Rapport d'enquête maritime M96N0061

Naufrage
du navire de pêche « NORTHERN VOYAGER »
à environ 47 milles à l'est de
St. Anthony (Terre-Neuve)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    Le 27 juin 1996, pendant un voyage vers les bancs de pêche du détroit de Davis, le fileyeur « NORTHERN VOYAGER » a pris une gîte prononcée sur bâbord, a été envahi par les hauts et a coulé l'arrière en premier vers 7 h 09. Les 13 membres de l'équipage ainsi qu'un fonctionnaire du ministère des Pêches et des Océans (MPO) ont abandonné le navire à bord de deux radeaux pneumatiques et ils ont été recueillis, indemnes, par un autre bâtiment de pêche. Aucune pollution n'a été signalée à la suite de l'accident.

    Renseignements de base

    Fiche technique du navire

    Nom « JOHN HAMILTON GRAY »
    Port d'immatriculation St. John's (T.-N.)
    Pavillon Canada
    Numéro officiel 811361
    Type Fileyeur/palangrier
    Jauge brute 105 tonneaux
    Longueur 20 m
    Équipage 13 plus un fonctionnaire du MPO
    Construction 1989, St. Albans (T.-N.)
    Propulsion Cummins VTA 28 M, 261 kW
    Propriétaire M. Leyte, Fogo (T.-N.)

    La cale à poisson du navire avait une capacité volumique de 96 m3, les citernes de mazout pouvaient contenir 15 899 litres, et les citernes d'eau douce, 3 785 litres. Selon les témoignages, les citernes de mazout et d'eau douce du navire étaient pleines au moment du départ de Seldom (Terre-Neuve), vers 14 h 30Note de bas de page 1, le 26 juin 1996. Le navire avait également à bord des approvisionnements d'un poids inconnu mais en quantité suffisante pour un voyage d'un mois.

    Parmi les autres poids à bord, on peut mentionner environ 18 tonnes métriques (t) de lest permanent réparti près de la carlingue.

    La section avant (le tiers environ) de la cale à poisson contenait 400 caisses de glace en plastique semi-emboîtées, d'une capacité de 70 litres chacune, tandis que l'arrière était partiellement rempli de 350 filets pesant 35,9 t. La température de la cale à poisson isolée n'était pas connue et elle n'a pas été consignée.

    La cambuse contenait 1,6 t de ligne, soit 8 000 brasses lovées en 40 rouleaux pesant chacun 41 kg.

    Sur le pont principal, il y avait 300 filets d'un poids de 9,5 t, arrimés sur toute la largeur du pont et sur toute la hauteur disponible derrière la passerelle.

    Huit rouleaux de cordage, d'un poids total de 327 kg, étaient arrimés dans le vivier sur le pont principal.

    Sur le pont supérieur, dans deux bacs de 1,8 m de hauteur, il y avait 200 filets pesant au total 6,4 t. On retrouvait aussi sur le pont supérieur 18 rouleaux de cordage d'un poids combiné de 735 kg.

    Comme il était neuf, le navire était muni sur le pont supérieur, derrière la timonerie, d'un bâti en A auquel étaient fixées des perches stabilisatrices avec paravanes. Ce type de stabilisateur sert à amortir le roulis par gros temps. L'usage à bord du navire était de déployer les paravanes chaque fois que le navire quittait un mouillage, peu importent les conditions météorologiques. Lors de ce voyage, les paravanes ont été déployées après le départ de Seldom.

    Il y avait aussi sur le pont supérieur une grue hydraulique d'un poids inconnu.

    Le navire était muni de trois pompes hydrauliques séparées, entraînées mécaniquement soit par la machine de propulsion principale ou par la génératrice auxiliaire. Lorsque la température est au-dessus du point de congélation, il faut amorcer la pompe en ouvrant un robinet de prise d'eau à la mer puis ouvrir un clapet de non-retour sur le collecteur pour épuiser l'eau de la cale à poisson.

    Dans la timonerie, trois alarmes de cale étaient montées : la première était reliée aux compartiments sous la cale à poisson (canaux d'écoulement), la seconde, au compartiment machine et la troisième, à la cambuse.

    Le patron du « NORTHERN VOYAGER » a indiqué que le fond de la cale à poisson avait été asséché à Seldom avant le chargement de la glace et des filets, et que le dispositif n'avait pas été utilisé après le départ.

    Dans la nuit du 26 au 27 juin, la visibilité était mauvaise, variant entre 0,5 mille et 1 mille selon les estimations. Un vent de 15 à 20 noeuds soufflait du sud-est et la mer atteignait 1 mètre. Le navire suivait à l'origine une route au nord-est, mais il l'a changée plus tard pour une route au nord-ouest; c'est dire qu'il a surtout fait route avec le vent et la mer arrière, et qu'il n'embarquait pas d'eau sur le pont. L'allure était d'environ 7 à 8 noeuds.

    Avant de se retirer pour la nuit à 22 h 30 le 26 juin, le patron a inspecté les ponts, les moyens de saisissage, le compartiment machine et le rouf. Il n'y avait rien d'anormal à ce moment-là.

    à un certain moment entre 6 h 30 et 7 h le 27 juin, le patron, de sa cabine à l'extrémité arrière de la timonerie, s'est aperçu que le navire avait pris une gîte à bâbord. à peu près au même moment, les deux matelots de quart dans la timonerie ont aussi pris conscience de la gîte. Apparemment, aucun de ces hommes n'a entendu d'alarme de cale ou un autre dispositif d'alerte avant que le navire ne donne de la bande. Le patron s'est frayé un chemin jusqu'au poste de gouverne/contrôle, situé du côté tribord de la timonerie. L'appareil à gouverner était en mode automatique. Le patron a vainement essayé de placer le navire « nez au vent ». Comme la gîte augmentait, il a placé le moteur au ralenti et a ordonné à l'équipage de revêtir les combinaisons d'immersion et les gilets de sauvetage et de mettre les radeaux pneumatiques à l'eau.

    Alors que la gîte atteignait 60 degrés environ, l'équipage est monté à bord des radeaux de sauvetage. Il y avait 12 personnes dans l'un des radeaux et deux dans l'autre. Le patron, dernier à abandonner le navire, a longé la muraille tribord du navire jusqu'à un radeau de sauvetage. Avant l'abandon, il a noté que le compartiment moteur et le rouf du bateau de pêche étaient secs, mais que la surface de la mer recouvrait à demi le dessus du panneau de la cale à poisson.

    Le « NORTHERN VOYAGER » est demeuré dans la même position pendant une trentaine de minutes, avant de couler l'arrière en premier à 8 h 51 par 5121′54″N et 05422′22″W, dans au moins 120 brasses d'eau. Le renflouement n'est pas envisagé.

    Le « ASHLEY AND BROTHERS », du même propriétaire, avait quitté Seldom à peu près en même temps que le « NORTHERN VOYAGER ». Même s'il ne s'agit pas de navires jumeaux, les deux bâtiments sont de modèle, de tonnage et de configuration similaires.

    Le « ASHLEY AND BROTHERS », chargé à peu près comme le « NORTHERN VOYAGER », était à environ 6,5 milles de celui-ci, suivant une route à peu près parallèle, lorsqu'à 7 h 09, il a capté, sur 2 182 kHz, une demande d'assistance par radio. Le « NORTHERN VOYAGER » avait une gîte à bâbord d'environ 25 degrés qui s'accentuait. Le « ASHLEY AND BROTHERS » a immédiatement retransmis l'information au Centre de communications et de trafic maritimes de St. Anthony. Le navire de la Garde côtière canadienne « SIR WILFRED GRENFELL », ainsi qu'un aéronef des Forces canadiennes qui se trouvait à proximité, ont capté la communication. Le « SIR WILFRED GRENFELL » était à une cinquantaine de milles du « NORTHERN VOYAGER », tandis que l'aéronef se trouvait à environ 28 minutes de vol.

    Par la suite, le « ASHLEY AND BROTHERS » a recueilli les occupants des deux radeaux pneumatiques de sauvetage du « NORTHERN VOYAGER ». Aucun autre navire ou aéronef n'est intervenu.

    Le précédent propriétaire du « NORTHERN VOYAGER » a affirmé que le navire avait déjà affronté, sans lui donner de motifs d'inquiétude, des conditions météorologiques bien pires que celles auxquelles il a fait face après le départ de Seldom. Il n'est nulle part fait mention d'un envahissement antérieur, et le bâtiment était considéré comme étant en bon état avant le naufrage.

    En octobre 1995, au chantier naval Glovertown, tous les passe-coque et les pompes auxquelles ils étaient reliés avaient été mis au jour et inspectés par la Sécurité maritime de Transports Canada (TC) à Lewisporte. Le tube d'étambot avait aussi été déposé et inspecté. Apparemment, la coque était en bon état et les garnitures des accessoires d'étanchéité de la cambuse, du panneau de la cale à poisson et de la porte du pont principal donnant accès aux emménagements, étaient aussi en bon état.

    Comme le navire n'était pas utilisé pour la pêche au hareng et au capelan, la Sécurité maritime de TC n'exigeait pas d'essai de stabilité. Le précédent propriétaire a déclaré avoir fait exécuter cet essai à ses frais; on n'a cependant pas trouvé trace d'un tel essai, ni de quelques données de stabilité que ce soit.

    Les règlements n'imposent pas que les bâtiments du tonnage et du type du « NORTHERN VOYAGER » fassent la preuve de leur stabilité en état d'avarie ou en état d'envahissement partiel. De plus, la Commission des prêts aux pêcheurs n'exige pas, avant d'accorder un prêt, qu'un navire fasse la preuve que ses caractéristiques de stabilité à l'état intact sont satisfaisantes, si un bâtiment similaire a démontré que sa stabilité à l'état intact était conforme aux exigences de la Sécurité maritime de TC.

    Le « NORTHERN VOYAGER » possédait un certificat d'inspection de sécurité (SIC 29) valide au moment du naufrage. Ce certificat, daté du 28 avril 1996, contient la liste des équipements de sauvetage du navire. Voici cette liste :

    • 1 embarcation capable de recevoir 6 personnes;
    • 2 radeaux pneumatiques de sauvetage capables de transporter 22 personnes;
    • 2 bouées de sauvetage;
    • 10 combinaisons d'immersion (l'agent du MPO avait sa propre combinaison d'immersion);
    • 13 gilets de sauvetage.

    Analyse

    Comme le « NORTHERN VOYAGER » avait déjà transporté jusqu'à 500 ou 600 filets sur le pont sans qu'il y en ait aucun dans la cale à poisson, il est improbable que l'arrimage des engins de pêche ait été une des causes du naufrage. Si on se fie à l'expérience passée, les conditions météorologiques n'auraient pas non plus été un facteur.

    Comme la cambuse renfermait 40 rouleaux de ligne, on juge que l'espace inoccupé restant ne pouvait contenir un volume d'eau suffisant pour nuire à la stabilité du navire.

    Selon les témoignages, le rouf et le compartiment machine n'étaient pas inondés au moment de l'abandon du navire, et les effets de l'envahissement de la cambuse ont dû être négligeables. Par conséquent, il semblerait que le « NORTHERN VOYAGER » ait coulé à cause d'une voie d'eau sous la flottaison au droit de la cale à poisson.

    Même si la section avant de la cale à poisson était partiellement remplie de caisses de glace, les deux tiers arrière de ce compartiment contenaient des filets qui étaient beaucoup plus perméables. Les effets de l'envahissement par l'eau de la cale à poisson ont dû, au début, accroître la stabilité du navire en augmentant son poids. Cependant, l'effet de carène liquide de l'eau a vite dû détruire cette stabilité et faire gîter le navire.

    Une gîte d'environ 60 degrés devait fatalement provoquer l'envahissement par les hauts. Le fait que le navire soit resté couché sur le flanc pendant une trentaine de minutes avant de couler l'arrière en premier confirmerait cette hypothèse.

    On ne sait pas si le navire a perdu une paravane, ce qui aurait pu le faire donner de la bande vers la paravane restante, laquelle, le cas échéant, aurait piqué plus profondément dans l'eau. Cependant, si cela s'était produit, le navire aurait normalement dû se redresser dès que la machine principale aurait été coupée, ce qui n'a pas été le cas.

    Les renseignements dont nous disposons ne permettent pas de déterminer si l'envahissement interne initial a été causé par un refoulement dans le système d'assèchement des cales dû à une erreur humaine commise lorsque ce système a été utilisé pour la dernière fois à Seldom, par le bris en cours d'opération d'une soupape défectueuse ou bloquée, ou par une autre cause étrangère.

    Faits établis

    1. Le propriétaire précédent du « NORTHERN VOYAGER » a affirmé que le navire avait affronté, sans lui donner de motifs d'inquiétude, des conditions météorologiques bien pires que celles qu'il a dû subir après avoir quitté Seldom.
    2. Il était déjà arrivé que le navire soit chargé d'un poids de filets encore plus grand sur le pont supérieur et le pont principal sans qu'il y en ait dans la cale à poisson.
    3. L'espace vide de la cambuse ne pouvait contenir un volume d'eau suffisant pour nuire à la stabilité du navire.
    4. Il est probable que le « NORTHERN VOYAGER » a coulé à cause d'une voie d'eau sous la flottaison au droit de la cale à poisson.
    5. La réglementation n'exige pas que les navires du tonnage et du type du « NORTHERN VOYAGER » fassent la preuve de leur stabilité à l'état d'avarie.
    6. Le rôle principal des pompes de la cale à poisson n'est pas la protection en cas d'avarie, mais bien l'évacuation de l'eau provenant de la fonte de la glace, des poissons et du lavage des cales.

    Causes et facteurs contributifs

    Le navire a apparemment eu, sous la flottaison au droit de la cale à poisson, une voie d'eau d'origine inconnue, et il a pris une gîte prononcée sur bâbord, a été envahi par les hauts et a coulé l'arrière en premier.

    Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. La publication de ce rapport a été autorisée le par le Bureau, qui est composé du président, Benoît Bouchard, et des membres, Maurice Harquail, Charles Simpson et W.A. Tadros.