Chavirement du chaland de débarquement «CROWN FOREST 72-68»
Îles de la Reine-Charlotte
(Colombie-Britannique)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
En franchissant le passage Skidegate (Colombie-Britannique), le «CROWN FOREST 72-68» a donné de la bande sur tribord et a chaviré. Les deux membres de l'équipage se trouvaient dans la timonerie. L'opérateur a réussi à sortir de la timonerie et à grimper sur la coque du navire renversé, mais des recherches en surface et en plongée ne lui ont pas permis de retrouver son compagnon. L'opérateur a été recueilli peu de temps après. Le corps du membre de l'équipage manquant a plus tard été retrouvé dans la timonerie par un plongeur, mais les tentatives de réanimation ont échoué.
Le Bureau a déterminé que le chaland a chaviré à cause d'une détérioration de sa stabilité transversale initiale attribuable à l'effet de carène liquide de l'eau accumulée sur le pont. Cette accumulation a été causée principalement par le mauvais état du joint d'étanchéité de la rampe d'étrave. Le fait que les opérateurs et les gérants du navire n'avaient pas les connaissances nécessaires pour se rendre compte du grave danger que représentait pour la stabilité du bâtiment l'absence d'étanchéité du joint rampe/coque, et le fait qu'on n'ait pas donné suite aux rapports de conditions dangereuses faits par les opérateurs du chaland après des quasi-chavirements antérieurs ont aussi contribué à l'accident.
1.0 Renseignements de base
1.1 Fiche technique du navire
«CROWN FOREST 72-68»
Port d'immatriculation - Vancouver (C.-B.)1
Numéro officiel - 392962
Pavillon - Canadien
Type - Chaland de débarquement pour cargaisons diverses en fibre de verre
Jauge brute - 7,97 tonneaux (22,56 m3)
Cargaison - Un véhicule, d'un poids approximatif de 5,3 tonnes
Longueur - 11,28 m
Largeur - 3,54 m
Tirant d'eau - 0,4 m
Construction - 1979, Versatile Cornat Industries Ltd., North Vancouver (C.-B.)
Groupe propulseur - Deux diesels Volvo, six-cylindres, turbocompressés, en bord/hors-bord Moteur bâbord - 200 HP2 Moteur tribord - 165 HP
Propriétaires - Elk Falls Forest Industries, Vancouver (C.-B.) Exploitants Fletcher Challenge Canada, Sandspit (C.-B.)
1.1.1 Renseignements sur le navire
Le «CROWN FOREST 72-68» est un chaland de débarquement à un seul pont et à faible tirant d'eau, en fibre de verre (voir l'annexe B). Les machines sont commandées de la passerelle. La coque...
1 Voir l'annexe D pour la signification des sigles et abréviations.
2 Les unités de mesure dans le présent rapport sont conformes aux normes de l'Organisation maritime internationale (OMI) ou, à défaut de telles normes, elles sont exprimées selon le système international (SI) d'unités.
...est faite de caissons avec de la mousse de polyuréthane ajoutée pour assurer la flottabilité. Deux sabords de décharge articulés, mesurant 406 mm de largeur sur 229 mm de hauteur, flanquent le tableau arrière.
Le chaland avait été acheté neuf en 1979 et, depuis lors, avait été utilisé par différentes divisions de la Fletcher Challenge Canada en Colombie-Britannique. Il était dans la division de Sandspit depuis environ quatre ans.
1.1.2 Description de la rampe d'étrave et du joint d'étanchéit é
L'étanchéité du pont de chargement était assurée par une garniture souple de 38 mm de diamètre placée à la jonction de la rampe et de la coque (voir l'annexe B). Cette garniture s'était détériorée à cause de la circulation des véhicules et du contact avec du sable, du gravier et des cailloux pendant le chargement et le déchargement. Personne ne se souvenait avoir vu le joint en bon état; en effet, le chaland embarquait souvent de l'eau sur le pont lorsqu'il était chargé.
La rampe d'étrave originelle avait été remplacée par une autre plus solide, renforcée d'aluminium, pendant l'hiver 1991-1992, mais on n'avait pas changé le joint d'étanchéité à cette occasion.
1.1.3 Différences par rapport aux plans standard du constructeur
Le chaland avait été commandé du constructeur avec un ensemble optionnel de deux diesels plus lourds que les moteurs à essence standard, une timonerie plus spacieuse, un revêtement et des accessoires de pont. La face externe inférieure de la coque, au droit de la surface d'échouage, avait été recouverte de surfaces d'usure en fibre de verre. Ces «semelles» de protection faisaient saillie sur la coque. En outre, de grosses ferrures et des supports en métal avaient été installés à l'arrière pour protéger le groupe propulseur.
D'autres équipements avaient été ajoutés, surtout à l'arrière du milieu du navire. Cela faisait prendre au bâtiment une assiette positive prononcée de telle sorte que les dalots se trouvaient à quelque 70 mm sous l'eau lorsque les citernes du bâtiment lège étaient pleines de carburant, ce qui provoquait l'entrée d'eau par les dalots bâbord et tribord à l'extrémité arrière du pont de chargement.
1.2 Déroulement du voyage
Le chaland de débarquement sert au transport de matériel entre la plage de Jakes Landing sur l'île Moresby (C.-B.) et East Narrows sur l'île Graham (C.-B.), soit une distance de 850 m (voir l'annexe A).
Le matin du 15 mai 1993, après les vérifications opérationnelles et pré-démarrage d'usage, le chaland a fait deux traversées jusqu'à East Narrows pour y transporter deux véhicules d'entretien : un camion de lavage (véhicule à deux roues motrices) et un camion de service
3 Toutes les heures sont exprimées en HAP (temps universel coordonné (UTC) moins sept heures), sauf indication contraire.
(soudure et autres travaux) à quatre roues motrices. L'équipage du chaland était composé des conducteurs des camions, deux mécaniciens affectés à des tâches de maintenance sur l'île Graham.
Vers 17 h3, les mécaniciens sont retournés au chaland avec leurs véhicules. Après une vérification du bâtiment qui n'a révélé aucun problème, on a retraversé le camion de lavage, et le bâtiment est retourné sur l'île Graham. Le camion de service a ensuite été embarqué sur le chaland, on a serré le frein à main et mis la transmission en prise. La rampe a été relevée et attachée avec ses chaînes de sûreté pendant que le chaland culait et faisait demi-tour.
Le navire s'est dirigé vers Jakes Landing. Les deux mécaniciens se trouvaient dans la timonerie. La porte de tribord de la timonerie, qui était la plus proche du poste de barre, était bloquée en position ouverte.
À une centaine de mètres de Jakes Landing, l'opérateur a remarqué que le bâtiment donnait de la bande sur tribord. De l'eau s'était accumulée du côté tribord du pont de chargement.
Il a donc poussé les manettes d'accélération de la position 7/8 avant (approximativement) à la position en avant toute. Les machines ont répondu, mais le chaland a tout de même semblé ralentir et la gîte s'est accentuée. Après que les manettes d'accélération aient été ramenées au point mort, la gîte sur tribord a augmenté et l'avant tribord du navire s'est enfoncé davantage lorsque l'eau accumulée sur le pont a reflué vers l'avant. L'avant tribord du chaland a continué de s'enfoncer jusqu'à ce que le camion de service glisse vers l'avant et tombe par-dessus bord sur l'avant tribord.
Convaincus que le chaland se redresserait lorsque le véhicule serait passé par-dessus bord, les membres de l'équipage sont demeurés dans la timonerie; toutefois, l'arrière du chaland s'est enfoncé et le navire a chaviré.
1.2.1 Abandon
À cause de la soudaineté du chavirement, aucun appel de détresse n'a été envoyé sur la voie privée de la radio de la timonerie.
L'opérateur a réussi à ouvrir la porte de bâbord et à quitter la timonerie. Il a grimpé sur la coque et a appelé son camarade, le cherchant en même temps des yeux. Apercevant le conteneur du radeau de sauvetage flottant près de lui, il a tiré sur la bosse. Il a été surpris par la longueur de bosse qu'il a dû tirer, car il s'attendait à ce que le radeau se gonfle presque immédiatement.
Une fois le radeau bien gonflé et redressé, l'opérateur y a embarqué. Il a ouvert la trousse de survie et allumé une fusée rouge à main. Celle-ci n'a pas semblé brûler avec assez d'intensité pour attirer l'attention. L'opérateur n'a pas vu qu'il y avait des fusées à parachute dans la trousse de survie.
L'opérateur est retourné au chaland de débarquement chaviré, en appelant son camarade. Dans ses recherches, il a même plongé pour retrouver celui-ci, mais en vain.
L'opérateur est resté sur la coque du navire chaviré, car il jugeait le courant trop fort pour gagner la rive à la nage. Il a noté l'heure, soit 17 h 15.
1.2.2 Opérations de recherches et sauvetage
Apercevant la tente orange du radeau de sauvetage, deux pêcheurs sportifs des environs se sont dirigés vers lui à bord de leur runabout et y sont arrivés vers 17 h 30. Le survivant leur a expliqué ce qui s'était produit. Comme les pêcheurs n'avaient pas de radio dans leur embarcation, l'opérateur a demandé à l'un d'eux d'aller à terre demander de l'aide sur le poste radio de la compagnie qui se trouvait dans le véhicule à Jakes Landing.
L'appel d'urgence «99» envoyé à la compagnie a été capté vers 17 h 40 au hangar d'entretien de Sandspit. Le personnel ayant reçu l'appel a pensé, d'après les renseignements fournis, que l'accident s'était produit près de Jakes Landing. On n'a pas bien compris la situation parce que l'interlocuteur avait dû faire vite afin de retourner auprès du survivant resté sur la coque du chaland chaviré.
L'endroit est accessible par une piste d'exploitation en terre battue sinueuse, montagneuse et cahoteuse, souvent traversée par des animaux, où il faut circuler à vitesse réduite et prudemment dans des conditions normales. La compagnie a mis en oeuvre son plan d'urgence et une ambulance, un hélicoptère et la Gendarmerie royale du Canada (GRC) ainsi qu'une équipe de sécurité de la compagnie ont été mobilisés. C'est l'hélicoptère qui est arrivé le premier à Jakes Landing à 18 h 12. Le survivant et ses sauveteurs attendaient sur la terre ferme, dans le camion.
Après une première évaluation de la situation, l'hélicoptère a été envoyé chercher deux plongeurs à Sandspit. L'ambulance est arrivée sur les lieux à 18 h 30 et le survivant a pu être soigné. L'hélicoptère est revenu à 18 h 38 avec deux plongeurs, dont l'un a retrouvé le corps de l'autre membre de l'équipage dans la timonerie. On a pratiqué la réanimation cardio-respiratoire (RCR) mais, comme les efforts restaient vains, on a abandonné au bout d'un certain temps.
Deux médecins de l'extérieur de la province qui se trouvaient en croisière d'agrément dans le secteur sont arrivés sur les lieux. Ils ont vérifié le traitement donné, ont constaté l'absence de signes vitaux et ont approuvé la décision de cesser la RCR. Le corps a été transporté à l'hôpital par hélicoptère.
Comme le survivant ne voulait pas aller à l'hôpital, il est retourné chez lui après avoir reçu les premiers soins sur place.
1.3 Victimes
Un des deux membres de l'équipage s'est noyé.
1.4 Avaries et dommages
1.4.1 Avaries au navire
L'équipement électrique du chaland et les deux moteurs ont été immergés dans l'eau de mer jusqu'à ce que le navire soit redressé. Des avaries superficielles ont été causées par les câbles de traction au cours des opérations de redressement.
1.4.2 Dommages à l'environnement
Une quantité indéterminée de carburant diesel a été aperçue à la surface, mais la nappe s'est rapidement dispersée sous l'action du vent et de la marée.
1.4.3 Autres dommages
Le camion de service a été retrouvé par 22 m de fond et remis à neuf.
1.5 Certificats et brevets
1.5.1 Certificats du navire
Le chaland a moins de 15 tjb et son certificat ne lui permet pas de transporter des passagers. Il n'existe pas d'exigences réglementaires concernant la présentation de données de stabilité à la Direction de la sécurité des navires de la Garde côtière canadienne (GCC) et le chaland n'est pas assujetti à des inspections réglementaires de cette direction.
Comme le chaland n'avait pas de certificat pour le transport de passagers, les Industrial Health and Safety Regulations de la Commission des accidents du travail de la Colombie-Britannique (W.C.B. of B.C.) ne s'appliquaient pas.
1.5.2 Brevets du personnel
Les deux personnes mises en cause dans l'événement à l'étude étaient titulaires de brevets de «Capitaine de petite embarcation» délivrés le 29 avril 1993 à Prince Rupert (C.-B.). Les brevets comportaient une restriction selon laquelle le titulaire ne devait pas faire de remorquage et ne devait naviguer que dans le passage Skidegate entre la pointe Kwuna et la pointe Tcenakun. Les deux hommes avaient refusé d'apposer leur signature sur leur brevet, estimant qu'ils n'avaient pas reçu une formation et un entraînement suffisants pour assurer la conduite du chaland.
Les brevets étaient valides pour le «CROWN FOREST 72-60», chaland utilisé pour transporter des travailleurs entre l'île Graham et l'île Moresby. Il n'est pas nécessaire de posséder un brevet pour exploiter le «CROWN FOREST 72-68».
De nombreux employés qui pouvaient être appelés à conduire le chaland dans l'exercice de leurs fonctions normales avaient aussi passé un examen pour le même brevet.
Contrairement à ce qu'on exige pour des brevets de niveau plus élevé, le candidat au brevet de capitaine de petite embarcation n'est pas tenu de recevoir de la formation concernant le déploiement et l'utilisation des radeaux pneumatiques, la survie et le sauvetage, la lutte contre l'incendie, le chargement des cargaisons et la stabilité.
1.6 Antécédents du personnel - Opérateur
L'opérateur était employé par la Fletcher Challenge Canada principalement comme mécanicien de machinerie lourde. La conduite du «CROWN FOREST 72-68» n'était pour lui qu'un moyen de transporter du matériel et des pièces de rechange jusqu'à un lieu de travail éloigné.
L'opérateur avait acquis de l'expérience de la navigation à bord de bateaux de pêche. Il avait conduit le chaland régulièrement par tous les temps et dans toutes les conditions de mer au cours des quatre années précédentes.
Au cours de la première année de l'opérateur à bord du chaland, avec une personne plus expérimentée aux commandes, le chaland chargé avait commencé à donner de la bande sur tribord alors qu'il était tout près de la rive. Après avoir mis les gaz au maximum, l'opérateur avait alors réussi à échouer le chaland en catastrophe sur la plage.
1.7 Aptitudes pour le travail - Personnel
Les deux hommes étaient en bonne forme et reposés pour leur travail ce jour-là. Ni l'un ni l'autre n'avait consommé d'alcool ou de drogue. Le travail à faire n'était pas particulièrement urgent. Il s'agissait d'une journée de maintenance «en temps supplémentaire».
1.8 Formation à la conduite du chaland de débarquement
La compagnie n'offre pas de formation structurée à ceux qui sont appelés à conduire ce navire. Les deux hommes mis en cause dans l'événement à l'étude étaient des mécaniciens de machinerie lourde et non des marins.
Par le passé, une personne avait déjà été désignée pour assurer la conduite du chaland. Au moment de l'événement, ce n'était plus le cas; de nombreux employés conduisaient le bâtiment. La majorité des nouveaux venus observaient ceux qui avaient davantage d'expérience et leur posaient des questions précises ou ils apprenaient par eux-mêmes, sur le tas.
1.9 Méthodes d'exploitation
L'opérateur n'avait jamais vu le manuel d'exploitation du chaland; il n'y en avait pas d'exemplaire à bord et il a été impossible de s'en procurer dans aucun des bureaux de la compagnie à terre. L'opérateur n'était pas vraiment en mesure d'évaluer les effets néfastes de l'effet de carène liquide attribuable à la présence d'eau sur le pont ou de se rendre compte que le mauvais état des joints de la rampe d'étrave compromettait l'intégrité de l'étanchéité du bâtiment.
Presque tous les opérateurs du navire acceptaient comme normal le fait que celui-ci, lorsqu'il était chargé, embarquait de l'eau par l'interstice entre le pont et la rampe. Cela s'était produit au cours des trois traversées précédant l'événement à l'étude.
Après l'événement, on a trouvé une brochure publicitaire du constructeur dans les bureaux de la compagnie qui précisait la charge payante «normale», le franc-bord, les poids, et contenait d'autres renseignements généraux.
À un moment donné avant l'événement, la compagnie avait affiché sur la cloison arrière de la timonerie une note de service contenant certaines indications relativement aux charges maximales qui précisaient que la charge maximale de sécurité est de cinq tonnes (courtes) et la charge maximale avec des passagers à bord est de trois tonnes (courtes).
Après le chavirement, la Fletcher Challenge Canada a calculé que le poids du véhicule transporté était de 5,8 tonnes courtes (5,3 tonnes métriques).
Le poids brut du véhicule n'était pas indiqué sur les véhicules transportés.
L'opérateur a chargé le chaland en se fiant à son expérience passée et à celle des autres opérateurs qu'il avait consultés.
Il semble qu'il se soit surtout inquiété de savoir s'il s'agissait de véhicules à deux ou à quatre roues motrices; il faisait monter les véhicules à deux roues motrices à bord du chaland l'arrière en premier afin qu'ils aient une traction et une vitesse suffisantes pour traverser la zone molle de la plage pendant le déchargement. Les véhicules à quatre roues motrices montaient à bord l'avant en premier, leur motricité supérieure leur donnant une meilleure traction lors du déchargement.
Un opérateur expérimenté estimait que le chaland était plus manoeuvrable lorsque le camion de service était placé l'arrière en premier. Cela peut avoir modifié l'assiette du navire; toutefois, peu importe de quelle façon le camion avait été chargé, le chaland embarquait toujours de l'eau à cause du joint de rampe endommagé.
1.10 Événements antérieurs analogues
Il ne s'agit pas là d'un cas isolé. À maintes reprises, on avait signalé à la Fletcher Challenge Canada que de l'eau s'était accumulée sur le pont et que le chaland avait brusquement donné de la bande, toujours sur tribord, lorsqu'il était chargé. La rampe était soit levée soit abaissée à ces occasions.
Lors de ces incidents, une accélération rapide avait permis, grâce à la proximité de la rive et à une bonne dose de chance, d'échouer le chaland en catastrophe et d'éviter que ces difficultés ne se transforment en tragédies.
1.11 Assiette et essais en marche
Le 21 septembre 1993, des essais ont été effectués pour vérifier la cause de l'accumulation d'eau sur le pont de chargement et la quantité d'eau qui s'y était accumulée. La garniture flexible du joint de la rampe de chargement était dans le même état qu'au moment du chavirement. La charge placée sur le pont de chargement a été réduite pour s'assurer de ne pas reproduire les conditions qui avaient mené au chavirement.
En service normal, les machines principales tournent à un régime d'environ 2 610 tours à la minute (tr/min). L'angle de poussée de l'hélice peut être réglé à plus ou moins cinq degrés de l'horizontale afin d'agir sur l'assiette du navire dans diverses conditions de chargement, d'accélération ou de vitesse.
Sous les deux angles de poussée de l'hélice, on a procédé à des essais en marche à 1 000, 1 500, 2 000 et 2 500 tr/min. On a surveillé l'assiette du navire, le profil correspondant de la lame d'étrave ainsi que l'arrivée de l'eau sur le pont et la quantité d'eau qui y était emprisonnée.
À la vitesse d'essai initiale, le chaland n'embarquait que de légers embruns. L'augmentation de la vitesse ne modifiait pas de façon marquée l'équilibre avant et arrière, peu importe l'orientation de la poussée du propulseur.
La hauteur de la lame d'étrave et la quantité d'eau de mer embarquée ont augmenté au fur et à mesure que le navire a pris de la vitesse.
À 2 500 tr/min, la hauteur de la lame d'étrave excédait d'environ 150 mm celle de l'extrémité avant du pont de chargement et le niveau des embruns était supérieur d'environ 460 mm. Le chaland embarquait continuellement de l'eau de mer par l'interstice laissé par le joint endommagé. L'eau recouvrait tout le pont de chargement de la base de la rampe jusqu'à l'avant de la timonerie. Le niveau de l'eau de mer emprisonnée sur le pont s'élevait à environ 40 mm à l'avant du pont de chargement et à 20 mm à l'avant de la timonerie. Il atteignait 50 mm à l'arrière, dans les conduits des dalots latéraux bâbord et tribord où l'eau refluait avant de s'écouler à la mer par les sabords de décharge du tableau.
L'eau embarquée et emprisonnée sur le pont de chargement au cours des essais a provoqué un important effet de carène liquide qui a réduit considérablement la stabilité transversale initiale du navire légèrement chargé. La situation devait être bien pire en service normal avec un camion garé sur le pont de chargement. Le chaland devait être plus profondément enfoncé dans l'eau, la quantité d'eau embarquée et le pourcentage emprisonné sur le pont de chargement devaient être bien plus grands et le centre de gravité du navire devait également être plus élevé.
1.12 Stabilité et essai de stabilité
Le chaland est conçu de telle sorte que l'intégrité de l'étanchéité de la coque dépend de la présence de joints de compression étanches sur la bordure de la rampe de chargement lorsqu'elle est en position relevée. Ces joints permettent de maintenir un franc-bord effectif et une réserve de flottabilité en assurant un joint étanche jusqu'au sommet de la lisse de pavois, et ils assurent aussi la stabilité transversale «à l'état intact».
Lors de la construction de la coque, on a incorporé, sous le pont de chargement, un certain volume de mousse de polystyrène rigide qui fournit une réserve de flottabilité suffisante pour empêcher le chaland de couler par le fond s'il est submergé ou envahi. La mousse n'est pas spécialement destinée à augmenter l'aptitude du chaland à se redresser ni à empêcher le chavirement.
Le navire chaviré est resté à flot sans montrer de gîte ou d'assiette anormale, ce qui indique que la coque elle-même n'était pas percée. Après l'événement à l'étude, des trous ont été pratiqués en cale sèche à divers endroits du fond de la coque afin de voir si le matériau de flottaison était imbibé d'eau. On n'a pas trouvé d'eau en quantité appréciable.
Le 21 septembre 1993, les propriétaires ont procédé à un essai de stabilité pour déterminer les caractéristiques du bâtiment lège et sa stabilité dans diverses conditions de chargement. L'essai a été effectué par un architecte naval indépendant. Un architecte naval du BST était aussi présent comme observateur et ses calculs ont été intégrés au présent rapport.
Les calculs montrent qu'avec la rampe de chargement munie d'un joint étanche et le camion placé symétriquement à peu près sur l'axe longitudinal du navire, le chaland chargé au maximum a une hauteur métacentrique (GMt) relativement importante, soit 1,83 m, un angle de stabilité statique positif de 68° et des francs-bords effectifs avant et arrière «à l'état intact» de 0,85 m et 0,74 m respectivement.
Ces caractéristiques sont valables pour une condition de stabilité «à l'état intact»; toutefois, la lisse de pavois est immergée à un angle de gîte d'environ 24°. L'envahissement par les hauts soudain qui en résulte peut soumettre le bâtiment à des effets de roulis dynamiques avant que l'angle statique maximal calculé ne soit atteint.
D'autres calculs, basés sur la même cargaison en pontée que ci-dessus, portaient sur les effets néfastes de la détérioration des joints d'étanchéité de la rampe de chargement sur la stabilité initiale du navire.
L'assiette statique du chaland est telle que le franc-bord du pont de chargement au point de jonction de la rampe de chargement est d'environ 25 mm. Les essais en marche ont montré que le sommet de la lame d'étrave dépassait souvent ce franc-bord. Par conséquent, la perte de l'intégrité de l'étanchéité due à la détérioration des joints de la rampe de chargement a permis à l'eau de mer d'être embarquée et emprisonnée sur le pont de chargement. La quantité d'eau embarquée est inconnue; toutefois, la présence d'une couche d'eau hypothétique de 50 mm d'épaisseur sur le pont de chargement a été intégrée aux calculs afin d'évaluer la stabilité «en état d'avarie».
L'effet de carène liquide de l'eau embarquée sur le pont devait éliminer virtuellement la stabilité transversale initiale du navire. La GMt était réduite à environ 0,05 m. Le chaland étant dans cet état de très grande vulnérabilité, une force externe ou un moment transversal relativement faible pouvait provoquer soudainement un angle de gîte important.
On s'est aussi penché sur les effets sur la stabilité transversale à l'état intact du déplacement latéral du camion de service. Les calculs montrent qu'avec le camion du côté tribord du pont de chargement tout près de la face interne de la lisse de pavois, le navire devait prendre un angle de gîte statique permanent d'environ six degrés. Dès lors, la stabilité dynamique «à l'état intact» résiduelle ne correspondait plus qu'à 55 p. 100 de sa valeur pour le navire droit.
Il faut aussi noter que lorsque le navire avait une gîte de six degrés sur tribord dans des conditions statiques, le coin extérieur avant du pont de chargement au droit des joints de la rampe de chargement devait être submergé par environ 125 mm. Donc, le chaland devait embarquer continuellement par le joint endommagé de l'eau de mer qui devait être emprisonnée sur le pont de chargement.
On a aussi calculé les effets de l'eau de mer embarquée et retenue sur le pont de chargement sur la stabilité transversale du navire, compte tenu d'un déplacement latéral du camion.
L'effet de carène liquide et les moments inclinants associés à la couche d'eau de mer hypothétique de 50 mm refluant à six degrés sur tribord à cause d'un déplacement latéral du camion de service sur le pont du chaland, devaient produire une gîte d'environ 11°. Dans ces conditions, le chaland ne devait conserver que 21 p. 100 de sa stabilité dynamique originelle (jusqu'à l'immersion de la lisse de pavois).
À cause de la gîte ainsi provoquée de 11°, les joints d'étanchéité endommagés de la rampe de chargement se trouvaient immergés plus profondément et le navire devait continuer d'embarquer de l'eau de mer sur le côté tribord du pont de chargement. L'angle de gîte a dû augmenter progressivement jusqu'à ce que la réaction du camion soit transférée du pont de chargement au sommet de la lisse de pavois. L'effet dynamique a causé la perte de la stabilité transversale du navire qui a brusquement chaviré.
1.13 Renseignements sur les conditions météorologiques et sur la marée
1.13.1 Conditions météorologiques
Les personnes à bord n'étaient pas tenues de noter les conditions météorologiques; toutefois, de nombreuses personnes se trouvant sur les lieux ont rapporté que le vent était léger et la mer, ridée; le ciel était partiellement nuageux et la température de l'air, d'environ 14 °C.
La station météorologique la plus proche des lieux du chavirement se trouve à Sandspit, à 15 milles marins (M) franc est. À 18 h, la station de Sandspit a enregistré les conditions météorologiques suivantes : vents du sud-est de 17 noeuds, nuages épars et température de l'air de 12 °C.
Les conditions météorologiques observées et enregistrées ne diffèrent pas de façon marquée des prévisions pour le secteur.
1.13.2 Marée
La basse mer à Queen Charlotte City (8 M du lieu de l'événement) était à environ 16 h 30 le 15 mai. Selon la carte no 3891 du Service hydrographique du Canada (SHC), à East Beacon (1 M à l'ouest du lieu de l'événement), l'étale de courant survient environ 1,5 à 2,5 heures après la marée haute ou la marée basse à Queen Charlotte City. Sur les lieux de l'événement, l'étale de courant a dû survenir entre 18 h et 19 h.
1.14 Considérations relatives à la santé et à la sécurité industrielles
Les employés croyaient que la sécurité du chaland était réglementée. En fait, les règlements de la GCC ne s'appliquaient qu'à certaines parties du bâtiment et de son équipement.
Les dispositions des articles 28.14 à 28.20 des Industrial Health & Safety Regulations de la Commission des accidents du travail de la C.-B. (W.C.B. of B.C.) qui portent sur les embarcations maritimes contient une mise en garde indiquant que toutes les embarcations utilisées pour le transport de travailleurs sont régies par la Loi sur la marine marchande du Canada (LMMC) et ses règlements d'application.
Le chaland était utilisé pour transporter de l'équipement d'un côté à l'autre de la passe. Une autre embarcation devait être utilisée pour le transport du personnel. Dans la pratique, le chaland de débarquement, plus facile et plus rapide à utiliser, était devenu le bâtiment de prédilection pour le transport des passagers.
Les incidents mentionnés précédemment dans le présent rapport avaient été signalés verbalement aux supérieurs hiérarchiques mais aucun rapport écrit n'avait été produit. Les procès-verbaux des réunions sur la sécurité tenues avant l'événement ne contiennent aucune trace de ces rapports verbaux d'incidents.
L'article 8 des Industrial Health & Safety Regulations intitulé Places of Employment-General Requirements (Lieu de travail-exigences générales), Correction of unsafe conditions (élimination des conditions dangereuses) (article 8.10) stipule que la personne qui reçoit le rapport doit faire enquête sur la condition ou l'acte dangereux signalé et s'assurer que toutes les mesures correctives nécessaires sont prises promptement.
Rien n'a été fait pour remplacer le joint d'étanchéité au point d'articulation de la rampe sur la coque malgré les rapports verbaux d'incidents.
1.15 Communications radio
Les règlements n'exigent pas l'installation d'une radio maritime très haute fréquence (VHF) sur les navires de cette classe et de cette catégorie.
La radio VHF installée sur le «CROWN FOREST 72-68» possède un permis d'installation terrestre uniquement et fonctionne sur les fréquences privées de la Fletcher Challenge Canada. Pour assurer la fiabilité des communications dans cette région montagneuse, la compagnie maintient des stations radio répétitrices.
Les mécaniciens avaient fait des appels radio de routine pendant la journée. Le matériel radio a fonctionné de façon satisfaisante jusqu'au chavirement.
La demande d'assistance initiale a été faite sur une fréquence de la compagnie à partir de l'émetteur radio d'un camion qui se trouvait sur la rive.
1.16 Équipement de sauvetage
Le navire avait à bord l'équipement de sauvetage qu'il était tenu d'avoir en vertu des règlements. L'équipage portait des vêtements de flottaison individuels (veste).
Une radiobalise de localisation des sinistres (RLS) à dégagement automatique n'est pas une pièce d'équipement obligatoire pour ce type de navire en vertu des règlements. Il n'y en avait pas à bord.
Bien qu'aucun règlement ne l'exige, il y avait un radeau pneumatique de 20 places à bord du chaland. L'équipement de sauvetage comprenait une trousse de survie de type «B» contenant des fusées à parachute et des fusées à main. Le radeau de sauvetage devait être inspecté le 28 janvier 1993.
Après l'événement, le pneumatique a été inspecté et remballé au même point de service que la fois précédente. On a constaté qu'il était en bon état.
2.0 Analyse
2.1 Opérateurs - Formation
Le personnel doit avoir des connaissances, des compétences et des aptitudes particulières pour utiliser les machines en toute sécurité. Pour avoir le droit de faire fonctionner l'équipement ou les machines à terre, les employés devaient posséder le certificat pertinent qu'ils obtenaient après avoir suivi avec succès des cours de formation approuvés. Le chaland était différent à cet égard bien que la sécurité de fonctionnement eût aussi une grande importance dans son cas.
L'opérateur possédait plusieurs années d'expérience dans la conduite du chaland et une certaine expérience de la pêche commerciale, mais sa formation et ses connaissances n'étaient pas suffisantes pour lui permettre de se rendre compte du danger que représentait l'exploitation du navire alors que la présence d'eau sur le pont était susceptible de provoquer un effet de carène liquide. Il en était de même pour les autres opérateurs du chaland.
Les opérateurs avaient déjà signalé avant cet accident que le chaland avait une certaine tendance au chavirement, mais l'employeur n'avait rien fait pour remédier à la situation. Cela indique soit que les dirigeants de la compagnie ne possédaient pas les connaissances voulues pour se rendre compte du danger que représentait l'exploitation du chaland dans de telles conditions, soit qu'ils ont tout simplement choisi de ne pas en tenir compte.
Comme le manuel d'exploitation du navire avait été égaré à terre, les dirigeants de la compagnie et les opérateurs du chaland étaient privés de renseignements d'une importance capitale. Le manuel décrit des méthodes de travail en vue de la sécurité pouvant permettre d'éviter un tel accident.
2.2 Joint d'étanchéité de la rampe d'étrave
Un joint flexible est nécessaire pour assurer l'intégrité de l'étanchéité de la rampe d'étrave. Sans cette garniture flexible, le franc-bord effectif du navire est au même niveau que le pont; en l'occurrence, il n'y avait pas de franc-bord effectif du tout lorsque le chaland était chargé. Le manuel d'exploitation souligne l'importance d'un joint de rampe d'étrave en bon état. Cependant, la Fletcher Challenge Canada n'en savait rien et ne s'est pas assurée que ceux qui étaient appelés à se servir du chaland connaissaient l'importance de ce joint.
2.3 Effet de l'addition de semelles de protection
L'addition de surfaces d'usure en fibre de verre sur la face externe inférieure de la coque au droit de la surface d'échouage a aggravé la situation en ce qui concerne le franc-bord insuffisant parce que les semelles faisaient saillie sur la coque, provoquant un grossissement de la lame d'étrave, ce qui projetait une plus grande quantité d'eau dans l'interstice entre la rampe et la coque. Les semelles de protection alourdissaient en outre l'avant du navire et agissaient comme les oreilles d'une charrue, empêchant le nez de déjauger lorsque le chaland avançait. Le navire devait être considérablement plus tirant et son comportement général en charge devait s'en ressentir.
2.4 Tendance à donner de la bande sur tribord
Les raisons pour lesquelles le chaland avait toujours tendance à donner de la bande sur tribord lorsqu'il y avait de l'eau sur le pont n'étaient pas évidentes de prime abord. Les oeuvres vives du bâtiment ne comportent rien qui pourrait causer une telle gîte. La coque n'est ni déformée ni tordue d'une façon qui expliquerait cette tendance. Voici certaines causes possibles de cette propension :
- Les semelles de protection fixées à la coque font saillie et elles ont été plus ou moins endommagées par les atterrissages répétés. Même si cela n'est pas facilement mesurable, il est possible que la traînée générée par la semelle tribord ait été plus considérable que celle de la semelle bâbord, d'où l'application d'un moment giratoire sur la coque.
- Le raccord tubulaire interne du pavois de tribord est fixé à un caisson interne de la coque afin d'assurer la solidité. La zone d'attache est renforcée et obstrue partiellement le canal qui permet à l'eau qui se trouve sur le pont de s'écouler vers l'arrière. Le câble de l'ancre est lové dans ce même canal. Celui-ci n'est pas bloqué complètement puisqu'il est muni d'une rainure d'évacuation qui laisse passer de petites quantités d'eau. Toutefois, ce système n'était pas conçu pour évacuer l'importante quantité d'eau que le chaland embarquait par le joint non étanche de la rampe d'étrave. L'accumulation de l'eau cherchant passage dans cette zone devait causer une gîte et l'effet de carène liquide consécutif devait réduire la stabilité du navire. Le poids ajouté devait aussi provoquer l'enfoncement de la coque, plaçant l'avant puis le joint chaland/rampe plus profondément sous l'eau et augmentant le volume d'eau embarqué sur le pont.
Chacune des causes ci-dessus n'était peut-être pas suffisante en soi pour causer l'accident, mais le résultat de leur combinaison a bien pu excéder la somme de leurs effets individuels.
2.5 Considérations relatives à la santé et à la sécurité industrielles
Contrairement à ce que croyaient les employés, la LMMC ne s'applique qu'à l'équipement de sauvetage à bord et aux feux du chaland. Sur ces points, le bâtiment respectait ou excédait les exigences réglementaires; toutefois, à cause de son faible tonnage, il n'était pas assujetti à des inspections réglementaires par la Direction de la sécurité des navires de la GCC.
2.6 Poids des véhicules
Aucune explication n'a été donnée concernant la raison pour laquelle les poids des véhicules à bord n'ont pas été déterminés et affichés bien en vue sur les véhicules. La compagnie savait quel était le poids maximal que le navire pouvait transporter et avait affiché ce poids dans la timonerie avant l'événement à l'étude.
2.7 Familiarité avec l'équipement de sauvetage
L'opérateur n'était pas tenu de posséder une formation régulière sur les Fonctions d'urgence en mer. Il a éprouvé, avec l'équipement de sauvetage, des problèmes qui auraient pu avoir de graves conséquences. Il n'a pas pu identifier les fusées à parachute dans la trousse du radeau de sauvetage et il n'a donc pas été en mesure de se servir du meilleur moyen dont il disposait pour attirer l'attention.
2.8 La sécurité
L'industrie forestière est une des plus dangereuses en Colombie-Britannique. Depuis 15 ans, elle a fait près de 500 morts et plus de 4,700 bûcherons ont reçu des prestations d'invalidité permanente. C'est pourquoi cette industrie a mis sur pied des programmes visant à corriger les manquements à la sécurité et à réduire le taux d'accidents.
Ces programmes de sécurité ne s'appliquaient cependant pas à l'utilisation du chaland de débarquement. Il n'y avait pas d'opérateur désigné ni de formation spéciale de prévue et les défectuosités de l'équipement ou les anomalies opérationnelles n'ont pas été corrigées. On ne savait pas bien non plus quelle était la portée des normes réglementaires et on a sous-estimé les dangers liés à l'exploitation du navire.
Le système de sécurité en place ne fonctionnait pas ou il n'a pas pris en compte les aspects maritimes de cette composante des opérations forestières.
3.0 Faits établis
3.1 Faits établis
- Le joint endommagé et non étanche entre la rampe et la coque laissait l'eau atteindre le pont et abaissait le franc-bord effectif du navire au même niveau que le pont.
- La stabilité transversale initiale du navire a été réduite par l'effet de carène liquide de l'eau accumulée sur le pont.
- Le navire avait un poids considérable ajouté à l'arrière à cause des modifications apportées aux plans originaux.
- Lorsque le chaland n'avait pas de cargaison, les sabords de décharge à l'arrière étaient partiellement submergés et laissaient de l'eau embarquer sur le pont.
- Le navire avait déjà failli chavirer plusieurs fois avant l'événement à l'étude.
- Les opérateurs et les gérants du chaland n'avaient pas les connaissances nécessaires pour se rendre compte que le fait d'exploiter le navire avec un joint d'étanchéité rampe/coque endommagé pouvait en compromettre la stabilité.
- Le manuel d'exploitation du navire n'avait pas été fourni aux opérateurs ni à leurs supérieurs hiérarchiques.
- Aucun des opérateurs n'était tenu de posséder une formation régulière en Fonctions d'urgence en mer.
- Aucune mesure n'avait été prise par suite des rapports présentés par les opérateurs du chaland à leurs supérieurs indiquant que le navire avait tendance à donner brusquement de la bande lorsqu'il y avait de l'eau sur le pont.
- Le poids du véhicule qui se trouvait à bord au moment de l'événement excédait par environ 0,3 tonne le poids maximal recommandé dans les directives publiées par la compagnie.
- Le poids des véhicules transportés le jour de l'événement n'était pas affiché sur les véhicules et on ne le connaissait pas avec exactitude.
- Les véhicules n'étaient pas attachés au pont à cause de la brièveté de la traversée.
- Le certificat du chaland ne lui permettait pas de transporter du personnel, mais le navire était utilisé à cette fin.
3.2 Causes
Le chaland a chaviré à cause d'une détérioration de sa stabilité transversale initiale attribuable à l'effet de carène liquide de l'eau accumulée sur le pont. Cette accumulation a été causée principalement par le mauvais état du joint d'étanchéité de la rampe d'étrave. Le fait que les opérateurs et les gérants du navire n'avaient pas les connaissances nécessaires pour se rendre compte du grave danger que représentait pour la stabilité du bâtiment l'absence d'étanchéité du joint rampe/coque, et le fait qu'on n'ait pas donné suite aux rapports de conditions dangereuses faits par les opérateurs du chaland après des quasi-chavirements antérieurs ont aussi contribué à l'accident.
4.0 Mesures de sécurité
4.1 Mesures prises
4.1.1Navigabilité
En 1993, par suite de l'événement à l'étude, un architecte naval indépendant a mené un essai de stabilité pour le compte des propriétaires du navire. Le BST a également procédé à des essais en marche et a analysé les résultats de l'essai de stabilité. La Garde côtière canadienne (GCC) et les propriétaires du chaland ont été prévenus du mauvais état de la garniture (formant le joint d'étanchéité entre la rampe et la coque du chaland de débarquement) et des effets néfastes que l'accumulation d'eau et l'effet de carène liquide sur le pont de chargement peuvent avoir sur le franc-bord effectif et la stabilité transversale du navire. Le «CROWN FOREST 72-68» a ultérieurement été mis hors service.
4.1.2 Autres mesures prises
À la suite de l'enquête du coroner sur cet accident, les propriétaires du «CROWN FOREST 72-68» ont indiqué que les mesures suivantes avaient été prises :
- Le comité de sécurité de la compagnie fait la tournée des navires en service à tous les mois pour constater les manquements à la sécurité et les préoccupations liées à la sécurité;
- L' International Woodworkers of Canada et les Forest Industrial Relations Members Companies ont signé une entente pour mettre sur pied un comité conjoint afin d'élaborer des méthodes de travail, des normes pour l'équipement, et des programmes de formation pour l'exploitation des navires qui transportent du personnel et des chalands qui transportent moins de 12 passagers;
- Les plans d'urgence ont été révisés en ce qui a trait aux communications radio, aux demandes d'assistance de plongeurs, et aux premiers soins dans le milieu de travail;
- Le personnel de gestion et d'exploitation de la compagnie, de même que les autres exploitants ayant fait l'achat d'embarcations semblables de la compagnie, ont été mis au courant des conditions pouvant entraîner une détérioration de la stabilité du navire;
- Le «CROWN FOREST 72-68» a été mis hors service et le chaland de rechange a été modifié pour répondre aux normes de la GCC en matière de stabilité. On fournit désormais des renseignements sur le chargement de l'équipement de petite et de grande taille.
4.1.3 Méthodes de travail en vue de la sécurité
En 1993, la Commission des accidents du travail de la C.-B. (W.C.B. of B.C.) a publié une affiche ( Logging 93-08) pour faire connaître aux travailleurs de l'industrie forestière les dangers liés à l'exploitation des petits chalands de débarquement. L'affiche demande aux employeurs de donner des lignes directrices écrites sur les méthodes de travail en vue de la sécurité à leurs employés et aux personnes qui effectuent des travaux pour eux, et de s'assurer que ceux-ci peuvent utiliser les machines et l'équipement en toute sécurité. L'affiche rappelle également aux travailleurs qu'ils doivent faire une inspection de toute machine ou de tout équipement défectueux.
4.1.4 Formation sur les Fonctions d'urgence en mer (FUM)
Le BST a aussi fait des démarches auprès de la GCC et des propriétaires du «CROWN FOREST 72-68» concernant la nécessité de donner de la formation au personnel sur la façon d'utiliser l'équipement de sauvetage à bord. On a demandé au bureau régional de la GCC de porter à la connaissance des propriétaires du chaland de débarquement les renseignements contenus dans le Bulletin de la sécurité des navires no 10/88 qui, notamment, recommande fortement que tous les membres d'équipage de navire suivent le cours de sécurité de base, niveau A1, de la formation FUM.
En février 1995, dans son Bulletin de la sécurité des navires no 6/95, la GCC a publié à nouveau et mis à jour les numéros du Bulletin portant sur la formation FUM qui avait été élaborée en 1988. Le Bulletin donne des conseils d'ordre général à l'intention de l'industrie sur la formation en matière de sécurité à donner à bord pour préparer les membres d'équipage à faire face aux situations d'urgence et pour approfondir les connaissances de ceux qui n'ont pas suivi de formation FUM.
La GCC a également indiqué que même si les règlements actuels n'obligent pas le personnel des navires qui ne sont pas inspectés à suivre de formation FUM, tout le personnel des navires de plus de cinq tonneaux de jauge brute sera tenu de suivre une formation FUM de base en vertu des modifications proposées aux règlements en matière d'armement en personnel. Il incombe aux propriétaires et aux capitaines des navires qui ne sont pas assujettis à ces règlements de donner la formation FUM voulue aux membres d'équipage non brevetés.
4.2 Mesures à prendre
4.2.1 Formation des opérateurs et lignes directrices pour l'exploitation
Les opérateurs du «CROWN FOREST 72-68» ont déclaré qu'il y avait souvent de l'eau sur le pont lorsque le navire faisait route, et qu'il était arrivé au navire de donner de la bande sur tribord lorsque de l'eau s'était accumulée sur le pont. Personne ne se souvenait avoir vu le joint de la rampe d'étrave en bon état. Les opérateurs et les gérants du chaland n'avaient pas les connaissances nécessaires des caractéristiques de stabilité du navire pour se rendre compte que le fait d'avoir de l'eau sur le pont représentait un grave danger.
Les petits chalands de débarquement utilisés pour le transport de machines et de véhicules, comme le «CROWN FOREST 72-68», ne sont régis par aucun règlement et ne sont pas tenus d'être inspectés en vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada (LMMC). En outre, il n'existe aucune exigence en matière de formation ou de brevet pour le personnel qui exploite ces embarcations. Dans le cas du «CROWN FOREST 72-68», si le personnel avait reçu une formation portant sur la stabilité du navire et sur l'effet de carène liquide, il aurait été en mesure de se rendre compte du danger que représentait l'exploitation du navire dans de telles conditions.
Il y a apparemment plus de 70 petits chalands de débarquement du même genre en usage sur la côte ouest du Canada, dont bon nombre sont utilisés dans des régions éloignées où il peut être difficile de recevoir de l'aide en cas d'urgence. En outre, ces embarcations sont fort probablement exploitées par du personnel n'ayant pas reçu de formation sur les opérations maritimes, notamment sur le déploiement et l'utilisation de l'équipement de sauvetage.
Le Bureau se réjouit de l'initiative des Forest Industrial Relations Members Companies et de l' International Woodworkers of Canada en vue d'élaborer des méthodes de travail et de la formation pour l'exploitation d'embarcations transportant moins de 12 passagers. Néanmoins, le Bureau est d'avis que la formation du personnel et l'élaboration de méthodes pour la conduite de navires devraient jouir de l'apport d'experts du secteur maritime, comme la GCC. Une formation et des méthodes bien pensées et établies pourraient grandement améliorer la sécurité de l'exploitation des petites embarcations qui ne sont pas assujetties aux règlements, comme le «CROWN FOREST 72-68».
De plus, comme en fait foi l'événement à l'étude, les propriétaires et les opérateurs de ces embarcations peuvent ne pas connaître les conditions, comme une mauvaise intégrité de l'étanchéité des joints, qui risquent de compromettre la navigabilité de leurs navires. Le Bureau s'inquiète du fait qu'un manque de méthodes bien établies et de lignes directrices en matière de maintenance des embarcations et de l'équipement de sauvetage à bord continue de compromettre la sécurité, bien que des démarches aient été entreprises pour parfaire les connaissances et les compétences des opérateurs de ces embarcations. Par conséquent, le Bureau recommande que :
Le ministère des Transports, de concert avec les propriétaires et les exploitants de petits chalands de débarquement, élabore des programmes de formation et des lignes directrices pour l'exploitation et la maintenance de ces embarcations.
Recommandation M95-04 du BST
Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. La publication de ce rapport a été autorisée le par le Bureau, qui est composé du Président, John W. Stants, et des membres Zita Brunet et Hugh MacNeil.
Annexes
Annexe A - Croquis du secteur de l'événement
Annexe B - Photographies
Annexe C - Calculs de stabilité
Les résultats des calculs de stabilité effectués sont disponibles sur demande du Bureau de la sécurité des transports du Canada.
Annexe D - Sigles et abréviations
- BST
- Bureau de la sécurité des transports du Canada
- C
- Celsius
- C. - B.
- Colombie - Britannique
- FUM
- Fonctions d'urgence en mer
- GCC
- Garde côtière canadienne
- GMt
- hauteur métacentrique
- GRC
- Gendarmerie royale du Canada
- HAP
- heure avancée du Pacifique
- HP
- horsepower
- LMMC
- Loi sur la marine marchande du Canada
- m
- mètre(s)
- m3
- mètre(s) cube(s)
- M
- mille(s) marin(s)
- mm
- millimètre(s)
- OMI
- Organisation maritime internationale
- RCR
- réanimation cardio - respiratoire
- RLS
- radiobalise de localisation des sinistres
- SHC
- Service hydrographique du Canada
- SI
- système international (d'unités)
- tjb
- tonneau(x) de jauge brute
- tr/min
- tours à la minute
- UTC
- temps universel coordonné
- VHF
- très haute fréquence
- W.C.B. of B.C.
- Commission des accidents du travail de la Colombie - Britannique
- 99
- Code désigné par la compagnie à être utilisé sur ses propres fréquences radio et signifiant «situation d'urgence constituant un danger de mort».
- °
- degré(s)