Rapport d'enquête maritime M95W0095

Chavirement
de la barge « SEASPAN 195 »
pendant son chargement le long du bord
du vraquier auto-déchargeur « ATLANTIC SUPERIOR »
à Plumper Sound (Colombie-Britannique)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    Le 14 août 1995 à 4 h 10, la barge « SEASPAN 195 », assistée du remorqueur «JACQUES CARTIER», a chaviré pendant qu'elle se trouvait le long du bord du « ATLANTIC SUPERIOR » en train d'être chargée de gypse. On procédait aux derniers réglages de l'assiette de la barge lorsque celle-ci a brusquement donné de la bande sur tribord et déversé à la mer toute sa pontée. Le côté bâbord du caisson de chargement a accroché le côté bâbord du pont principal du « ATLANTIC SUPERIOR ».

    Le second de l'ensemble remorqueur/barge, qui se trouvait sur le pont du «ATLANTIC SUPERIOR» quand la barge a chaviré, a eu les deux jambes coincées et a subi des fractures multiples.

    Autres renseignements de base

    Fiches techniques des bâtiments

    Nom « ATLANTIC SUPERIOR » « ATLANTIC SUPERIOR »
    Port d'immatriculation Nassau, Bahamas Vancouver (C.- B.)
    Pavillon Bahamien Canadien
    Numéro officiel 383533 344689
    Type Vraquier auto-déchargeur Barge à plat-pont aménagée pour le transport de granulats
    Jauge bruteNote de bas de page 1 23 955 tonneaux 1 623,91 tonneaux
    Longueur 222,5 m hors tout 63,4 m hors tout
    Cargaison Gypse Gypse
    Équipage 35 personnes Aucun
    Construction 1982, Collingwood (Ont.) 1970, North Vancouver, (C.-B.)
    Propulsion Diesel Sulzer 11 095 BHP Aucun moyen de propulsion
    Propriétaires Société maritime CSL Inc. Montréal (Qué.) Seaspan International Ltd., North Vancouver (C.-B.)
    Gestionnaires/Affréteurs CSL International Inc., Beverly, Massachusetts, É.-U. Lafarge Construction Materials, Abbotsford (C.-B.)

    Le « ATLANTIC SUPERIOR » est un vraquier auto-déchargeur dont la passerelle et la salle des machines se trouvent à l'arrière et qui comporte 22 panneaux à l'avant qui donnent accès à cinq cales à cargaison. Le navire est doté de deux bandes transporteuses passant dans des tunnels sous les cales à cargaison, de même que d'un mât de déchargement de 79,55 m de longueur dont le point de pivotement se trouve à l'arrière. Le navire possédait des certificats d'inspection à jour de sa société de classification et des Bahamas.

    La barge « SEASPAN 195 » est une barge à plat-pont en acier soudé; le pont est revêtu de béton recouvert d'une couche d'asphalte. Elle a un pont avant surélevé ainsi qu'un fond plat, les extrémités élancées, une coque à doubles bouchains, et elle est munie de deux crosses de remorquage. La coque est divisée en 15 compartiments étanches par deux cloisons longitudinales et 4 cloisons transversales. Ces compartiments morts ne servent pas au transport de lest liquide.

    La barge est dotée d'un caissonde chargement permanent en acier. Ce caisson est ouvert et ses côtés ont 2,13 m de hauteur. La paroi intérieure est lisse et il y a des jambettes en acier à l'extérieur. Le caisson comporte un panneau partiellement ouvert près du milieu de la barge, du côté bâbord.

    Comme il s'agissait d'une barge sans équipage ne transportant pas de polluants, la «SEASPAN 195» n'était pas tenue d'être inspectée par la Sécurité maritime de Transports Canada (TC). Comme elle n'était pas exploitée pour des voyages internationaux, elle n'avait pas de ligne de charge attribuée, et n'était pas assujettie à des critères de stabilité réglementaires. Cependant, la barge « SEASPAN 195 » avait des marques de franc-bord et une échelle de tirant d'eau.

    Une inspection de l'état de la barge « SEASPAN 195 » avait eut lieu le 1er juin 1995 avant l'affrètement de cette dernière. à cette occasion, elle avait été mise en cale sèche pour inspection et radoub. Tous les compartiments sous le pont étaient intacts et secs.

    Le « ATLANTIC SUPERIOR » est arrivé au mouillage de Plumper Sound dans la soirée du 13 août 1995 avec une cargaison de gypse et de calcaire à ciment chargée à Santa Rosalia, au Mexique. Environ 14 500 tonnes métriques (t) de gypse devaient être déchargées dans des barges à Plumper Sound. Le reste de la cargaison était destiné à Seattle, dans l'État de Washington, aux É.-U.

    Le 13 août à 20 h , un inspecteur délégué par l'expéditeur est monté à bord de l'«ATLANTIC SUPERIOR» pour vérifier le tirant d'eau. Après correction pour tenir compte de la densité relative de l'eau de mer à cet endroit, il a évalué le port en lourd total de la cargaison à 35 743 t.

    Lafarge Construction Materials, l'affréteur de la barge « SEASPAN 195 », utilisait couramment la méthode de l'auto-déchargement dans des barges à d'autres endroits, depuis six ans, mais ne le faisait que depuis peu à Plumper Sound.

    Vers 00 h 01 le 14 août, la barge « SEASPAN 195 », tirée par le remorqueur «JACQUES CARTIER», est arrivée à Plumper Sound en provenance de New Westminster (C.-B.), et a attendu le départ de la barge «VANANDA» qu'on était en train de charger le long du bord du « ATLANTIC SUPERIOR ».

    à 1 h 42, la barge « SEASPAN 195 » a été amenée par son côté tribord le long du flanc bâbord de l'« ATLANTIC SUPERIOR », entre les panneaux 6 et 14. Une amarre de l'avant a été frappée au pont avant du vraquier auto-déchargeur et deux pneus ont été installés pour servir de défenses entre les deux bâtiments. Le remorqueur s'est placé près du milieu et du côté bâbord de la barge et une remorque de l'avant a été frappée pour déplacer la barge selon les besoins pendant le chargement. Le patron du remorqueur supervisait le chargement, la répartition de la cargaison, ainsi que l'assiette de la barge le long du bord de l'auto-déchargeur.

    Avant le début de l'opération de chargement, l'inspecteur du tirant d'eau, le second du remorqueur/barge (le second) et l'officier de quart (O quart) de l'« ATLANTIC SUPERIOR » (agissant sur les ordres du second de l'« ATLANTIC SUPERIOR » ) se sont réunis pour échanger verbalement de l'information. Voici ce qui a été décidé pour le chargement :

    • Les communications devaient se faire par poste radio portatif. Les postes devaient être utilisés par le second, l'O quart et le matelot du navire chargé de manoeuvrer le mât de
    • Une cadence de déchargement de 1 500 t à l'heure a été établie, soit le tiers environ de la capacité du mât l'engin de chargement.
    • Il fallait au moins une minute pour arrêter le déchargement (c.-à-d. stopper la bande transporteuse). Comme il est impossible d'atteindre la cadence maximale pendant une période aussi courte qu'une minute, environ 25 t de cargaison seraient déchargées au cours de la séquence d'interruption des opérations.

    Le surveillant du chargement et le second ont inspecté ensemble la barge « SEASPAN 195 » à 1 h 55. En se servant d'un ruban de sondage pour mesurer le franc-bord, on a établi le franc-bord moyen initial à 13 pi 3½ poNote de bas de page 2 et le tirant d'eau moyen connexe à environ 2 po ¼ de plus que la valeur vérifiée pour le navire lège, soit 3 pi 7 po. On a donc décidé de déduire systématiquement environ 48,6 t dans toutes les estimations subséquentes du port en lourd. Une fois le franc-bord moyen initial établi, et après correction pour l'ajout d'une constante du navire lège et de la densité relative de l'eau de mer locale, on a calculé qu'un franc-bord en charge de 14 po correspondait à une cargaison de 3 500 à 3 600 t, ce qui équivalait apparemment à la quantité requise par l'affréteur.

    Le patron et le second de l'ensemble remorqueur/barge étaient en communication presque constante par radiotéléphone; le second se servait d'un poste radio portatif. Le second était aussi assisté d'un matelot du remorqueur. Pendant les opérations de chargement, le second se trouvait surtout à bord de l'« ATLANTIC SUPERIOR », auprès de l'O quart de ce navire. Le matelot se tenait sur la barge et aidait à diriger le mât de chargement de façon que la barge demeure toujours à peu près droite. Pour positionner la barge sous le mât de chargement, le remorqueur déplaçait celle-ci vers l'avant ou vers l'arrière selon le cas. L'équipage du navire aidait au besoin avec l'amarre de la barge, et faisait pivoter le mât vers l'intérieur ou vers l'extérieur selon les instructions.

    Les courants de marée portent vers le nord-ouest dans Plumper Sound, atteignant des vitesses maximales de deux ou trois noeuds. La barge a chaviré environ 1,7 heure après la marée basse. La mer était peu agitée et des vents légers soufflaient du sud-est. Comme l'«ATLANTIC SUPERIOR» se trouvait face au vent et au courant, le vent poussait le gros du nuage de poussière s'élevant de la cargaison droit vers l'arrière, et quelqu'un se trouvant sur le remorqueur pouvait difficilement voir le sommet des monticules de la cargaison. La visibilité était meilleure à bord du vraquier. Selon les témoignages, les pulvérisateurs du mât de chargement étaient en marche pour supprimer la poussière créée par le transbordement de la cargaison.

    Le chargement de la barge « SEASPAN 195 » a commencé à 2 h 06. Les intervenants ont fourni des témoignages contradictoires concernant le déroulement du chargement et la répartition de la pontée sur la barge. On ne connaît précisément ni la façon dont le chargement s'est déroulé ni la distribution exacte de la cargaison.

    De façon générale, on sait que de trois à six monticulaes de cargaison ont été formés de l'arrière à l'avant, après quoi le chargement a été interrompu vers 3 h 30 pour vérifier le tirant d'eau de la barge. Les parois bâbord et tribord des monticules de cargaison descendaient en pente jusqu'aux rebords supérieurs du caisson de chargement, et certains creux entre les monticules étaient partiellement comblés par la cargaison déversée par le mât pendant le déplacement de la barge. Apparemment, un monticule à mi-longueur du chaland était un peu plus bas que les autres à cause de l'ouverture dans la paroi latérale de bâbord du caisson de chargement, et la pontée commençait à environ 4,5 m de l'extrémité avant de la barge pour se terminer à quelque 7,5 m de l'arrière.

    Vers 3 h 45, l'inspecteur et le second ont déterminé que le franc-bord moyen était de 26 po ½. L'inspecteur a calculé qu'environ 3 259 t de matériaux avaient été chargées, et il a prévenu le second qu'il restait encore environ 400 tonnes à charger pour compléter la cargaison totale requise de 3 500 à 3 600 t. Jusqu'à 3 h 30, le chargement de la barge s'est déroulé à une cadence d'environ 3 200 tonnes métriques à l'heure.

    La barge a ensuite été déplacée et le chargement a continué pendant une minute, environ, du côté tribord arrière pour corriger une légère gîte. Le second a revérifié le franc-bord à l'arrière, après quoi le chargement a repris pendant environ une minute du côté bâbord arrière. Le franc-bord à l'arrière a été à nouveau vérifié, cette fois par le matelot de la barge pendant que le second montait à bord de l'« ATLANTIC SUPERIOR ». Le matelot a indiqué que le franc-bord arrière était de 14 po du côté bâbord et de 18 po du côté tribord, et on a noté, pendant et après ces derniers appoints de cargaison, qu'une partie du vrac s'écoulait par-dessus les côtés du caisson de chargement.

    Le second se tenait sur le pont de l'« ATLANTIC SUPERIOR » face au milieu de la barge alors que l'O quart et l'inspecteur du tirant d'eau étaient à ses côtés. Même si le mât était placé de façon à charger juste à tribord de l'axe longitudinal de la barge, sur le monticule arrière de la pontée, il y avait toujours environ 4,5 m d'espace libre sur le pont à l'extrémité avant de la barge, et environ 7,5 m à l'arrière. Le second a donné l'ordre de reprendre le chargement pendant cinq minutes avant de vérifier à nouveau le franc-bord de la barge.

    Peu après la reprise du chargement, la couche superficielle des monticules arrière de gypse a commencé à glisser en coulée régulière et à se déverser par-dessus les côtés du caisson de chargement. Il n'y avait pas de communication entre le patron et le second de l'ensemble remorqueur/barge. Comme la barge prenait une gîte prononcée sur tribord, le matelot qui se trouvait sur celle-ci a sauté à bord du remorqueur, sain et sauf.

    à 4 h 10, environ trois minutes après la reprise du chargement, la barge a brusquement roulé sur tribord pendant une période qui sera plus tard évaluée à une dizaine de secondes. Lorsque la barge a commencé à gîter, le remorqueur «JACQUES CARTIER» a fait promptement machine arrière pour s'écarter, rompant ainsi la remorque. Comme la gîte s'accentuait, la pontée s'est soudainement déversée par-dessus bord. à cause de l'augmentation brusque de la poussée d'Archimède ainsi créée sur la barge allégée et presque chavirée, celle-ci est brusquement sortie de l'eau et la paroi latérale bâbord du caisson de chargement s'est accrochée au plat-bord et à la rambarde du pont principal du côté bâbord de l' « ATLANTIC SUPERIOR ». Le second a eu les jambes coincées.

    On a actionné la commande d'arrêt d'urgence du mât de chargement et le chargement s'est interrompu peu après. L'« ATLANTIC SUPERIOR » présentait une gîte sur bâbord. Selon les témoignages, 350 t de lest liquide ont été nécessaires pour redresser le navire. Certains panneaux de chargement n'ont pu être fermés parce que les rails du portique étaient endommagés.

    Le second souffrait de fractures ouvertes aux deux jambes. Il a fini par être dégagé et transporté par un aéroglisseur de la Garde côtière canadienne à Vancouver (C.-B.) pour y être hospitalisé.

    Les personnes qui participaient au chargement de la barge possédaient les brevets et les certificats requis pour leurs fonctions respectives. L'équipage de l'« ATLANTIC SUPERIOR » avait l'expérience des opérations de chargement et de déchargement.

    Le second naviguait depuis 1961 et il avait servi à bord d'un auto-déchargeur des Grands Lacs au cours de la saison 1975-1976. Il avait déjà travaillé dans l'industrie du remorquage et avait déjà chargé à une occasion, en 1990, une barge placée le long du bord d'un auto-déchargeur. Il était entré au service de Lafarge Construction Materials cinq jours avant l'accident, et c'était sa première participation au chargement à partir d'un auto-déchargeur pour cet employeur.

    Le patron du remorqueur avait déjà fait du chargement le long du bord d'auto-déchargeurs à quatre ou cinq occasions.

    L'inspecteur du tirant d'eau est expert maritime depuis 1992. Il est titulaire d'un brevet de capitaine et d'une maîtrise en gestion maritime.

    Lafarge Construction Materials décrit ses directives à l'intention de son personnel de bureau et de navire dans ses Master Standing Orders (Ordres permanents à l'intention des capitaines). Le volume est divisé en sections qui portent sur des sujets comme la santé et la sécurité au travail, le Système d'information sur les matières dangereuses en milieu de travail et les fonctions des capitaines des navires de la société.

    Les ordres permanents précisent que la responsabilité de la formation de l'équipage incombe au capitaine. Le second n'avait pas reçu de formation en bonne et due forme, mais il avait discuté avec le patron du remorqueur de l'opération de chargement avant qu'elle ne débute. Le second ne disposait que de chiffres approximatifs concernant la quantité de marchandises pouvant être chargée en pontée et les francs-bords auxquels il fallait interrompre le chargement. L'inspecteur du tirant d'eau avait en main un exemplaire de l'échelle de charge de la barge pour faire ses calculs.

    Une section des ordres permanents de la société qui contient des consignes pour le chargement des barges, stipule en partie ce qui suit :

    à moins d'autorisation contraire, il convient, pour le chargement de toutes les barges, de respecter les exigences ci-après :

    1. Franc-bord minimal : avant - 24 po; arrière - 12 po
    2. Élancement minimal - 12 po Gîte maximale - 4 po
    3. Le chargement doit être réparti également sur le pont et la cargaison, même en monticules, doit être arrimée pour en éviter le ripage ou la perte.

    Au moment de l'accident, les ordres permanents de l'entreprise ne contenaient rien qui aurait pu guider les équipages de remorqueurs/barges dans le chargement ou l'arrimage des barges le long du bord d'auto-déchargeurs. En outre, on n'y prévoyait pas de formation ni de mise à jour des connaissances des nouveaux employés concernant ces aspects du travail.

    La barge « SEASPAN 195 » a pu être dégagée du côté de l'« ATLANTIC SUPERIOR » le 24 août à 19 h 30, avant d'être redressée. L'examen n'a pas permis de découvrir de voies d'eau dans la coque avant le chavirement. Les avaries constatées incluaient l'affaissement et le flambement de couples, de cloisons et du bordé de la muraille. Il a fallu remplacer la paroi du caisson de chargement, de même que des sections du bordé et du revêtement du pont principal.

    L'« ATLANTIC SUPERIOR » a été réparé temporairement avant d'obtenir un certificat provisoire de sa société de classification lui permettant de quitter Plumper Sound. Les réparations permanentes ont plus tard été faites à Seattle. Les avaries étaient limitées au côté bâbord du navire et touchaient les rambardes, les tuyaux d'air, les rails du portique et d'autres accessoires, de même que des dommages au bordé de la muraille et le flambement de couples, de serres et de membrures.

    Entre 21 h le 13 août et 1 h 35, le 14 août, juste avant le début du chargement de la barge « SEASPAN 195 », l'« ATLANTIC SUPERIOR » avait déchargé sans problème 5 564 t de sa cargaison à bord de la barge «VANANDA».

    Le 10 mai 1979, la barge « SEASPAN 195 », qui était amarrée en charge le long du bord de l'auto-déchargeur «CHAVEZ» au mouillage dans Saanich Inlet (C.-B.), a chaviré et est restée accrochée au côté du navire à peu près comme dans dans le cas du présent accident. En raison de l'absence de témoin lors de ce premier accident, la cause du chavirement n'avait pu être établie.

    Après le dernier accident, la Division maritime de Larfarge Construction Materials a revu ses méthodes d'acconage et a préparé une «Liste de vérifications de la méthode d'acconage» qu'elle a intégrée à ses ordres permanents. Cette liste précise les principales tâches à exécuter pendant le chargement; les éléments de la liste doivent être cochés pour indiquer les mesures prises pour assurer la sécurité du chargement.

    Analyse

    Les ordres permanents de Lafarge Construction Materials exigent un franc-bord moyen minimal de 18 po, ce qui correspond à la ligne de charge affectée. Selon l'échelle de charge vérifiée de la barge, ce franc-bord équivaut à une charge totale (en eau salée) de 3 551 t. Compte tenu de la densité relative locale de l'eau de mer et de la «constante» déterminée au début du chargement, cette valeur devait être réduite à 3 488 t.

    Selon les témoignages, les calculs effectués à 3 h 45 indiquaient que la cargaison que l'affréteur avait demandé de charger à bord de la barge donnerait un franc-bord moyen de 14 po une fois le chargement terminé. Ce franc-bord devait correspondre à un port en lourd total d'environ 3 644 t, et à une cargaison finale de 3 595 t.

    Même si la ligne de charge affectée à la barge « SEASPAN 195 » ne s'appliquait pas au moment de l'accident, la barge, avec un franc-bord de 14 po, n'avait pas son franc-bord minimum d'été et ne respectait pas non plus le minimum prescrit dans les consignes de l'affréteur relatives au chargement des barges.

    Les conditions météorologiques étaient presque idéales pour le chargement, mais les pulvérisateurs anti-poussière du mât de chargement étaient inefficaces et la visibilité à bord du remorqueur et de la barge était très réduite.

    Pendant tout le chargement, le patron et le second de l'ensemble remorqueur/barge étaient en communication par radiotéléphone; toutefois, à cause des nuages de poussière créés par la manutention du gypse, le patron n'était pas toujours capable de voir, de sa position à bord du remorqueur, la distribution et la disposition de la cargaison. De plus, comme la cadence de chargement effective (+/- 3 000 tonnes métriques/heure) correspondait à environ le double de ce qui avait été convenu avant le début du chargement de la barge, le patron pouvait difficilement contrôler efficacement la distribution et l'arrimage de la cargaison. Pourtant, ni le patron ni le second n'ont demandé de réduire la cadence de chargement.

    Les renseignements recueillis au cours de l'enquête indiquent qu'exception faite des secteurs où le chargement s'est poursuivi pendant le déplacement de la barge, la majorité des creux entre les monticules de la cargaison n'étaient pas bien arrimés. Certains monticules étaient plus hauts que la hauteur habituelle. à cause des zones libres et inutilisées aux extrémités avant et arrière du pont, la cargaison n'était, de toute évidence, pas distribuée uniformément à bord de la barge.

    Après le contrôle du tirant d'eau, lorsque le matelot du remorqueur/barge a mesuré le franc-bord à l'arrière, le patron, même s'il était, selon son témoignage, inquiet de l'arrimage et de la quantité de cargaison qui restait à charger, n'est pas intervenu pour aider ou conseiller le second. S'il y avait eu dialogue entre le patron, le second du remorqueur/barge et l'O quart du navire, si on s'était entendu formellement sur une séquence de chargement plus précise à laquelle on se serait tenu, la pontée aurait pu être répartie de façon à éviter le chavirement.

    Comme les témoins ont fourni de l'information divergente concernant l'emplacement, la hauteur et le nombre de monticules de la cargaison, il a été impossible de déterminer avec certitude la répartition des monticules et leurs centres de gravité. Par conséquent, il est impossible de faire une analyse précise des caractéristiques de stabilité de la barge en charge juste avant le chavirement. En outre, le calcul du port en lourd réel a pu être inexact parce qu'il se fondait sur la mesure du franc-bord plutôt que sur une lecture, plus précise, des marques de tirant d'eau.

    On sait toutefois que les derniers appoints de cargaison ont été fait du côté tribord , sur les parois en pente de monticules existants, et qu'une partie du gypse ainsi déversé s'est écoulée par-dessus le côté du caisson de chargement. Lorsque le chargement s'est poursuivi, le moment inclinant ainsi généré a fait en sorte que l'angle de repos naturel des parois tribord en pente des monticules de la cargaison a été dépassé, ce qui a déclenché le ripage transversal soudain et de plus en plus rapide de la cargaison.

    Les effets combinés du ripage du gypse sur les parois tribord en pente des monticules et des nouveaux appoints de cargaison ont provoqué un moment inclinant supérieur à la capacité de redressement de la barge, laquelle s'est brusquement retournée par tribord.

    Faits établis

    1. Les mesures du franc-bord prises juste avant le chavirement montrent que la barge « SEASPAN 195 » avait une cargaison d'environ 3 540 t en pontée.
    2. La cargaison en pontée n'était pas répartie uniformément ni transversalement ni longitudinalement.
    3. La pontée était constituée de monticules de hauteurs variées, certains étant plus élevés que la hauteur normale.
    4. Les derniers appoints de vrac ont été faits du côté tribord, l'angle de repos naturel des parois tribord en pente des monticules a été dépassé, une partie de la cargaison a ripé et s'est déversée par-dessus la paroi latérale du caisson de chargement, ce qui a provoqué un ripage soudain et de plus en plus rapide de la pontée.
    5. Les moments d'inclinaison longitudinale et transversale générés par le ripage de la pontée vers tribord ont empêché le redressement de la barge et provoqué son chavirement.
    6. Après le déversement de la pontée causé par l'accentuation de la gîte, l'accroissement de la poussée d'Archimède exercée sur la barge allégée et presque chavirée a provoqué l'élévation de celle-ci dont la paroi latérale bâbord est restée accrochée au plat-bord et à la rambarde du pont principal du côté bâbord de l'« ATLANTIC SUPERIOR ».
    7. Le second du remorqueur/barge a subi de graves blessures aux jambes parce qu'il s'est retrouvé coincé entre la barge et le pont de l'« ATLANTIC SUPERIOR ».
    8. Les instructions de chargement ont été données verbalement; il n'y avait pas de plan de chargement écrit et la séquence du chargement, le port en lourd utile et les francs-bords moyens minimaux à la fin du chargement n'avaient pas été précisés formellement avant le début du chargement.
    9. La ligne de charge affectée qui donnait un franc-bord minimal d'été de 18 po n'était pas applicable pour le type de transport auquel la barge était employée.
    10. Le franc-bord moyen final de 14 po recherché, établi à partir de mesures du tirant d'eau faites peu avant le chavirement, était inférieur au minimum de 18 po prescrit dans les ordres permanents des exploitants de la barge.
    11. Le système de pulvérisation d'eau anti-poussière installé sur le mât de chargement n'a pas suffit à éviter la formation d'un nuage de poussière qui a empêché ceux qui participaient au chargement de bien suivre la distribution de la cargaison sur le pont.
    12. L'adoption d'une «constante» pour tenir compte d'une augmentation apparente du poids à lège vérifié de la barge peut avoir résulté du fait qu'on s'est fondé sur des mesures du franc-bord plutôt que sur une lecture, plus précise, des marques de tirant d'eau.
    13. Au moment de l'accident, les ordres permanents de la société ne contenaient rien pour guider les équipages de remorqueurs/barges dans le chargement ou l'arrimage de barges le long du bord d'auto-déchargeurs.