les compas et un des radars étaient utilisés au moment de l'événement; le second radar était à la position «attente». Les instruments de navigation et les machines utilisés fonctionnaient de façon satisfaisante.
1.6.2 Aides à la navigation fixes et flottantes
De Cap-Rouge à Trois-Rivières, les rives sont assez basses et peu boisées. Le chenal de navigation principal, qui a une profondeur minimale de 10,7 m et une largeur minimale de 244 m, est balisé au moyen de bouées et de feux d'alignement (alignement lumineux). Les bouées lumineuses dans les chenaux des rapides Richelieu et de la barre à Boulard avaient été enlevées et remplacées par des bouées à espar pour l'hiver. Les aides à la navigation fixes du secteur fonctionnaient apparemment normalement au moment de l'événement.
Les feux d'alignement de Lotbinière se trouvent à environ 2,5 milles en amont de l'île Richelieu. Orientés à 222°, ils conduisent dans les rapides Richelieu. Les feux ne sont visibles que sur l'alignement. Les feux d'alignement de la barre à Boulard se trouvent sur la rive sud-est au sud de Portneuf. En ligne avec le feu de l'île Richelieu au relèvement 054°, ces feux conduisent dans le chenal dragué de cette barre. Ces feux, qui ne sont visibles que sur l'alignement, se trouvent sur l'arrière pour un navire qui remonte le fleuve, mais la visibilité sur l'arrière est bonne à partir des ailerons du «CANADIAN EXPLORER».
La position de changement de cap du 222° au 234° se trouve à la hauteur de la bouée Q73.
1.7 Conduite de la navigation
Le transfert entre le pilote relevé et le nouveau pilote s'était apparemment fait sans cérémonie. Il n'y a pas eu de communication entre l'officier de quart et le pilote concernant la navigation, pas plus qu'il n'y avait de rapports officiels entre eux. Leur dernier échange est survenu à 6 h 35, alors que le navire avait Portneuf par son travers. Cette conversation concernait la glace emprisonnée sous le quai.
Le pilote, qui avait la conduite du navire, donnait ses ordres directement au timonier. Il vérifiait apparemment la position du navire au radar, mais il n'a pu se rappeler la fréquence de ces vérifications. Il a en outre indiqué que le niveau élevé de l'eau et le fort courant avaient submergé les bouées à espar et que le courant dans le secteur était de trois à quatre fois plus rapide que la normale. Il estimait que le navire avait suivi son dernier cap au 225° (G) pendant 15 à 20 minutes et a allégué que le courant violent avait déporté le navire en dehors du chenal en quelques secondes.
L'officier de quart se servait du radar et de la carte marine pour surveiller la progression du navire et il faisait les inscriptions appropriées dans le journal de bord. Il lui a été impossible de confirmer ou d'infirmer si les bouées à espar étaient submergées, mais il se rappellait en avoir vu certaines au cours du voyage depuis Québec. Au moment du contact avec le fond, l'officier de quart était en train de se déplacer entre la table des cartes et le radar de tribord, et il lui a été impossible de dire si le pilote était éveillé ou endormi.
Pendant le quart, le timonier a été périodiquement remplacé brièvement par l'officier de quart afin de faire du café. Les ordres à la barre du pilote étaient d'abord répétés par le timonier puis exécutés. Une fois exécutés, ils étaient à nouveau répétés au pilote. Le dernier cap commandé par le pilote et exécuté par le timonier avant que le navire ne touche le fond a été 225° (G).
1.7.1 Navigation avec un pilote à bord
Consciente du besoin d'instaurer certaines exigences en matière de formation ainsi que de renforcer les principes fondamentaux touchant le quart de navigation, la Garde côtière canadienne (GCC) a publié le Code recommandé des pratiques et méthodes de navigation en conformité avec la Convention internationale de 1978 sur les normes de formation des gens de mer, de délivrance des brevets et de veille. Le code contient l'extrait suivant :
Nonobstant les tâches et obligations qui incombent au pilote, sa présence à bord ne décharge pas le capitaine ou l'officier chargé du quart des tâches et obligations qui leur incombent sur le plan de la sécurité du navire [...] Le capitaine et l'officier de quart doivent coopérer étroitement avec le pilote et vérifier soigneusement en permanence la position et les mouvements du navire.
Le manuel de procédures normalisées des propriétaires du navire souligne lui aussi que le fait d'avoir un pilote à bord ne dégage nullement le capitaine (ou l'officier de pont) de ses responsabilités pour ce qui est de la sécurité de la navigation du navire. On y lit également qu'il est nécessaire que l'officier de quart surveille la position du navire et qu'il aide et conseille le pilote. En l'occurrence, l'officier de quart n'a pas surveillé de près la position du navire mais s'est plutôt fié implicitement au pilote.
1.7.2 Divergences quant à la position
La position du contact avec le fond indiquée par le pilote au CTM était la même que celle qui a été consignée dans le journal de bord du navire. Toutefois, pendant l'enquête, le pilote a soutenu que celle-ci se trouvait plus au nord.
1.8 Horaire de travail et périodes de repos
L'officier de quart assurait un quart de quatre heures suivi de huit heures de repos. Il assurait les quarts de 4 h à 8 h et de 16 h à 20 h. Le 15 avril 1993, il s'est couché à 22 h 30 et a été appelé pour prendre son quart à 3 h 30. Il se sentait reposé et apte à exercer ses fonctions.
L'horaire de travail du timonier était le même que celui de l'officier de quart et il était apparemment bien reposé.
L'horaire de travail du pilote prévoit 12 jours de travail suivis de 12 jours de congé, un maximum d'une affectation par jour et un minimum de 14 heures de repos entre deux affectations. Il possédait deux résidences, une à Québec et l'autre à Trois-Rivières.
Le pilote a déclaré qu'il ne boit ni ne fume et qu'il n'avait pas pris de drogue ou de médicament avant cette affectation. Il a aussi déclaré qu'il s'agissait de sa troisième affectation de nuit consécutive et qu'il était fatigué.
Voici les affectations de pilotage qui avaient été confiées au pilote selon l'horaire de travail fourni par l'Administration de pilotage des Laurentides (APL) :
Nom du navireDate Horaire
«SAUNIÈRE»10 avril 1993de 0 h 15 à 13 h 58
«ENERCHEM CATALYST»12 avril 1993de 23 h 10 à 13 h 25
«CANADIAN EXPLORER» 16 avril 1993de 3 h 20 à 11 h 15
1.9 Horaires de travail irréguliers et performance humaine
Des recherches poussées ont été effectuées sur les répercussions du travail par quart et d'horaires de travail irréguliers sur la performance humaine.
L'activité physiologique varie tout au cours de la journée selon le rythme circadien. Le travail pendant les périodes où on dort normalement a certaines conséquences prévisibles. La vigilance diminue, atteignant son niveau le plus bas aux petites heures du matin. Cette vigilance affaiblie, combinée à un manque de sommeil, prédispose l'individu à l'inattention, lui enlève la capacité de surveiller des situations ou des instruments, et provoque une somnolence qui peut même l'amener à s'endormir. L'effet peut être cumulatif avec la répétition et peut être plus accentué lorsque le travail de nuit est combiné avec des horaires irréguliers, ce qui rend l'adaptation encore plus difficile. Les personnes peuvent devenir sujettes, à leur insu, à des micro-siestes d'une durée pouvant aller de quelques secondes à quelques minutes.
Dans le cas à l'étude, le pilote avait conduit sa voiture de Québec à Trois-Rivières le 15 avril 1993. Il s'était couché vers 22 h 30 et avait bien dormi jusqu'à 0 h 20 le 16 avril 1993, moment où on l'avait rejoint au téléphone pour lui confier une affectation à Québec. Il avait mis deux heures à se rendre à Québec en taxi.
Le pilote ne se rappelait pas avoir avoué au capitaine qu'il s'était endormi, mais il a insisté sur le fait qu'il était fatigué. Il a beaucoup parlé de fatigue et a déclaré être incapable de dormir pendant la journée suivant une nuit de travail.
1.10 Formation et sécurité
Les effets néfastes du travail par quart et d'horaires de travail irréguliers peuvent toutefois être atténués par de bonnes habitudes de sommeil, le contrôle du milieu ambiant et un bon régime alimentaire. Il existe déjà des programmes de formation et de sensibilisation susceptibles d'aider les travailleurs qui se trouvent dans de telles situations à fournir un rendement optimal malgré des horaires de travail et de repos irréguliers. Il est possible d'adapter ces programmes pour qu'ils répondent à des besoins particuliers.
Le pilote était au courant de la documentation disponible concernant le stress relié au travail, la fatigue et la maximisation de la performance des gens ayant des horaires de travail irréguliers. Toutefois, l'APL n'a émis aucune directive et n'offre pas de programme de sensibilisation destiné à renseigner les pilotes.
1.11 Rôle du pilote
Au Canada, la Loi sur le pilotage exige que, dans une zone de pilotage obligatoire, un pilote breveté ou le titulaire d'un certificat de pilotage assure la conduite d'un navire assujetti au pilotage obligatoire.
Le pilote est redevable envers le capitaine de la sécurité de la navigation et il est embauché pour diriger la navigation du navire.
2.0 Analyse
2.1 Navigation hivernale
Il a été impossible de déterminer si les bouées à espar d'hiver étaient clairement visibles au- dessus de l'eau dans ce secteur. Toutefois, comme les aides à la navigation flottantes peuvent être déplacées ou totalement absentes, particulièrement lorsqu'elles ont été exposées à des conditions hivernales, on ne peut pas s'y fier totalement. Ainsi, le pilote doit se guider surtout sur des aides fixes et des amers terrestres bien connus. Dans le cas à l'étude, comme il existait des alignements permettant de guider le navire dans les chenaux des rapides Richelieu et de la barre à Boulard, l'état des aides flottantes n'aurait dû avoir aucune incidence sur le déroulement des événements.
2.2 Manque de surveillance étroite de la progression du navire
Dans les rapides Richelieu, le cap du navire a été mis au 225° (G) alors que le bâtiment se trouvait à environ 0,7 mille marin (M) de la position de changement de cap à la hauteur de la bouée Q73. Cela semble indiquer soit qu'un changement de cap était essentiel pour maintenir le navire sur la route recommandée ou que le cap du navire a été modifié afin de serrer le côté ouest du chenal. Quoi qu'il en soit, une surveillance étroite de la position et de la progression du navire aurait été de rigueur. Toutefois, ni le pilote ni le second n'ont surveillé adéquatement la progression du navire dans le chenal où le courant était fort. Cette conclusion est plausible et est confirmée par l'inaction du pilote et de l'officier de quart pendant les 5 à 10 minutes précédant le contact avec le fond.
2.2.1 Témoignages contradictoires concernant la position du contact avec le fond - Conséquences pour l'événement
Le pilote a soutenu que le contact avec le fond était survenu au nord de la position indiquée au CTM.
Pour que la position indiquée au CTM soit exacte, le navire aurait dû suivre une route fond au 227° (G) en maintenant une vitesse moyenne sur le fond d'environ 6 kn entre 6 h 47 et le moment du contact avec le fond. Comme le montre l'annexe A, la distance entre la position du contact avec le fond et l'endroit où le navire aurait atteint la position de changement de cap suivante est d'environ un mille, et le «CANADIAN EXPLORER» aurait poursuivi sa route au-delà de la position de changement de cap pendant une dizaine de minutes avant de toucher le fond.
D'autre part, si le navire avait suivi une route fond au 225° (G), il se serait trouvé au moment du contact avec le fond à environ 0,75 M au nord-est de la position indiquée au CTM. Cela correspondrait à une vitesse moyenne sur le fond d'environ 4 kn, et le navire aurait ensuite poursuivi sa route sur un cap au 225° (G) pendant six minutes de plus au-delà de la position de changement de cap avant le contact avec le fond.
Peu importe la route fond suivie, le navire a continué bien au-delà de la position de changement de cap pendant plusieurs minutes sans que le pilote ne réagisse ou que l'officier de quart n'intervienne.
2.2.2 Témoignages contradictoires concernant le courant
Le pilote a soutenu que le fort courant avait déporté le navire hors du chenal en quelques secondes; le navire aurait donc été drossé sur une distance d'environ 130 m. Pour que cela se produise, le vecteur est du courant s'exerçant perpendiculairement au chenal aurait dû être supérieur à 4 kn. Toutefois, aucun élément de preuve ne permet de croire à l'existence d'un tel courant transversal dans le secteur. En outre, il est impossible que le courant ait été de trois à quatre fois plus fort que les 5 kn qui sont habituels (3 x 5 kn = 15 kn).
Quoi qu'il en soit, le pilote devait connaître les caractéristiques des courants et il aurait donc dû être extrêmement prudent et surveiller de près la progression du navire.
2.3 Équipe à la passerelle
Le fait de se fier totalement aux pilotes en ne remettant que rarement en cause leurs décisions est une attitude assez répandue chez les officiers de quart. Comme les pilotes sont embauchés pour leur connaissance des lieux et que diverses conditions peuvent se présenter, il est essentiel que l'officier de quart soit au courant des intentions du pilote ainsi que des difficultés et des obstacles qui peuvent se présenter dans la zone de pilotage. L'officier de quart n'est jamais bien placé pour questionner le pilote concernant la progression du navire ou la situation à un moment quelconque, à moins qu'il ne sache quelle devrait être l'évolution normale de la situation à ce moment-là. Dans le cas à l'étude, la conduite de l'officier de quart donne à penser qu'il ne connaissait pas les intentions du pilote et qu'il n'avait pas connaissance de la situation qui se créait.
La première réaction du pilote après le contact avec le fond a été de regarder par la fenêtre afin de connaître la position du navire, puis d'ordonner au timonier de gouverner vers le milieu du fleuve. Cela laisse croire que le pilote ne surveillait plus la position du navire depuis un certain temps au moment où le navire a touché le fond.
Le mode de fonctionnement adopté sur la passerelle permettait au pilote et à l'officier de quart de travailler chacun de son côté. On ne privilégiait pas le travail d'équipe qui aurait permis de maximiser la performance de chacun. Une collaboration plus étroite entre le pilote et l'officier de quart aurait pu permettre de surveiller adéquatement la progression du navire et d'améliorer la performance. L'officier de quart aurait aussi pris conscience des problèmes éventuels et aurait peut-être été en mesure de prendre à temps des mesures préventives.
2.4 Performance du pilote
Le navire s'est échoué parce que ni le pilote ni l'officier de quart ne surveillaient adéquatement la progression du navire. Certains facteurs ont pu contribuer à l'événement : avant le contact avec le fond, le pilote était fatigué, il ne savait plus où se trouvait exactement le navire dans la voie navigable, et le navire a poursuivi sa route au-delà de la position de changement de cap pendant plusieurs minutes. En outre, après l'événement, le pilote a demandé au timonier de gouverner vers le milieu du chenal, d'où aucune bouée n'était visible et d'où les seuls alignements se trouvaient derrière le navire. Tous ces éléments tendent à corroborer l'hypothèse selon laquelle le pilote aurait été endormi au moment du contact avec le fond, comme il l'a tout d'abord indiqué au capitaine. La performance du pilote s'est détériorée à cause d'un horaire de travail difficile et du manque de sommeil, et l'officier de quart ne s'est pas rendu compte que le pilote s'était endormi.
Bien que le pilote ait été au courant de certains effets des horaires de travail irréguliers, son régime de vie ainsi que les heures de sommeil auxquelles il s'est astreint pendant la période de repos précédant l'événement n'étaient pas de nature à maximiser sa performance pendant l'affectation de la nuit du 15 au 16 avril 1993. Cela est mis en évidence par le fait que le pilote était fatigué même s'il avait eu des périodes de repos de plus de 54 heures consécutives entre chacune de ses trois dernières affectations. En outre, comme il n'avait eu qu'environ deux heures de sommeil avant cette affectation, le pilote était sujet à des moments d'inattention, avait une capacité de travail diminuée et était vulnérable à des périodes d'assoupissement.
3.0 Faits établis
3.1 Faits établis
- Il n'y a eu aucune consultation entre le pilote et l'officier de quart concernant la navigation en toute sécurité du navire, et il n'y avait pas non plus de mode de fonctionnement bien établi.
- Il est relativement fréquent que l'officier de quart se fie au pilote et ne remette que rarement en cause les décisions de celui-ci.
- Ni le pilote ni l'officier de quart n'ont surveillé adéquatement la progression du navire même si celui-ci traversait un secteur où le courant était fort dans des conditions de navigation hivernale.
- Le pilote avait eu plus de deux jours de repos après sa dernière affectation, mais il était fatigué au moment de monter à bord.
- Le régime de vie du pilote et ses habitudes de sommeil pendant ses périodes de repos n'étaient pas de nature à maximiser sa performance.
- Le pilote avait la conduite du navire depuis trois heures et demie environ et il était endormi au moment du contact avec le fond.
- Le «CANADIAN EXPLORER» a dépassé la position de changement de cap et a poursuivi sa route pendant plusieurs minutes avant de toucher le fond.
- L'Administration de pilotage des Laurentides (APL) ne possède ni directive ni programme de sensibilisation à l'intention des pilotes concernant le stress relié au travail, la fatigue et la performance des personnes qui ont des horaires de travail irréguliers.
3.2 Causes
Le «CANADIAN EXPLORER» a touché le fond en franchissant les rapides Richelieu sous la conduite d'un pilote parce que ni le pilote ni l'officier de quart ne surveillaient adéquatement la progression du navire dans un secteur où le courant était fort.
4.0 Mesures de sécurité
4.1 Mesures prises
4.1.1 Rapports pilote-capitaine
Une mauvaise communication sur la passerelle, les procédures interrompues, l'incertitude quant à la situation, l'absence d'esprit d'équipe entre les pilotes et les officiers de navire, etc. ont été des facteurs contributifs dans plusieurs événements du même genre au cours des dernières années.
Le Bureau procède actuellement à une étude de sécurité concernant les rapports de travail entre les capitaines, les officiers de quart et les pilotes de navire. L'étude est presque terminée et, à la lumière de ses conclusions, le Bureau fera les recommandations de sécurité qui s'imposent en vue d'améliorer l'efficacité des méthodes de gestion de l'équipe sur la passerelle à bord des navires naviguant en eaux canadiennes.
4.1.2 Programme d'aide aux employés à l'intention des pilotes
Par suite de cet événement, l'Administration de pilotage des Laurentides (APL) et la Corporation des pilotes du Saint-Laurent étudient la possibilité d'élaborer un programme d'aide aux employés afin d'aider les pilotes à maximiser leur performance en vue d'assurer la sécurité de la navigation. L'APL a dit surveiller dorénavant davantage le comportement des pilotes en général.
4.1.3 Gestion des ressources sur la passerelle
La Garde côtière canadienne (GCC) a rédigé un document de travail traitant de la gestion des ressources sur la passerelle qui fait actuellement l'objet d'une révision de la part de certaines écoles maritimes et administrations de pilotage. Une fois finalisé, ce document servira de base pour l'élaboration d'un cours de formation en la matière. En réponse à l'événement à l'étude, les propriétaires du navire de même que l'APL ont reconnu le besoin d'une collaboration plus étroite entre les officiers de pont et les pilotes.
4.1.4 Étude sur la fatigue à bord des navires canadiens
Un projet de recherches du Centre de développement des transports de Montréal portant sur l'armement en personnel et la fatigue à bord des navires canadiens sera complété sous peu. Cette étude se penche tout particulièrement sur les heures de travail et la période de la journée en vue de mieux comprendre les effets de la fatigue et de les minimiser.
Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. La publication de ce rapport a été autorisée le par le Bureau, qui est composé du Président, John W. Stants, et des membres Zita Brunet et Hugh MacNeil.
Annexes
Annexe A - Carte montrant le sillage du navire
Annexe B - Sigles et abréviations
- alignement
- Feux ou marques placés en ligne pour indiquer un cap recommandé.
- APL
- Administration de pilotage des Laurentides
- ar.
- arrière
- av.
- avant
- BHP
- puissance au frein
- BST
- Bureau de la sécurité des transports du Canada
- CTM
- Centre du trafic maritime
- G
- gyroscopique (degrés)
- GCC
- Garde côtière canadienne
- HAE
- heure avancée de l'est
- kn
- noeud(s) : mille(s) marin(s) à l'heure
- m
- mètre(s)
- M
- mille(s) marin(s)
- N
- nord
- OMI
- Organisation maritime internationale
- SI
- système international (d'unités)
- UTC
- temps universel coordonné
- W
- ouest
- °
- degré(s)
- ′
- minute(s)
- ″
- seconde(s)