Rapport d'enquête maritime M97L0021

Naufrage
du bateau de pêche « GILBERT D. »
au large des Îles de la Madeleine (Québec)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    Le 16 mars 1997, le début de la saison de chasse aux phoques a été marqué par le naufrage du « GILBERT D. » lorsque ce dernier a été coincé par les glaces au cours de la nuit. Les huit membres de l'équipage ont été transbordés sur un autre bateau pour être ensuite ramenés à terre, sains et saufs, par hélicoptère.

    Renseignements de base

    Fiche technique du navire

    Nom « GILBERT D. »
    Numéro officiel 314179
    Port d'immatriculation Cap-aux-Meules (Québec)
    Pavillon Canada
    Type bateau de pêche
    Jauge brute 49 tonneaux
    Longueur 17,34 m
    Tirant d'eau 2,6 m
    Construction 1961, à Gaspé (Québec)
    Groupe propulseur Un moteur diesel de 169 kW entraînant une hélice à pas fixe
    Équipage 8 chausseurs
    Propriétaire Henri Fred Poirier
    Havre-aux-Maisons Îles de la Madeleine (Québec)

    Le « GILBERT D. » est un bateau de bois recouvert de plastique renforcé de fibre de verre. Le 15 mars 1997, vers 3 h 45Note de bas de page 1, alors qu'une petite flottille se prépare à quitter Cap-aux-Meules en direction des lieux de chasse aux phoques au nord des îles, un brise-glace de la Garde côtière canadienne prend les devant et trace un passage en eau libre à partir de la Pointe de l'est, pour faciliter leur transit jusqu'à leur destination prévue. Les bateaux, dont le « GILBERT D. », doivent atteindre les lieux de chasse le soir même.

    Une fois arrivés sur les lieux, quatre bateaux se retrouvent dans une zone d'eau libre d'environ 0,75 mille marin (M). Ces derniers y passeront la nuit et commenceront la chasse au lever du jour. Pendant la nuit, le vent souffle du nord de 40 à 50 noeuds. Au matin du 16 mars 1997, comme les glaces ont commencé à se resserrer, le « GILBERT D. » et le « JEAN MATHIEU » ont été coincés sans pouvoir se dégager de la zone d'eau libre qui s'était recouverte de glace.

    Sous la pression des glaces exercée sur la coque des deux bateaux, l'avant du « GILBERT D. » s'est soulevé, mais l'arrière est demeuré coincé et la coque a été enfoncée au droit du compartiment moteur. Après avoir constaté les avaries, on s'est rendu compte que lorsque la pression des glaces diminuerait, le compartiment moteur serait envahi et le « GILBERT D. » s'enfoncerait sans que l'équipage ne puisse éviter le naufrage. Ainsi, comme prévu et sans qu'il soit possible d'intervenir, le « GILBERT D. » coule à pic le 16 mars 1997, vers 16 h 10, sans faire de blessé ni de pollution apparente.

    Les membres de l'équipage du « GILBERT D. », qui s'étaient retrouvés sur la banquise, ont été transbordés sur le bateau de pêche « BEL ESPOIR » puis transportés par un hélicoptère de la Garde côtière canadienne en direction des îles.

    Le certificat d'inspection du « GILBERT D. » émis le 28 octobre 1993 n'était valide que jusqu'au 1er décembre 1995. Le bateau n'avait pas participé à la saison de pêche de 1996, car le propriétaire avait pris livraison d'un autre bateau de pêche neuf et en acier, qui devait remplacer le « GILBERT D. ». Toutefois, à la demande du propriétaire et par suite d'une inspection de la coque effectuée le 26 février 1997, le certificat du « GILBERT D. » a été prolongé jusqu'au 27 octobre 1997.

    Habituellement, les certificats d'inspection des petits bateaux de pêche sont valides pour une période de quatre ans. Cependant, le certificat d'inspection émis en 1993 était à court terme, soit pour une période de deux ans. Il semble qu'il avait été décidé d'émettre un certificat à court terme parce que des pièces d'équipement à bord du « GILBERT D. » devaient être réparées ou remplacées. De plus, le certificat portait une restriction quant à la distance maximale à laquelle le bateau pouvait effectuer ses opérations de pêche au large de la côte; cette distance avait été établie à 60 M des côtes.

    Chaque permis délivré porte le nom du bateau qui doit servir aux activités de chasse. Selon Pêches et Océans Canada, le détenteur du permis ne peut utiliser un bateau autre que celui pour lequel le permis a été émis. Pêches et Océans Canada n'a aucune exigence quant à l'émission des permis sauf pour la longueur maximale des bateaux qui est de 20 mètres. Le certificat ne fait mention d'aucune restriction sur l'utilisation du « GILBERT D. » dans les glaces.

    La Loi sur la marine marchande du Canada donne la définition suivante pour les bateaux de pêche :

    • « bâtiment de pêche » ou « bateau de pêche » navire servant à la capture du poisson, des baleines, des phoques, des morses ou d'autres richesses vivantes de la mer et qui ne transporte ni passagers ni cargaison.

    Le « GILBERT D. » détenait un certificat S.I.C. 29, qui était valide au moment du naufrage. La chasse aux phoques est considérée comme une activité de pêche par la Loi sur la marine marchande du Canada, et le certificat d'inspection ne fait mention d'aucune restriction pour naviguer dans les glaces.

    La navigabilité est l'état d'un navire apte à prendre la mer ou un plan d'eau accessible aux navires. Un navire ne doit prendre la mer que s'il est en état de navigabilité. Ce caractère lui est reconnu, après visite et contrôle de la part de l'autorité maritime, par les titres qui garantissent qu'il satisfait aux normes de construction et de sécurité. Le navire doit avoir été construit, équipé et armé en personnel de façon à pouvoir faire le travail pour lequel il est destiné.

    Le fait que des bateaux de pêche aux Îles de la Madeleine servent pour la chasse aux phoques, durant la période hivernale dans des eaux recouvertes de glaces, est connu de la Sécurité maritime de Transports Canada. Les bateaux de pêche qui oeuvrent dans l'industrie de la pêche ne sont pas conçus ni même renforcés pour naviguer dans des eaux recouvertes de glaces. Il semble que cette pratique soit tolérée par la Sécurité maritime de Transports Canada.

    Analyse

    La glace peut arrêter tous les navires, même les brise-glace, et le navigateur qui n'a pas l'expérience des glaces a intérêt à apprendre à respecter la puissance latente de celle-ci sous toutes ses formes. Toutefois, un bateau en bon état et bien équipé peut, dans des mains expertes, fort bien réussir à traverser sans heurt des eaux couvertes de glaces.

    Le premier principe de la navigation dans les glaces est de conserver sa liberté de manoeuvre, car le navire coincé dans les glaces peut être entraîné par ces dernières. Les conditions de glaces que l'on retrouve au large des Îles de la Madeleine sont difficiles à cette époque de l'année et les bateaux qui y transitent doivent être vigilants.

    Comme il n'existe pas de réglementation sur la conception des bateaux de pêche qui servent à des fins de pêche ou de chasse dans les glaces, seule la restriction sur la longueur est à respecter pour l'obtention d'un permis de chasse aux phoques.

    La navigation dans les glaces peut être extrêmement difficile pour les navigateurs, puisqu'ils doivent être à l'affût de nouveaux passages en eau libre. On suggère aux navigateurs de se référer à la publication préparée par la Garde côtière canadienne intitulée Navigation dans les glaces en eaux canadiennes (TP 5064). Cette publication donne aux usagers l'information et les services nécessaires pour transiter dans les glaces en eaux canadiennes. De précieux conseils y sont donnés et peuvent être d'une grande utilité pour ceux qui désirent naviguer durant les périodes de glaces.

    Pêches et Océans Canada n'a pas de consignes relatives à l'utilisation des bateaux de pêche dans les glaces. Toutefois son mandat premier est de s'assurer, en collaboration avec la Garde côtière canadienne, que les opérations de pêche, peu importe les conditions environnantes, peuvent se faire en toute sécurité et de façon à éviter que les équipages ne prennent part à des opérations qui pourraient être dangereuses. Aucune réglementation n'a été mise en place pour s'assurer que les bateaux de pêche qui font la chasse aux phoques, dans les eaux encombrées de glaces, peuvent le faire avec des bateaux conçus pour être exploités dans des conditions climatiques difficiles.

    Comme la chasse aux phoques est une activité économique importante aux Îles de la Madeleine, il est essentiel que les chasseurs puissent le faire en toute sécurité et avec des bateaux qui sont conçus pour affronter des conditions de navigation difficiles durant les périodes de glaces. L'état de navigabilité demeure un point important pour assurer la sécurité des navires et de leur personnel en vue d'éviter toute négligence possible concernant l'entretien, la conception et l'utilisation des navires.

    Faits établis

    1. Le « GILBERT D. » a été écrasé par la pression des glaces alors qu'il avait trouvé refuge dans une zone d'eau libre pour la nuit.
    2. L'état de navigabilité du « GILBERT D. » n'était pas approprié pour le type d'opération auquel il était employé.
    3. La coque en bois recouverte de plastique renforcé de fibre de verre ne pouvait pas résister à la pression des glaces.
    4. Sauf pour la longueur maximale de 20 mètres, Pêches et Océans Canada n'a aucun critère pour émettre un permis de chasse aux phoques à un bateau de pêche.
    5. Le certificat d'inspection (S.I.C. 29) de Transports Canada émis au « GILBERT D. » ne portait qu'une seule restriction, soit la distance permise de 60 M des côtes pour pratiquer la pêche.
    6. Le certificat S.I.C. 29 ne fait mention d'aucune restriction quant à l'utilisation du « GILBERT D. » pour la chasse aux phoques dans les glaces.
    7. La Sécurité maritime de Transports Canada semble tolérer la pratique de la chasse aux phoques avec des bateaux dont l'état de navigabilité ne se prête pas à ce type d'opération.
    8. Les membres de l'équipage n'ont pas pu intervenir pour éviter le naufrage du « GILBERT D. ».
    9. Un hélicoptère de la Garde côtière canadienne qui survolait la région a pu prendre les huit membres de l'équipage à son bord et les ramener à terre, sains et saufs.
    10. La chasse aux phoques est considérée comme une activité de pêche par la Loi sur la marine marchande du Canada .
    11. Pêches et Océans Canada émet des permis de chasse à des navires qui ne sont pas conçus pour la navigation dans les glaces.

    Causes et facteurs contributifs

    La perte du « GILBERT D. » est attribuable à la forte pression exercée sur la coque par les glaces; celles-ci ont été poussées par un grand frais, alors que le bateau avait trouvé refuge dans une zone d'eau libre pour la nuit. L'état de navigabilité du navire ne se prêtait pas à la navigation dans les glaces.

    Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. La publication de ce rapport a été autorisée le par le Bureau, qui est composé du Président Benoît Bouchard et des membres Maurice Harquail, Charles Simpson et W.A. Tadros.

    Appendices

    Appendix A - Photographs

    The "GILBERT D." crushed by ice pressure at the start of Greenland seal hunting season on 16 March 1999.