Rapport d'enquête maritime M95W0121

Chavirement et naufrage du bateau de pêche « INSKIP »
au large de Vansittart Point, détroit de Johnstone,
Colombie-Britannique

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    Le 29 août 1995 au matin, le temps était clair et les eaux calmes dans le détroit de Johnstone. Vers 8 h 35Note de bas de page 1, le bateau de pêche « INSKIP » a soudainement chaviré au moment de la levée de la prise de saumons par l'arrière lorsque la charge a glissé sur bâbord. En raison de l'envahissement des cales à poisson qui étaient déjà remplies de poisson capturé précédemment, le senneur en bois a coulé rapidement. L'équipage et la famille du patron qui habitaient à bord du « INSKIP » sont montés à bord de l'annexe remorquée sur le flanc du navire et ont été secourus par un autre bâtiment de pêche à proximité. Un des membres de l'équipage a subi des blessures légères après être resté coincé entre le pavois et la charge de poisson lorsque celle-ci a ripé sur bâbord.

    Renseignements de base

    Fiche technique du bâtiment

    Nom « INSKIP »
    Port d'immatriculation Vancouver (C.-B.)
    Pavillon Canadien
    Numéro officiel 140882
    Type Senneur
    Jauge brute 34,7 tonneaux
    Équipage 5
    Invités 1 enfant
    Longueur 16 m
    Construction 1918, Vancouver (C.-B.)
    Propulsion Un moteur diesel (165 HP) Une hélice à pas fixe
    Propriétaires Grayling Graham Campbell River (C.-B.)

    Le « INSKIP » était un senneur à bordé à franc-bord comportant des membrures en chêne et des vaigrages en sapin. La cabine en contreplaqué de sapin se trouvait à l'avant de la cale à poisson. La cale à poisson isolée à la fibre de verre était divisée en trois caisses remplie de glace concassée dans lesquelles le poisson capturé était normalement conservé. Un compartiment de rangement se trouvait à l'arrière de la cale à poisson. Le gréement comportait notamment un mât de charge muni d'une poulie de va-et-vient se trouvant au-dessus de la cabine. À la partie arrière du bateau se trouvait un tambour à senne en aluminium entraîné par deux moteurs hydrauliques, des galets verticaux servant à guider le filet pendant sa remontée au-dessus de l'arrière, ainsi qu'une rampe hydraulique. La rampe pouvait être relevée par commande hydraulique une fois le poisson à bord.

    Après avoir pêché le 28 août au large de Ripple Point dans le détroit de Johnstone, le « INSKIP » avait dans ses cales quelque 9 100 kg (20 000 lb) de saumon sockeye et de « mousseux ». Il mouilla pour la nuit et au matin du 29 août, il appareilla vers le sud pour pêcher à quelques centaines de mètres au large de Vansittart Point sur West Thurlow Island.

    L'équipage se trouvait à l'arrière du bateau pour s'occuper du filet et de l'engin au moment où il a commencé à ramener la capture à bord par la rampe arrière. Lorsque les membres de l'équipage ont relevé la première capture sur la rampe vers 8 h 30, ils ont senti que le treuil ne supportait pas le poids de la charge de poisson, exceptionnellement lourde. L'équipage n'a pas essayé d'embarquer le poisson, mais le courant du câble du mât de charge apiqué fut rapidement fixé de manière à soutenir le filet lorsque la charge commença à retourner à l'eau en glissant.

    La femme du patron-propriétaire manoeuvra le treuil du mât de charge depuis le dessus de la cabine en avant de la cale à poisson. Lorsque le poids s'exerça sur la poulie de tête du mât de charge, le poisson dans le filet se mit à riper sans avertissement sur bâbord et coinça un des membres de l'équipage contre le pavois bâbord. Le « INSKIP » s'inclina soudainement de 90 sur bâbord et l'eau commença à envahir la cale à poisson, les emménagements et le compartiment moteur.

    Heureusement, l'annexe du senneur était à l'eau du côté tribord du «INSKIP». Le membre de l'équipage coincé contre le pavois a réussi à se libérer lorsque le filet se mit à flotter à l'écart du bateau qui gîtait. Ce membre ainsi que les autres membres de l'équipage et la famille du patron embarquèrent à bord de l'annexe. Ils furent secourus par un autre bateau de pêche à proximité.

    Le temps était clément, le vent faible et la mer calme. Le bateau s'enfonça à plus de cent brasses et n'a pu être renfloué.

    L'équipage de cinq membres comprenait la femme du patron-propriétaire qui aidait aux travaux de pont. Une sixième personne, le fils de sept ans du patron, se trouvait aussi à bord. Un des membres de l'équipage était titulaire d'un brevet de compétence de lieutenant de quart et les autres membres de l'équipage, y compris le patron, avaient une vaste expérience dans le domaine de la pêche, sans détenir de brevet. Un bâtiment de pêche de moins de 100 tonneaux de jauge brute n'est pas tenu d'avoir à son bord un capitaine ou un lieutenant titulaire d'un brevet pertinent. Le patron et sa famille vivaient à bord du « INSKIP » depuis juin 1995, date à laquelle ils avaient fait l'acquisition du bateau.

    Le bateau avait fait l'objet d'une inspection (navires à vapeur) en juillet 1995 et obtenu un certificat d'inspection valide jusqu'au 7 juillet 1999. Comme il s'agissait d'un petit bateau de pêche construit avant le 6 juillet 1977 et non engagé dans la pêche au hareng ou au capelan, le « INSKIP » n'était pas tenu de se conformer aux exigences en matière de stabilité prévues à l'article 29 de la partie 1 du Règlement sur l'inspection des petits bateaux de pêche . Par conséquent, aucun calcul de stabilité n'avait été établi pour le bateau, selon ce qu'on en savait.

    Le matelot qui a été coincé entre le pavois et la charge de poisson a subi des blessures à l'abdomen et des fractures aux côtes.

    Analyse

    Le « INSKIP » relevait une grosse charge de poisson à l'aide d'un gros mât de charge apiqué. Selon les principes de stabilité et de physique, le poids de la capture aurait été transféré effectivement à la tête du mât de charge lorsque le treuilliste a enclenché le treuil pour prendre l'effort. Cette manoeuvre aurait relevé le centre de gravité du bateau dans son ensemble et annulé la hauteur métacentrique résiduelle existante. Le bâtiment avait alors une hauteur métacentrique minimale au départ car, étant un vieux bateau de bois, il était peu large, était chargé et soumis à un effet de carène liquide attribuable au déplacement du «mousseux» dans ses cales. Ce «mousseux», semble-t-il, occupait la cale à poisson jusqu'au quart de sa hauteur.

    Les membres de l'équipage, à l'exception d'un matelot, n'avaient aucune formation pertinente et ne pouvaient donc pas réaliser l'ampleur de ce qui pouvait arriver lorsque le centre de gravité virtuel est relevé en raison d'un effet de carène liquide. Cet effet s'ajoute aux effets découlant de la perte de stabilité positive attribuable à la levée de charges à l'aide d'un mât apiqué qui relève davantage le centre de gravité virtuel, et de la diminution de la capacité du bâtiment à se redresser.

    Le document intitulé « Safe Working Practices for Commercial Fishing Vessels » publié par la Workers Compensation Board de la Colombie-Britannique renferme les méthodes de rentrée du poisson à la salabarde et en recommande l'utilisation lorsqu'il est dangereux de relever le filet à bord au moyen du tambour à filet. Cependant, le fait de disposer d'une plus grande puissance hydraulique (treuil), de filets résistants et de rampes donne au pêcheur une impression de sécurité et ce dernier néglige souvent de procéder à la méthode plus laborieuse d'embarquement de sa capture à la salabarde, ce qui à des conséquences désastreuses, comme ce fut le cas avec le « INSKIP ». Transports Canada publie d'autres documents sur la sécurité et la santé des pêcheurs, notamment un portant sur la stabilité des bateaux de pêche. La plupart des pêcheurs ignorent l'existence de ces publications.

    Faits établis

    1. Le bateau embarquait sa première capture de la journée à l'aide d'un mât de charge apiqué pour faciliter la relevée de la charge avec le tambour à filet.
    2. Comme le navire était de fabrication ancienne, il n'était pas tenu de se conformer aux exigences en vigueur en matière de stabilité. Aucun calcul de stabilité n'avait été établi pour le bateau qui n'était pas tenu d'en fournir.
    3. La diminution de la stabilité initiale du bateau a été attribuable à une diminution virtuelle de la hauteur métacentrique causée par la charge exercée sur le mât apiqué, l'effet de carène liquide produit par le «mousseux» et l'eau dans la cale à poisson, ainsi que par la charge de poisson sur le pont.
    4. Le bateau a chaviré lorsque le filet rempli de poisson a ripé sur bâbord et que l'eau a envahi la cale à poisson.
    5. Les membres de l'équipage et la famille du patron ont réussi a quitté le navire en perdition en montant dans l'annexe à bord de laquelle ils se trouvaient lorsqu'ils ont été secourus.

    Causes et facteurs contributifs

    Le « INSKIP » a chaviré en raison de la perte de stabilité dont il a été l'objet. Parmi les facteurs contributifs de l'accident, on compte notamment l'effet de carène liquide attribuable au ripage du poisson sur le pont et dans la cale, ainsi que la levée d'une charge importante au moyen du mât de charge apiqué.

    Le présent rapport conclut l'enquête du Bureau de la sécurité des transports. Par conséquent, le Bureau, composé du président, Benoît Bouchard, ainsi que des membres, Maurice Harquail et W.A. Tadros, en a autorisé la publication, le .