Chavirement et échouement
du bateau de pêche «LADY DEVINE»
baie Forward, détroit de Johnstone
(Colombie-Britannique)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Le «LADY DEVINE», qui était lourdement chargé de nasses à crevettes, a été heurté sur la hanche bâbord par une lame qui l'a fait chavirer. Les deux membres de l'équipage se sont hissés sur la coque et ont attendu les secours, mais le navire a dérivé en direction ouest et s'est échoué dans la baie Forward (Colombie-Britannique). Les deux membres de l'équipage ont souffert d'hypothermie, et le matelot a éventuellement péri noyé. Le propriétaire-patron est resté dans l'île West Cracroft (Colombie-Britannique) pendant deux jours, avant qu'un navire de passage aperçoive le «LADY DEVINE» et vienne à son secours.
Le Bureau a déterminé que le franc-bord arrière effectif et la stabilité transversale du «LADY DEVINE» étaient considérablement réduits en raison du nombre de nasses à crevettes arrimées sur le pont arrière. Le temps s'est détérioré plus tard dans la journée, et les stabilisateurs n'ont pas été déployés.
Les nasses à crevettes empilées et une bâche de nylon, qui présentaient une grande surface exposée au vent fort, ont agi comme une grande voile, ce qui a gêné le redressement du bateau. Le bateau a embarqué de l'eau qui s'est accumulée sur le pont découvert, a subi un envahissement par les hauts et a chaviré sur tribord. L'eau de mer a atteint les compartiments situés sous le pont à l'avant, après être entrée par la porte laissée ouverte à l'arrière de la timonerie ainsi que par la cale à poisson dont le panneau d'écoutille à charnières, qui n'était pas fermé hermétiquement, s'est déplacé.
1.0 Renseignements de base
1.1 Fiche technique du navire
Nom | « LADY DEVINE » |
---|---|
Numéro de BPC | 26533 |
Port d'attache | Nanaïmo (C.-B.)Note de bas de page 1 |
Type | Bateau de pêche |
Jauge brute | 12,9 tonneauxNote de bas de page 2 |
Longueur | 10,97 m |
Tirant d'eau | av. : 1,07 m ar. : 1,22 m |
Construction | 1953 |
Groupe propulseur | Un moteur diesel de 85 BHP |
Propriétaire | M. Vincent McGee North Vancouver (C.-B.) |
1.1.1 Renseignements sur le navire
Le «LADY DEVINE» était un petit bateau de pêche en bois dont la timonerie, en bois elle aussi, était située à l'avant du milieu. Le bateau, construit en 1953, était à l'origine un bateau amphidrome qui servait à la pêche à la traîne. En 1977, le «LADY DEVINE» a été reconstruit du milieu jusqu'à l'arrière, a été pourvu d'un arrière à tableau et a été allongé de 0,46 m. La cale à poisson isolée, faite de fibre de verre, se trouvait sur l'arrière de la timonerie. Une cage de 2 m de hauteur formée de tiges métalliques entourait le périmètre de l'arrière et une petite bâche de nylon était tendue au-dessus du pont arrière. Le bateau était muni de bras stabilisateurs en aluminium et de stabilisateurs (paravanes).
1.1.2 Stabilisateurs
Au moment du chavirement, les paravanes n'étaient pas déployés et les bras stabilisateurs étaient relevés.
1.2 Déroulement du voyage
Le 13 avril 1994, à 7 hNote de bas de page 3, le «LADY DEVINE» a appareillé de Gibsons (C.-B.) à destination des lieux de pêche de Knight Inlet (C.-B.), avec à son bord le propriétaire-patron et un matelot qui en était à sa première sortie à bord de ce bateau. Environ 260 nasses à crevettes empilables, totalisant environ 910 kg, étaient arrimées sur le pont arrière.
Le 14 avril 1994, à 15 h, après que le bateau eut passé sous le vent de l'île Hardwicke dans le chenal Sunderland (C.-B.), le vent s'est intensifié considérablement et s'est mis à souffler du sud-est à une vitesse de 25 à 30 noeuds.
À l'ouest de l'île Fanny (C.-B.), les vagues atteignaient environ 1 m de hauteur. Après être entré dans une zone de clapotis de marée au large de Port Neville (C.-B.), le patron a commencé à s'inquiéter, car la mer était très grosse et le temps se détériorait. Le patron savait que le bateau accusait une longue période de roulis s'il était chargé de nasses et qu'il tardait alors à se redresser.
Vers 16 h, le patron a appelé son frère qu'il devait passer prendre à Port McNeill (C.-B.). Comme son frère n'était pas libre, le patron a dit à la conjointe de son frère que le temps était mauvais et que la mer était forte. Il n'était pas certain de ce qu'il allait faire; il entendait soit jeter l'ancre à Port Neville en attendant que les conditions s'améliorent, soit continuer sa route jusqu'aux îles Broken (C.-B.).
Peu après cette conversation, le patron a demandé au matelot de déployer les stabilisateurs, mais avant que le matelot puisse le faire, le «LADY DEVINE» a été heurté sur la hanche bâbord par une grosse lame qui l'a fait embarder sur bâbord. Le bateau a gîté sur tribord, le pavois a été submergé et le pont arrière a été envahi par l'eau de mer, ce qui a réduit la stabilité transversale du bateau et a retardé son redressement.
Gouvernant à la main, le patron a mis la barre à droite et a réduit la vitesse, mais le bateau a été heurté par une seconde grosse lame. Avant qu'on puisse faire quoi que ce soit d'autre, un fort coup de vent a poussé contre les nasses empilées sur le pont et la bâche de nylon tendue au-dessus du pont arrière, et a fait coucher le bateau sur son flanc tribord.
Le bateau a commencé à se remplir d'eau par la porte ouverte située à l'arrière de la timonerie, puis par la cale à poisson dont le panneau d'écoutille à charnières s'était déplacé. Le patron a aidé le matelot à sortir de la timonerie par la fenêtre bâbord et a lancé deux MAYDAY sur la voie 16 du radiotéléphone très haute fréquence (VHF) tandis que le bateau chavirait lentement par 50°28′00″N et 126°03′30″W environ. Malgré ses efforts, il n'a entendu aucune réponse à ses appels à l'aide.
L'eau a obligé le patron à quitter la timonerie. Il s'est hissé à l'extérieur par la fenêtre bâbord et, avec l'aide du matelot, a grimpé sur la coque renversée.
Le matelot a dit qu'il ne savait pas nager. Le patron lui a alors attaché un gros flotteur de repérage (scotsman) autour de la taille. Il ne restait pas assez de temps pour récupérer les gilets de sauvetage ou les engins d'urgence.
Le bateau a dérivé vers l'ouest dans le détroit de Johnstone. Trois petits bateaux sont passés par là et deux aéronefs ont survolé le secteur, mais sans les voir. Les naufragés se sont mis à frissonner parce que leur température corporelle chutait rapidement. Ils ont perdu toute sensation dans les extrémités et ils se sont serrés l'un contre l'autre pour se réchauffer.
Les naufragés souffraient déjà d'hypothermie lorsque le bateau qui dérivait s'est approché de la rive dans la baie Forward. Craignant que le bateau continue de dériver et s'éloigne de la plage, ils ont décidé que la meilleure chose à faire serait que le patron se rende jusqu'à la rive à la nage et hale le bateau afin de le rapprocher de la plage, pour ensuite aider le matelot à atteindre la rive.
Le patron s'est mis à nager vers la rive, mais lorsqu'il a regardé derrière lui, il a vu le matelot dans l'eau. Il est revenu et a trouvé le matelot inconscient, la figure dans l'eau. Il lui a maintenu la tête hors de l'eau tout en nageant vers la rive, et a essayé de le ranimer. À ce moment-là, le patron ne savait pas si le matelot était vivant.
Presque à bout de forces, le patron a poussé le matelot sur une petite saillie. Comme il n'y avait pas suffisamment d'espace pour y grimper et s'y installer avec le matelot, il a nagé jusqu'à une saillie située tout près et a réussi à se hisser au sec avant de s'évanouir. Lorsqu'il a repris conscience, il a vainement cherché le matelot du regard. Plus tard dans la soirée, le «LADY DEVINE» s'est échoué dans la baie Forward.
Le patron a passé deux jours sur l'île West Cracroft avant que le «TWO ANNE» repère le «LADY DEVINE». Vers 10 h, le 16 avril 1994, le «TWO ANNE» a communiqué avec la station radio de la Garde côtière (SRGC) de Comox (C.-B.) pour signaler la situation. L'information a été transmise au Centre de coordination du sauvetage (CCS) de Victoria (C.-B.), et des recherches ont aussitôt été lancées.
Le patron a été retrouvé à environ deux milles à l'ouest du bateau échoué, le 16 avril à 12 h 49. Il a été recueilli par l'embarcation de sauvetage de Port Hardy à 12 h 55, puis il a été transporté par hélicoptère à l'hôpital où il a été traité pour hypothermie, pour déshydratation et pour des blessures légères.
À 16 h 38, le 16 avril, le corps du matelot a été retrouvé près de l'extrémité ouest de l'île Cormorant (C.-B.). Le matelot a été repêché à 17 h 57 et a été transporté à l'hôpital où une autopsie a confirmé qu'il s'était noyé dans l'eau de mer.
Le «LADY DEVINE» a été renfloué le 17 avril 1994. Toutefois, le 19 avril 1994, pendant qu'on le remorquait, le bateau a coulé au large de l'île Hanson, dans le détroit de Johnstone, à la position approximative de 50°33′04″N par 126°42′77″W, par 400 m de fond.
1.3 Victimes
Le patron a subi des blessures légères et a souffert d'hypothermie; le matelot s'est noyé.
1.4 Survie en eau froide
Des études scientifiques sur le taux de déperdition calorique d'une personne moyenne qui reste immobile dans l'eau de mer à une température de 10 °C alors qu'elle porte un gilet de sauvetage standard et des vêtements légers, montrent une espérance de survie de deux heures et demie à trois heures (la durée peut être plus longue chez une personne plus grasse). Dans le cas à l'étude, la température de l'eau de mer dans le secteur n'a pas été consignée, mais la température de l'eau enregistrée dans le secteur du phare de l'île Sisters était de 9,3 °C.
Le matelot mesurait 1,75 m et pesait environ 64 kg. Il était apparemment en bonne santé. Il ne savait pas nager et avait extrêmement froid lorsqu'il est entré dans l'eau. Lorsqu'on l'a retrouvé, il avait toujours le flotteur de repérage attaché à la taille. Il ne portait pas de gilet de sauvetage ni de vêtement de flottaison individuel (VFI) approuvé.
1.5 Certificats et brevets
1.5.1 Certificats du navire
Comme il jaugeait moins de 15 tonneaux de jauge brute (tjb), le «LADY DEVINE» n'était pas assujetti à des inspections réglementaires de la Direction de la sécurité des navires de la Garde côtière canadienne (GCC).
En 1990, le bateau avait été inspecté à False Creek (C.-B.) aux fins de l'assurance. L'examen du bateau avait révélé qu'il était en bon état et qu'il était bien entretenu.
1.5.2 Brevets du personnel
Le patron et le matelot n'étaient pas titulaires de brevets ni de certificats, et ils n'étaient d'ailleurs pas tenus de l'être en vertu des règlements.
Le patron oeuvrait dans l'industrie de la pêche depuis 25 ans et exploitait de petits bateaux de pêche depuis 1976. Le matelot était un pêcheur d'expérience et faisait sa première sortie à bord du «LADY DEVINE».
1.6 Avaries au navire
Une inspection sous-marine du «LADY DEVINE» a été faite le 17 avril 1994 sur les lieux de l'échouement. L'inspection a révélé que plusieurs planches de la coque étaient gauchies et qu'une planche du côté tribord était fortement gauchie. Ces dommages sont fort probablement survenus après l'échouement.
Le bateau a été renfloué le 17 avril 1994; toutefois, à 0 h 40, le 19 avril, il a coulé au large de l'île Hanson pendant qu'on le remorquait. On ne prévoit pas le renflouer.
1.7 Dommages à l'environnement
Il n'y a eu aucun dommage à l'environnement par suite de l'événement.
1.8 Renseignements sur les conditions météorologiques et sur la marée
1.8.1 Conditions consignées par l'équipage
Le patron avait apparemment écouté les prévisions météorologiques maritimes avant d'appareiller et savait qu'un avertissement pour les petites embarcations était en vigueur dans le secteur où le bateau devait naviguer.
Lorsque le bateau a quitté le port le 13 avril 1994, les conditions étaient bonnes : vent léger, houle légère et bonne visibilité.
À 15 h, le 14 avril, le temps s'était détérioré : vent du sud-est de 25 à 30 noeuds et une grosse mer.
1.8.2 Conditions signalées par Environnement Canada
À 5 h 45, le 14 avril 1994, le Centre météorologique du Pacifique d'Environnement Canada a émis un avertissement pour les petites embarcations concernant le secteur du détroit de Johnstone.
On annonçait que le vent du sud-est allait s'intensifier pour atteindre de 15 à 25 noeuds, et on prévoyait des averses dispersées ainsi que des possibilités de vents de modérés à forts soufflant du sud-est.
Les conditions de vent rencontrées par le «LADY DEVINE» concordaient avec les prévisions.
1.8.3 Conditions enregistrées par la station météorologique la plus proche
La station météorologique automatisée du Service de l'environnement atmosphérique, à l'île Helmcken (C.-B.), n'a fourni aucun renseignement météorologique pour l'après-midi du 14 avril 1994. Le phare de la pointe Chatham, situé plus au sud, signalait un vent de l'est de 12 noeuds. Le phare de la pointe Pulteney, situé au nord du lieu de l'accident, a enregistré des vents de l'est de 30 noeuds.
1.8.4 Maarées
Le «LADY DEVINE» a chaviré à environ un mille et demi au sud-est de l'entrée de Port Neville, à laquelle on accède entre la pointe Ransom (C.-B.), à la position 50°29'N et 126°05'W, et la pointe Neville (C.-B.). Le bateau a pénétré dans un secteur où les lames étaient hautes et la mer forte, et où il y avait des clapotis de marée. Les lames qui ont heurté le bateau semblaient être plus grosses que les autres.
Selon les prévisions, le 14 avril 1994, la marée haute devait se produire à 17 h 10 à Port Neville, atteignant 3,99 m au-dessus du zéro des cartes; la marée basse était prévue à 22 h 24 et devait atteindre 2,07 m au-dessus du zéro des cartes.
Les courants de marée à l'entrée de Port Neville atteignent parfois trois noeuds. Le courant de flux porte à l'est.
1.9 Position du chavirement et de l'échouement
Le «LADY DEVINE» a chaviré à la position approximative de 50°28′00″N par 126°03′30″W. Le bateau a dérivé vers l'ouest dans le détroit de Johnstone et s'est échoué dans la baie Forward, devant l'île West Cracroft, à quelque 14 milles de l'endroit où il avait chaviré, à la position approximative de 50°30′48″N par 126°25′W.
1.10 Équipement de sauvetage
Le bateau avait à bord l'équipement de sauvetage qu'il était tenu d'avoir en vertu du Règlement sur l'inspection des petits bateaux de pêche.
1.11 Recherches et sauvetage
Lorsqu'il a reçu l'information de la SRGC de Comox, le CCS de Victoria a lancé une opération de recherches et sauvetage. Le NGCC «ARCTIC IVIK», le garde-côtes de la GCC «PORT HARDY» et l'embarcation rapide de sauvetage (ERS) de Port Hardy, le «PORT HARDY 1», ont été dépêchés sur les lieux. Les aéronefs de sauvetage Rescue 318 et Rescue 482, le bâtiment «1G1» de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), des bateaux de pêche et des embarcations de plaisance ont également participé aux recherches.
1.12 Stabilité
Comme il jaugeait moins de 15 tjb et ne faisait pas la pêche au hareng ou au capelan, le «LADY DEVINE» n'était pas tenu de se conformer aux normes réglementaires de la GCC en matière de stabilité. Le bateau était en service depuis 1977, et on ne sait pas s'il a déjà fait l'objet d'un essai de stabilité ou d'un essai de période de roulis.
Les deux soutes à combustible en fibre de verre, placées à l'arrière, pouvaient contenir quelque 1 059 litres. La citerne d'eau installée sous le plancher du gaillard d'avant pouvait contenir 318 litres, tandis que la soute à combustible servant au poêle de la cuisine, placée sur le toit de la timonerie, contenait à peu près 170 litres. Au moment du chavirement, toutes les citernes contenaient du liquide. Les quantités de liquide qui étaient transportées à bord avant le chavirement ne sont consignées dans aucun registre.
1.12.1 Nasses à crevettes
Des nasses à crevettes de deux types étaient arrimées sur le pont arrière. Elles étaient empilées en 10 colonnes jusqu'à une hauteur de 1,5 m environ. Elles étaient apparemment toutes fermement attachées au pont.
Le pont arrière mesurait environ 2,9 m de largeur sur 6,1 m de longueur. La cale à poisson isolée, faite de fibre de verre, était située sur l'arrière de la timonerie. Elle était munie d'une hiloire isolée en bois, mesurant 1,2 m de longueur, 1,2 m de largeur et 1 m de hauteur, qui portait des charnières sur son côté avant et qui donnait accès à la cale réfrigérée.
Sur le pont arrière se trouvait une cage de 1,8 m de hauteur formée de tiges métalliques et une petite bâche de nylon tendue au-dessus du pont pour servir d'abri.
Les nasses plus grandes avaient un poids à sec de 2,95 kg chacune. Elles mesuraient 77 cm à la base et 64 cm au sommet et avaient une profondeur de 31 cm.
Les nasses plus petites étaient de construction plus robuste et avaient un poids à sec de 4,08 kg chacune. Elles mesuraient 73 cm à la base et 51,5 cm au sommet et avaient une profondeur de 29,5 cm. Les nasses transportées sur le pont arrière totalisaient quelque 910 kg.
1.12.2 Roulis
Le patron a déclaré que le bateau accusait une longue période de roulis et que, de façon générale, il se redressait lentement s'il roulait fortement et s'il était lourdement chargé de nasses à crevettes. Dès que le bateau était heurté sur la hanche par une lame, il déviait de son cap, roulait du côté opposé et tardait à revenir à la verticale. Pour compenser, le patron tournait la barre et réduisait la vitesse. Le bateau revenait alors lentement à la verticale et reprenait son cap original.
1.13 Conscience de la situation
La conscience de la situation peut se définir comme étant la somme de connaissances dont on dispose et qu'on peut au besoin intégrer en un tout cohérent, en vue d'évaluer une situation et d'y faire face.
La personne qui veut garder conscience de la situation doit être à l'affût de signaux ou d'indices qu'elle peut interpréter, en vue d'en tirer des renseignements importants tel que la position et la vitesse du navire, et la présence de dangers.
Lorsque les exploitants sont tendus en raison de difficultés liées à une situation, de l'obligation de respecter un horaire ou de quoi que ce soit d'autre, le champ de leur attention a tendance à se rétrécir encore davantage, de sorte qu'ils ne voient même plus les indices présents, ou qu'ils n'en tiennent pas compte. La tension peut aussi affecter la notion du temps.
1.14 Facteurs ayant une incidence sur la prise de décision
Le travail en mer se déroule dans un environnement très particulier qui peut parfois être hostile (par exemple la force des mouvements du bateau qui varie en fonction des conditions météorologiques). En règle générale, la présence d'une foule de facteurs susceptibles de changer continuellement donne lieu à un processus décisionnel complexe qui a une incidence sur la sécurité du bateau et de l'équipage.
Ces décisions sont souvent prises en peu de temps et dans des conditions très difficiles. Voici certains processus décisionnels qui sont associés à des dangers imminents :
- la tendance (de la personne) à chercher des interprétations différentes à des messages d'avertissement, de façon à neutraliser la menace annoncée par les messages en question (Ikeda, 1982).
- Toute imprécision dans l'avertissement incite à interpréter la situation d'une façon non menaçante (Perry et al., 1981).
- La tendance initiale à interpréter des données nouvelles en fonction d'éléments connus et familiers (Quaranteilli, 1980).
- La façon dont les décideurs perçoivent les risques influe directement sur la façon dont ils réagissent à l'avertissement (Perry et Greene, 1983).
2.0 Analyse
2.1 Introduction
Le patron savait que le bateau était instable lorsqu'il était lourdement chargé de nasses à crevettes. Il lui était déjà arrivé de transporter un plus grand nombre de nasses sur le pont arrière, mais les stabilisateurs étaient souvent déployés lors de ces sorties. Le jour du départ, le 13 avril 1994, les stabilisateurs n'ont pas été déployés parce qu'il faisait beau lorsque le bateau a quitté le port. Le temps et l'état de la mer se sont détériorés plus tard dans la journée du 14 avril 1994, mais on n'a décidé de déployer les stabilisateurs que quelques secondes à peine avant que le bateau chavire. Un avertissement pour les petites embarcations était en vigueur dans le secteur.
2.2 Stabilité
La période de roulis est le nombre de secondes que met un bateau pour compléter une oscillation de bâbord à tribord, ou inversement, et revenir à la verticale. La période de roulis peut servir à évaluer la hauteur métacentrique et la stabilité transversale initiale. On s'en sert principalement dans le cas de navires ayant une longueur réglementaire de 24 m ou moins s'il n'est pas possible de procéder à un essai de stabilité ou, comme dans le cas présent, si un essai de stabilité n'est pas exigé par la réglementation.
Si l'on se fie aux caractéristiques de roulis du bateau lorsqu'il était lourdement chargé, le «LADY DEVINE» devait être un bateau instable dont le moment de redressement et le franc-bord étaient limités.
Dans le cas à l'étude, la stabilité transversale du bateau n'était pas suffisante pour lui permettre de résister au moment d'inclinaison dynamique attribuable aux vagues, au vent et à l'eau que le bateau embarquait et qui s'accumulait sur le pont.
La mer était forte et houleuse et les lames étaient hautes à cause du vent du sud-est qui s'opposait au courant de marée portant à l'est. Certaines lames étaient plus grosses que d'autres et, lorsque le pavois a été submergé, l'eau de mer embarquée a inondé le pont arrière, a fait gîter le bateau sur tribord et l'a empêché de se redresser.
Le côté du bateau, la timonerie, les nasses empilées et la bâche présentaient une grande surface exposée au vent, ce qui a eu l'effet d'une grande voile.
Cette force, combinée à l'eau embarquée, qui s'accumulait sur le pont, a ralenti le redressement du bateau et a empêché le bateau de revenir à la verticale. L'eau de mer a pénétré à l'intérieur de la coque en passant par la porte ouverte à l'arrière de la timonerie ainsi que par la cale à poisson dont le panneau d'écoutille à charnières s'est déplacé.
2.3 État de la mer
Il arrive souvent qu'un bateau rencontre des lames plus grosses que la majorité des autres. À l'occasion, ces fausses lames causent des avaries structurales et font parfois chavirer le bateau. Les conditions de marée et l'état de la mer, combinés au vent fort, ont donné lieu à une mer forte et houleuse.
2.4 Conscience de la situation et traitement de l'information
Il faisait beau lorsque le bateau a appareillé de Gibsons le 13 avril 1994, mais le temps s'est détérioré dans l'après-midi du 14 avril. Le patron savait que les conditions météorologiques avaient changé, et, une fois le bateau au large de Port Neville, il a pénétré dans un secteur où la mer était forte et où il y avait de forts clapotis de marée.
Le patron connaissait les dangers associés aux conditions météorologiques ambiantes, mais il n'avait pas encore décidé s'il allait continuer sa route ou rentrer à Port Neville pour attendre que les conditions s'améliorent.
Le fait que le bateau est sorti en mer par mauvais temps, alors que les ouvertures étanches à l'eau et aux intempéries n'étaient pas fermées hermétiquement, dénote un manque apparent d'appréciation des dangers associés à l'infiltration possible d'eau de mer par ces ouvertures.
2.5 Prise de décision
La pêche s'est transformée avec les années; elle a cessé d'être une occupation fondée sur des connaissances et des aptitudes transmises de génération en génération, pour devenir un travail faisant appel à des aptitudes en gestion et à des qualités d'entrepreneur. De façon générale, la pêche est un travail à coefficient de risque élevé, et les pêcheurs ont toujours eu pour attitude d'accepter les risques qu'elle comporteNote de bas de page 4.
Il s'ensuit que, pendant les étapes initiales et tout au long du processus de prise de décision, on minimise souvent les menaces que pose un environnement hostile et on ne réagit qu'une fois en présence du danger, ce qui entraîne parfois des conséquences tragiques.
Comme la pêche est une activité exigeante au point de vue physique, l'équipage adopte des pratiques permettant de faciliter les opérations. Ces pratiques, lorsqu'on s'y conforme de façon continue, finissent par devenir des habitudes, si bien qu'elles occasionnent des changements dans les attitudes et les perceptions qui peuvent par inadvertance compromettre la sécurité. En l'occurrence, on n'a pas fermé les ouvertures étanches à l'eau et aux intempéries pendant qu'on était en mer, de sorte qu'un envahissement par les hauts a pu se produire et se poursuivre jusqu'à ce que le bateau chavire.
3.0 Faits établis
- Le franc-bord arrière effectif et la stabilité transversale du bateau étaient considérablement réduits en raison du grand nombre de nasses à crevettes qui étaient arrimées sur le pont arrière. De plus, le fardage associé aux nasses à crevettes et à la bâche, l'état de la mer et les citernes partiellement remplies ont empiré la situation.
- La porte à l'extrémité arrière de la timonerie et le panneau d'écoutille à charnières de la cale à poisson étaient ouverts et n'étaient pas fermés hermétiquement, de sorte qu'un envahissement par les hauts a pu se produire et entraîner le chavirement du bateau.
- Le patron savait qu'un avertissement pour les petites embarcations était en vigueur pour le secteur où le bateau devait naviguer, mais il a poursuivi son voyage.
- Le matelot a reçu l'ordre de déployer les stabilisateurs, mais le bateau a chaviré avant qu'il puisse le faire.
- On n'a pas eu le temps de récupérer les gilets de sauvetage ou les engins d'urgence.
3.1 Causes et facteurs contributifs
Le franc-bord arrière effectif et la stabilité transversale du «LADY DEVINE» étaient considérablement réduits en raison du nombre de nasses à crevettes arrimées sur le pont arrière. Le temps s'est détérioré plus tard dans la journée, et les stabilisateurs n'ont pas été déployés.
Les nasses à crevettes empilées et une bâche de nylon, qui présentaient une grande surface exposée au vent fort, ont agi comme une grande voile, ce qui a gêné le redressement du bateau. Le bateau a embarqué de l'eau qui s'est accumulée sur le pont découvert, a subi un envahissement par les hauts et a chaviré sur tribord. L'eau de mer a atteint les compartiments situés sous le pont à l'avant, après être entrée par la porte laissée ouverte à l'arrière de la timonerie ainsi que par la cale à poisson dont le panneau d'écoutille à charnières, qui n'était pas fermé hermétiquement, s'est déplacé.
4.0 Mesures de sécurité
4.1 Mesures de sécurité prises
4.1.1 Ouvertures mal fermées
Une fois de plus, des ouvertures qui n'étaient pas fermées hermétiquement ont compromis l'intégrité de l'étanchéité à l'eau et ont contribué à provoquer un accident mortel en mer.
Vu la récurrence persistante des pertes de navires dues à des ouvertures mal fermées, et par suite du naufrage des navires de pêche «NADINE» et «CAPE ASPY» pour des raisons analogues, le Bureau a recommandé que Transports Canada mette au point et prenne des mesures pour s'assurer que les propriétaires, les exploitants et les capitaines de navires qui relèvent de sa compétence reçoivent la formation voulue et disposent de procédures concernant la fermeture de toutes les ouvertures extérieures et intérieures de leurs navires afin de préserver l'intégrité de l'étanchéité de la coque dans les conditions ambiantes rencontrées (M93-01). En outre, à une autre occasion, après le naufrage du bateau de pêche «NORTHERN OSPREY», le Bureau a recommandé que Transports Canada s'efforce de sensibiliser les armateurs, les officiers et les équipages de bateaux de pêche aux très graves conséquences que peut avoir le fait de laisser ouvertes en mer les portes étanches ou les autres ouvertures d'accès (M92-04).
En conséquence, la Garde côtière canadienne (GCC) a publié un Bulletin de la sécurité des navires demandant instamment aux navigateurs et aux exploitants de tenir les ouvertures étanches à l'eau de leurs navires fermées hermétiquement en tout temps sauf lorsqu'il est absolument nécessaire de les ouvrir afin d'accéder aux compartiments (no 16/92). Transports Canada a aussi redistribué les bulletins nos 1/83 et 4/87 sur le même sujet.
On croit également savoir que dans les examens de capitaine, de lieutenant et de mécanicien, les examinateurs de la GCC vont insister davantage sur l'importance de l'intégrité de l'étanchéité à l'eau et l'influence de celle-ci sur la stabilité du navire afin de sensibiliser l'industrie au problème.
Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. La publication de ce rapport a été autorisée le par le Bureau qui est composé du Président John W. Stants et des membres Zita Brunet et Hugh MacNeil.
Annexes
Annexe A - Photographies
«LADY DEVINE»
Annexe B - Sigles et abréviations
- ar.
- arrière
- av.
- avant
- BHP
- puissance au frein
- BPC
- bateau de pêche canadien
- BST
- Bureau de la sécurité des transports du Canada
- C
- Celsius
- C.-B.
- Colombie-Britannique
- CCS
- Centre de coordination du sauvetage
- cm
- centimètre(s)
- ERS
- embarcation rapide de sauvetage
- franc-bord
- Distance entre le niveau de l'eau à l'extérieur du navire et la partie supérieure du pont à la demi-longueur.
- GCC
- Garde côtière canadienne
- GRC
- Gendarmerie royale du Canada
- h
- heure(s)
- HAP
- heure avancée du Pacifique
- kg
- kilogramme(s)
- m
- mètre(s)
- mm
- millimètre(s)
- N
- nord
- NGCC
- navire de la Garde côtière canadienne
- OMI
- Organisation maritime internationale
- pavois
- Partie de coque au-dessus du pont.
- SI
- système international (d'unités)
- SRGC
- station radio de la Garde côtière
- tjb
- tonneau(x) de jauge brute
- UTC
- temps universel coordonné
- VFI
- vêtement de flottaison individuel
- VHF
- très haute fréquence
- W
- ouest
- °
- degré(s)
- ′
- minute(s)
- ″
- seconde(s)