Échouement et perte totale
du vraquier Alcor
dans la Traverse du Nord,
sur le fleuve Saint-Laurent
ET
La quasi-collision subséquente entre
le navire-citerne Eternity et
le porte-conteneurs Canmar Pride
le 5 décembre 1999
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Le 9 novembre 1999, le vraquier chargé Alcorremontait le fleuve Saint-Laurent en direction de Trois-Rivières (Québec) sous la conduite d'un pilote. à 14 h 44, au cours d'un changement de route sur tribord, le navire s'est échoué près de la pointe est de l'Île d'Orléans. Une opération de renflouement tentée le lendemain soir a permis de dégager le navire pendant quelque temps, mais le navire s'est échoué de nouveau non loin de l'endroit où il s'était échoué la première fois. Le Alcor a subi d'importantes avaries à la coque, à peu près au milieu du navire, à cause des contraintes de flexion qui se sont exercées sur la coque pendant les cycles de basse mer successifs.
La coque endommagée a été réparée de façon temporaire, et environ la moitié de la cargaison a été transbordée sur de plus petits bâtiments. Le 5 décembre 1999, le Alcor a été renfloué et amené au port de Québec (Québec). Le navire a été déclaré une perte totale.
Pendant que le Alcor était en train d'être renfloué et plus tard, lorsque des remorqueurs l'aidaient à remonter le fleuve, la partie de la Traverse du Nord du fleuve avait été fermée. En raison de cette fermeture spéciale, plusieurs navires descendant se sont retrouvés au mouillage en amont de ce secteur. Après la réouverture du chenal, plusieurs navires ont voulu quitter leur mouillage en même temps. Pendant cette période, deux navires ont failli entrer en collision : le navire-citerne Eternity qui faisait route, et le porte-conteneurs Canmar Pride qui était au mouillage.
Partie A - Échouement
A 1.0 Renseignements de base
A 1.1 Fiche technique du navire
Nom | "ALCOR" |
---|---|
Numéro officiel | 7533159, Organisation maritime internationale (OMI) |
Port d'immatriculation | Valletta |
Pavillon | Malte |
Type | Transporteur de vrac sec |
Jauge bruteNote de bas de page 1 | 16 136 |
Port en lourd | 27 536 t |
LongueurNote de bas de page 2 | 178.2 m |
Tirant d'eau | av. : 10.02 m ar. : 9.95 m |
Construction | 1977, Japon |
Groupe propulseur | Un moteur diesel Sulzer Sumitomo, 11 400 ch au frein (8 385 kW) entraÎnant une seule hélice à pas fixe. |
Cargaison | 23 693 t de clinker granulé, en vrac |
Équipage | 25 personnes |
Propriétaires | New Wind Shipping Company Ltd., La Vallette, Île de Malte |
Armateur | Transorient Overseas S.A., Pirée, Grèce |
A 1.1.1 Renseignements sur le bâtiment
Le Alcor était un transporteur de vrac sec, tout en acier soudé, avec un seul pont. Le groupe propulseur, l'appareil à gouverner électro-hydraulique, la timonerie et les emménagements étaient situés dans la partie arrière du navire. Le bâtiment était manoeuvré à l'aide d'un seul gouvernail central compensé.
L'annexe C (Plan d'ensemble) montre l'emplacement des cinq cales à cargaison, des ballasts et des soutes à mazout. La cale no 3 pouvait aussi servir de citerne de ballast pour le lest. La coque comptait sept cloisons étanches transversales, ainsi qu'un plafond de ballast de double-fond étanche qui s'étendait d'un bout à l'autre du navire sous les cales à cargaison et la salle des machines. Au droit des cales à cargaison, le pont principal, les ballasts latéraux supérieurs, le plafond de double-fond et le bordé de fond étaient supportés par une charpente du système longitudinal. Le bordé de muraille simple s'appuyait sur une charpente du système transversal au droit des cales à cargaison et des ballasts latéraux supérieurs.
A 1.2 Événements ayant mené au premier échouement
A 1.2.1 La traversée
Le 30 octobre 1999, le Alcor quitte le Venezuela à destination de Trois-Rivières (Québec). Le navire essuie du gros temps pendant son voyage vers le nord et il tangue et roule fortement. Les inscriptions du journal passerelle font état de vents de force 5 à 7 (17 à 33 noeuds) et d'une houle de 2 à 3 m. Le 5 novembre 1999, le navire réduit l'allure pendant un certain temps afin de diminuer le tangage et le roulis et d'atténuer les forces d'impact des lames.
Le 9 novembre 1999, le navire a atteint la station d'embarquement des pilotes de Les Escoumins sur le Saint-Laurent. Selon l'information recueillie, les tirants d'eau du navire sont alors de 10,02 m à l'avant et de 9,95 m à l'arrière. à 5 h 15Note de bas de page 3, un pilote monte à bord pour prendre la conduite du navire jusqu'à Québec (Québec), d'où un nouveau pilote est censé assurer la conduite du navire jusqu'à Trois-Rivières. Le voyage vers l'amont se déroule sans incident, et le navire fait route à son allure de manoeuvre. En eaux profondes, abstraction faite de l'influence des vents et de la marée, cela doit correspondre à une vitesse d'environ 11 noeuds. Au début, le jusant diminue la vitesse sur le fond à 7 ou 8 noeudsNote de bas de page 4 . Au fur et à mesure que le navire remonte le fleuve, l'influence de la marée montante augmente progressivement et la vitesse fond du navire augmente. Vers 14 h, le navire atteint Sault-au-Cochon; sa vitesse est alors d'environ 13 noeuds.
Vers 14 h 15, le Alcor pénètre dans les eaux plus resserrées de la Traverse du Nord près du cap Gribane. Alors que le navire est sur l'alignement lumineux au 213½° vrai (V), le pilote se rend compte que le répétiteur du compas gyroscopique indique bel et bien 1° de moins, comme il soupçonnait. Au point de changement de route suivant, au cap Brûlé, sur l'alignement lumineux au 204°V, le pilote donne l'ordre de suivre une route au 201° gyro (G) afin de compenser l'écart de 1° du répétiteur et l'influence du courant montant qui porte vers le sud-ouest. En arrivant près de la bouée K-108, le navire se trouve à une soixantaine de mètres à tribord du centre du chenal et il file 14 noeuds. Le courant de 2,5 à 3,5 noeuds porte au 215°V. La bouée K-108 constitue le prochain point de changement de route et le navire doit y venir sur tribord pour se placer sur l'alignement lumineux suivant, lui aussi au 213½°V. Le seul autre bâtiment dans les parages est un navire descendant qui se trouve à une distance comprise entre 1½ et 2 milles marins (nm) droit devant (voir le croquis des lieux à la figure 4).
A 1.2.2 L'échouement
L'équipe à la passerelle à ce moment-là comprend le premier lieutenant qui est l'officier de quart (OQ), le pilote qui a la conduite du navire, et le timonier qui se trouve au pupitre de barre principal et exécute les ordres de barre. Le capitaine se trouve dans l'aileron de passerelle de bâbord, et la porte qui sépare l'extérieur de l'aileron de passerelle de l'intérieur de la timonerie est entrebaÎllée.
Entre 14 h 37 et 14 h 38, alors que la proue du navire se trouve à environ une encablure en aval de la bouée K-108, le pilote ordonne un changement de cap. Selon l'information recueillie, le pilote aurait demandé de suivre une route au 212°G; toutefois, selon d'autres renseignements, il aurait demandé de mettre la barre « à droite dix ». Selon l'information recueillie, la barre est placée de 10° à 15° à droite. Peu après que la barre eut été mise à droite, le pilote demande qu'on la mette encore plus à droite en commandant « More » (plus). Le timonier regarde l'OQ pour avoir confirmation et celui-ci lui ordonne de mettre 5° de plus. Le timonier met immédiatement 5° à droite de plus. Voyant que le nez du navire ne bouge pas, le pilote demande de mettre la barre encore plus à droite en répétant « More ». Le timonier met 5° à droite de plus. Selon certaines personnes, il semble que le pilote demande une troisième fois en répétant « More », et 5° de plus a été appliqué. Tous les témoins s'entendent toutefois pour dire que le nez du navire commence alors à venir très lentement sur tribord et que le gouvernail du navire se trouve alors sous un angle de 20°à 30° sur tribord.
Insatisfait de la vitesse angulaire de giration du navire, le pilote prend la place du timonier à la barre. Selon une information recueillie, le pilote aurait alors tourné la roue une ou deux fois à droite pour placer le gouvernail à droite toute (35°). Cependant, selon d'autres renseignements, le pilote aurait tourné la roue à droite 5 à 7 fois, d'une façon très énergique. Quoi qu'il en soit, le résultat aurait été le même, soit 35° de barre à droite. (La roue est munie d'un embrayage de sécurité et les rotations excessives au-delà du maximum n'envoient pas d'autres signaux électriques à l'appareil à gouverner.)
Après avoir tourné la roue vers la droite, le pilote commence immédiatement à la tourner rapidement dans la direction opposée et met la barre 35° à gauche. En jetant un coup d'oeil à l'indicateur d'angle de barre, le pilote remarque qu'il est resté à 35° à droite et il prévient aussitôt l'OQ. Selon certains, l'OQ et le pilote auraient tous les deux actionné le levier NFU à ce moment-là, mais selon d'autres, ce n'est pas le cas. Le pilote quitte le poste de barre et se rend .au poste VHF pour avertir la situation au navire descendant. Après cette brève conversation (qui s'est déroulée en français), le pilote revient en toute hâte vers le panneau de commande central et il place le transmetteur d'ordres de la machine principale à en arrière toute.
Pendant que le pilote est occupé à converser sur le radiotéléphone VHF et à manipuler le transmetteur d'ordres de la machine principale, l'OQ s'approche du pupitre de barre et déplace deux fois le sélecteur de mode de gouverne (SMG), laissant le sélecteur à la position Hand. Il voit alors l'indicateur d'angle de barre commencer à se déplacer vers la gauche. à un moment donné pendant ce temps, l'OQ a mis la barre à zéro. Il se rend ensuite au système de sonorisation pour annoncer les problèmes de gouverne.
Le premier mécanicien, qui se trouve sur le pont principal près de la porte du compartiment de l'appareil à gouverner, se précipite dans le compartiment dès qu'il entend l'annonce. En entrant dans le compartiment, il remarque que le gouvernail est à zéro. Il s'est écoulé une quinzaine de secondes entre l'annonce de l'OQ et l'arrivée du premier mécanicien dans le compartiment de l'appareil à gouverner. Le premier mécanicien s'assure aussitôt que les deux pompes de l'appareil à gouverner sont en marche. Entre-temps, l'électricien du navire a rejoint le premier mécanicien dans le compartiment de l'appareil à gouverner pour lui prêter main-forte. Pour vérifier sur place le fonctionnement de l'appareil à gouverner, l'électricien ouvre le commutateur qui isole l'appareil à gouverner de la passerelle. Le premier mécanicien fait alors pivoter le gouvernail de quelques degrés à droite et à gauche à l'aide de la roue à main. Le gouvernail répond, et le commutateur d'isolement de la timonerie est refermé pour redonner la commande à la passerelle. Le premier mécanicien appelle alors la passerelle sur le téléphone autogénérateur pour signaler que l'appareil à gouverner fonctionne comme il faut. Le tableau 1 présente la chronologie des événementsNote de bas de page 5.
Heure | Événement | Résultats | Observations | |
---|---|---|---|---|
1437:50 | Barre mise 10° (ou 15°) à droite | Indicateur d'angle de barre se déplace vers la droite normalement | Pas de changement de cap | |
1437:55 | Barre mise 5° de plus à droite | Indicateur d'angle de barre se déplace vers la droite - 15° ou 20° | Pas de changement de cap | |
1438:00 | Barre mise 5° de plus à droite | Indicateur d'angle de barre se déplace vers la droite - 20° ou 25° | L'OQ remarque une légère abattée sur tribord | |
1438:05 | Barre mise 5° de plus à droite | Indicateur d'angle de barre se déplace vers la droite - 25° ou 30° | Le pilote remarque une légère abattée sur tribord | |
1438:10 | Le pilote prend la barre et la tourne (plusieurs fois) vers la droite | L'indicateur d'angle de barre se déplace à droite toute - 35° | Le navire abat vers tribord | |
1438:15 | Le pilote tourne la roue plusieurs fois vers la gauche | La roue à gauche toute | L'indicateur d'angle de barre reste à droite toute | Le gouvernail ne répond pas à la barre |
1438:20 | Le pilote prévient l'OQ que le gouvernail ne répond pas à la barre, puis il quitte la barre pour appeler le navire descendant à l'aide du radiotéléphone VHF | L'OQ s'approche de la barre | ||
1438:25 | Le pilote parle au radiotéléphone | Le pilote parle au radiotéléphone [selon la marque de l'enregistrement des Services de trafic maritime (STM)] | ||
L'OQ prend la barre et évalue la situation | ||||
1438:30 | L'OQ déplace le sélecteur SMG deux fois et le laisse à la position Hand | L'indicateur d'angle de barre commence à se déplacer vers la gauche | L'OQ et le timonier voient l'indicateur d'angle de barre se déplacer vers la gauche | |
1438:35 | L'OQ met la barre à zéro | L'indicateur d'angle de barre s'arrête à la position zéro | ||
Le pilote place le transmetteur d'ordres de la machine principale en arrière toute | L'équipe de la salle des machines apprend qu'il y a un problème en recevant l'ordre de mettre la machine à en arrière toute | |||
1438:40 | L'équipe de la salle des machines qui se trouve dans la salle de commande amorce un freinage d'urgence au moyen de la machine | Le régime de la machine principale commence à diminuer | ||
L'OQ annonce sur le système de sonorisation les problèmes de l'appareil à gouverner | Le premier mécanicien (dans la coursive adjacente au compartiment de l'appareil à gouverner) entend l'annonce et se précipite dans le compartiment de l'appareil à gouverner | Le chef mécanicien entend l'annonce et jette un coup d'oeil à l'indicateur d'angle de barre dans la salle de commande. Il constate qu'il est à la position zéro. | ||
1438:55 | Le premier mécanicien arrive dans le compartiment de l'appareil à gouverner | Le premier mécanicien commence à vérifier l'appareil à gouverner | En arrivant dans le compartiment de l'appareil à gouverner, le premier mécanicien voit que le gouvernail est à zéro |
Tableau 1. Chronologie des événements d'échouement
à ce moment-là (14 h 40), le navire sort du chenal sur un cap au 265°V environ. Le capitaine est déjà revenu dans la timonerie pour prêter main-forte à l'équipe de navigation. Le second capitaine, après être passé par la timonerie, se rend en toute hâte sur le gaillard d'avant pour se préparer au mouillage. Peu après, la poussée en marche arrière commence à se faire sentir et le navire ralentit considérablement. C'est vers ce moment-là que le pilote est informé que le gouvernail répond à la barre. Vers 14 h 44, le navire est effectivement immobilisé. On tente, au moyen de poussées de la machine en marche avant, d'amener le navire en eaux plus profondes, à une encâblure devant à peine, mais sans succès. On mouille l'ancre de tribord. Le navire est .alors échoué par 47°03′29,5″ de latitude N et 070°45′09,1″ de longitude W, sur un cap orienté au 285°V environ. (La figure 1 présente la route suivie par le navire et enregistrée par le système de positionnement global différentiel (DGPS) du pilote.)
à 14 h 44, le pilote signale aux STM que le navire est sorti du chenal mais qu'il n'est pas encore échoué. à 15 h 6, les STM demandent au pilote si le Alcor a besoin d'assistance. Le pilote répond qu'il croit que le navire pourra se dégager mais qu'il va consulter le capitaine. Il confirme aussi que le gouvernail fonctionne à nouveau. Vers le même moment, les STM demandent si le Alcor désire qu'on commande une réduction de la vitesse des navires qui se trouvent dans le secteur. Le pilote répond par la négative. à 15 h 40, le pilote appelle les STM pour dire que le Alcor tente toujours de se dégager par ses propres moyens.
Juste après l'échouement, le capitaine communique avec les propriétaires pour les consulter au sujet de l'utilisation de remorqueurs. Environ une heure et demie après l'échouement, à 16 h 15, on demande l'aide d'un remorqueur par l'intermédiaire des STM. Le remorqueur Ocean Charlie quitte Québec à 17 h 5 et arrive sur les lieux à 19 h 30, soit une heure et quart après la marée haute. Bien qu'il se trouve à peu près sur le même cap, au 285°, le Alcor s'est déplacé de 2½ encablures vers le sud-ouest, poussé par la marée montante, et il s'est immobilisé dans l'eau entre 4 et 6 m au-dessus du zéro des cartes, par 47°03′18″ de latitude N et 070°45′33″ de longitude W. On ne tente pas de renflouer le navire à ce moment-là, parce que la marée a déjà baissé d'environ 1 m. Après avoir consulté les responsables de la Corporation des pilotes du Bas Saint-Laurent (la Corporation des pilotes) sur son cellulaire, le pilote décide de rester à bord pour prêter main-forte à l'équipage.
Vers 17 h, les experts maritimes de Transports Canada (TC) montent à bord. Peu après leur arrivée, ils procèdent aux premières vérifications qui montrent que l'appareil à gouverner semble fonctionner correctement et répondre dans les limites de temps prescritesNote de bas de page 6 . Des sondages sont faits un peu partout sur le navire. On constate que les citernes à trémie no 2 et no 3 de bâbord et la citerne à trémie no 3 de tribord prennent l'eau. à 17 h 52, le pilote du Alcor demande aux STM de décréter une réduction de vitesse pour le trafic local.
A 1.3 Victimes
Personne n'a été blessé dans l'accident.
A 1.4 Avaries initiales à la coque
La citerne à trémie no 2 de tribord et la citerne à trémie no 3 de bâbord qui étaient utilisées comme citernes de ballast ont été perforées lors du premier échouement. Par la suite, la coque a subi d'autres avaries importantes (B 1.3, Rupture de la coque).
A 1.5 Certificats et brevets
A 1.5.1 Certificats du bâtiment
Le certificat d'immatriculation maltais, le certificat de classification, le certificat international de franc-bord, le certificat de sécurité de la construction, le certificat de sécurité du matériel d'armement et le certificat de sécurité radiotéléphonique étaient en état de validité et conformes aux exigences pour le type d'exploitation du navire.
Le Registre des navires de Russie avait fait des inspections de classification et des visites du Alcor pour le compte du propriétaire. Des inspections réglementaires internationales et des inspections du registre national préalable à la délivrance de certificats avaient été faites par le Registre des navires de Russie au nom et sous l'autorité du gouvernement de la République de Malte.
Le régime de gestion pour la sécurité du navire et de la gérance a été vérifié par le Registre des navires de Russie qui a conclu qu'il était conforme aux exigences du Code international de gestion de la sécurité (Code ISM). Le certificat de gestion de la sécurité du navire était valable jusqu'en avril 2003; le document de conformité de la gérance était valable jusqu'en mars 2003.
A 1.5.2 Brevets du personnel
Le capitaine et les officiers possédaient des brevets en état de validité répondant aux dispositions de la Convention internationale sur les normes de formation des gens de mer, de délivrance des brevets et de veille (STCW). Ils possédaient les brevets nécessaires pour le type d'exploitation du navire ainsi que les qualifications nécessaires en vertu de la réglementation en vigueur.
Le capitaine était titulaire d'un brevet de capitaine au long cours ayant été délivré le 15 mai 1992 en Ukraine.
L'officier de quart (OQ) était titulaire d'un brevet d'officier de quart à la passerelle ayant été délivré le 14 mars 1995 en Ukraine.
Le pilote était titulaire d'un brevet de capitaine au long cours ayant été délivré le 5 mai 1994. Il avait obtenu son brevet de pilote de classe C le 1er avril 1998. à cause d'un changement à la réglementation qui était entré en vigueur le 21 octobre 1999, soit 20 jours avant l'accident, le pilote était devenu admissible à un brevet de classe C-1 (navires jusqu'à 30 000 tonnes de port en lourd (tpl). Son brevet de pilotage avait donc été modifié en conséquence le 2 novembre 1999.
A 1.6 Renseignements sur le personnel
Le capitaine naviguait depuis 39 ans. Il avait commandé divers navires dans les 10 dernières années. Il était capitaine du Alcor depuis le 9 avril 1999.
L'OQ travaillait comme OQ depuis mai 1995 et avait navigué sur divers navires. Il faisait partie de l'équipage du Alcor depuis le 9 avril 1999.
Le pilote avait commencé à naviguer comme OQ en 1989. En 1992, il avait obtenu son brevet de capitaine au cabotage et, en 1994, son brevet de capitaine au long cours. Avant d'entrer à la Corporation des pilotes, il avait servi comme OQ sur des navires océaniques pendant 45 mois. Il avait débuté son apprentissage comme pilote le 1er avril 1996 et il avait obtenu son brevet de pilote le 1er avril 1998 au terme de 226 voyages comme apprenti pilote sur des navires de toutes les dimensions. Il avait rempli quelque 175 missions de pilotage entre cette date et le jour de son affectation sur le Alcor. Il s'agissait de sa première affectation sur ce navire.
A 1.7 Conditions météorologiques, courants et marées
A 1.7.1 Vent, mer et visibilité
Au moment du premier échouement, l'après-midi du 9 novembre 1999, il y avait des vents de 10 à 15 noeuds, soufflant plutôt du nord-est. La visibilité était bonne et les eaux du fleuve étaient calmes.
A 1.7.2 Les courants au moment de l'échouement
Les courants les plus importants dans l'estuaire du Saint-Laurent, entre Trois-Rivières et la rivière Saguenay, sont créés par la force des maréesNote de bas de page 7. Dans le secteur où s'est produit l'échouement, le courant change de direction, passant d'une direction sud-ouest (vers l'amont) à marée montante à une direction nord-est (aval) à marée descendante. Ce changement est progressif, et il débute une cinquantaine de minutes après que la marée haute a été atteinte à cet endroit. La force maximale du courant de marée varie selon la hauteur de la marée, mais la vitesse du courant peut dépasser les 3 noeuds. Au moment de l'échouement, le courant de marée, de 2,5 à 3,5 noeuds, portait au 215°V environ.
A 1.7.3 Marées
Sur le fleuve Saint-Laurent, la force des marées se fait sentir aussi loin en amont qu'à Trois-Rivières, devenant presque nulles sur le lac Saint-PierreNote de bas de page 8. Les marées sont un mélange de marée diurne et de marée semi-diurne, mais l'oscillation semi-diurne domine. Il en résulte que la hauteur et la durée de la marée varient d'un cycle à l'autre. Même si les marées les plus hautes sont enregistrées à l'Île-aux-Coudres (7,1 m), des marées très importantes (5,8 m) se font également sentir jusqu'à Québec en amont. Au port de référence de Saint-François, à l'Île .d'Orléans, qui se trouve à environ 4 nm en amont du lieu de l'échouement, la marée peut atteindre une hauteur de 6,6 mNote de bas de page 9. Le tableau ci-après présente les hauteurs (en mètres) des marées qui ont été mesurées à ce port de référence les 9, 10 et 11 novembre 1999 :
Date | 9 novembre 1999 | 10 novembre 1999 | 11 novembre 1999 | |||||||||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Heure | 1h15 | 6h15 | 13 h | 18h15 | 1h45 | 6h45 | 13h45 | 18h51 | 2h30 | 7h10 | 14h10 | 19h30 |
Marée haute (m) | 5,20 | 5,85 | 5,40 | 5,96 | 4,85 | 5,40 | ||||||
Marée basse (m) | 0,40 | 0,55 | 0,58 | 0,80 | 0,65 | 0,55 |
Tableau 2. Marées à St-François, Île d'Orléans
Le changement de route à la hauteur de la bouée K-108, à 14 h 37, est survenu une heure et trente-sept minutes après la marée basse (hauteur mesurée de 0,55 m). La hauteur de la marée à cette heure-là a été mesurée et elle était de 2,2 m au-dessus du zéro des cartes. La profondeur d'eau sous quille du Alcor dans le chenal dragué était donc, à cette heure et à cet endroit précis, d'environ 6,7 m. Selon ces mesures, la marée montait à environ 1,3 m/h à ce moment-là.
A 1.8 Bathymétrie et chenal navigable -Traverse du Nord
De la station de pilotage de Les Escoumins jusqu'à Québec, le chenal fluvial a généralement une largeur de 1 à 4 nm et une profondeur presque partout supérieure à 20 m. à la hauteur du cap Gribane, cependant, le chenal navigable se rétrécit à 305 m et la profondeur diminue. Cette partie du fleuve sise entre le cap Gribane et la pointe Saint-Jean, est appelée la Traverse du Nord. Dans la Traverse du Nord, il y a deux changements de route : le navire remontant exécute un premier changement de route de 9½ degrés sur bâbord à la bouée K-100, et un second changement de route de 9½ degrés sur tribord à la bouée K-108. La première évolution est réalisée dans des profondeurs minimales de 17 m, et l'eau demeure profonde bien au-delà du chenal balisé. Dans la zone où la seconde évolution est exécutée, près de la bouée K-108, il y a un envasement naturel qui fait qu'il faut draguer le fond périodiquement pour s'assurer que la profondeur d'eau est d'au moins 12,5 m, et dans ce cas-ci, la profondeur d'eau véritable était d'environ 14,5 m en raison du facteur de sécurité lié au dragage. De plus, la courbe de niveau des 10 m se trouve tout près de la bordure du chenal balisé à cet endroit.
A 1.9 Équipement de navigation et appareil à gouverner
A 1.9.1 Équipement de navigation
Le Alcor est muni de toutes les aides éélectroniques à la navigation exigées par les conventions internationales, et notamment de radars en bande S et en bande X, complétés par un récepteur GPS (système de positionnement global). De plus, le pilote avait emporté un appareil de navigation portatif qui lui permettait de suivre la progression du navire dans le chenal navigable. Cet appareil, un DGPS Starlink, dont on visualise les données sur un ordinateur portatif, ne montre pas des détails comme la ligne de côte ou les profondeurs, mais il permet de voir la position du navire par rapport au chenal navigable balisé (voir la figure 2).
Cet appareil fournit aussi de l'information comme la route fond, la vitesse sur le fond et la distance par rapport au centre du chenal. L'information satellitaire, la correction du DGPS et d'autres diagnostics de l'état des systèmes peuvent aussi être affichés. Cet outil, conçu spécialement pour aider les pilotes, était à l'essai pendant le trajet suivant l'arrêt à la station de pilotage de Les Escoumins. Le pilote jetait occasionnellement un coup d'oeil à cet appareil, mais il se servait comme d'habitude des radars du navire et des feux d'alignement pour assurer la conduite du Alcor qui remontait le fleuve.
A 1.9.2 Appareil à gouverner
Le Alcor était équipé d'un appareil à gouverner électro-hydraulique à quatre presses (articulation mobile de type Rapson). Le liquide hydraulique est mis sous pression par deux pompes Mitsubishi Janney. Chaque pompe est actionnée par un moteur électrique de 15 kW qui tourne à 1 800 tr/min. Il est possible de connecter en ligne les deux pompes, ou l'une d'entre elles, pour actionner l'appareil à gouverner. Lorsqu'une seule des deux pompes est en service, un mouvement du gouvernail de 65° prend 27 secondes en moyenne; lorsque les deux pompes sont en marche, le même mouvement prend 21 secondes en moyenne. L'appareil à gouverner peut être actionné par une roue à main dans le compartiment de l'appareil à gouverner ou par la barre sur la passerelle. L'appareil à gouverner était conçu pour produire un couple de 50 tonnes/mètres (t/m) à la pression d'exploitation maximale (170 kg/cm²).
A 1.9.3 La barre sur la passerelle
Le Alcor est équipé d'un système de commande Hokushin de modèle PT-7J2 ayant été approuvé par la société de classification. Ce système, installé pendant la construction du navire, comprend une barre entièrement électrique dotée de capacités de gouverne manuelle et un pilote automatique. On passe du pilote automatique à la gouverne manuelle en déplaçant un sélecteur placé du côté inférieur gauche et à l'avant de la console (figure 3, Vue de face, sélecteur no 1)Note de bas de page 10.
Si on place le sélecteur no 1 à la position de gouverne manuelle, un second sélecteur (SMG) tripolaire (no 2, identifié Pilot Main) permet de choisir entre OFF (arrêt), Hand (manuel) ou Non-follow-up (NFU) (non asservi). Le sélecteur no 2 est placé sur le côté inférieur droit et à l'avant de la console de direction, à 55 mm en arrière des poignées de la roue du gouvernail.
Le couple de détente requis pour déplacer le sélecteur SMG a été mesuré à 0,6 newton/mètres (Nm)Note de bas de page 11. Il n'existe pas de norme quantitative ou de règle précisant le couple de détente que ce type de sélecteur doit avoir pour ce genre d'utilisation.
Lorsque le sélecteur SMG est sur OFF, le fait de tourner la roue ou d'actionner le levier NFU dans un sens ou dans l'autre n'envoie pas de signal à l'appareil à gouverner. Lorsque ce sélecteur est sur Hand, un signal est transmis lorsque la roue est tournée à gauche ou à droite - deux tours complets de la roue équivalent à 35° d'angle de barre. Lorsque le sélecteur est à la position NFU, la manette à ressort doit être maintenue en place d'un côté ou de l'autre pour que le signal soit transmis à l'appareil à gouverner. Le fait de tourner la roue lorsque le sélecteur est sur NFU (mode indépendant) n'envoie pas de signal à l'appareil à gouverner.
Les commandements au gouvernail transmis par le système de commande de la passerelle passent par un ou l'autre de deux systèmes de câblage indépendants, dont chacun a sa propre soupape électromagnétique (valve directionnelle de pilote automatique) dans l'appareil à gouverner. Les signaux sont aussi amplifiés par un ou l'autre de deux dispositifs amplificateurs. Les sélections sont faits au système de commande sur la passerelle où il faut choisir entre power unit 1 (unité 1) ou power unit 2 (unité 2) pour le système de câblage et/ou amp 1 ou amp 2 pour le dispositif amplificateur. Cette disposition peut être modifiée selon n'importe quelle combinaison et elle assure la présence d'un système de secours en cas de défaillance du système en service. Selon l'information recueillie, ces deux commutateurs étaient à la position 1 au moment de l'échouement.
A 1.10 Essais et inspections de l'appareil à gouverner et du système de commande
Vers 17 h, le 9 novembre 1999, des experts maritimes de TC sont montés à bord du Alcor pour évaluer la situation et vérifier l'état de navigabilité du navire. Du fait qu'une défaillance de l'appareil à gouverner avait été signalée initialement, les inspecteurs ont vérifié l'appareil à gouverner dès leur arrivée. L'inspection visuelle n'ayant rien révélé d'anormal, les inspecteurs ont procédé à des essais de fonctionnement à partir de la timonerie et du compartiment de l'appareil à gouverner. Le système de commande et l'appareil à gouverner fonctionnaient sans problème évident, même si le déplacement du gouvernail de bâbord vers tribord était un peu plus lent que de tribord vers bâbord. Cette différence était peut-être attribuable à la présence d'obstacles sur le lit du fleuve puisque le navire était échoué. Des inspections et des vérifications analogues ont été exécutées par des employés du BST le 20 novembre 1999. Aucune anomalie n'a été observée, et les durées chronométrées étaient les mêmes dans toutes les directions de déplacement.
Le 15 décembre 1999, on a procédé à une vérification complète des composants électriques du système de commande, dont le poste de barre, la connexion des câblages de l'appareil à gouverner et les composants électriques de l'appareil à gouverner. Aucune anomalie n'a été observée dans le système électrique.
Le 16 décembre 1999, certains composants hydrauliques de l'appareil à gouverner, notamment les pompes, les soupapes de sûreté et les valves directionnelles ont fait l'objet d'essais au banc à un atelier terrestre. Les résultats ont montré que les pompes, qui avaient été installées au moment de la construction du navire, avaient un débit inférieur d'environ 17 % aux caractéristiques d'origine. Les soupapes électromagnétiques fonctionnaient normalement, même si l'une d'entre elles, celle de l'unité 2, montrait une infiltration de liquide hydraulique à l'intérieur du cache-soupape. La soupape de sûreté de tribord fuyait à basse pression, soit à partir d'une pression approximative de 124,14 bars (1 800 livres au pouce carré [lb/po²]). La soupape de sûreté de babord fonctionnait à 158,6 bars (2 300 lb/po²). La pression nominale de ces soupapes est de 168,9 bars (2 450 lb/po²).
Les composants hydrauliques qui étaient restés en place à bord du Alcor, comme les presses, les tuyaux de liaison, le réservoir de liquide hydraulique et les divers clapets, vannes et soupapes ont été inspectés. Les presses principales montraient une usure et des rayures normales, et les presse-garnitures n'étaient pas étanches. Le liquide hydraulique utilisé a été vérifié, et l'on a constaté que sa viscosité était supérieure aux recommandations du fabricantNote de bas de page 12. Le liquide contenait des traces de cuivre, de fer et de plomb, signe que certains composants du circuit présentaient de l'usure. Tous les autres composants étaient normaux.
Un examen minutieux de l'appareil à gouverner et du mécanisme de l'indicateur d'angle de barre n'a rien révélé d'anormal. Lorsque l'unité 1 était sélectionnée, il n'y avait pas de décalage entre l'angle de barre réel et le commandement transmis. Lorsque c'était l'unité 2 qui était choisie, il y avait un écart de 2° ou 3° entre l'angle de barre réel et l'angle de barre commandé à partir de la timonerie : par exemple, si la barre était à zéro, le gouvernail se trouvait à environ 2° à droite.
A 1.11 Brevets de pilotage - Administration de pilotage des Laurentides
A 1.11.1 Structure actuelle
L'Administration de pilotage des Laurentides (APL) est divisée en quatre circonscriptions : la circonscription no 1-1 (Port de Montréal), la circonscription no 1 (Montréal à Trois-Rivières et Trois-Rivières à Québec), la circonscription no 2 (Québec à Les Escoumins et la rivière Saguenay) et la circonscription no 3 (toutes les autres zones). Les circonscriptions no 1-1, 1 et 2 sont des zones de pilotage obligatoire; le pilotage n'est pas obligatoire dans la circonscription no 3.
Dans chaque circonscription, il y a différentes catégories de brevets de pilotage (classes A à D) qui sont établies selon des critères prescrits dans le Règlement de l'Administration de pilotage des Laurentides. Les critères qui déterminent les différentes catégories sont la taille du navire piloté et le temps travaillé à un niveau particulier (avec un nombre minimal d'affectations de pilotage). Pour les circonscriptions no 1-1 et 1, c'est la longueur du navire qui sert de critère pour déterminer la taille des navires pour établir les catégories. Dans la circonscription no 2, c'est le port en lourd (tpl) du navire qui sert de critère. Ces critères sont présentés dans le tableau 3. Des permis d'apprenti pilote de classe D sont délivrés aux apprentis pilotes; ces permis autorisent à piloter des navires de n'importe quelle taille dans toutes les circonscriptions, mais en présence d'un pilote breveté.
Circonscription | Brevet | Critères | |
---|---|---|---|
Taille du navire | Temps de travail à faire dans une catégorie avant d'accéder à la catégorie supérieure | ||
37621 | Classe A | Navire de n'importe quelle taille | - |
Classe B | Navire d'au plus 210 m de longueur | 1 an | |
1 | Classe A | Navire de n'importe quelle taille | - |
Classe B | Au cours de la première année, tout navire d'au plus 195 m de longueur Au cours de la deuxième année et par la suite, tout navire d'au plus 215 m de longueur | 3 ans | |
Classe C | Au cours des six premiers mois, tout navire d'au plus 165 m de longueur Au cours des six mois suivants, tout pétrolier d'au plus 165 m de longueur ou tout autre navire d'au plus 175 m de longueur Au cours de la deuxième année et par la suite, tout pétrolier d'au plus 165 m de longueur ou tout autre navire d'au plus 185 m de longueur | 2 ans | |
2 | Classe A | Navire de n'importe quelle taille | - |
Classe B | Navire d'au plus 50 000 tpl | 6 ans | |
Classe C | Navire d'au plus 30 000 tpl | 2 ans |
Tableau 3. Brevets de pilotage - Structure actuelle
A 1.11.2 Réglementation de l'APL relative aux brevets de pilotage
Dans la circonscription no 2, les changements apportés au Règlement de l'Administration de pilotage des Laurentides concernant la taille des navires ont souvent été amenés par des propositions faites à l'APL par la Corporation des pilotesNote de bas de page 13. Ces propositions sont souvent basées sur les souhaits de l'ensemble des membres de la Corporation. L'APL - qui est l'organisme légalement investi du mandat d'administrer un service de pilotage efficace et sûr dans ces zones - peut accepter ou rejeter ces propositions.
C'est en 1983 qu'on a commencé à modifier les critères utilisés pour déterminer les catégories de brevets de pilotage dans la circonscription no 2, pour ce qui est du port en lourd et du temps travaillé. Cette année-là, on a modifié la réglementation pour changer les critères en fonction de la taille du navire, à deux égardsNote de bas de page 14. En premier lieu, le tonneau de jauge nette (tjn) a été abandonné comme unité de mesure au profit de la tonne de port en lourd (tpl). Bien que le ratio tpl/tjn puisse varier énormément selon le type de navire, un échantillon du trafic sur le fleuve Saint-Laurent a montré que ce ratio se situait entre 1&nb p;et 3½, avec une moyenne s'établissant ordinairement autour de 2,7. Compte tenu de ces chiffres, les seuils d'origine en tjn pour les catégories B et C (10 000 et 5 000 tjn, respectivement), auraient été en gros équivalents à 25 000 tpl et 12 500 tpl, respectivement. Le second changement amené par les modifications de 1983 a été d'augmenter la taille des navires, pour la faire passer à 50 000 tpl pour la catégorie B, et à 15 000 tpl pour la catégorie C.
En 1992, une modification au règlement a fait passer de 3 ans à 2 ans le temps à faire comme apprenti pilote dans la circonscription no 2; toutefois, le nombre minimal d'affectations de pilotage est resté à peu près le même, en ce sens que les apprentis exécutent autant de voyages en 2 ans qu'ils le faisaient auparavant en 3 ansNote de bas de page 15.
En 1994, le seuil de tpl pour les brevets et les certificats de pilotage de classe C a été augmenté de 15 000 tpl à 20 000 tpl. Voici un extrait du Résumé de l'étude d'impact de la réglementation qui était joint à la modification réglementaire de 1994 publiée dans la Gazette du Canada, Partie II :
. . . compte tenu du fait qu'il se trouve maintenant en nombre plus restreint des navires de dimensions mi-moyennes. Ainsi, les détenteurs de brevets ou de certificats de pilotage de classe C pourront obtenir un entraÎnement plus efficace au sein de la catégorieNote de bas de page 16.
En 1999, le seuil de tpl pour les brevets de pilote de classe C a été haussé à nouveau (passant de 20 000 tpl à 30 000 tpl cette fois). Voici un extrait du Résumé de l'étude d'impact de la réglementation accompagnant la modification réglementaire de 1999, publiée dans la Gazette du Canada, Partie II :
La tendance actuelle du trafic maritime est d'utiliser des navires plus gros, ce qui a donné lieu aux modifications apportées aux paragraphes 15(4) et (5) du règlement. Ces dispositions modifient les limites actuelles pour les titulaires de brevets et de certificats de pilotage de classe B et de classe C d'après la longueur et la jauge de port en lourd d'un navire. Ainsi, les titulaires de brevets ou de certificats de classe B et C peuvent acquérir de l'expérience pour ce qui est de piloter un plus grand nombre de navires et des navires plus gros qui étaient auparavant pilotés par des titulaires de brevets d'une classe plus élevée. Outre le fait qu'elle accroÎtra les connaissances et les occasions de formation pour les titulaires de brevets de ces classes, cette disposition donne à l'Administration une plus grande souplesse pour ce qui est de la répartition des pilotes, ce qui accroÎtra l'efficacité du service, en particulier en période de pointeNote de bas de page 17.
Le tableau 4 présente tous les changements à la réglementation précités.
Brevet | tpl (navire d'au plus) | Années de service | ||||
---|---|---|---|---|---|---|
Avant 1983 | 1983 | 1994 | 1999 | Prior to 1992 | 1992 à aujourd'hui | |
Class B | env. 25 000 tpl (10 000 tjn) | 50 000 | 50 000 | 50 000 | 6 ans | 6 ans |
Class C | env. 12 500 tpl (5000 tjn) | 15 000 tpl |
20 000 tpl |
30 000 tpl |
2 ans | 2 ans |
Class D | Navire de n'importe quelle taille (doit être accompagné par un pilote breveté) | 3 ans | 2 ans |
Tableau 4. Changement à la réglementation - Circonscription no 2
La compétence minimale exigée des pilotes débutants dans la circonscription no 2 a aussi été haussée au cours de cette période. Avant 1980, on exigeait au moins un certificat de premier officier de pont au cabotage ou de deuxième officier de pont au long cours pour les pilotes de la circonscription no 2. En 1980, la réglementation a été modifiée pour exiger au moins un certificat de capitaine au cabotage ou de premier officier de pont au long coursNote de bas de page 18.
A 1.11.3 Contrats de service relatives aux brevets de pilotage
Dans la circonscription no 2 où s'est échoué le Alcor, il existe des sous-catégories des catégories B et C, sous-catégories qui sont définies dans le contrat de service entre l'APL et la Corporation des pilotes. Le contrat de service respecte le Règlement de l'Administration de pilotage des Laurentides concernant le tpl maximal et la durée de service et elle prescrit des seuils de tpl plus bas au cours des premières années de service dans une catégorie donnée. Le tableau 5 présente une synthèse de l'évolution des contrats de service et leurs répercussions sur l'application de la réglementation.
Brevet | Period Covered by Service Agreement | ||||||||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
1983-1993 | 1993 à juin 1997 | 20 juillet 1997 à octobre 1999 |
21 october 1999 à 2003 |
||||||
Critères : tpl maximal et années de service | |||||||||
Maximum | Service | Maximum | Service | Maximum | Service | Maximum | Service | ||
B | B-1 | 50 000 | 2 ans | 50 000 | 2 ans | 50 000 | 2 ans | 50 000 | 3 ans |
B-2 | 35 000 | 2 ans | 35 000 | 2 ans | 40 000 | 2 ans | 40 000 | 3 ans | |
B-3 | 25 000 | 2 ans | 25 000 | 2 ans | 30 000 | 2 ans | |||
C | C-1 | 15 000 | 2 ans | 15 000* | 2 ans | 20 000 | 2 ans | 30 000 | 1 an |
C-2 | 20 000 | 1 an |
* Changé à 20 000 tpl par une modification à la réglementation en 1994.
Tableau 5. Contrats de service - Circonscription no 2
Le contrat de service de 2000-2003 tient compte des modifications au Règlement de l'Administration de pilotage des Laurentides qui sont entrées en vigueur le 21 octobre 1999. Un des changements est de hausser le seuil de 20 000 à 30 000 tpl pour les pilotes titulaires de brevets de classe C. L'entente de service maintient cependant le seuil à 20 000 tpl pendant la première année de service, puis élimine cette restriction, et élève la limite à 30 000 tpl au cours de la deuxième année de service. En outre, le contrat de service élimine la catégorie B-3 et porte les durées pour les catégories B-2 et B-1 de 2 à 3 ans.
A 1.12 Formation des pilotes
A 1.12.1 Programme d'apprentissage
Les pilotes qui sont acceptés dans le programme d'apprentissage des circonscriptions de l'APL doivent suivre un programme d'apprentissage de deux ans où ils participent au pilotage de navires en présence d'un pilote breveté. Lors d'un voyage de formation, le pilote peut faire des observations écrites sur les habiletés et les lacunes qu'il observe chez l'apprenti, mais il n'existe aucune directive officielle pour aider les pilotes à ce sujet. Les apprentis pilotes doivent aussi suivre des cours théoriques au cours de leur première et de leur seconde année d'apprentissage. Ces cours portent sur les particularités de la circonscription et sur les aspects généraux de la profession, y compris sur la navigation avec une faible profondeur d'eau sous quille. à la fin du .programme de formation, l'apprenti pilote subit un examen oral et écrit exhaustif. à l'examen, il peut arriver que toute une série de questions théoriques porte sur la navigation avec une faible profondeur d'eau sous quille.
Le Règlement de l'Administration de pilotage des Laurentides exige que l'apprenti pilote accepte un nombre minimal d'affectations de pilotage (113) chaque année; le plan de formation de la Corporation des pilotes est plus exigeant, il demande 120 voyages. Les déplacements portuaires sont aussi comptés pour les grands ports de la circonscription no 2 (pour les brevets de la circonscription no 2). Le Règlement de l'Administration de pilotage des Laurentides ne limite pas les types ou les tailles de navires à piloter et ne précise pas de nombre minimal d'affectations à exécuter à bord de bâtiments qui naviguent avec une faible profondeur d'eau sous quille. Par ailleurs, le plan de formation de la Corporation des pilotes exige au moins trois voyages par année sur des navires ayant des tirants d'eau de 12,8 m ou plus. Selon la Corporation des pilotes, au moins 25 % de toutes les affectations de pilotage remplies par des apprentis pilotes se font sur des navires ayant des tirants d'eau d'au moins 10 m. Il ne s'agit pas d'une exigence, mais cela s'avère un reflet de la taille des navires qui transitent dans la zone.
Afin d'évaluer la performance réelle des apprentis pilotes, le plan de formation de la Corporation des pilotes stipule que l'apprenti doit faire au moins deux voyages au cours de la deuxième année de formation en compagnie d'un membre du conseil d'administration de la Corporation des pilotesNote de bas de page 19. Les évaluations sont faites de façon informelle en observant les habiletés de l'apprenti pilote au cours du voyage. Aucun processus ni outil d'évaluation structuré n'est utilisé lors des voyages accompagnés, et les habiletés et les connaissances de l'apprenti pilote ne sont pas nécessairement évaluées dans ces circonstances, pour ce qui est de la navigation avec une faible profondeur d'eau sous quille.
A 1.12.2 Formation complémentaire
Pendant leur carrière, les pilotes reçoivent de la formation complémentaire, notamment des cours sur la gestion des ressources à la passerelle (GRP) et sur la manoeuvre des navires. Toute la formation jugée nécessaire par la Corporation des pilotes est présentée à l'APL pour approbation. Les coûts de la formation sont couverts par un montant fixe alloué par l'APL alors que le solde, s'il y en a un, est assumé par les membres de la Corporation des pilotes. Le montant alloué pour la formation est précisé dans le contrat de services, après négociation entre les deux parties. Ce montant n'a pas changé depuis 1990. Il a été convenu d'augmenter ce montant en 2001, 2002 et 2003 pour couvrir les coûts de la formation en GRP. Cette formation est jugée prioritaire et tous les pilotes seront tenus de suivre cette formation d'ici le 1er janvier 2005.
Depuis 1972, la Corporation des pilotes envoie ses pilotes suivre un cours sur la manoeuvre des navires. Depuis les années 1980, cette formation a été dispensée dans le cadre d'un cours d'une semaine où les stagiaires manoeuvrent des modèles réduits de navire dans des voies navigables où sont recréés les courants, les effets de berge et d'autres phénomènes analogues. Les modèles réduits permettent d'assimiler les aspects pratiques de la manoeuvre, tandis que les cours théoriques permettent d'acquérir les grands principes de la manoeuvre des navires; on y enseigne entre autres la dynamique du point de giration d'un navire.
Au début, ce cours n'était offert qu'aux pilotes titulaires de brevets de classe A. à compter de 1990, les pilotes de classe B ont aussi pu en bénéficier. En 1993, il a été spécifié dans le contrat de service avec l'APL que tous les pilotes de classe B iraient suivre ce cours pendant leur première année de service dans la classe B. à la fin de 1999, tous les pilotes de classe A de la circonscription no 2 avaient suivi le cours (95 % l'avaient suivi deux fois), de même que tous les pilotes de classe B, sauf un. Aucun pilote de classe C n'avait encore reçu cette formation. à cause du coût élevé de cette formation et des fonds limités alloués par l'Administration de pilotage des Laurentides, la Corporation des pilotes n'autorise pas plus de 12 pilotes par année à suivre le cours. Lorsque plus de 12 nouveaux pilotes de classe B sont admissibles à la formation, le choix des participants est déterminé par l'ancienneté.
Dans les autres zones de pilotage du Canada, le choix des candidats se fait de façon différente. La Corporation des pilotes du Saint-Laurent central (circonscription no 1 de l'APL) choisit au hasard les candidats à cette formation dans toutes les catégories de pilotes. En Colombie-Britannique, l'Administration de pilotage du Pacifique envoie tous les pilotes suivre le cours sur la manoeuvre des navires au cours du quatrième mois d'un programme d'apprentissage de six mois. L'Administration de pilotage des Grands Lacs n'envoie pas encore ses pilotes suivre cette formation, mais un récent examen des besoins en formation révèle que cette formation est nécessaire.
A 2.0 Analyse
A 2.1 Fonctionnement du système de commande et de l'appareil à gouverner
A 2.1.1 Chronologie des événements
Les données du système de positionnement global différentiel (DGPS) sur l'ordinateur portatif du pilote révèlent que la vitesse du navire a commencé à diminuer à partir de 14 h 38:10. Cela indique que l'évolution vers tribord était amorcée et que la traÎnée créée par le gouvernail ainsi que la résistance accrue de l'eau sur le côté bâbord du navire avaient commencé à se faire sentir.
Un navire qui fait un virage selon un angle de barre fixe atteint une vitesse de giration maximale pour cet angle, puis conserve cette vitesse jusqu'à ce que l'angle de barre soit modifié. La période pendant laquelle la vitesse angulaire de giration demeure stable peut être considérée comme correspondant étroitement à la durée pendant laquelle le gouvernail reste à cet angle fixe. Des simulations effectuées en utilisant un angle maximal de barre à des intervalles de temps variables permettent d'étayer cette affirmationNote de bas de page 20.
Le taux d'évolution sur le fond a été analysé à l'aide des données du DGPS. Comme le vent et le courant étaient à peu près constants et que l'intervalle de temps était court, le taux d'évolution sur le fond peut être considéré comme très proche de la vitesse angulaire de giration. Les données montrent qu'un taux d'évolution maximal sur tribord a été conservé pendant un très bref moment (15 à 20 secondes) avant qu'il ne chute rapidement presque à zéro. Ces données corroborent la chronologie des événements établie à partir des observations des personnes présentes sur la passerelle, à la salle de contrôle et au compartiment à gouverner - notamment ce qui s'est passé pendant les 15 à 20 secondes pendant lesquelles le gouvernail n'a pas répondu à la barre et est resté à droite toute, après quoi la barre a été placée à zéro et le gouvernail a répondu.
L'information recueillie révèle que le gouvernail est demeuré à droite, sous différents angles, pendant 40 à 50 secondes, dont 20 secondes à la position à droite toute (35°), après quoi il est revenu à zéro. Le gouvernail n'a pas répondu à la barre pendant quelque 15 à 20 secondes.
A 2.1.2 Neutralisation accidentelle de la barre
Les registres du navire ne font état d'aucun problème intermittent ou chronique, ni d'aucune tâche d'entretien inhabituelle concernant l'appareil à gouverner et ses composants. On a procédé à des essais complets de tous les composants électriques (poste de barre, câblage et composants de l'appareil à gouverner), à des inspections à bord et à des essais poussés au banc des composants du circuit hydraulique de l'appareil à gouverner; on n'a pas décelé de défectuosité apparente du système. Bien que le débit des pompes hydrauliques de l'appareil à gouverner ait diminué d'environ 17 % en 22 ans de service, l'appareil à gouverner pouvait encore produire un couple théorique de l'ordre de 40 t/m. Les débits mesurés pendant les essais au banc produiraient un couple de 32 t/m à une pression d'utilisation de 103,5 bars. Cela aurait été plus que suffisant pour exécuter les mouvements du gouvernail alors que le navire maintenait une vitesse-surface de 12 noeuds. Selon les calculs, le couple requis pour retenir ou déplacer le gouvernail dans ces conditions devait être d'environ 12,65 t/m.
Aucune défectuosité intermittente n'a pu être reproduite pendant les essais de fonctionnement poussés qui ont été réalisés après l'échouement et aucune défectuosité intermittente n'avait été consignée ni signalée précédemment. Il est peu probable que l'appareil à gouverner ait présenté un problème intermittent à ce moment précis et pour cette durée exacte. Compte tenu du temps pendant lequel le gouvernail n'a pas répondu et du rétablissement de la situation après que l'OQ eut déplacé le sélecteur SMG, on peut conclure que le gouvernail n'a pas répondu parce que, selon toute vraisemblance, le sélecteur SMG n'était pas à la position Hand (manuel).
Le sélecteur SMG de la barre se trouve à 55 mm en arrière des poignées de la roue de gouvernail. Les simulations réalisées après l'accident ont révélé que le sélecteur pouvait être accidentellement déplacé vers la droite, jusqu'à la position NFU (non asservi), lorsqu'on tourne la roue vers la droite, ou qu'il pouvait être déplacé vers la gauche, jusqu'à la position OFF (arrêt),lorsqu'on tourne la roue vers la gaucheNote de bas de page 21. Compte tenu du faible couple de détente (0,6 Nm), ce sélecteur était relativement facile à déplacer accidentellement, il suffisait de laisser les doigts allongés en tournant la roue (voir la photo 1). Le sélecteur pouvait être déplacé par inadvertance à cause de l'endroit où il était situé et de la manière dont il était orienté. Il n'y avait ni dispositif de protection ni alarme pour ce sélecteur.
Des accidents survenus dans divers modes de transport ont été attribués à une mauvaise conception ou à un mauvais emplacement de commandes importantes pour la sécuritéNote de bas de page 22. Les boutons ou les manettes de commande doivent être conçus et placés de façon à ne pas être à la merci d'une manoeuvre accidentelle. Pour minimiser les risques de déplacement accidentel :
- il faut placer et orienter le bouton ou la manette de sorte qu'il ne risque pas d'être déplacé accidentellement;
- les commandes doivent être relativement difficiles à déplacer (couple de détente) pour prévenir les mouvements intempestifs;
- les commandes doivent nécessiter des mouvements complexes, entre autres un déverrouillage ou un mouvement rotatif, pour pouvoir être utilisées;
- les commandes doivent être munies d'un dispositif de protection permettant de les isolerNote de bas de page 23.
Bon nombre de modèles de barres de navire sont munis de dispositifs de sécurité comme des alarmes ou des caches sur le sélecteur SMG. De plus, ces commutateurs sont placés et orientés de manière qu'on risque moins de les déplacer accidentellement. En outre, sur bien des modèles, le couple de détente est bien plus élevé qu'il ne l'était sur le Alcor.
Il est impossible de savoir avec certitude si le sélecteur SMG a été déplacé à la position NFU (lorsque le pilote a tourné la roue vers la droite) ou à la position OFF (lorsque le pilote a tourné la route vers la gauche). Dans les deux cas, la roue aurait été neutralisée. Le déplacement du sélecteur depuis la position Hand jusqu'à l'une ou l'autre des deux autres positions pourrait expliquer la brève période où le gouvernail n'a pas répondu à la barre, juste avant l'échouement.
A 2.2 Expérience de la manoeuvre et du pilotage de navires
Le nez du navire avait commencé à abattre sur tribord avant même que le pilote ne prenne la barre. Même à une vitesse angulaire de giration d'un tiers de degré à la seconde (ce qui est très lent), l'évolution de 9½ degrés sur tribord n'aurait pas dû prendre plus de 30 secondes, ce qui laissait deux minutes et demi pour placer le navire du côté tribord du chenal avant de croiser le navire descendant. Au lieu de laisser au navire le temps nécessaire pour réagir dans le temps requis, le pilote a tenté une manoeuvre de retour de barre en mettant toute la barre. Le Alcor avait un ratio profondeur/tirant d'eau statique (p/t) de 1,67 à la hauteur de la bouée K-108. Si l'on tient compte de l'accroupissement, ce ratio avoisine 1,5. Depuis qu'il avait obtenu son brevet de classe C, le pilote avait eu très peu d'occasion de piloter des navires autres que le Alcor avec une faible profondeur d'eau sous quille, donc avec un faible ratio p/t.
Un navire peut ressentir des effets de faible profondeur lorsque la profondeur de l'eau est inférieure à deux fois son tirant d'eauNote de bas de page 24. Ces effets deviennent significatifs à partir d'un ratio p/t de 1,5. Lorsque ce ratio descend à 1,2 ou moins, ces effets de faible profondeur sont maximauxNote de bas de page 25. Lorsque ces effets de faible profondeur se font sentir au maximum, ils peuvent doubler le rayon de giration d'un navire par rapport à ce qu'il serait en eaux profondesNote de bas de page 26.
Entre la station de pilotage de Les Escoumins et le cap Gribane, le chenal est large et profond et les navires offrent leurs caractéristiques manoeuvrières normales comme en eaux profondes. Dans la Traverse du Nord, toutefois, le chenal se rétrécit à 305 m et l'eau est moins profonde. De plus, à la hauteur de la bouée K-108, le chenal est dragué pour maintenir la profondeur minimale à 12,5 m, et la courbe de niveau de 10 m est très proche du chenal, de chaque côté. Par contre, à l'autre point de changement de route dans la Traverse du Nord, le chenal est plus profond et cette profondeur se prolonge bien au-delà des limites du chenal.
Le Alcor doit avoir subi les effets et les forces ci-après pendant l'évolution sur tribord à la bouée K-108 :
- effet de faible profondeur - une résistance accrue du côté de bâbord derrière le point de giration et le déplacement vers l'arrière du point de giration dû à une augmentation de la résistance en avant et par bâbord avant, à cause du faible ratio p/t de 1,67 (ce ratio baisse à 1,5 si on tient compte de l'accroupissement)Note de bas de page 27;
- à peu près 0,89 m d'enfoncement dû à l'accroupissement - quand il s'exerce sur la totalité d'un navire de grande taille, l'accroupissement est généralement plus prononcé à l'avant qu'à l'arrière, et s'ajoute alors à l'assiette statique avant de 7 cm, diminuant d'autant plus l'efficacité du gouvernail;
- une tendance à se déplacer à droite à cause d'un courant de l'arrière de 2 ou 3 noeuds à quelque 75° sur l'arrière par le travers bâbord.
- Les effets et les forces précités doivent avoir rendu le gouvernail moins efficace, ce qui permettrait d'expliquer que le navire répondait mal à la barre et expliquerait également la résistance à l'évolution sur tribord. Même si le timonier a exécuté tous les ordres de barre correctement et sans hésiter, le pilote a décidé de prendre lui-même la barre à cause de la situation. Du fait de la présence d'un autre navire à 1,5 nm de distance et des mesures prises par le pilote à ce moment-là, cette décision donne à penser que le pilote avait hâte de faire abattre le Alcor pour le maintenir du côté tribord du chenal. Cette hypothèse est étayée par le fait que le pilote a mis toute la barre pour exécuter un changement de route de 9½ degrés.
Pour manoeuvrer un navire de façon efficiente et efficace, il faut « prévoir les réactions du navire » pour que ce soit le navire qui réagisse à la barre et à la machine, et non pas donner des commandements à la barre et à la machine en fonction du comportement du navire. En outre, plus le port en lourd du navire est élevé, plus l'erre du navire est difficile à casser, ce qui rend le navire d'autant plus difficile à manoeuvrer, surtout dans des eaux resserrées et lorsque la profondeur d'eau sous quille est faible. Plus le navire est gros, plus il répond lentement à la barre et à la machine, et plus les décisions doivent être basées sur la connaissance des réactions probables du bâtiment et non uniquement sur l'observationNote de bas de page 28. Les actes du pilote donnent à penser que le pilote n'a pas bien mesuré ni prévu les éléments pouvant nuire à la manoeuvrabilité du navire, notamment le faible ratio p/t, l'accroupissement et le courant de l'arrière.
A 2.3 Pilotage : Formation, expérience et méthode fondée sur l'évaluation des risques
L'augmentation de la taille des navires de commerce dans les années 70 et 80 a convaincu l'APL et la Corporation des pilotes de la nécessité de hausser les limites de taille des bâtiments que les pilotes de classe B et C sont autorisés à piloter, pour répondre à la demande de services de pilotage. Ces changements étaient indispensables pour que l'ALP dispose de la souplesse nécessaire pour dépêcher un pilote de la bonne catégorie ainsi que pour lui permettre d'utiliser à bon escient les pilotes ayant moins d'ancienneté alors que le nombre de petits navires diminuait. C'est pour cela que l'APL et la Corporation des pilotes ont décidé de se servir de changements au contrat de service pour compléter les modifications à la réglementation. Cependant, aucun de ces changements (qui ont des répercussions directes sur la sécurité) n'a fait l'objet d'une évaluation des risques en bonne et due forme.
Une méthodologie typique d'évaluation des risques comprend les tâches suivantes, entre autres :
- cerner le problème et les facteurs de risque connexes et constituer une base de données sur ces facteurs;
- former une équipe de gestion du risque chargée de mener l'évaluation des risques;
- recenser et consulter toutes les parties intéressées et cerner leurs préoccupations en matière de risque;
- analyser les scénarios de risque, ainsi que leur fréquence, leurs conséquences et leur incidence sur les coûts, ainsi que l'acceptation des risques par les parties concernées;
- cerner les options en matière de maÎtrise des risques, avec leur efficacité et leurs implications financières;
- évaluer l'acceptation des mesures proposées et des risques résiduels par les parties concernées; et
- établir un mécanisme de suivi des mesures adoptées.
Dans son Rapport sur l'Examen du système de pilotage présenté en 1999, l'Office des transports du Canada reconnaÎt l'importance d'une telle approche, qui fait l'objet de sa première recommandation, qui traite des zones de pilotage obligatoire désignées.
Par suite des changements apportés à la catégorie de brevet exigée pour les navires de diverses tailles, l'expérience du pilotage (exception faite de la période d'apprentissage) exigée d'un pilote breveté pour un navire de plus de 25 000 tpl (comme le Alcor qui avait 27 536 tpl) a été réduite, comme le montre le tableau suivant :
Période | Avant 1983 | 1983 à juin 1997 | juillet 1997 à octobre 1999 | Depuis octobre 1999 |
---|---|---|---|---|
Expérience requise |
8 ans | 4 ans | 2 ans | 1 an |
Tableau 6. Experience de pilotage requise - Pilote d'un navire de plus de 25 000 tpl
En vertu des dispositions de la réglementation et du contrat de service actuelles, un pilote est autorisé à prendre en charge des navires d'un port en lourd pouvant aller jusqu'à 30 000 tpl un an après ses débuts comme pilote. Cette expérience (si on ne tient pas compte de la période d'apprentissage) équivaut au quart de ce qui était exigé pour les bâtiments de plus de 25 000 tpl jusqu'en juillet 1997.
A 2.3.1 Formation, expérience et évaluation des compétences des pilotes
A 2.3.1.1 Formation
Le programme de formation des apprentis pilotes de la circonscription no 2, d'une durée de deux ans, permet aux participants d'acquérir les connaissances techniques nécessaires au pilotage et d'apprendre les particularités locales de la circonscription. Le programme comprend un module de formation pratique. Les apprentis pilotes peuvent choisir les navires sur lesquels ils veulent travailler et on les encourage à sélectionner des bâtiments aussi variés que possible. On exige qu'ils acquièrent de l'expérience sur les navires à fort tirant d'eau (selon le plan de formation de la Corporation des pilotes) en faisant trois voyages par année sur des navires ayant un tirant d'eau de 12,8 m ou plus. Cela ne représente cependant que 2,5 % du nombre obligatoire de voyages par année. Bien que l'information recueillie auprès de la Corporation des pilotes et de l'Administration de pilotage révèle un taux plus élevé d'affectations sur des navires à fort tirant d'eau que ces exigences minimales, il n'y a aucun système officiel en place pour mesurer et pour évaluer les habiletés des apprentis sur ces navires, en particulier les habiletés des apprentis à manoeuvrer des navires avec une faible profondeur d'eau sous quille.
à la suite des changements apportés aux critères utilisés pour établir les diverses catégories de brevets de pilotage, les pilotes doivent désormais prendre en charge des navires de plus fort tonnage plus tôt dans leur carrière sans être tenus d'acquérir plus d'expérience sur ces navires et/ou de suivre un cours spécial de manoeuvre sur modèle réduit avec pilote embarquéNote de bas de page 29.
A 2.3.1.2 Expérience de la manoeuvre et formation
La manoeuvre des navires s'acquiert grâce à la formation théorique et à l'expérience pratique. Le pilote doit acquérir des connaissances suffisantes pour toujours être en mesure d'évaluer la situation de navigation dans laquelle il se trouve afin de pouvoir prendre les décisions qui s'imposent et/ou afin de pouvoir prendre les mesures permettant de manoeuvrer le navire en toute sécurité.
La formation théorique doit permettre d'acquérir de meilleures notions fondamentales. Toutefois, il est primordial de mettre l'accent sur l'expérience pratique, parce qu'elle permet aux pilotes d'appliquer la théorie dans les diverses circonstances normalement rencontrées au cours des opérations.
Par le passé, le pilote était plus longtemps limité à la conduite de bâtiments de moins grande taille, ce qui lui permettait d'acquérir l'expérience de la manoeuvre au fur et à mesure qu'il avançait dans sa carrière. Vu qu'il est plus facile de réparer une erreur de manoeuvre sur des navires plus petits, les pilotes pouvaient ainsi acquérir de l'expérience alors que les risques de conséquences malheureuses étaient moins grands. Le fait que les pilotes étaient amenés à piloter de grands navires plus tardivement leur permettait d'acquérir une plus grande expérience sur des navires de dimensions et de types variés, avant d'accéder aux navires plus grands.
Compte tenu de la nécessité d'apporter des changements pour tenir compte du fait que les navires sur le Saint-Laurent sont plus gros, on a décidé d'être plus exigeant au niveau des conditions d'admissibilité minimales pour le brevet de pilotage. On exige désormais que les candidats soient titulaires d'un brevet de capitaine au cabotage (ou de premier officier de pont au long cours). Il est évident que pour les candidats aux brevets de pilotage, cela représente une augmentation du temps à servir en mer, mais cela ne signifie pas pour autant que ces candidats posséderont de meilleures compétences au niveau de la manoeuvre des navires.
Des cours spécialisés conçus pour améliorer l'expérience de base des pilotes, comme le cours sur la manoeuvre des navires, peuvent compléter les connaissances acquises au cours de l'apprentissage. Un tel cours, s'il est suivi assez tôt, permettra aux pilotes d'être plus en mesure de manoeuvrer de grands navires, à chaque étape de leur formation en vue de l'obtention de leur brevet.
A 2.3.1.3 Façon de procéder actuelles
Les dernières modifications apportées à la réglementation ont eu pour effet de diminuer le niveau d'expérience que les pilotes brevetés doivent posséder pour piloter des navires de 25 000 à 30 000 tpl, sans toutefois avoir été compensées par de la formation préalable (comme un cours sur la manoeuvre des navires) ni par l'ajout de critères clairement définis dans le programme d'apprentissage afin de mettre davantage l'accent sur la manoeuvre des navires ayant une faible profondeur d'eau sous quille. En outre, en vertu du régime actuel, la progression des pilotes d'une catégorie à l'autre est exclusivement déterminée par l'accomplissement du nombre minimal d'affectations dans le laps de temps fixé; la capacité de manoeuvrer de grands navires n'est pas évaluée à chaque stade.
à l'heure actuelle, dans la circonscription no 2, l'usage est d'envoyer tous les pilotes de classe B suivre une formation à la manoeuvre des navires pendant leur première année comme pilote de classe B. à la suite des changements apportés au Règlement de l'Administration de pilotage des Laurentides et au contrat de service, la catégorie C-1 équivaut désormais à l'ancienne catégorie B-3. Les pilotes de la catégorie C-1 ont moins d'expérience que ceux de l'ancienne catégorie B-3, mais on ne leur offre pas la possibilité de recevoir de la formation tant qu'ils n'accèdent pas à la catégorie B. Étant donné que les pilotes doivent dorénavant travailler sur de plus grands navires, une telle formation permettrait aux pilotes de la catégorie C-1 d'accroÎtre leurs connaissances et d'acquérir de l'expérience supplémentaire, ce qui leur permettrait d'être plus en mesure de piloter les grands navires.
A 2.3.1.4 Pilotage et sécurité
Le pilotage a pour objet d'assurer la sécurité. Des zones de pilotage obligatoire sont créées dans l'intérêt de la collectivité afin de prévenir les accidents maritimes dans le but de protéger l'environnement et l'infrastructure portuaire. On s'attend à ce que les pilotes possèdent des compétences qui respectent des normes reconnues et acceptées à l'échelle internationale et qu'ils utilisent des procédures d'exploitation qui respectent également des normes reconnues et acceptés à l'échelle internationale. Conscient de la nécessité d'assurer la plus grande sécurité possible aux navires évoluant dans les zones de pilotage du Canada, le Bureau a recommandé que les administrations de pilotage élaborent et mettent en oeuvre un mécanisme d'assurance de la qualité et de gestion de la sécuritéNote de bas de page 30. Le ministre des Transports a accepté la recommandation et a chargé les administrations de pilotage d'élaborer un système visant le développement et le maintien des compétences des pilotes. Ce point est aussi abordé dans la recommandation 9 du Rapport sur l'Examen du système de pilotage présenté en 1999 par l'Office des transports du Canada. Cette recommandation stipule, en partie :
que les administrations de pilotage soient tenues d'élaborer et de mettre en œuvre un système équitable et raisonnable en vue d'évaluer les compétences des pilotes et la qualité de leurs services, après avoir consulté les intéressés. Ces évaluations devraient être effectuées à intervalles réguliers, au moins tous les cinq ans.
Du fait que les pilotes doivent travailler plus tôt dans leur carrière sur de plus grands navires, la mise en place d'un bon programme d'assurance de la qualité est d'autant plus nécessaire. Vu que le nombre d'années d'expérience obligatoire a été réduit, un programme de formation et d'évaluation axé sur les compétences permettra d'évaluer de façon objective l'habileté des pilotes à assurer la conduite des navires en toute sécurité.
A 3.0 Faits établis
A 3.1 Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs
- Les effets de l'accroupissement, de la faible profondeur et du courant arrière, s'ajoutant à la vitesse du navire et à la faible profondeur d'eau sous quille, ont contribué à la mauvaise réponse du Alcor à la barre, à la hauteur de la bouée K-108.
- La formation et l'expérience du pilote ne lui permettaient pas de bien estimer et de bien prévoir les effets négatifs de la faible profondeur sous quille sur le comportement du navire. Croyant à tort qu'il s'agissait d'une situation d'urgence, le pilote a pris la place du timonier à la barre et a mis toute la barre pour un léger changement de cap, et il a déclenché une série d'événements qui ont mené à l'échouement.
- En raison de l'emplacement, de l'orientation et du faible couple de détente du sélecteur de mode de gouverne, et du fait que ce sélecteur n'était pas muni d'un dispositif de protection, la roue du navire a probablement été neutralisée par accident, ce qui expliquerait que le gouvernail n'a pas répondu à la barre pendant un bref moment (15 à 20 secondes) juste avant l'échouement. Vu que le sélecteur n'était pas muni d'une alarme, l'équipe à la passerelle ne s'est pas rendu compte à un moment critique que le sélecteur avait été déplacé.
A 3.2 Faits établis quant aux risques
- L'Administration de pilotage des Laurentides a permis que plusieurs modifications à la réglementation et au contrat de service soient mises en application sans évaluation des risques en bonne et due forme. Cela a permis que de grands navires soient confiés à des pilotes qui n'étaient peut-être pas tout à fait prêts à assumer cette tâche.
- Le programme actuel d'apprentissage et de post-apprentissage ne permet pas d'évaluer avec justesse l'habileté des candidats à manoeuvrer de grands navires ou des bâtiments ayant une faible profondeur d'eau sous quille.
A 3.3 Autres faits établis
- Le débit des pompes hydrauliques de l'appareil à gouverner était d'environ 17 % inférieur aux caractéristiques d'origine, mais il était suffisant pour mouvoir le gouvernail.
Partie B - Sauvetage maritime
B 1.0 Renseignements de base
B 1.1 Préparatifs en vue de la première opération de renflouement
B 1.1.1 Chargement et assiette
Le Alcor avait chargé du clinker granulé à Le Palito, Venezuela, le 25 octobre 1999. Le navire avait été déplacé plusieurs fois pendant les opérations de chargement pour permettre un écoulement libre du clinker déversé par l'installation de chargement dans chaque cale et pour assurer une bonne répartition de la charge, des débits de chargement satisfaisants et une bonne répartition des contraintes exercées sur la coque. Une fois la répartition de la cargaison terminée, les cales no 1, 2, 4 et 5 étaient partiellement remplies et la cale no 3 était vide.
La répartition de la cargaison correspondait à plusieurs des conditions de chargement typique incluses dans le livret de stabilité (Guide pour le chargement). Le port en lourd total de la cargaison était légèrement inférieur à celui de la condition de chargement typique la plus étroitement comparable (dans laquelle la cale no 3 restait également vide). Le port en lourd inférieur de la cargaison se traduisait par des forces de cisaillement et des moments de flexion en eau calme (MFEC) plus faibles s'exerçant sur la coque; au moment de l'appareillage, le MFEC équivalait à environ 40 % du maximum approuvé. Après le chargement, les tirants d'eau consignés étaient de 9,77 m à l'avant et de 9,86 m à l'arrière.
B 1.2 Première opération de renflouement
Tel qu'indiqué précédemment (au paragraphe A 1.2.2), on a demandé un remorqueur environ une heure et demie après le premier échouement, et celui-ci est arrivé sur les lieux le 9 novembre 1999 à 19 h 30. Comme la marée haute était passée, le renflouement n'était plus possible, et on a jugé qu'un seul remorqueur ne suffirait pas à la tâche.
Il restait peu de temps avant la marée haute suivante, on ne disposait d'aucun navire pour transborder la cargaison et l'eau autour du Alcor était peu profonde. On n'a donc pas organisé d'opérations de déchargement par allège. Le Alcor ne disposait pas de moyens d'autodéchargement, aussi n'était-il pas possible de sacrifier une partie de la cargaison pour réduire le tirant d'eau.
Au petit matin, le 10 novembre 1999, de fortes réverbérations ont été entendues partout sur le navire. De petites fissures ont été décelées sur le pont principal, du côté tribord, à la hauteur du couple 120, ainsi que sur le côté bâbord entre les couples 95 et 100. Le capitaine, des représentants de Transports Canada et le pilote ont convenu qu'il fallait renflouer le Alcor le plus vite possible, parce que d'énormes contraintes s'exerçaient sur la structure du navire à chaque marée basse. Le lit du fleuve devant le navire était environ 2 m plus bas qu'à l'arrière du milieu du navire.
Dans la soirée du 10 novembre 1999, quelque 28 heures après l'échouement, on a tenté de remettre le Alcorà flot avec l'aide de quatre remorqueurs, une entente relative au renflouement ayant été conclue par le biais d'un document de la Lloyd's intitulé Lloyd's Open Form, immédiatement avant la manoeuvre de renflouement. à 17 h 45, les citernes à trémie no 2 et no 3 de bâbord ainsi que la citerne à trémie no 3 de tribord ont été remplies d'air comprimé. Même si le pilote avait suggéré que la manoeuvre se fasse vers le nord (pour faire avancer le navire droit devant), le plan des préposés au sauvetage était de tirer le Alcor jusqu'en eaux plus profondes vers l'arrière, en direction du sud-est. à 17 h 55, les quatre remorqueurs étaient en position : trois remorqueurs non arrimés se tenaient sur le côté de bâbord et poussaient le navire pour l'empêcher d'être rejeté plus loin sur le banc par la marée montante; le quatrième remorqueur était arrimé à l'arrière du navire et le tirait en direction du sud-est.
Vers 18 h 15, le Alcor a pivoté autour de son centre, entre des caps au 285° V et au 055° V environ. à 18 h 35, un des trois remorqueurs-pousseurs, après avoir été envoyé à l'avant du navire et avoir été arrimé au navire, s'est mis à tirer de concert avec le remorqueur arrière. Vers 19 h, neuf minutes après la marée haute de 5,96 m, alors que le courant du montant s'affaiblissait tout en continuant de porter vers le sud-ouest (220° V), le Alcor a commencé à culer sous l'action du remorqueur et de ses propres machines.
Peu après que le Alcor a commencé à culer, les remorqueurs ont interrompu leur intervention sur les ordres du chef des opérations de sauvetage maritime, tandis que le navire continuait de faire machine arrière pendant environ deux minutes. Le cap du navire était à peu près constant, au 285° V environ. Peu après que le navire eut commencé à culer, le chef des opérations de sauvetage maritime a demandé au pilote, qui se trouvait à l'un des radars, si le navire était rendu dans des eaux sécuritaires. Sur la réponse affirmative du pilote, le chef des opérations de sauvetage maritime a stoppé la machine du Alcor; il n'avait pas encore remis la conduite du navire au pilote. Peu après, le navire a cessé de culer. Le chef des opérations de sauvetage maritime a remis la machine à en .arrière toute, et les remorqueurs ont repris leur intervention, mais sans résultat. Le Alcor s'était déplacé d'environ 2,8 encablures vers le sud-est et s'était à nouveau échoué, cette fois par 47°03′08″ N et 070°45′12″; W (voir la figure 5).
à 19 h 45, la marée avait baissé d'environ 0,5 m. Malgré les efforts continus des remorqueurs, le navire n'a pas bougé. On a décidé de suspendre l'opération de sauvetage maritime jusqu'à la marée haute suivante. Vers 22 h ce soir-là, le pilote a appelé le centre d'affectation des pilotes de Québec (Québec) pour qu'on envoie quelqu'un le remplacer. Environ 31 heures s'étaient écoulées depuis le premier échouement.
B 1.3 Rupture de la coque
Vers 00 h 15, le 11 novembre 1999, une forte réverbération s'est répercutée d'un bout à l'autre du navire. Une importante fracture s'est créée transversalement sur le pont principal; elle commençait à proximité du couple 110 du côté tribord et allait jusqu'au couple 87 du côté bâbord, en passant par la hiloire no 4. La fracture descendait des deux côtés et s'arrêtait juste avant les citernes à trémie. Les cales no 3 et no 4 étaient ouvertes à la mer et la fracture sur le pont principal mesurait 0,52 m de largeur à certains endroits (voir les photos 2, 3 et 4).
Par mesure de sécurité, presque tous les membres de l'équipage ont été évacués. L'entreprise de sauvetage maritime a renoncé au contrat type de la Lloyd's et a abandonné le contrôle du navire. Plus tard ce jour-là, on a saisi les propriétaires du Alcor d'une demande d'intention de la Garde côtière canadienne (GCC) et de Transports Canada en vertu de la Loi sur la protection des eaux, navigables et de la Loi sur la marine marchande du Canada, respectivement. On demandait aux propriétaires de présenter un plan pour l'enlèvement du navire sur-le-champ, sous peine de se voir retirer la direction des opérations.
Chaque jour comptait, car les glaces hivernales risquaient de compliquer le renflouement et de menacer davantage l'intégrité structurale du navire. La formation de la première glace était prévue pour le 13 décembre 1999.
B 1.4 Seconde opération de renflouement
B 1.4.1 Préparatifs
Le 19 novembre 1999, une autre entreprise a été choisie pour le renflouement.
L'opération de renflouement était prévue pour la soirée du 7 décembre 1999, à la marée haute. Peu avant cette date, la météo a commencé à annoncer des vents défavorables pour les 6 et 7 décembre 1999. Le moment du renflouement a été avancé à la marée haute de l'après-midi du 5 décembre 1999. Entre-temps, les préparatifs du renflouement avaient été achevés : inspection des oeuvres vives, délestage, renforcement de la structure au droit de la fracture, enlèvement des combustibles non essentiels, déchargement de la cargaison par allégeur (environ 11 200 tonnes avaient été enlevées) et levés hydrographiques complets du secteur de l'échouement. Trois bouées spéciales avaient été placées à proximité pour indiquer les limites de l'eau profonde à proximité du navire.
Bien qu'on ait discuté officieusement à différents niveaux chez les principales parties intéressées (Transports Canada, la GCC, l'entreprise de sauvetage maritime) de la fermeture de la Traverse du Nord pendant le renflouement du Alcor et sa traversée de cette partie du fleuve, on n'avait pas fait de plan en bonne et due forme et aucune directive n'avait été donnée à cet égard.
Le matin du 5 décembre 1999, le chef des opérations de sauvetage maritime a décrit la manoeuvre prévue et a donné des consignes à cet égard aux représentants de la GCC et de Transports Canada, ainsi qu'aux membres de l'équipe de sauvetage maritime, y compris les patrons des remorqueurs et les représentants des propriétaires. Il s'agissait de déplacer le navire vers l'avant une fois qu'il serait à flot, puis de faire éviter l'arrière vers tribord pour éloigner le bâtiment de la zone resserrée bordée de hauts-fonds de chaque côté. Une fois le navire en eaux navigables, on devait remettre la conduite à un pilote fluvial pour qu'il l'amène jusqu'à Québec. Les quatre pilotes choisis pour cette opération, soit deux à bord du Alcor et deux à bord du remorqueur de tête, étaient absents à ce moment-là, mais ils ont reçu des consignes à leur arrivée quelques heures plus tard. Bien qu'aucun endroit n'ait été précisément prévu pour faire le transfert de la conduite du navire du chef des opérations de sauvetage maritime au pilote, on a dit aux pilotes qu'on leur rendrait la conduite du navire dès que celui-ci serait en sécurité dans le chenal.
B 1.4.2 Manoeuvres de renflouement
Une fois le Alcor remis à flot vers 15 h 15, deux remorqueurs non arrimés ont été placés du côté bâbord du navire pour le maintenir en place. Un remorqueur s'est arrimé à l'avant du navire; l'autre s'est arrimé à l'arrière. à ce moment-là, l'équipe de sauvetage maritime ainsi que les représentants de Transports Canada et de la GCC ont fait une inspection pour vérifier la solidité structurale du navire avant de s'aventurer en eaux profondes. Le gyrocompas n'était plus fiable et il était impossible de s'en servir. Le compas magnétique n'était pas fiable non plus à cause de la grande quantité d'acier de renfort amenée à bord pour solidifier le bâtiment disloqué. Même si les radars du navire fonctionnaient, il fallait les utiliser en présentation cap en haut à cause du manque de fiabilité des données du gyrocompas.
Outre les représentants de Transports Canada et de la GCC qui étaient présents à titre d'observateurs, il y avait dans la timonerie l'équipe à la passerelle composée du chef des opérations de sauvetage maritime, d'un capitaine spécialiste en sauvetage maritime agissant alors comme chef d'équipe, et de deux pilotes. Il n'y avait ni timonier ni OQ.
Vers 15 h 40, par ses propres moyens et avec l'aide des remorqueurs placés à l'avant et à l'arrière, le Alcor a commencé à avancer (figure 6, position 1) avant de pivoter, l'arrière vers tribord pour se retrouver sur un cap orienté au 215° V environ, parallèlement aux hauts-fonds qui se trouvaient de chaque côté de lui (figure 6, position 2). Une fois le Alcor ainsi placé, on a fait machine arrière pour le faire culer avec l'aide du remorqueur placé à l'arrière. L'opération s'est déroulée comme prévu.
Vers 15 h 50, alors que le nez du Alcor se trouvait juste au-delà de la bouée spéciale, à bâbord (figure 7, position 3), le chef des opérations de sauvetage maritime a demandé si l'un des pilotes était prêt à prendre la conduite du navire. Le premier pilote a répondu par l'affirmative; il a pris la conduite du navire et a demandé au remorqueur de tirer le Alcor en direction de la bouée K-108. Le second pilote surveillait l'un des radars, tandis que le capitaine des opérations de sauvetage maritime surveillait l'autre. La visibilité était bonne avant le renflouement, mais elle était maintenant de quelque 0,5 nm, et parfois elle était encore plus faible.
Le Alcor continuait à culer quand le capitaine des opérations de sauvetage maritime, qui portait aussi le point sur la carte, a indiqué que le navire se rapprochait dangereusement du haut-fond nommé « Le Banc de Sable », situé à 1,2 nm au sud-sud-ouest du cap Tourmente. Même si le second pilote, qui vérifiait la position du navire sur le radar, était sûr que le Alcor avait assez de place pour manoeuvrer, le premier pilote, qui avait la conduite du navire, a ordonné au remorqueur arrimé à l'arrière du navire de cesser de tirer le navire et a donné l'ordre de placer la machine en marche avant. Le chef des opérations de sauvetage maritime a placé le transmetteur d'ordres de la machine principale à en avant demie (figure 7, position 4).
B 1.4.3 Changement dans les plans
Pendant qu'il culait, on a laissé le Alcor venir sur bâbord par inadvertance, à partir d'un cap initial au 215°V, et il se trouvait alors sur un cap entre 140°V et 150°V. Les opinions divergent pour expliquer pourquoi ceci est arrivé, mais en général, on s'entend pour dire qu'il y a eu une tension non voulue sur le câble de remorque des remorqueurs placés à l'avant pendant la manoeuvre arrière. Idéalement, le câble de remorque aurait dû garder du mou pendant toute la manoeuvre arrière. Plus tard, la poussée de la machine en marche avant du Alcor et la traction du remorqueur placé à l'avant ont cassé l'erre en arrière du Alcor qui a commencé à avancer. Peu après, vers 16 h 15, la bouée SB3, émergeant de la brume par l'avant tribord, est devenue visible de la timonerie du Alcor (figure 7, position 5). Comme le premier pilote ne donnait pas d'ordre, le second pilote, qui l'assistait, s'est affirmé et a ordonné au remorqueur de l'avant de tirer le Alcor en direction de la bouée K-108, pour éloigner le navire des hauts-fonds à tribord. Cette intervention a placé davantage l'avant du Alcor vers bâbord, jusqu'à un cap entre 110°V et 100°V alors que le navire arrivait dans le chenal (figure 7, position 6).
à son entrée dans le chenal, le Alcor avait le nez plus tourné vers l'aval que vers l'amont. Le second pilote, qui avait alors pris de facto la conduite du navire, a décidé de continuer vers l'aval et de faire demi-tour à Sault-au-Cochon où il y avait plus de place pour manoeuvrer. Vers 16 h 17, le Alcor s'est redressé dans le chenal et a mis le cap vers l'aval.
B 1.5 Avaries observées après la première opération de renflouement
Au petit matin, le 10 novembre 1999, presque à marée basse, l'équipage a noté la présence de fissures sur le pont principal : près du couple 120 de tribord et entre les couples 95 et 100 de bâbord. Le profil du fond du fleuve à l'endroit de ce premier échouement est tel que 40 % du navire (la partie arrière) se trouvaient dans environ 4 m d'eau, tandis que sous la partie avant du navire, la profondeur augmentait progressivement pour atteindre environ 6 m au niveau de l'étraveNote de bas de page 31.
Selon l'orientation du navire lors de ce second et dernier échouement, peu après 19 h, le 10 novembre 1999, et d'après l'« empreinte » laissée par le bâtiment sur le lit du fleuve, le bordé de fond à l'arrière du milieu du navire se trouvait dans environ 2,5 m d'eau. Cette partie du navire reposait sur le fond pendant tous les cycles de marée. La moitié avant du navire se trouvait sur une pente douce, l'étrave se trouvant dans environ 5 m de fond. La poussée hydrostatique s'exerçant sur la moitié avant du navire échoué fluctuait avec le niveau de l'eau qui montait et baissait avec les marées. La hauteur maximale de la marée avant la principale défaillance structurale du Alcor était de 5,31 m, soit un peu plus de la moitié du tirant d'eau avant initial du navire à flot.
Après l'immobilisation à la position finale d'échouement le 10 novembre 1999, les conditions ci-après ont créé des contraintes de traction et des moments de flexion très élevés dans les éléments supérieurs de la poutre-coque :
- l'importante réduction du soutien assuré par la poussée hydrostatique à marée basse;
- la perte de la flottabilité de la coque à l'état intact à cause de l'envahissement des citernes à trémie no 2 et no 3 de bâbord et de la citerne à trémie no 3 de tribord;
- le port en lourd de la cargaison dans les cales no 1 et no 2 qui se trouvaient à l'extrémité avant du navire qui ne reposait pas sur le fond.
Le moment de flexion en eau calme (MFEC) à peu près à mi-coque était bien supérieur au MFEC maximal approuvé pour le navire à flot et il a finalement dépassé celui que la structure du pont principal du navire échoué pouvait supporter.
Les concentrations de contraintes de traction à de petites discontinuités dans les éléments supérieurs de la poutre-coque ont donné naissance à des ruptures fragiles dans le bordé du pont principal, lesquelles se sont propagées dans le pont et dans les lisses de pont, puis dans la virure de carreau et le plat-bord, et enfin dans le bordé de muraille.
Les principales fractures dans le bordé de muraille de bâbord et de tribord ont détruit l'étanchéité des cales à cargaison no 3 et no 4 et celle des ballast latéraux supérieurs no 2 de tribord et no 3 de bâbord. Les fractures dans le bordé du pont principal près du milieu du navire s'élargissaient jusqu'à 0,52 m environ.
L'intégrité longitudinale de la coque n'était plus assurée que par le bordé de fond, la tôle de plafond de ballast de double-fond et la structure interne du double-fond. Ces éléments inférieurs de la poutre-coque subissaient des contraintes de compression et demeuraient intacts, jouant collectivement un peu le rôle d'une énorme charnière.
B 1.6 Dommages à l'environnement
Le navire s'est échoué à moins de 0,5 nm d'un sanctuaire d'oiseaux situé sur les rives du Saint-Laurent. De plus, cette zone est un habitat naturel pour plusieurs espèces de canards. Environ 25 tonnes de clinker des cales no 3 et no 4 se sont déversées dans le fleuve.
Le clinker n'est pas considéré comme un polluant marinNote de bas de page 32, et l'on n'a pas jugé que le déversement mettait en danger l'habitat des oiseaux ou des poissons. Il n'y a pas eu de déversement de mazout lourd, de carburant diesel ou d'autre polluant marin dans l'environnement par suite de l'échouement ou de la rupture de la structure du navire.
B 1.7 Conditions météorologiques, courants et marée
Dans la soirée du 10 novembre 1999, lors de la première opération de renflouement, les vents soufflaient du nord-est à 15 ou 20 noeuds. La visibilité était parfois réduite dans la neige, mais restait généralement bonne. à 19 h, le courant de marée, de 0,5 à 1 noeud, portait au sud-ouest, à peu près au 220° V.
Le 5 décembre 1999, au moment du renflouement réussi, la visibilité était parfois réduite à moins de 1 nm à cause de la brume, particulièrement pendant les manoeuvres de renflouement proprement dites, entre 15 h 30 et 16 h 30, où elle était parfois inférieure à 0,2 nm. Selon l'information recueillie, une fois le Alcor rendu dans le chenal et en route, la visibilité était bonne. à 16 h, alors que le navire était amené dans le chenal, le courant de marée portait au 220°V environ et atteignait une vitesse de 0,5 à 1 noeud. Les vents étaient calmes.
B 1.8 Infrastructure gouvernementale
Les eaux en question se trouvent à l'intérieur de la zone de responsabilité des STM. Le mandat des STM, outre les communications, est généralement limité à la prestation d'avis et d'information aux navires. Dans certaines circonstances, il peut arriver que les STM dirigent le trafic maritime (paragraphe C 1.5 du présent rapport pour plus de détails sur les directives aux navires).
Une autre division de la GCC a rapidement été appelée à intervenir dans l'accident du Alcor : la Division de l'intervention environnementale de la Direction générale des programmes maritimes du bureau régional de la Garde côtière. Conformément à son mandat, cette division a surveillé la situation pour assurer la protection de l'environnement.
La Sécurité maritime de Transports Canada (SMTC) a été active pendant que le Alcor était échoué. Des experts maritimes de la SMTC sont montés à bord du navire dans les heures suivant l'échouement. Après la rupture de la coque, ils sont restés à bord pour surveiller l'état du navire. Après le début de la seconde opération de renflouement, ils ont réévalué la solidité structurale du navire avant de lui permettre de se rendre à Québec.
La Loi sur la protection des eaux navigables accorde au ministre les pouvoirs nécessaires pour faire enlever un navire échoué si le problème ou le danger persiste pendant plus de 24 heuresNote de bas de page 33.
B 1.9 Relève des pilotes (Circonscription no 2)
L'article 35 du Règlement de l'Administration de pilotage des Laurentides prévoit que deux pilotes seront requis, dans la circonscription no 2, dans les conditions suivantes :
- sur un navire qui fera probablement route pendant plus de 11 heures consécutives dans la circonscription no 2;
- sur un navire qui a un port en lourd supérieur à 74 999 tonnes;
- sur un navire-citerne d'un port en lourd de 40 000 tonnes ou plus;
- sur un navire à passagers de plus de 100 m de longueur; ou
- sur tout navire durant la période de navigation d'hiver.
Cette exigence permet de réduire les risques de deux façons. En premier lieu, pour les affectations de longue durée, parce qu'elle permet d'éviter une fatigue excessive. Chaque pilote travaille pendant une durée mutuellement convenue, puis il est relevé par le second pilote, et vice-versa. En second lieu, pour certains navires qui font que la gravité éventuelle des conséquences d'un accident justifie le travail d'équipe, elle évite que le bâtiment soit à la merci de l'erreur d'une seule personne. Dans de telles situations, même si chaque pilote assure à son tour la conduite du navire pendant une bonne partie du voyage, les deux travaillent en équipe pour la traversée de zones stratégiques comme la Traverse du Nord.
Il n'existe ni directives ni consignes écrites, ni dispositions réglementaires précisant si les deux pilotes doivent travailler en équipe ou quand ils doivent le faire. La décision relève d'eux uniquement. En outre, il n'existe pas de critère établi concernant l'assistance au pilote ou la relève du pilote dans des situations critiques où il n'y a qu'un pilote à bord. Dans de telles circonstances, les consignes actuelles de l'APL et de la Corporation des pilotes remettent au pilote en cause la décision de demander à être relevé.
B 1.10 Code international de gestion de la sécurité
Le système de gestion de la sécurité du navire et de la gérance a été vérifié par le Registre des navires de Russie qui l'a trouvé conforme aux exigences du Code ISM. Le certificat de gestion de la sécurité du navire était valable jusqu'en avril 2003; le document de conformité de la gérance était valable jusqu'en mars 2003.
L'article 8 (Préparation aux situations d'urgence) du Code ISM stipule ce qui suit :
- La compagnie (gérance) devrait établir les procédures pour identifier et décrire les situations d'urgence susceptibles de survenir à bord ainsi que les mesures à prendre pour y faire face.
- La compagnie devrait mettre au point des programmes d'exercices préparant aux mesures à prendre en cas d'urgence.
- Le système de gestion de la sécurité devrait prévoir des mesures propres à garantir que l'organisation de la compagnie est à tout moment en mesure de faire face aux dangers, accidents et situations d'urgence pouvant mettre en cause ses navires.
B 1.10.1 Consignes à bord (Propriétaires/exploitants)
Les mesures à prendre en cas de situation d'urgence étaient décrites dans le manuel d'exploitation du navire (volume II, section 6). Le chapitre 2 de la section 6 recommandait des mesures à prendre en cas de sinistres divers : échouement, panne de l'appareil à gouverner, envahissement, sauvetage maritime et rupture de la coque. Voici un extrait de l'annexe « Q » (Sauvetage maritime) du manuel :
[Traduction]
Dans la majorité des cas, lorsque le temps et les circonstances le permettent, les propriétaires ainsi que le capitaine conviennent avec les sauveteurs des conditions selon lesquelles les services de sauvetage maritime seront rendus, avec l'autorisation des autres parties qui ont des intérêts dans le navire et qui peuvent bénéficier des services de sauvetage maritime. Par conséquent, lorsque des services de sauvetage maritime sont requis, il est important que le capitaine informe la société immédiatement après le sinistre afin d'éviter que les opérations de sauvetage maritime ne prennent un caractère urgent et que les services deviennent de ce fait plus coûteux.Cependant, en cas d'urgence absolue, le capitaine peut négocier lui-même les clauses de l'entente de sauvetage maritime avec les sauveteurs, normalement selon le contrat type de la Lloyd's. On doit insister sur le fait que seul le capitaine a l'autorité de conclure une entente lorsque le navire et sa cargaison courent un danger imminent et qu'il n'est pas possible, dans les limites du raisonnable, de communiquer avec les armateurs et les propriétaires de la cargaison, ni avec toute autre partie ayant un intérêt dans le navire et qui bénéficiera des services de sauvetage maritime, afin d'obtenir leur autorisation.
B 2.0 Analyse
B 2.1 Plans d'urgence et évaluation des risques
Dans les heures qui ont suivi l'échouement, la responsabilité de prendre les bonnes décisions concernant le renflouement appartenait au capitaine, avec l'aide du pilote. Comme le navire n'était pas « solidement échoué » initialement, mais encore en mouvement, il a tenté de se dégager par ses propres moyens. Un seul remorqueur a été demandé et cela, environ une heure et demie après l'échouement, après avoir demandé la permission aux propriétaires du navire. Le tout a fait perdre du temps précieux parce que pendant ce temps le navire a été poussé vers les hauts-fonds par la marée montante, et lorsque le remorqueur est arrivé, la marée avait baissé d'un mètre environ et un seul remorqueur ne suffisait plus pour le renflouement. En conséquence, le navire a subi des avaries importantes avant qu'on puisse finalement le remettre à flot.
Les consignes de gestion de la sécurité de la compagnie (selon le Code ISM) consistaient en une liste de vérification générale de mesures à prendre dans des situations comme des échouements ou des opérations de sauvetage maritime. Au fil des événements, le capitaine, le pilote et les divers organismes gouvernementaux ont réagi aux événements au lieu de prendre des mesures fondées sur une démarche structurée basée sur des plans de mesures d'urgence ou d'autres processus de gestion des risques.
En vertu du Code ISM de la compagnie, le capitaine est l'autorité ultime et c'est à lui que revient, au bout du compte, la responsabilité des décisions touchant la sécurité et la prévention de la pollution. De plus, les clubs de protection et indemnisation (P&I clubs) comprennent la nécessité d'agir vite dans les situations d'urgence et protègent le propriétaire contre des conséquences financières découlant de la nécessité du capitaine de prendre des décisions sans l'avantage des devis estimatifs. Cependant, en réalité, le capitaine est pressé par les armateurs, implicitement ou expressément, de consulter la compagnie et de limiter le plus possible les dépenses en toutes circonstances. C'est ce qui explique que le capitaine a consulté les propriétaires au sujet des remorqueurs après l'échouement du Alcor. Plus souvent qu'autrement, la différence de fuseau horaire entre le navire et le lieu d'affaires des propriétaires, ainsi que les barrières linguistiques qui peuvent gêner la communication entre le capitaine et les propriétaires, peuvent nuire à la compréhension et compliquer la tâche du capitaine à un moment critique. En outre, le capitaine est sur place et il est le mieux placé pour évaluer la situation et prendre des décisions touchant la quantité et la qualité des ressources requises, que les propriétaires qui ne sont pas nécessairement au courant de tous les éléments locaux qui entrent en jeu. Le capitaine, cependant, ne possède pas nécessairement une connaissance approfondie des eaux où l'échouement est survenu ou des ressources auxquelles il peut faire appel, et il doit s'en remettre aux autorités locales à cet égard. L'absence de consignes, .de plans de mesures d'urgence ou d'évaluation des risques au niveau local (Transports Canada [TC], l'Association de pilotage des Laurentides [APL], la Garde côtière canadienne [GCC]) peut causer des retards et faire en sorte que le choix des moyens ne soit pas optimal.
Le navire doit être renfloué rapidement si l'on veut réduire les risques pour l'environnement et préserver la solidité structurale du navire dans des eaux à haut risque comme celle qu'on retrouve à proximité de la Traverse du Nord. Les eaux entre Québec et la station de pilotage de Les Escoumins peuvent, à bien des égards, être considérées comme des eaux à haut risque. Les éléments suivants, entre autres, présentent des dangers :
- la brume dense;
- les courants forts;
- les vents forts;
- la forte concentration d'embarcations de plaisance et d'embarcations d'observation des baleines durant la saison estivale;
- le nombre réduit d'aides flottantes à la navigation durant la saison hivernale;
- les fortes amplitudes des marées (jusqu'à 7,1 m, à l'Île-aux-Coudres);
- la formation de glace épaisse;
- les zones où la profondeur d'eau sous quille est faible; et
- les navires lourds qui traversent régulièrement cette zone (Traverse du Nord) seulement quand la marée est à son plus haut.
En cas d'échouement, le niveau de risque associé aux avaries au navire et aux dommages à l'environnement varie entre le moment de l'échouement et jusqu'à ce que le navire soit rendu en sécurité à son poste d'amarrage. Le rassemblement des ressources et une affectation rapide des ressources, parallèlement à la première opération de renflouement du navire, sont essentiels pour maximiser les chances de réussite du renflouement. Un pilote peut être d'un grand secours au capitaine pendant le renflouement. L'APL n'a pas d'approche structurée pour préparer les pilotes à aider les capitaines à évaluer les risques et à prendre des décisions éclairées pour faire face aux situations d'urgence, décisions qui peuvent avoir des répercussions sur le choix des bons moyens et la promptitude avec laquelle ces moyens sont mis en oeuvre.
La GCC a mis au point une procédure coordonnée et structurée de gestion des situations d'urgence liées à la pollution, aux opérations de recherche et sauvetage et aux opérations portuaires. Cette procédure, fondée sur un modèle de gestion du risque, n'est cependant pas utilisée pour les situations d'urgence (comme les échouements) liées à la conduite de navires dans des chenaux étroits et dans des eaux où le pilotage est obligatoire. « Il importe de comprendre le profil des risques d'un port ou d'une voie de navigation afin d'établir des priorités en matière de gestion du risque . . . » (traduction)Note de bas de page 34. La nature dynamique des opérations de sauvetage maritime oblige souvent à régler des problèmes ponctuels et à prendre des décisions rapides, situation qui comporte un plus grand risque d'erreur. Une procédure structurée constitue donc une bonne assise pour prendre des décisions éclairées. Elle permet aussi à toutes les parties de coordonner leurs actions, de communiquer l'une avec l'autre et de suivre de près l'évolution de la situation.
La loi permet de réagir promptement en cas de situation d'urgence liée au transport maritime. La Loi sur la marine marchande du Canada habilite le ministre des Pêches et des Océans à prendre les mesures qu'il estime nécessaires pour prévenir ou réduire au minimum les dommages causés par la pollution, et il n'y a pas de critère fixe concernant une quelconque limite de tempsNote de bas de page 35. La Loi sur la protection des eaux navigables autorise le ministre des Pêches et des Océans à prendre des mesures si un obstacle ou un danger persiste pendant plus de 24 heuresNote de bas de page 36. Compte tenu de l'amplitude des marées qu'on retrouve entre Les Escoumins et Québec, il peut s'agir d'un laps de temps trop long dans certaines circonstances.
B 2.2 Éléments ayant une incidence sur les opérations de sauvetage maritime
Les connaissances et l'expérience nécessaires pour mener une opération de sauvetage maritime ainsi que les rapports entre le pilote et les sauveteurs sont des éléments qui jouent un rôle important et qui décident du succès ou de l'échec de l'opération. On a déjà relevé des cas où les opérations de renflouement ont échoué à cause de lacunes sur ces deux plansNote de bas de page 37. Un plan de sauvetage maritime complet comprend la préparation du navire pour le renflouement ainsi qu'un plan de navigation pour le navire après le renflouement. L'APL et la Corporation des pilotes des Laurentides connaissent à fond les particularités des eaux locales et sont les organismes les mieux placés pour fournir des renseignements sur la navigation dans ces eaux. Leur participation à la planification et à l'élaboration du plan permettrait d'assurer entre autres :
- que le plan de navigation est précis et complet;
- que les éléments locaux importants pour le succès de la mission sont pris en compte lors de la planification;
- que le rôle de chaque participant est bien compris;
- à quel moment le chef des opérations de sauvetage maritime redonnera la conduite du navire au pilote; et
- que toutes les ressources et la technologie disponibles sont utilisées à bon escient.
Les opérations de sauvetage maritime sont des opérations complexes où la situation change rapidement. Ces opérations nécessitent un travail d'équipe efficace et une bonne coordination entre le chef des opérations de sauvetage maritime, le capitaine des opérations de sauvetage maritime, les pilotes et le capitaine du navire. Pour y arriver, il faut assurer une bonne communication et surveiller étroitement la situation. Un autre élément qui joue un rôle important dans le succès de l'opération est la mise en oeuvre d'un plan de renflouement structuré, un plan que tous les membres de l'équipe comprennent bien.
B 2.2.1 Communication et surveillance
On compte plusieurs cas où l'enquête a révélé que le manque de communication avait joué un rôle dans l'accident maritimeNote de bas de page 38. Lors des deux opérations de renflouement, la communication entre les membres de l'équipe à la passerelle au sujet de la navigation du Alcor a été limitée et épisodique. Résultat, les membres de l'équipe n'avaient pas une bonne conscience de la situation et leur réaction à la situation a été mal coordonnée, improvisée et intempestive. En outre, des décisions critiques qui pouvaient avoir des répercussions sur l'opération de renflouement, notamment la fermeture et la réouverture du chenal, n'ont pas été communiquées à toute l'équipeNote de bas de page 39. Quand la communication entre le(s) pilote(s) et les autres membres de l'équipe à la passerelle n'est pas bonne, les relations de travail sont fragmentaires et il survient une rupture de la synergie au sein de l'équipe. Cette façon de prendre des décisions et de communiquer peut s'avérer un maillon faible qui rend le système vulnérable et peut faire qu'une seule défaillance peut causer un événement grave.
B 2.2.2 Efficacité de l'équipe
Lors de manoeuvres dans des eaux resserrées, il est essentiel que tout l'équipement de navigation du navire, y compris le radar, soient utilisées au maximum et que l'information utile à la navigation et à la sécurité du navire soit bien communiquée si l'on veut que les membres de l'équipage à la passerelle soient bien au fait de la situation.
Au cours des deux opérations de renflouement (celle qui n'a pas réussi et celle qui a réussi) :
- l'équipe de navigation n'a pas travaillé en équipe, en ce sens que de l'information essentielle pour avoir une bonne conscience de la situation n'a pas été communiquée à tous les membres de l'équipeNote de bas de page 40;
- le point n'a pas été porté sur la carte et l'équipement de navigation n'a pas été utilisé de façon optimale, en ce sens que des techniques radar qui auraient pu aider un ou des membres de l'équipe à mieux visualiser l'espace libre pour manoeuvrer à l'arrière et autour du navire n'ont pas été utilisées efficacement;
- on a manoeuvré de façon à ce que le navire demeure en travers du courant et les mesures prises pour neutraliser les effets du courant se sont avérées inefficaces - et cela, malgré la présence de quatre remorqueurs; et
- aucun des membres de l'équipe de navigation ne s'est vraiment rendu compte que le navire pénétrait dans la zone de hauts-fonds. Cela semble indiquer que l'équipe de sauvetage maritime / navigation n'était pas pleinement consciente des effets du courant sur le navire et que la progression du navire ne faisait pas l'objet d'une surveillance étroiteNote de bas de page 41. Cela a provoqué un deuxième échouement (le 10 novembre 1999) et a failli en causer un troisième qui a été évité de justesse (le 5 décembre 1999).
B 2.2.3 Précision du plan de navigation et de renflouement
On a examiné le plan de navigation du Alcor (opération de renflouement du 5 décembre 1999 qui a réussi) après la remise à flot et l'on a constaté que le plan était incomplet pour les raisons suivantes :
- Le commandement du navire a été remis trop vite, ce qui a obligé le pilote à improviser des manoeuvres pour revenir dans le chenal.
- Personne n'a été chargé exclusivement de tenir la barre pendant le renflouement du navire. Cela a obligé les membres de l'équipe à la passerelle à prendre la barre « selon les besoins ».
- La fermeture du chenal a été improvisée. La décision a été prise par des responsables de Transports Canada, mais elle n'a pas été dûment communiquée aux autres membres de l'équipe. La décision du pilote de permettre à un autre navire de traverser la zone au moment du renflouement venait à l'encontre de cette décision.
- La réouverture du chenal a été faite de manière sous-entendue et prématurée. Les décisions des pilotes et l'absence de régulation du trafic maritime de la part des STM ont créé de la confusion et du désordre et ont contribué à la quasi-collision entre un navire-citerne et un porte-conteneurs. (partie C du présent rapport pour un exposé détaillé des faits et une analyse de cet événement connexe.)
B 2.2.4 Déploiement des ressources
B 2.2.4.1 Systèmes de cartes éélectroniques
Le système de poursuite Starlink (qui utilise la technologie DGPS) dont se servait le pilote le 9 novembre 1999 était conçu pour servir strictement dans le chenal navigable et il n'a pas été utilisé lors de la première opération de renflouement le 10 novembre 1999. Cependant, la position précise en temps réel du navire, la route fond (avec vecteur visuel) et les lectures de la vitesse fournie par le système Starlink auraient permis à l'équipe d'avoir une meilleure conscience de la situation. Même sans capacité de surimpression sur carte, ce système aurait pu être utilisé en association avec l'information fournie par le radar pour aider l'équipe à la passerelle à mieux suivre la progression du navire.
Le navire n'était pas doté d'un système de cartes éélectroniques (SCE) et un tel système n'était pas obligatoire en vertu des règlements. Au cours de la deuxième opération de renflouement, l'équipe de sauvetage maritime n'a pas apporté à bord d'appareil portatif avec moyens SCE, et les pilotes ne se sont pas servi d'un système de repérage Starlink pour avoir une bonne conscience de la situation. Ces systèmes peuvent fournir en continu des données précises et à jour sur la position, de même que l'image du navire (à l'échelle)Note de bas de page 42. Cette fonction, de même que la représentation visuelle des effets des forces du vent et du courant s'exerçant sur le navire, fournissent de l'information précieuse permettant à l'équipe à la passerelle d'avoir une bonne conscience de la situation. En outre, pendant le renflouement qui a réussi, un SCE/SEVCM aurait fourni des données précises sur la route fond, données qui auraient pu compenser, dans une certaine mesure, l'absence d'information exacte sur le cap qu'aurait pu fournir le gyrocompas ou le compas magnétique. Les avantages liées à l'utilisation d'un SCE/SEVCM pour une opération de sauvetage maritime dans des eaux resserrées n'ont pas été bien évalués.
B 2.2.4.2 Remorqueurs
Quatre remorqueurs ont été utilisés pour le renflouement. Les remorqueurs (un étant arrimé à l'avant et l'autre à l'arrière du navire) ont été utilisés pour faire éviter le navire et pour contrôler la vitesse. Les autres remorqueurs n'ont pas été arrimés parce qu'on voulait qu'ils restent mobiles pour pouvoir se rendre rapidement à l'endroit où l'on aurait besoin d'eux. Pendant les opérations de renflouement, alors que le navire se trouvait en travers du courant, les remorqueurs n'ont pas été utilisés efficacement pour placer le Alcor de manière à neutraliser les effets de la marée montante et lui permettre d'entrer plus facilement et en toute sécurité dans le chenal.
B 2.3 Relève du pilote
Dans les minutes et les heures qui suivent un échouement ou un autre accident important dans une zone de pilotage, un pilote aide normalement le capitaine à s'acquitter des diverses fonctions opérationnelles. Dans une situation d'urgence comme un échouement, le facteur temps est très important. Selon l'évolution de la situation, la situation d'urgence peut perdurer pendant des heures, voire des jours, avant qu'on ne réussisse à renflouer le navire. Dans ce contexte, certains éléments influent sur le rendement du pilote et de l'équipage, entre autres le nombre d'heures travaillées, la capacité de profiter régulièrement de périodes de sommeil ininterrompues et les conditions difficiles auxquelles la personne est exposée sur le plan mental et physiqueNote de bas de page 43.
Une opération de renflouement est une opération extrêmement exigeante, et l'habileté du pilote à se concentrer est un des éléments nécessaires à sa réussite. Pour réussir à se concentrer suffisamment, le pilote doit être frais et dispos et, idéalement, il lui faut rester émotionnellement à l'écart de l'accident. Même si des dispositions sont prises pour qu'il soit possible de communiquer avec des pilotes lors de situations d'urgence ou d'autres cas, c'est le pilote en cause dans l'événement qui doit prendre la décision de demander de l'aide ou de demander à être remplacé.
Dans le cas à l'étude, on a proposé au pilote de le relever, mais il a refusé. Au moment du renflouement raté, le pilote était à bord depuis environ 38 heures, dont quelque 30 heures au cours desquelles il avait participé activement aux opérations. Même si le pilote disposait d'une cabine et avait pu dormir, il n'avait peut-être pas bénéficié d'un sommeil réparateur à cause des nombreux va-et-vient qui ont suivi le premier échouement ainsi que des réverbérations sonores produites par les fissures qui se propagées dans la coque pendant la nuit.
La dégradation du rendement attribuable à la fatigue se caractérise notamment par des réactions plus lentes ou intempestives, des erreurs et une diminution de la vigilance. Dans les opérations, cela peut se traduire par un manque d'attention, une conscience pas tout à fait juste de la situation et un jugement diminué par l'incapacité de bien percevoir et évaluer les événements ainsi qu'à y réagir promptementNote de bas de page 44. Dans cet accident, on retrouve plusieurs de ces symptômes. Le rapport entre le chef des opérations de sauvetage maritime et le pilote, peu avant le second échouement, est un exemple. Pendant qu'on faisait culer le navire pour l'écarter du haut-fond, le chef des opérations de sauvetage maritime a demandé au pilote si le navire se trouvait dans une zone sécuritaire. Le pilote a répondu par l'affirmative (ce qui était techniquement exact), mais il n'a pas prévenu le chef des opérations de sauvetage maritime que le navire allait se retrouver rapidement à nouveau dans une zone dangereuse. De plus, rien n'a été fait pour étaler le courant et le vent une fois que le navire a été renfloué.
Il ne s'agit pas d'un cas isolé. à titre d'exemple, en 1997, le vraquier Venus s'est échoué près de Bécancour (Québec). Le pilote, sous contrat avec l'APL, avait choisi de ne pas se faire remplacer et de ne pas demander l'aide d'un autre pilote qui aurait pu partager le travail avec lui, et il était resté à bord pendant une longue période. Tout comme le Alcor, le Venus s'est échoué une deuxième fois après avoir été remis à flot. Dans un cas comme dans l'autre, il a été déterminé que la dégradation du rendement du pilote due à la fatigue a joué un rôle dans le second échouement, bien que la fatigue n'ait pas été une cause directe.
Le régime de relève du pilote de l'APL (après un accident) est essentiellement basé sur la notion qu'un pilote est en mesure d'évaluer lui-même son état de fatigue ou sa fragilité émotionnelle. Cependant, il n'est pas toujours possible de bien évaluer soi-même sa vigilance et son rendementNote de bas de page 45. La nature insidieuse de la fatigue ainsi que son impact sur la prise de décisions et le jugement ont été mis en évidence dans des rapports antérieurs du BSTNote de bas de page 46. De plus, le stress lié au fait d'avoir été impliqué dans un accident peut se répercuter sur la capacité du pilote à s'acquitter de ses fonctions. On sait depuis longtemps que le stress peut provoquer certains types d'erreurs. Enfin, la nature humaine et la fierté professionnelle peuvent empêcher le pilote d'évaluer objectivement s'il a besoin d'être relevé ou s'il a besoin d'aide.
Bien que l'Administration de pilotage des Grands LacsNote de bas de page 47 reconnaÎsse la nécessité de relever un pilote en cause dans un accident, l'APL n'oblige pas le pilote à se faire relever dans un tel cas, même si elle prévoit qu'il faut relever un pilote dans des conditions normales lorsqu'un voyage se prolonge à cause de la lenteur du navire ou des conditions hivernales. En l'absence de critères clairs concernant le remplacement des pilotes après un accident, le pilote est placé dans une situation délicate : c'est à lui de décider s'il doit demander de l'aide ou un remplacement. Dans les circonstances, le pilote est peut-être mal placé pour prendre cette décision, laquelle peut pourtant avoir des conséquences sur la sécurité de la navigation.
B 3.0 Faits établis
B 3.1 Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs
- Lors des deux opérations de sauvetage maritime du Alcor, les remorqueurs n'ont pas été utilisés de façon optimale pour contrecarrer l'influence du vent et de la marée. C'est ce qui a provoqué le deuxième échouement du navire le 10 novembre 1999 ainsi qu'un quasi-échouement qui a pu être évité de justesse le 5 décembre 1999.
- Les premières mesures d'urgence prises après l'échouement laissaient à désirer. L'intervention tardive et la mauvaise évaluation des ressources nécessaires pour dégager le navire ont fait que les chances de renflouer le navire avant qu'il ne subisse des avaries étaient plus minces.
B 3.2 Faits établis quant aux risques
- Transports Canada n'a pas encore établi de critères en fonction desquels on pourrait évaluer un plan de sauvetage maritime.
- Du fait que ni le Centre des Services de communications et de trafic maritimes (SCTM), ni l'Administration de pilotage des Laurentides (APL) ni la Corporation des pilotes des Laurentides n'ont participé à la planification et à l'élaboration du plan de sauvetage maritime, tous ces organismes n'étaient pas au courant de tous les détails du plan, ce qui a provoqué :
- un manque de contrôle, qui a créé de la confusion et une absence de coordination entre les ministères, les organismes gouvernementaux et les entreprises commerciales;
- une mauvaise répartition et une utilisation inefficace des ressources humaines, technologiques et matérielles.
- L'APL n'a pas de méthode structurée grâce à laquelle les pilotes pourraient aider les capitaines à prendre des décisions éclairées lors d'une situation d'urgence.
- Pendant les opérations de sauvetage maritime, la communication entre les membres de l'équipe à la passerelle concernant la navigation du Alcor est demeurée limitée et épisodique, certaines aides à la navigation disponibles n'ont pas été utilisées efficacement et les rapports de travail sont restés fragmentaires. L'application des principes de gestion des ressources à la passerelle laissait à désirer, ce qui augmenté les risques d'accident en créant un maillon faible qui rend le système vulnérable et peut faire qu'une seule défaillance peut causer un événement grave.
- La fatigue et le stress causés par la charge émotive liée à l'implication dans un accident peuvent empêcher le pilote d'évaluer correctement son rendement et il peut avoir du mal à évaluer s'il doit demander de l'aide ou s'il doit demander à être relevé; si le pilote reste à bord pendant une longue période, la fatigue et le stress peuvent augmentent les risques d'accident.
- Du fait qu'aucune méthode coordonnée et structurée n'a été utilisée pour intervenir lors d'une situation d'urgence liée à la navigation, il n'a pas été possible d'évaluer avec objectivité l'intervention d'urgence.
B 3.3 Autres faits établis
Le délai de 24 heures qui doit s'écouler avant l'intervention des ressources gouvernementales (en vertu de la Loi sur la protection des eaux navigables) peut, dans certaines cas, augmenter les risques dans les eaux navigables.
Partie C Quasi-collision
C 1.0 Renseignements de base
C 1.1 Fiches techniques des bâtiments
Nom | "Eternity" | "Canmar Pride" |
---|---|---|
Numéro officiel | 383769 | 731216 |
Port d'attache | Singapour | Hamilton |
Pavillon | Singapour | Bermudes |
Type | Navire-citerne | Porte-conteneurs |
Jauge brute | 19 063 tonneaux | 39 174 tonneaux |
Longueur | 185.9 m | 245 m |
Tirant d'eau | Av. : 3.7 m Ar. : 7.5 m |
Av. : 8.6 m Ar. : 9.2 m |
Construction | 1987 | 1998 |
Groupe propulseur | B&W diesel, 8 500 ch. au frein (6 338 kW), entraÎnant une seule hélice à pas fixe | B&W diesel, 34 553 ch. au frein (25 766 kW), entraÎnant une seule hélice à pas fixe |
Cargaison | Sur lest | Marchandises diverses conteneurisées |
Équipage | 28 personnes | 22 personnes |
Propriétaires | Eternity Shipping Ltd., Singapour |
Canada Maritime Services Ltd., Royaume-Uni |
C 1.2 Événements ayant mené à la quasi-collision du 5 décembre 1999
15 h 10 | Les STM appellent le Alcor pour demander s'il faudrait fermer complètement la Traverse du Nord ou laisser les navires doubler (à allure réduite) le bâtiment renfloué.Le chef des opérations de sauvetage maritime répond que vers 16 h 30, le Alcor devrait être dans le chenal et avoir entamé sa remontée. Il indique qu'il ne serait probablement pas très prudent que d'autres navires se trouvent à proximité du Alcor. Il est convenu que les STM préviendront le Alcor lorsque les navires remontant auront atteint le cap Maillard (il n'y a pas de navires descendant en amont du lieu de l'échouement). Une décision concernant l'organisation du trafic sera prise à ce moment. |
---|---|
15 h 23 | Les STM communiquent avec le navire remontant Kapitan Georgii Georgiev, qui approche du cap Maillard, pour prévenir le pilote que le Alcor arrivera dans le chenal vers 16 h 30.Les STM indiquent qu'ils vont probablement demander au Kapitan Georgii Georgiev de ralentir et de ne pas pénétrer dans la Traverse du Nord.Le pilote du Kapitan Georgii Georgiev fait savoir qu'il va communiquer avec les pilotes du Alcor pour obtenir plus de renseignements.Les STM demandent au Kapitan Georgii Georgiev de rappeler avant d'entrer dans la Traverse du Nord pour recevoir des instructions définitives. |
15 h 35 | Le pilote du Kapitan Georgii Georgiev appelle les STM pour faire savoir à l'agent des STM qu'il a parlé aux pilotes du Alcor, qui estiment que le Alcor sera dans le chenal dans une heure environ. Il dit aux STM que le Kapitan Georgii Georgiev va poursuivre sa route à plein régime pour dépasser le Alcor avant qu'il ne revienne dans le chenal.Les STM acceptent. |
˜15 h 41 | Pendant les opérations de renflouement, les responsables de Transports Canada et de la GCC à bord du Alcor apprennent que le Kapitan Georgii Georgiev a été autorisé à passer. Un représentant de Transports Canada communique avec les STM pour demander que le chenal soit fermé dans le secteur où se trouve le Alcor. |
˜15 h 42 | Les STM communiquent avec le pilote du Kapitan Georgii Georgiev pour lui transmettre l'information. Le pilote donne son accord. |
17 h 40 | Le Alcor, qui descend le fleuve, s'apprête à faire demi-tour à Sault-au-Cochon avant de mettre le cap sur Québec.à peu près à ce moment-là, les pilotes se trouvant sur le remorqueur de tête et sur le Alcor prennent des arrangements pour laisser passer les navires remontants Kapitan Georgii Georgiev et Ocean Priti pendant que le Alcor fait demi-tour.Les STM sont prévenus de ces arrangements. |
17 h 44 | Le pilote du Alcor communique avec les STM et réitère la demande de Transports Canada voulant que la Traverse du Nord soit fermée. |
˜18 h 00 | Les STM communiquent avec le Alcor pour demander des éclaircissements concernant le trafic dans la Traverse du Nord. Le pilote du Alcor confirme que selon les représentants des différentes autorités qui se trouvent à bord (entreprise de sauvetage maritime et gouvernement), aucun navire ne doit doubler le Alcor pendant qu'il se trouve dans la Traverse du Nord. |
18 h 23 | Les STM diffusent l'Avis à la navigation (AVNAVS) L-2861 prévenant tous les navires que la Traverse du Nord est fermée. L'avis ne mentionne pas quand cette partie du chenal sera rouverte ni selon quels critères. |
Comme le Alcor remonte la Traverse du Nord, des pilotes à bord de navires au mouillage (retenus en amont de la Traverse du Nord) suivent le déroulement des événements sur leurs postes VHF. Les pilotes de ces navires au mouillage n'ont pas tenté d'obtenir un ordre d'appareillage et les STM ne leur en ont pas communiqué. | |
22 h 15 | Le pilote du Eternity informe les STM que le navire se prépare à lever l'ancre et qu'il rappellera une fois en route.Les STM donnent leur assentiment. |
22 h 43 | Le Alcor quitte la Traverse du Nord à la bouée K-136; le Eternity est déjà en route. Quand le Eternity signale qu'il appareille (environ une minute plus tôt), les STM ne lui donnent que des renseignements sur les navires remontants (en sens inverse). |
˜22 h 45 | Le Canmar Pride commence à lever l'ancre et il en informe les STM.Les STM donnent leur accord, et de nouveau ils ne donnent au navire que des renseignements sur le trafic remontant.Le Eternity fait route vers l'aval à environ 12 noeuds sur l'alignement lumineux au 053° V. Comme la distance entre les navires diminue, le pilote du Eternity peut apercevoir en avant le Canmar Pride, dont les feux de pont sont toujours allumés. Cependant, son attention est davantage attirée par le convoi du Alcor qui remonte le fleuve et se trouve juste au nord-ouest du centre du chenal recommandé. |
˜22 h 58 | Quand le Eternity vient sur bâbord pour suivre l'alignement lumineux au 033° V, le pilote du Canmar Pride appelle le pilote du Eternity pour lui faire part de ses inquiétudes. Pour toute réponse, le pilote du Eternity lui demande si le Canmar Pride est en mouvement. Le pilote du Canmar Pride répond par la négative, en précisant que son navire est en train de lever l'ancre. |
˜22 h 59 | Le pilote du Canmar Pride appelle le Eternity de nouveau pour lui dire qu'il est inquiet parce qu'il juge qu'une situation très rapprochée se pointe.Le Eternity a alors amorcé son virage sur bâbord alors que le vent et le courant arrivent sur bâbord.Après avoir parlé brièvement au Canmar Pride à l'aide du radiotéléphone, le pilote du Eternity prend des mesures d'évitement d'urgence : il place la machine à en avant toute et demande qu'on mettre la barre à droite de 20 degrés pour que l'arrière du navire pare le Canmar Pride.Le Canmar Pride prend également des mesures d'urgence : il interrompt la levée de l'ancre (laissant environ trois maillons dans l'eau) et la machine est placée à en arrière toute. |
˜23 h 01 | La hanche tribord du Eternity vient à moins de 30 m de l'avant tribord du Canmar Pride, qui a commencé à culer (voir la figure 10). |
C 1.2.1 Navires au mouillage
Aucun navire n'a été autorisé à dépasser le Alcor pendant qu'il était dans la Traverse du Nord. Plusieurs navires descendants ont été retenus en haut de la bouée K-136, soit à la limite amont de la Traverse du Nord. Cinq navires étaient mouillés dans un tronçon de 3½ nm du fleuve entre la Pointe Saint-Jean et Rivière Maheu. Le Canmar Pride était le navire mouillé le plus près de la Traverse du Nord, dans la zone de mouillage connue sous le nom de « Pointe Saint-Jean ». Ce mouillage ne figure pas sur les cartes officielles de la marine, mais il est bien connu localement. Situé au sud de la Pointe Saint-Jean de l'Île d'Orléans, il se trouve suffisamment loin des voies de circulation pour ne pas nuire ou poser un risque indu aux navires faisant route dans le secteur. Lorsque le Canmar Pride est arrivé au mouillage, seul le nom de la zone de mouillage a été communiqué aux STM, qui ne lui ont pas demandé de préciser sa position. Selon l'information recueillie, le Canmar Pride était mouillé dans le prolongement de l'axe défini par les feux d'alignement au 053° V, et à une distance de 3 encablures de l'intersection des routes recommandées (053°/033°). Le pétrolier Eternity était le navire mouillé le plus éloigné de la Traverse du Nord, il se trouvait à environ 3,5 nm au sud-ouest du Canmar Pride.
C 1.2.2 Autres navires
Le navire de la Garde côtière canadienne George R. Pearkes était chargé de raccompagner le Alcor jusqu'à Québec; aucune autre mission particulière ne lui avait été confiée. Le navire remontant Algosar avait été autorisé à suivre le Alcor dans la Traverse du Nord, mais sans le rattraper.
C 1.3 Renseignements sur le personnel
Les pilotes qui étaient à bord des deux navires étaient des pilotes de classe A pour la circonscription no 2; le pilote du Eternity possédait 21 années d'expérience du pilotage dans cette circonscription; le pilote du Canmar Pride avait 34 ans d'expérience dans la circonscription.
C 1.4 Conditions météorologiques, courants et marées
à 23 h, le 5 décembre 1999, soit à l'heure de la quasi-collision, la visibilité signalée était bonne et des vents d'ouest soufflaient à 10 noeuds. La marée baissait et le courant de jusant portait au 060° V environ, à une vitesse de 2 ou 3 noeuds.
C 1.5 Exigences de déclaration des événements
Le Règlement sur le Bureau de la sécurité des transports pris en vertu de la Loi sur le Bureau canadien d'enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports, le Règlement sur les rapports de sinistres maritimes pris en vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada et le Règlement de l'Administration de pilotage des Laurentides pris en vertu de la Loi sur le pilotage exigent qu'une quasi-collision soit immédiatement signalée par les moyens les plus rapides, notamment en faisant un rapport à la station côtière la plus proche. Ce premier rapport doit être suivi d'un rapport écrit expédié aux autorités compétentes.
Après l'incident, les pilotes et les capitaines du Canmar Pride et du Eternity ont tous reconnu que les navires avaient failli entrer en collision, mais aucun des deux navires n'a signalé l'incident aux STM par radio. Certains indices laissent croire que les autorités de l'APL ont été brièvement informées de l'incident par des voies non officielles. Après une enquête préliminaire, l'APL a décidé de ne pas poursuivre son enquête. Le BST a été informé de la quasi-collision le 21 décembre 1999.
C 1.6 Services de trafic maritime (STM) dans les eaux canadiennes
La régulation du trafic maritime est assurée en vertu du Règlement sur les zones de services de trafic maritime pris en vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada et elle est administrée par la Direction générale des programmes maritimes de la GCC, ministère des Pêches et des Océans. Le service est fourni dans le cadre du programme des SCTM de la GCC. L'objectif des STM est de protéger le milieu marin et d'améliorer la sécurité et la fluidité du trafic maritimeNote de bas de page 48 :
- en fournissant un service de conseil et d'information aux navires sur VHF;
- en fournissant un service de tri et d'autorisation des déplacements des navires;
- en fournissant un service d'aides radar à la navigation; et
- en fournissant un service de gestion de l'espace et en organisant les déplacements des navires pour faciliter la circulation.
En vertu du régime réglementaire, aucun navire ne doit entrer, sortir ou naviguer dans une zone de services de trafic maritime, sans avoir obtenu au préalable une autorisation de mouvementNote de bas de page 49 et un rapport doit être fait à un régulateur du trafic maritime immédiatement avant que le navire n'entreprenne une manoeuvre de départ et aussitôt que possible après l'achèvement de cette manoeuvre dans une zone de services de trafic maritimeNote de bas de page 50.
C 2.0 Analyse
C 2.1 Restrictions liées aux pratiques de navigation
Aucune entente préalable n'a été prise entre les pilotes des différents navires mouillés pour établir dans quel ordre ils devaient appareiller. Les STM n'ont pas déterminé d'ordre non plus. Au contraire, chaque navire a pris seul la décision de commencer à lever l'ancre; le Eternity d'abord, suivi du Canmar Pride. Le Eternity devait, en cours de route, parer les navires mouillés. Même si le pilote du Eternity, le navire au mouillage le plus éloigné, savait qu'il lui faudrait dépasser d'autres bâtiments mouillés, il n'a pas surveillé de près ces bâtiments, pas plus qu'il n'a communiqué avec eux pour prendre des dispositions en vue d'assurer un dépassement en toute sécurité. Et cela, même si le pilote du Eternity savait que le Canmar Pride avait commencé à lever l'ancre. En fait, c'est le pilote du Canmar Pride qui a, à deux reprises, indiqué que la situation l'inquiétait. Même s'il ne connaissait pas la position exacte du Canmar Pride, le pilote du Eternity aurait pu, s'il avait surveillé de plus près la situation, s'apercevoir à temps que le Canmar Pride était mouillé près du chenal.
L'examen de la carte indique que le chenal a une largeur de 0,9 mille à proximité de l'endroit où le Canmar Pride était mouillé. Ainsi, en approchant du Canmar Pride, le pilote du Eternity avait plusieurs choix : il pouvait réduire l'allure de son navire ou contourner le Canmar Pride par l'avant ou par l'arrière. Le pilote du Eternity a choisi de rester sur la route recommandée (celle tracée sur la carte), de maintenir l'allure à 12 noeuds et de passer en avant du Canmar Pride. Une fois que le virage sur bâbord a été amorcé, avec le vent et le courant qui arrivaient sur la hanche bâbord de son navire, le pilote n'avait plus d'autre choix que de prendre des mesures d'urgence de dernière minute; une marge de sécurité suffisante n'avait pas été conservée compte tenu de la situation du Eternity par rapport à la position du Canmar Pride. Ces mesures de dernière minute, conjuguées à la manoeuvre d'urgence amorcée par le pilote du Canmar Pride (faire machine arrière) ont permis d'éviter de justesse une collision avec le navire qui ne disposait plus que d'une trentaine de mètres pour passer.
C 2.1.1 Éléments influant sur la qualité des services fournis par les STM
Comme il n'y a pas de couverture radar dans cette région, les STM doivent se fier à l'information que leur fournissent les navires (les pilotes ou les équipages) pour visualiser le trafic. Pour les besoins de la cause, les STM demandent qu'on leur communique les positions précises des navires au mouillage. Dans le cas à l'étude, la position du Canmar Pride au mouillage n'a été indiquée que de façon vague (au mouillage Pointe Saint-Jean). On n'a donné ni la distance ni le gisement et les STM n'ont pas demandé de précisions. Comme le Canmar Pride était mouillé à proximité de la route recommandée, il représentait une menace possible pour les navires de passage. Le Canmar Pride n'a jamais diffusé de message de SÉCURITÉ pour informer les autres navires de sa position. à cause de ces renseignements insuffisants, les STM et les navires dans les parages n'avaient pas une bonne conscience du trafic évoluant dans la zone ni d'autres éléments importants - vue d'ensemble qui était pourtant capitale pour la sécurité des autres navires évoluant dans la zone des STM. En outre, la qualité des mesures de prévention des accidents (des STM) dépend de la capacité du système à déceler les situations dangereuses et des possibilités de prévenir ces dangersNote de bas de page 51. Des données précises sur les positions de mouillage permettent à l'agent des STM de mieux comprendre la situation du trafic maritime et de bien informer les autres bâtiments qui naviguent dans la zone. De plus, les navires qui reçoivent de l'information précise des STM peuvent évaluer plus facilement les dangers dans la zone et il est plus facile pour eux de naviguer en toute sécurité.
C 2.2 Fermeture et réouverture du chenal
C 2.2.1 Contrôle et direction par les STM
C 2.2.1.1 Conditions normales
La Loi sur la marine marchande du Canada exige qu'un navire obtienne une « autorisation de mouvement » avant d'appareiller. Il n'est nullement question pour la GCC de tenter de diriger ou de manoeuvrer les navires au départ d'une station côtière. L'information fournie à un navire vise à assurer la conduite sûre de ce navire. Les pilotes prennent donc entre eux les dispositions requises pour la navigation et ils en informent les STM pour que l'information pertinente puisse être transmise à d'autres navires. Dans des conditions normales, le système fonctionne bien et la sécurité des navires qui circulent dans la zone de STM n'est pas menacée. Les ententes directes entre les pilotes sont donc devenues un usage accepté par la collectivité.
C 2.2.1.2 Procédure des STM pour la fermeture et la réouverture des chenaux
La fermeture du chenal navigable au trafic fluvial est rare mais non inhabituelle. L'hiver, les STM, en coordination étroite avec le Bureau des glaces de Québec, peuvent fermer le chenal à la circulation lorsque les circonstances le justifient, et cela se produit effectivement. Le chenal n'est rouvert que sur avis et directive du Bureau des glaces et les navires sont alors autorisés à reprendre la route de manière ordonnée. Cela s'inscrit dans le cadre du « mandat de gestion de l'espace » des STM.
La fermeture d'un chenal peut immobiliser plusieurs navires à l'ancre ou à quai jusqu'à sa réouverture. Contrairement à la situation normale, il devient essentiel que les STM (l'organe de coordination central) donnent des directives pour assurer une circulation ordonnée des navires. L'incident à l'étude montre ce qui peut arriver quand le système ne fonctionne pas; la sécurité des navires se trouvant dans la zone est compromise et les risques de dommages environnementaux sont plus grands.
C 2.2.2 Implication des intervenants
Les décisions des STM ont été influencées par les opérations de sauvetage maritime, la fermeture et la réouverture de la Traverse du Nord étant l'une des considérations. En l'occurrence, le plan de sauvetage maritime était incomplet, en ce sens qu'il n'impliquait pas les STM, l'APL ou la Corporation des pilotes dès le départ. Les STM n'ont pas été informés pendant la planification, la préparation et l'exécution de la manoeuvre de renflouement, et aucune directive particulière n'a été donnée aux STM pour permettre aux navires de se déplacer en toute sécurité et de façon ordonnée.
C 2.2.3 Avis à la navigation (AVNAV)
L'AVNAV (fermeture du chenal) n'était pas assez détaillé parce qu'il n'indiquait pas que le chenal était fermé aux autres navires « jusqu'à nouvel ordre ». Par conséquent, dès que le Alcor a été remis à flot, chacun des pilotes a décidé unilatéralement d'engager son navire dans le chenal.
C 2.2.4 Coordination entre Transports Canada et les pilotes
Même si les responsables de Transports Canada avaient officiellement fermé complètement le chenal, le(s) pilote(s) qui se trouvaient à bord du Alcor, avec le consentement tacite des responsables de Transports Canada, se sont entendus (avec les pilotes d'autres navires) pour permettre à d'autres navires de traverser la zone (à 17 h 40). D'autres bâtiments peuvent avoir pensé alors que le chenal était rouvert. Cette confusion révèle qu'un contrôle et une direction centralisés sont nécessaires pour contrôler la situation du chenal.
C 2.2.5 Obstacles au contrôle et à l'autorité des STM
Les STM n'ont pas exercé leur autorité pour diriger le trafic; ils ont plutôt approuvé les décisions des pilotes. Quand un pilote qui possède de nombreuses années d'expérience de la navigation transige avec un agent des STM qui a peu ou pas d'expérience de la navigation en mer, il se produit un rapport de force qui peut faire hésiter l'agent des STM à exercer ses pouvoirs, même lorsque les circonstances le justifient, ce qui gêne l'efficacité de la régulation du trafic maritime.
Si les STM avaient exercé leur autorité à ce stade, cela aurait permis d'assurer une circulation ordonnée des navires. Par ailleurs, le fait que les pilotes ou les responsables de Transports Canada se trouvant sur le Alcor n'ont pas donné de directives claires aux STM a fait en sorte que le Centre des SCTM fonctionnait à l'aveuglette, sans orientation précise.
Compte tenu de la complexité des situations de navigation, de la coordination requise et de la situation inconfortable dans laquelle se trouvent les agents des STM pour exercer leur autorité, il est essentiel que du personnel STM connaissant bien la zone d'exploitation applique les procédures des STM pour éviter les rapports de force.
C 2.3 Efficacité des communications et leurs répercussions
Les transmissions navire-navire et navire-terre ont été imprécises et incomplètes pour les raisons suivantes :
- l'information fournie aux navires par les STM ne concernait que le trafic en sens inverse;
- la communication entre les navires a été rudimentaire et s'est déroulée sans les dispositifs de sécurité requis dans ces circonstances exceptionnelles;
- aucun message de SÉCURITÉ n'a été transmis par les navires quittant le mouillage; et
- le Canmar Pride était mouillé à proximité des voies de circulation et pouvait constituer un risque pour les navires faisant route dans le secteur; il n'a pas signalé sa position de mouillage aux STM et ne l'a pas annoncée sur les ondes.
Plusieurs enquêtes du BST ont fait ressortir le fait que les accidents sont le résultat de communications inefficaces, incomplètes, inopportunes ou mal comprisesNote de bas de page 52. Dans une étude publiée en 1995, le BST constate que des lacunes sur le plan de la communication, ou des malentendus, représentent le facteur principal mis en évidence dans environ 18 % des événements maritimes où intervient l'élément humainNote de bas de page 53. Le Bureau avait alors indiqué qu'il trouvait préoccupant le fait que des communications manquant de clarté et des inquiétudes exprimées tardivement continuaient de compromettre la sécurité des personnes, des navires et de l'environnementNote de bas de page 54. L'incident à l'étude met à nouveau en lumière l'importance des communications claires, complètes et bien comprises, tant entre les membres de l'équipe à la passerelle que d'un navire à l'autre ou entre les navires et les STM. Il fait aussi ressortir la nécessité d'établir un contrôle et une coordination efficaces dans la zone de STM, à défaut de quoi les navires seront exploités à l'aveuglette et le personnel chargé de la navigation continuera de prendre des décisions fondées sur des hypothèses, et cela, au détriment de la sécurité du transport.
Bien des accidents, surtout des abordages, ont été attribués à des décisions qui avaient été prises en se basant sur des conclusions tirées de renseignements insuffisants - hypothèses qui ont fini par s'avérer faussesNote de bas de page 55. Les risques associés aux renseignements insuffisants sont mis en évidence dans la règle 7, Risque d'abordage, du Règlement sur les abordages qui stipule en partie « On doit éviter de tirer des conclusions de renseignements insuffisants. » Le Chief Inspector of Marine Accidents (Grande-Bretagne) écrivait récemment que « dans de nombreux cas, le facteur déterminant de l'incident est que quelqu'un a présumé que quelque chose allait se produire, ou avait été faitNote de bas de page 56. »
Voici quelques-unes des hypothèses qui ont été faites dans le cadre des événements qui ont mené au présent incident :
- Le pilote du Eternity a présumé qu'à l'exception du Alcor et des remorqueurs qui l'accompagnaient, le chenal était libre. L'information fournie par les STM n'a pas contredit cette hypothèse.
- Le pilote du Canmar Pride a supposé que son navire serait le premier à descendre le fleuve après la réouverture du chenal. Par conséquent, il n'a rien vu à redire à sa position de mouillage. Cette hypothèse était fondée sur le fait que son navire était le plus proche de l'entrée de la Traverse du Nord et qu'il était le plus rapide du groupe de bâtiments attendant de se remettre en route pour descendre le fleuve.
- Les STM ont présumé que le Canmar Pride était mouillé de la façon la plus fréquente dans le mouillage Pointe Saint-Jean.
Même s'il est reconnu que des hypothèses ou des conclusions erronées jouent un rôle dans certains accidents, c'est la disponibilité et la précision des renseignements qui déterminent la nature et le nombre des conclusions tirées. On peut minimiser les conséquences que peuvent avoir des renseignements insuffisants ou qui ne sont pas clairs en fournissant des renseignements précis, complets et au bon moment.
La sécurité du voyage dépend notamment de la conscience de la situation, c'est-à-dire de l'idée de la situation que se font les personnes qui pilotent les navires dans le chenal. On peut définir la conscience de la situation comme la représentation mentale qu'une personne se fait d'une situation donnée à un certain moment. Cette représentation mentale est fondée sur l'information liée à la situation et à l'environnement immédiat (comme l'emplacement, la vitesse et la présence des dangers) et sur les données issues de l'éducation, de la formation et de l'expérience. Lorsqu'on se retrouve dans une situation où les choses ne sont pas claires, il arrive que de l'information fragmentaire, combinée avec des idées préconçues, soit intégrée (sous forme d'hypothèses) dans la représentation mentale. Dans pareilles situations, il est possible que certaines personnes se fassent une idée de la situation autre que celle de leur entourage, même si au départ toutes les personnes disposaient de la même information.
Des communications précises et complètes sont essentielles pour avoir une bonne conscience de la situation des navires et des autres éléments qui ont une incidence sur la navigation. Quand on a une bonne conscience de la situation, on a plus de chances de reconnaÎtre à temps les dangers qui nous guettent.
C 2.4 Déclaration des événements maritimes
La collecte rapide des données relatives aux événements maritimes constitue un élément essentiel de tout système de sécurité. Quand on ne tarde pas à déclarer un événement, les autorités compétentes sont rapidement informées et peuvent faire appel aux organismes de recherche et sauvetage, aux organismes de prévention de la pollution, à ceux chargés des inspections, de même qu'à d'autres organismes, afin de réduire les risques pour les personnes, les biens matériels et l'environnement. De plus, quand un événement est signalé rapidement, l'enquête qui suit est de meilleure qualité et grâce aux données recueillies on peut analyser les tendances, déceler les anomalies et faire des recommandations pour que les choses changent.
Au niveau régional, les administrations de pilotage demandent aux pilotes de présenter des rapports d'accident afin que l'autorité locale puisse, s'il y a lieu, ouvrir une enquête sur les politiques, les procédures et les méthodes. Les rapports fournissent aussi à l'administration de pilotage un outil d'évaluation des risques pour déceler les lacunes sur le plan de la sécurité avant qu'ils ne provoquent un accident majeur. Aucun des deux pilotes n'a signalé la quasi-collision aux STM ni à un autre organisme gouvernemental. L'APL n'a pas été prévenue non plus. Quand elle a finalement appris qu'il y avait eu une quasi-collision, elle a décidé de ne pas pousser plus loin son enquête, après quelques investigations préliminaires. « La nature humaine étant ce qu'elle est, on a tôt fait de minimiser la gravité d'une quasi-collision, de la considérer comme « faisant partie des risques du métier » et de l'oublier. »Note de bas de page 57 Cette décision a fait que l'administration n'était pas au courant de renseignements importants pour la sécurité des navires évoluant dans une zone de pilotage.
Le BST maintient à jour une base de données sur les événements qui surviennent au Canada, et cette information est mise à la disposition du grand public au Canada et à l'étranger.
Le but principal des services de pilotage est d'assurer la sécurité de la navigation. Les zones de pilotage obligatoire sont établies dans l'intérêt de la collectivité pour éviter les accidents maritimes et protéger l'environnement, la voie navigable et l'infrastructure portuaire. On s'attend donc à ce que tous les événements soient signalés en bonne et due forme et fassent l'objet d'une enquête. Cela permet de déceler les dangers, de prendre les mesures de sécurité qui s'imposent et par le fait même de promouvoir la sécurité des transports.
C 3.0 Faits établis
C 3.1 Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs
- L'équipe de navigation à bord du Eternity ne n'est pas rendu compte assez tôt qu'il risquait d'entrer en collision avec le Canmar Pride. et n'a pas communiqué avec ce bâtiment pour prendre des dispositions pour le dépasser en toute sécurité
- L'absence de coordination entre les Services du trafic maritime (STM), les pilotes et les responsables de Transports Canada ainsi que des renseignements incomplets et imprécis lors des communications ont fait que les événements ont été mal interprétés par les diverses parties, à terre et sur le fleuve, ce qui a créé de la confusion et a amené la réouverture non coordonnée du chenal.
- Le Canmar Pride était mouillé à proximité des voies de circulation et pouvait constituer un risque pour les navires faisant route dans le secteur; il n'a pas signalé sa position de mouillage aux STM ni aux autres navires par radiotéléphone ou par un message de SÉCURITÉ, ce qui a privé les autres navires d'un renseignement important pour la sécurité.
- Un manque de respect de la procédure de la part des agents des STM, et le fait que les agents des STM ont hésité à exercer leur autorité face aux pilotes ont donné lieu à un manque de direction et de contrôle du trafic, ce qui a empêché d'assurer la circulation des navires de façon ordonnée.
C 3.2 Faits établis quant aux risques
- L'APL n'a pas mené une enquête poussée sur les circonstances entourant la quasi-collision et n'a pas pu rassembler tous les renseignements importants pour la sécurité.
C 3.3 Autres faits établis
- La quasi-collision n'a pas été signalée dès que possible par le Eternity ni par le Canmar Pride. Quand un accident de transport n'est pas signalé ou qu'il est signalé tardivement, la qualité de l'information n'est pas aussi bonne et les lacunes sur le plan de la sécurité ne peuvent être décelées rapidement.
Partie D - Inspection du navire
D 1.0 Renseignements de base
D 1.1 Exigences en matière d'inspection
La résolution A.744(18) de l'OMI, intitulée Directives sur le programme renforcé d'inspections à l'occasion des visites des vraquiers et des pétroliers, adoptée le 4 novembre 1993 et subséquemment incorporée en tant que chapitre XI à la Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (SOLAS), est entrée en vigueur le 1er janvier 1996.
Dans le cadre du Programme renforcé d'inspections, des inspections « spéciales » sont faites tous les cinq ans par la société de classification du navire. Dans le cas des vraquiers, plus le navire vieillit, plus les inspections sont rigoureuses. De plus, des inspections « annuelles » sont demandées, dont la deuxième ou la troisième doit consister en une inspection « intermédiaire » plus détaillée. Les rapports produits à la suite des inspections spéciales, annuelles et intermédiaires peuvent aussi contenir des notes traitant de points préoccupants identifiés lors d'une inspection précédente.
Pour des raisons opérationnelles, le calendrier des diverses inspections offre une certaine souplesse (les inspections annuelles et intermédiaires périodiques doivent être effectuées aux dates prévues, plus ou moins trois mois) mais les inspections spéciales doivent être effectuées aux cinq ans.
D 1.2 Inspection de la coque et dossier d'inspection du Alcor
D 1.2.1 Inspection spéciale de la coque
Conformément aux exigences du Programme renforcé d'inspections en vigueur, le navire, alors âgé de 20 ans et portant le nom de Mekhanik Dren, avait fait l'objet d'une inspection spéciale en 1997 à Shanghai, en Chine.
Les zones structurales suivantes avaient alors fait l'objet d'une inspection visuelle minutieuse :
- toutes les cales à cargaison, les membrures de la muraille, le plafond de double-fond et les cloisons étanches transversales;
- la structure interne de tous les ballasts latéraux supérieurs;
- la structure interne de tous les ballasts de double-fond; et
- le bordé du pont principal, le bordé de muraille et le bordé de fond.
L'épaisseur des principaux éléments de structure de la poutre-coque a été mesurée aux ultrasons à ce moment-là conformément aux exigences de la société de classification et aux procédures recommandées de l'International Association of Classification Societies.
Après les inspections et les mesures d'épaisseur, on a procédé à des réparations structurales importantes et à des remplacements d'envergure nécessitant 260 tonnes d'acier, principalement quand le navire était à flot. Les principales réparations structurales ont été faites au droit des ballasts latéraux supérieurs no 1, 2, 3 et 4, de bâbord et de tribord. Les réparations à ces citernes comprenaient le remplacement de plusieurs sections de lisses du pont principal, ainsi que la réparation ou le remplacement partiel d'anneaux-membrures transversaux, de cloisons d'extrémité, de bordé du pont principal et de bordé de fond incliné des ballasts latéraux.
L'examen interne a révélé que tous les ballasts du navire étaient dépourvus de systèmes de protection cathodique. Les ballasts de double-fond (no 1, 2 et 3, bâbord et tribord) étaient enduits d'un revêtement protecteur; le rapport de l'examen indiquait qu'il était « passable » (fair condition). Le rapport de l'examen indiquait également que tous les ballasts latéraux supérieurs étaient dépourvus de revêtement.
Dans les commentaires à la fin du rapport d'inspection de la coque, il était indiqué qu'à cause de l'absence de protection et de revêtement dans les ballasts supérieurs, ces citernes devaient être vérifiées lors des prochaines inspections annuelles.
L'examen de la coque, des machines et du système électrique, ainsi que les réparations connexes, ont été exécutés à la satisfaction des experts de la société de classification présents, et la mention « ESP » (pour Programme renforcé d'inspections) a été ajoutée au symbole de notation de classe RS (Registre des navires de Russie) du navire. L'inspection spéciale de la coque a été exécutée et l'approbation a été donnée conformément aux exigences du Registre des navires de Russie le 20 juin 1997.
D 1.2.2 Inspection annuelle périodique de la coque (1998)
L'inspection annuelle périodique de la coque a été faite en 1998 alors que le Alcor était à flot dans le port de Londres au Royaume-Uni. L'inspection comportait un examen général de la coque, du peak avant, du peak arrière et des cales à cargaison, ainsi qu'un examen minutieux des deux cales avant, en portant une attention spéciale à toute avarie structurale nouvelle ou aux mentions touchant la structure faites dans des inspections antérieures.
Aucune avarie structurale ni zone de corrosion importante n'a été notée à cette occasion. L'absence de systèmes de protection cathodique dans les ballasts du navire a été relevée de nouveau, et l'état des revêtements internes dans les ballasts de double-fond a été noté comme .étant « passable » (fair). L'inspection annuelle périodique de la coque a été exécutée à la satisfaction des experts du Registre des navires de Russie, et l'approbation a été émise le 19 mars 1998.
D 1.2.3 Inspection de Contrôle des navires par l'État du port
Conformément aux exigences du Régime d'inspection des transporteurs de vrac du Canada et aux exigences du Programme de contrôle par l'État du port, le Alcor, vraquier de plus de 15 ans, a été inspecté à Vancouver (Colombie-Britannique) le 25 septembre 1998.
L'inspection a montré qu'une dérivation de l'épurateur d'eaux mazouteuses du navire avait été installée, ce qui va à l'encontre des exigences de la Convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires (Convention MARPOL). Le capitaine a été avisé et le fait a été signalé au Registre des navires de Russie. Le rapport demandait qu'on prenne au plus tôt des mesures correctives en vue de rétablir la situation pour se conformer aux règlements et pour remettre en vigueur l'approbation du Registre des navires de Russie. Aucune inspection interne ou minutieuse n'a été effectuée à cette occasion, et le navire n'a pas été détenu.
Le Alcor devait faire l'objet d'un contrôle par l'État du port à son arrivée à Trois-Rivières (Québec), et l'inspection devait comprendre des visites du peak avant, des ballasts latéraux supérieurs et des cales à cargaison.
D 1.2.4 Inspection annuelle périodique de la coque (1999)
Une deuxième inspection annuelle périodique de la coque a été faite alors que le navire était mouillé dans le port de Bombay en Inde, en 1999. Cette inspection consistait en un examen général de la coque, des panneaux, des hiloires et des accessoires, des cales à cargaison et des ballasts du peak avant et du peak arrière.
Le quart de la partie inférieure des membrures de la muraille et du bordé extérieur adjacent dans les cales à cargaison, ainsi que l'ensemble de la structure interne de chaque ballast latéral supérieur ont fait l'objet d'une inspection minutieuse.
L'examen général a révélé que la coque, les panneaux, les hiloires et les accessoires, toutes les cales à cargaison ainsi que les ballasts du peak avant et du peak arrière étaient dans un état satisfaisant. L'inspection minutieuse a révélé que les membrures de la muraille de toutes les cales à cargaison ainsi que la structure interne de tous les ballasts latéraux supérieurs étaient dans un état satisfaisant. On a aussi noté qu'aucune zone de corrosion importante n'avait été observée (there was not found substantially corroded areas).
On a jugé que le revêtement protecteur des ballasts du peak avant et du peak arrière étaient dans un état « médiocre » (poor) et que toutes les cales à cargaison étaient en bon état. L'absence de systèmes de protection cathodique et de revêtement protecteur dans les ballasts latéraux supérieurs a également été notée.
à la fin du rapport, on trouvait le commentaire suivant :
[Traduction]
En raison de l'absence de protection et de revêtement dans les ballasts supérieurs no 1, 2, 3 et 4 de bâbord et de tribord, il faudra procéder à des mesures de l'épaisseur du bordé incliné et des cloisons des ballasts, ainsi qu'à un examen minutieux de la charpente des ballasts supérieurs, du peak avant et du peak arrière lors de l'inspection intermédiaire, et ce au plus tard le 15-4-2000.
L'inspection annuelle périodique a été faite à la satisfaction des experts de la société de classification russe, et l'approbation a été émise le 19 janvier 1999.
D 1.2.5 Inspection occasionnelle de la coque
à la demande des propriétaires, les experts maritimes de la société de classification russe ont procédé à une inspection additionnelle de la coque à Saint-Pétersbourg, en Russie, en août 1999. Cette inspection (qualifiée d'occasionnelle par le Registre des navires de Russie) avait pour objet de vérifier si le navire répondait aux exigences du Code maritime international des marchandises dangereuses et aux exigences du Recueil de règles pratiques pour la sécurité du transport des cargaisons en vrac (Recueil BC) en ce qui concerne le transport éventuel de divers types d'engrais à base de nitrate d'ammonium.
à cette occasion, l'examen externe n'a pas révélé d'avaries structurales nouvelles à la coque. Les cales à cargaison et les panneaux ont été inspectés et trouvés en bon état. Il a aussi été confirmé que le navire avait à bord un Livret de stabilité et de résistance (Manuel d'exploitation) approuvé par la société de classification russe le 20 janvier 1999.
L'approbation du transport d'engrais à base de nitrate d'ammonium dans les cales à cargaison no 1 et no 4 avait été accordée par les experts maritimes de la société de classification russe le 9 août 1999.
D 1.3 Construction de la coque
L'ensemble de la coque était fait d'acier doux de catégorie A de qualité marine, tandis que les tôles gouttières des côtés bâbord et tribord du pont principal ainsi que les virures de carreau de la muraille étaient faites d'acier de catégorie D, plus résistant aux entailles (fractures). La igure 11 (Arrangement type d'une section transversale) montre la disposition des principaux éléments structuraux longitudinaux au droit des panneaux à cargaison, des cales, des ballasts latéraux supérieurs et des ballasts de double-fond.
ARRANGEMENT TYPE D'UNE SECTION TRANSVERSALE
PRINCIPAUX DÉTAILS DE CONSTRUCTION
D 1.4 Inspection de la coque après l'accident
Des inspections visuelles minutieuses du pont principal endommagé et de la structure interne de quatre des ballasts latéraux supérieurs ont été faites pendant que le navire était échoué. Des inspections du bordé de muraille, des membrures de la muraille, du double-fond et des cloisons transversales au droit de toutes les cales à cargaison ont été faites après le renflouement et le déchargement du navire.
On a constaté que la structure interne des cales à cargaison, y compris le plafond de ballast de double-fond et les parois des citernes à trémie, était généralement exempte de déformations ou d'avaries localisées importantes qui auraient pu être présentes avant le présent accident. Les membrures de la muraille ainsi que les assemblages par goussets supérieurs et inférieurs dans .les cales à cargaison ne montraient ni dommages localisés attribuables à des chocs ni détérioration importante, et les assemblages soudés au bordé de côté et au bordé des parois des citernes à trémie étaient en bon état.
De petites piqûres de corrosion localisées ont été relevées sur les surfaces peintes externes du bordé du pont principal, des côtés bâbord et tribord, au milieu du navire. Le bordé de pont exposé à l'intérieur de la ligne des panneaux montrait une corrosion importante à cause de la détérioration de la couche protectrice de peinture d'origine.
La structure interne des ballasts latéraux supérieurs no 2 et no 3 de bâbord et de tribord présentait une corrosion importante et active, surtout au droit du bordé de fond du caisson oblique (sloping tank) et des anneaux-membrures transversaux. De grandes sections de ces éléments de structure étaient recouvertes de tartre dur qui s'écaillait. Une grande quantité de tartre s'était accumulée au fond de la citerne. Une bonne partie des lisses du pont principal récemment remplacées était constituée de plats métalliques relativement courts, et les éléments d'origine qui subsistaient étaient très rouillés.
Aux bouts des lisses exposées au droit des principales zones de défaillance sur le pont principal, on pouvait constater sur les assemblages par soudure d'angle au bordé du pont principal, des gorges et des côtés de dimensions irrégulières, des scarifications et des caniveaux dans le bordé de pont ainsi qu'une pénétration insuffisante. De plus, toujours au droit des principales zones de défectuosité du pont principal, on a trouvé 19 autres fractures dans les lisses du pont principal. Certaines de ces fractures se situaient au droit des joints bout à bout où la corrosion avait particulièrement attaqué la soudure; d'autres se trouvaient au droit des parties métalliques très rouillées et amincies par endroit des lisses d'origine.
On a procédé à des mesures d'épaisseur aux ultrasons du pont principal, de la structure interne des ballasts latéraux supérieurs et du bordé de muraille, à l'avant, à l'arrière et juste à côté des principales fractures transversales de la coque. On a constaté que l'épaisseur moyenne du bordé du pont principal était généralement de 8 % à 10 % inférieure à l'épaisseur d'origine quand le navire à été construit, tandis que cet écart négatif augmentait à 15 % à 18 % en moyenne au droit des principales zones de défectuosité, avec de profondes piqûres localisées. L'épaisseur moyenne des lisses de pont les plus récemment changées atteignait 94 % de l'épaisseur d'origine, alors que les éléments d'origine et ceux qui se trouvaient les plus à l'intérieur n'avaient plus dans l'ensemble que 75 % de leur épaisseur initiale avec des réductions pouvant atteindre les 50 %.
L'épaisseur moyenne des virures de carreau et du bordé de muraille était généralement à 95 % de l'épaisseur d'origine, tandis qu'elle n'était que de 76 % au droit des principales zones de défectuosité. à un endroit, l'épaisseur du bordé de muraille près du fond des ballasts latéraux supérieurs tout près de la fracture principale de la coque n'était que de 65 % de l'épaisseur d'origine. Les virures supérieures du bordé de fond incliné des ballasts latéraux supérieurs avaient dans l'ensemble 75 % à 90 % de leur épaisseur d'origine; cependant, les virures inférieures et les âmes des membrures de la muraille n'avaient plus que 55 % à 60 % de l'épaisseur initiale. Les virures inférieures du bordé incliné juste à côté des principales fractures transversales dans les ballasts latéraux supérieurs no 2 de tribord et no 3 de bâbord n'avaient plus par endroits que 35 % de leur épaisseur d'origine.
Une rupture fragile transversale d'environ 2 m de longueur a été décelée dans le bordé du pont principal au droit du ballast latéral supérieur no 3 de bâbord; elle se trouvait juste à l'arrière de la cloison au couple no 108 et parallèlement à celle-ci. L'emplacement de cette fracture sur l'axe longitudinal coïncide avec celui de la fracture principale du côté tribord du pont principal. Toutefois, la fracture de bâbord a cessé de se propager quand elle a atteint la soudure d'assemblage circulaire du raccord passe-pont d'un tuyau de sonde.
Plusieurs petites fractures orientées transversalement, ayant pris naissance des côtés bâbord et tribord du bordé du pont principal avant la fracture principale de la coque, ont été repérées à ce moment-là et on a stoppé leur propagation en perçant des trous antifissures à chaque bout. Les inspections internes ultérieures ont montré que ces fractures étaient généralement localisées au droit des lisses de pont et coïncidaient avec des discontinuités dans les soudures d'assemblage ou dans l'épaisseur, et qu'il y en avait aussi au droit de soudures bout à bout brisées ou rouillées.
Un examen minutieux des bouts exposés des principales fractures traversant le bordé du pont principal à bâbord et à tribord a permis de déceler les motifs en chevron typiques qui sont les signes d'une rupture fragile rapide. Les chevrons montraient que les défaillances structurales principales avaient pris naissance dans le bordé du pont principal au droit de soudures d'angle irrégulières, creuses ou endommagées dans les lisses de pont, ainsi que dans des piqûres de corrosion adjacentes. Les fractures indiquaient également qu'elles s'étaient propagées depuis le bordé de pont jusque dans les lisses de pont avant de se propager dans le bordé de muraille. Les ruptures fragiles se sont propagées jusqu'à ce que l'effort de tension induit par le moment de flexion (arc) s'exerçant sur la coque soit passé sous l'axe neutre du module structural de la section du milieu et soit devenu compressif.
D 1.5 Navires-jumeaux
Après l'accident du Alcor, les trois navires-jumeaux (le Cheetah, le Lynx et le Aghios Nicolaos) ont été identifiés comme des navires nécessitant une attention particulière par la Sécurité maritime de Transports Canada. Ceci a attiré l'attention sur ces navires qui ont alors été ciblés pour faire l'objet d'un examen plus minutieux à leur entrée dans les eaux canadiennes, si la situation se présentait.
En tant que navire nécessitant une attention particulière, le Cheetah a subi un contrôle par l'État du port dans le port de Sept-Îles (Québec), le 7 avril 2000. Les agents chargés de faire les contrôles par l'État du port ont trouvé des lisses de pont brisées ici et là au droit des ballasts supérieurs no 2 et no 3. De plus, de nombreuses fissures sur le pont semblaient partir des mêmes lisses de pont brisées. Certaines sections de lisses avaient été remplacées récemment, et les soudures d'angle joignant les anciennes aux nouvelles étaient le point d'origine des fissures initiales. Enfin, six porques au droit des ballasts latéraux supérieurs étaient rouillées et avaient besoin de tôles encastrées.
Le Lynx est venu dans les eaux canadiennes deux semaines après l'échouement du Alcor et les enquêteurs du BST ont pu monter à bord du navire. Le poste de barre du Lynx était identique à celui du Alcor, mais les ballasts latéraux supérieurs no 2 était en bien meilleur état. Le revêtement des citernes du Lynx était relativement intact et la protection cathodique était utilisée. (L'équipage s'affairait à changer les anodes de zinc pendant que les enquêteurs du BST étaient à bord).
La présence du Aghios Nicolaos n'a pas été signalée dans les eaux canadiennes depuis l'échouement du Alcor.
D 2.0 Analyse
D 2.1 Inspection du vraquier et visites minutieuses
D 2.1.1 Séquence de rupture de la coque
Alors que le Alcor était échoué, sa partie arrière était soutenue mais la poussée hydrostatique s'exerçant sur l'avant variait selon la hauteur de la marée diurne. Par conséquent, le navire était soumis de façon répétée à des moments de flexion très élevés. Comme deux des ballasts de double-fond avant avaient été perforés lors du premier échouement, l'avant n'avait qu'une flottabilité partielle et le fléchissement vers le bas qui s'ensuivait à chacune des marées basses faisait prendre de l'arc à la coque. Lorsque la coque était arquée, les éléments supérieurs (le pont principal et les lisses de pont) de la poutre-coque étaient sous tension tandis que les éléments inférieurs (le bordé de fond et le plafond de double-fond) étaient en compression (voir la figure 8).
En construction navale, le module de résistance du milieu du navire, la composition et la nuance de l'acier choisi doivent assurer que la structure finie pourra, à l'état intact, supporter les charges qui s'exerceront probablement sur le navire dans les conditions d'exploitation en charge et sur lest normales, tout en offrant des marges de sécurité. Toutefois, en cas d'échouement, lorsque la poussée hydrostatique est réduite et que sa répartition longitudinale est beaucoup moins uniforme que lorsque le navire flotte librement, les contraintes de flexion s'exerçant sur la coque peuvent excéder la marge de sécurité assurée par les maximums nominaux approuvés.
L'examen aux ultrasons a montré que l'amincissement moyen du bordé du pont principal, des lisses récemment remplacées, de la virure de carreau et du bordé de muraille supérieur était bien en deçà des seuils à partir desquels les règlements imposent le remplacement. Cependant, dans certains cas, la détérioration moyenne ou localisée et les piqûres de corrosion dans nombre des lisses de pont d'origine, de même que dans les porques et le bordé de fond incliné du bas des ballasts latéraux supérieurs excédaient les marges d'amincissement de 25 % et 30 % admises avant que le remplacement soit nécessaire.
La coque échouée était soumise à des contraintes de flexion supérieures aux critères d'échantillonnage normaux. La capacité du navire de résister aux contraintes de flexion longitudinale et de dislocation était cependant réduite par la détérioration attribuable à la rouille, par les piqûres localisées et par les avaries subies par certaines parties de la structure supérieure de la coque. En raison du fond du fleuve à cet endroit, de la position du Alcor et du fait que le navire était chargé, il est fort probable que la coque aurait fini par se rompre, de toute façon, peu importe son état. Néanmoins, la détérioration des éléments supérieurs de la poutre-coque a accéléré la rupture de la coque.
D 2.1.2 Qualité des réparations
Les radoubs importants effectués à Shanghai en Chine en 1997 étaient concentrés dans les ballasts latéraux supérieurs. Plusieurs sections des lisses du pont principal ont été remplacées, et on a aussi réparé ou remplacé en partie les anneaux-membrures transversaux, les cloisons d'extrémité et le bordé de fond incliné des ballasts latéraux ainsi que le bordé du pont principal. Après les événements qui ont causé des avaries au Alcor, il a été possible de faire une inspection imprévue (et indépendante). Aux bouts des lisses exposées, au droit des fractures dans le pont principal, on pouvait voir sur les assemblages par soudure d'angle au bordé du pont principal des gorges et des côtés aux dimensions irrégulières. On a aussi relevé des scarifications et des caniveaux dans le bordé de pont ainsi qu'une pénétration insuffisante de certaines soudures. Dix-neuf autres fractures ont été relevées à d'autres endroits dans les lisses du pont principal. Plusieurs de ces fractures se situaient au droit d'assemblages bout à bout où la soudure avait été spécialement attaquée par la rouille; d'autres se trouvaient au droit de sections des lisses d'origine très rouillées et amincies localement.
Le fait que les réparations n'étaient pas toute de la même qualité a déjà été soulignéNote de bas de page 58. Certaines sections des lisses de pont du navire jumeau Cheetah venaient aussi d'être remplacées. Le contrôle par l'État du port effectué le 7 avril 2000 a révélé que les fissures trouvées dans le pont partaient des soudures d'angle joignant les vieilles lisses aux nouvelles.
Le contrôle de la qualité pendant la construction du navire est essentiel pour assurer la mise en service d'un bâtiment en toute sécurité. Les mêmes normes rigoureuses de contrôle de la qualité qui prévalent au cours de la construction devraient également être appliquées pendant les radoubs, surtout lorsqu'il s'agit de réparations majeures aux éléments principaux de la structure du navire.
D 2.1.3 Qualité des inspections
Lors de l'inspection effectuée par les enquêteurs du BST en novembre 1999, la structure interne des ballasts latéraux supérieurs no 2 et no 3 de bâbord et de tribord montrait une corrosion importante et active. Les inspections annuelles périodiques de classification en 1998 et 1999 ont toutes deux mis en évidence l'absence de système de protection cathodique et de revêtement protecteur dans ces ballasts. Lors de l'inspection de 1999, il a été noté que la structure interne de tous les ballasts latéraux supérieurs était dans un état satisfaisant. Il a aussi été noté qu'on n'avait pas trouvé de zones de corrosion importante.
Il n'est pas facile de mesurer l'efficacité du Programme renforcé d'inspections, mais l'on constate que ce programme améliore la sécurité. On constate également que des conditions qui laissent à désirer subsistent. Dans au moins quatre accidents très médiatisés qui sont survenus depuis décembre 1999, on croit que la coque s'est rompue à cause de faiblesses structurales. Tous les navires en cause avaient fait l'objet des inspections selon le Programme renforcé d'inspections, possédaient un certificat en état de validité et avaient eu l'aval de la société de classification :
- Le Erika s'est rompu et a coulé au large des côtes françaises en décembre 1999.
- Le Leader L s'est rompu et a coulé dans l'Atlantique en mars 2000.
- Le Treasure s'est rompu et a coulé au large des côtes d'Afrique du Sud en juin 2000.
- Le Levoli Sun s'est rompu et a coulé au large des côtes françaises en octobre 2000.
Dans le cas du Alcor, il y avait une différence importante entre l'état des ballasts latéraux supérieurs constaté en novembre 1999 (après l'échouement) et l'état signalé lors de l'inspection périodique annuelle de janvier 1999. Il semble peu probable qu'une détérioration aussi marquée puisse survenir pendant l'intervalle de 11 mois qui sépare les deux inspections, puisque ces citernes étaient normalement asséchées et que la cale no 3 était utilisée comme principal moyen de ballastage du navire.
Le présent accident ainsi que les quatre accidents précités amènent à s'interroger sur le contrôle de la qualité des inspections faites en vertu des procédures du Programme renforcé d'inspections en vigueur.
En tant que vraquier étranger arrivant dans un port du Canada, le Alcor, âgé de 23 ans, devait être inspecté par la Sécurité maritime de Transports Canada conformément aux exigences de contrôle par l'État du port et à celles du Programme d'inspection des vraquiers. Cette inspection devait avoir lieu le 10 novembre 1999 à Trois-Rivières (Québec).
D 3.0 Faits établis
D 3.1 Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs
- Pendant qu'il était échoué, le navire Alcor a été soumis à des contraintes de flexion et de dislocation qui excédaient les critères d'échantillonnage normaux. Cependant, l'état de détérioration de certains éléments supérieurs de la coque du navire a accéléré la rupture de la coque.
D 3.2 Faits établis quant aux risques
- Les inspections faites en vertu du Programme renforcé d'inspections ne sont pas toujours effectuées conformément aux normes de qualité du programme. Résultat, des navires qui ne sont pas en état de navigabilité continuent à naviguer, ce qui compromet la sécurité du navire et fait courir des risques inacceptables au personnel, aux biens matériels et à l'environnement.
- La qualité des soudures de réparation au droit des lisses du pont principal remplacées laissait à désirer.
E 4.0 Mesures de sécurité
E 4.1 Mesures prises
E 4.1.1 Le Centre des SCTM
Après la quasi-collision du 5 décembre 1999 entre le Canmar Pride et le Eternity, le Centre des Services de communications et de trafic maritimes (SCTM) de Québec a procédé à un examen interne. Cet examen a permis de tirer les conclusions suivantes :
- L'information transmise aux Services du trafic maritime (STM) et qui a été communiquée par ces services était parfois peu claire et formulée de façon qui ne respectait pas le vocabulaire normalisé.
- Plusieurs procédures internes n'ont pas été suivies; entre autres, on n'a pas noté la position de mouillage précise du Canmar Pride.
- Les STM n'ont jamais donné clairement et sans équivoque l'autorisation de quitter le mouillage. Les autorisations sont restées sous-entendues et étaient des réactions aux déclarations des pilotes qui disaient que leurs navires étaient en train d'appareiller - une dérogation subtile mais fondamentale aux procédures établies des STM ainsi qu'aux dispositions de la Loi sur la marine marchande du Canada.
- Le trafic descendant n'a pas été organisé après la sortie du Alcor de la Traverse du Nord, notamment pour programmer les appareillages pour voir à ce que les navires se déplacent en toute sécurité et de façon ordonnée dans le chenal.
De plus, l'examen interne du Centre des SCTM a souligné que les pilotes utilisaient des voies VHF non surveillées pour échanger de l'information qui doit normalement être communiquée sur des voies surveillées. La charge de travail des agents des STM a été indûment alourdie parce qu'ils ont dû surveiller « de façon informelle » ces communications, puis ont dû demander aux pilotes de confirmer, sur les voies surveillées, des mesures qui étaient connues des STM mais non des autres navires circulant sur le fleuve. L'absence de dispositifs d'enregistrement sur ces voies non surveillées rend difficile, voire impossible, l'analyse des événements entourant cette pratique; cette pratique est donc difficile à confirmer.
Voici quelques-unes des mesures que le Centre des SCTM a pris après les échouements et la quasi-collision :
- rassembler toute l'information relative aux événements entourant ces incidents pour élaborer un scénario de simulation à des fins de formation;
- établir des mesures de contrôle de la qualité plus strictes concernant le respect des procédures et la qualité du processus décisionnel des chefs d'équipe et des agents des STM;
- examiner les méthodes de travail utilisées à la station STM en vue de les modifier de sorte qu'elles permettent aux agents des STM de jouer un rôle plus actif et pour qu'elles permettent d'améliorer la gestion du trafic; et
- rencontrer tous les chefs d'équipe des STM afin de les sensibiliser à l'importance de prendre de bonnes décisions dans le cadre de leurs fonctions.
E 4.1.2 Transports Canada et Pêches et Océans Canada
Après les échouements et le renflouement du Alcor, les représentants régionaux de Transports Canada et Pêches et Océans Canada ont procédé à un examen conjoint et se sont entendus sur les point suivants :
- déterminer une « équipe » responsable de la première intervention;
- élaborer et ratifier un protocole d'entente en matière d'intervention environnementale entre les deux ministères;
- prévoir un examen annuel du protocole d'entente d'intervention environnementale; et
- constituer un groupe de travail permanent.
L'examen, qui se poursuit, examinera la nécessité pour Transports Canada d'élaborer une méthodologie d'évaluation des risques pour les incidents maritimes.
Transports Canada a pris la mesure suivante :
- Un protocole d'entente a été signé avec Pêches et Océans Canada le 19 octobre 2000. Ce protocole d'entente a pour objet de définir les rôles et les responsabilités de l'expert maritime de Transports Canada en tant que représentant de la Garde côtière canadienne (GCC) dans les cas de pollution des eaux par un navire, notamment quand l'expert maritime monte à bord du navire avant que le représentant de la GCC arrive à bord (et jusqu'à ce moment).
Le 24 mai 2001, le BST a envoyé à Transports Canada la Lettre d'information sur la sécurité maritime MSI 04/01. Cette lettre fait état des inconvénients d'un fonctionnement « réactif » et souligne les avantages d'un modèle de gestion des risques pour les cas d'urgence, comme les échouements dans des eaux à grand marnage.
Pêches et Océans Canada a pris les mesures suivantes :
- Un protocole d'entente a été signé avec Transports Canada le 19 octobre 2000 (voir ci-dessus).
- Des critères de sondage localisé (environs du lieu de l'échouement) ont depuis été établis pour guider les sauveteurs. Une liste d'entrepreneurs locaux répondant à ces critères a aussi été dressée.
E 4.1.3 Transports Canada
Les trois navires-jumeaux du Alcor ainsi que tous les vraquiers construits au même chantier naval pendant la période de trois ans commençant un an avant et se terminant un an après la construction du Alcor ont été désignés comme des navires nécessitant une attention particulière; la liste des navires a été communiquée aux pays signataires des protocoles de contrôle par l'État du port de Paris et de Tokyo.
E 4.1.4 Corporation des pilotes
E 4.1.4.1 Formation
Devant l'insistance de la Corporation des pilotes, des mesures ont été prises et les pilotes titulaires d'un brevet de classe C peuvent maintenant suivre le cours sur la manoeuvre des navires depuis 2001. En date du mois d'août 2002, tous les pilotes titulaires d'un brevet de classe C avaient suivi ce cours.
E 4.1.5 Administration de pilotage des Laurentides
E 4.1.5.1 Relève des pilotes
Le 18 mai 2001, le BST a envoyé à l'Administration de pilotage des Laurentides (APL) la Lettre d'information sur la sécurité maritime MSI 05/01. Cette lettre souligne l'absence de critères clairement définis pour la relève des pilotes après une situation d'urgence qui fait que le pilote en cause se retrouve dans une situation difficile parce que c'est à lui qu'appartient la décision. La lettre fait aussi valoir que dans certaines circonstances, le pilote n'est peut-être pas très bien placé pour prendre la décision - laquelle peut pourtant avoir des conséquences importantes pour la sécurité du navire.
Jusqu'ici, aucun programme officiel n'a été mis sur pied par l'APL pour assurer la relève des pilotes en cas de circonstances particulières, par exemple à la suite d'un échouement ou d'un autre type de situation d'urgence.
E 4.1.5.2 Formation des pilotes
Le 24 mai 2001, le BST a envoyé à l'APL la Lettre d'information sur la sécurité maritime MSI 06/01. Dans cette lettre, le BST s'inquiète du fait que les exigences actuelles de formation et d'expérience pour les pilotes de la catégorie C-1, de même que la méthodologie d'évaluation, ne garantissent pas absolument que les pilotes sont tout à fait prêts à assurer la conduite de grands navires. La lettre souligne en outre qu'il n'existe pas de programme de formation et d'évaluation axé sur les compétences adapté à chaque catégorie et sous-catégorie de brevet.
Suite à la recommandation 9 formulée en 1999 dans le rapport produit par l'Office des transports du Canada dans le cadre de son Examen du système de pilotage, les administrations de pilotage ont entrepris le processus d'élaboration d'un système pour évaluer les compétences des pilotes et la qualité de leurs services.
E 4.1.5.3 Évaluation des risques
Suite à la recommandation 1 formulée en 1999 dans le rapport produit par l'Office des transports du Canada dans le cadre de son Examen du système de pilotage, l'APL de concert avec les autres administrations de pilotage a élaboré un outil de travail permettant d'évaluer les risques. Pour l'année 2002, l'objectif était d'utiliser ce nouvel outil de travail pour évaluer trois questions prioritaires : 1) les limites relatives à la taille des navires assujettis au pilotage obligatoire dans la région des Laurentides; 2) l'affectation des pilotes lamaneurs dans la circonscription no 2; 3) les exigences relatives à l'affectation de deux pilotes dans les circonscriptions nos 1 et 2. Les travaux se poursuivent.
E 4.1.5.4 Modifications à la réglementation - Rapports d'accident à bord des navires
En juin 2002, des modifications (DORS/2002-242) ont été apportées au Règlement de l'Administration de pilotage des Laurentides. La définition d'un « incident » a été clarifiée et étoffée de sorte que tout titulaire d'un brevet ou d'un certificat de pilotage qui exerce les fonctions de pilotage à bord d'un navire dans une zone de pilotage obligatoire doit signaler immédiatement à l'Administration tout incident ou accident à signaler tel que défini dans le Règlement sur le Bureau de la sécurité des transports.
E 4.1.6 Exploitants de navires-jumeaux
à la suite de la Lettre d'information sur la sécurité maritime MSI 05/99, le gérant de deux navires semblables au Alcor (le Cheetah et le Lynx) a commandé l'installation d'un verrou de protection sur le sélecteur de mode de gouverne (SMG) de la console de barre Hokushin pour ces deux navires. Le verrou protecteur bloque le sélecteur en position manuelle (hand), et il faut lever le sélecteur pour le placer sur une autre position.
Vu que de nombreux défauts de structure ont été décelés sur le navire Cheetah dans le cadre d'un contrôle par l'État du port à Sept-Îles le 7 avril 2000, le navire a été immobilisé jusqu'à ce que les réparations nécessaires aient été faites. Les réparations ont duré 10 jours.
E 4.1.7 Registre des navires de Russie
Depuis que le Alcor s'est échoué, le Registre des navires de Russie a mis en oeuvre des lignes directrices pour l'inspection des navires âgés de plus de 20 ans. De plus, un groupe de travail, installé à St. Petersburg, en Russie, a été mis sur pied pour assurer le contrôle de la qualité des inspections des vraquiers et des pétroliers dans le cadre du Programme renforcé d'inspections.
E 4.2 Mesures à prendre
E 4.2.1 Préparation aux situations d'urgence
Les accidents comme des échouements de grands navires obligent parfois à faire face à des situations complexes, aux exigences diverses et multiples, qui nécessitent l'intervention de plusieurs organismes et personnels différents. Le facteur temps est crucial dans la détermination des mesures correctives nécessaires. Les décisions doivent être prises rapidement et cela, malgré une certaine part d'incertitude, car la mobilisation de personnes ainsi que de matériel et leur acheminement vers le lieu de l'accident peut nécessiter un effort logistique important. En outre, les parties en cause doivent peser soigneusement le pour et le contre de toutes les options envisagées car les mesures prises sont elles-mêmes porteuses de risques qu'il faut bien évaluer et gérer dans un environnement dynamique.
On a enregistré des cas où une évaluation insuffisante ou fautive des risques courus par des navires impliqués dans un accident a contribué à aggraver la situation. On peut citer en exemple les cas du Torrey Canyon (1967), de l'Exxon Valdez (1989), de l'Amoco Cadiz (1978), du Sea Empress (1996). Les mêmes manquements sur le plan de la sécurité ont été relevés dans l'accident de l'Alcor ainsi que dans d'autres événements ultérieurs. Les lacunes mises en évidence dans l'accident de l'Alcor étaient les suivantes :
- une réaction inadéquate lors de l'échouement initial qui a contribué à aggraver la situation;
- l'utilisation non optimale des remorqueurs dans les opérations d'assistance, laquelle explique que le navire s'est échoué une seconde fois, subissant des avaries importantes;
- les parties clés n'ont pas toutes été consultées pour planifier et élaborer le plan d'assistance, ce qui a entraÎné une mauvaise coordination du plan de renflouement et provoqué le quasi-abordage du pétrolier Eternity et du porte-conteneurs Canmar Pride;
- les rapports de travail de l'équipe à la passerelle pendant les opérations d'assistance étaient fragmentaires et dénués de toute coordination, ce qui a failli causer un troisième échouement du navire;
- il n'existait pas de plan de secours en cas de situation d'urgence liée à la navigation, ce qui explique le manque de coordination de l'intervention;
- à cause de l'absence de plan de secours, les responsables gouvernementaux n'ont pas été en mesure d'évaluer objectivement le degré de promptitude et d'efficacité de l'intervention.
Après l'échouement d'un navire, il appartient à l'armateur d'intervenir efficacement pour faire face à la situation et prendre les mesures de redressement qui s'imposent. Différentes organisations gouvernementales aux mandats complémentaires et interreliés se côtoient sur les lieux d'accidents. TC est le maÎtre d'oeuvre pour tout ce qui se rapporte à l'exploitation sécuritaire des navires, au sauvetage et, sous réserve des dispositions de la Loi sur le Bureau canadien d'enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports, aux sinistres maritimes. Pêches et Océans Canada assure la supervision générale pour tout ce qui a trait au système de navigation, aux épaves et aux receveurs des épaves, ainsi qu'aux mesures à prendre en cas de déversements de polluants par des navires. Les administrations de pilotage interviennent dans l'assistance à l'équipe de navigation du navire. De façon générale, toutes ces organisations gouvernementales doivent s'assurer que l'armateur prend les mesures voulues pour faire face aux risques. Il leur faut donc absolument être bien préparées.
Dans le contexte maritime, la Garde côtière canadienne (GCC) a élaboré des plans d'urgence pour intervenir au besoin pour des opérations de recherche et sauvetage (SAR) en mer ou en cas de déversement de substances polluantes par des navires. Il n'existe cependant ni véritable système de gestion structuré ni plans d'intervention obligatoires pour les autres situations d'urgence maritime reliées à la navigation qui peuvent se présenter dans les eaux du Canada.
Lors d'une situation d'urgence comme un échouement, différents représentants gouvernementaux arrivent sur les lieux (principalement des envoyés de TC et de Pêches et Océans Canada) à titre d'observateurs ou de conseillers. Toutefois, lorsque la situation se détériore, une foule de ministères et organismes de tous les niveaux (fédéral, provinciaux et locaux) aussi bien que des entreprises commerciales peuvent avoir leur mot à dire. Le rôle de l'observateur/conseiller est d'évaluer la promptitude et l'efficacité de l'interventionNote de bas de page 59. Il n'existe cependant pas de critère d'exécution en fonction duquel l'efficacité de l'intervention d'urgence peut être évaluée. On se fie énormément au savoir-faire et à l'expérience du personnel. Il n'y a pas d'outils efficaces pour faciliter l'évaluation objective en fonction des attentes de TC ou de Pêches et Océans Canada relativement à la promptitude et à l'efficacité des mesures prises par les représentants de l'armateur et d'autres parties. En l'absence de système officiel de gestion structuré et de plan obligatoire pour les situations d'urgence reliées à la navigation, l'efficacité de l'observateur/conseiller est limitée aux initiatives individuelles et déterminée par la capacité de la personne en cause à bien saisir toute la complexité de la situation ainsi qu'à orienter ou, jusqu'à un certain point, à diriger ou interrompre les mesures prises si celles-ci ne fournissent pas une chance raisonnable d'obtenir les résultats recherchés.
L'obligation pour l'armateur d'être prêt à faire face à une situation d'urgence et à prendre les mesures requises à bord est stipulée dans le Code international de gestion de la sécurité (Code ISM). Le Code oblige les entreprises à établir des procédures ou des plans pour identifier, entre autres, les situations d'urgence reliées à la navigation comme les échouements et y réagir. Dans une situation de crise, il existe plusieurs facteurs sur lesquels ni le capitaine ni l'armateur du navire n'ont prise, à savoir l'environnement/les conditions locales, la disponibilité des ressources, etc. Il faut donc que les autorités soient prêtes à évaluer l'adéquation des interventions dans les situations d'urgence ainsi qu'à prendre les mesures voulues pour faciliter la mise en application du plan.
De par sa nature même, une opération de sauvetage est extrêmement complexe et évanescente; le succès dépend de la minutie avec laquelle le plan est établi ainsi que de l'efficacité avec laquelle il est mis en oeuvre. La nature dynamique des opérations de sauvetage nécessite souvent le règlement de problèmes à la pièce et la prise de décisions ponctuelles, ce qui rend plus vulnérable à l'erreur. Une approche structurée fournit un cadre permettant de prendre des décisions éclairées. Une telle façon d'aborder la gestion des situations d'urgence à TC et à la GCC permet de s'assurer que les mesures prises par l'armateur pour faire face aux situations d'urgence aux divers stades de leur évolution sont efficaces et appropriées dans les circonstances. En outre, elle garantit que le plan d'intervention de l'armateur cerne tous les risques et envisage toutes les options d'atténuation. Grâce à cette approche intégrée, les décisions pourront être prises et les correctifs communiqués de façon à la fois éclairée, efficace et prudente, et il sera possible d'évaluer systématiquement l'efficacité des options choisies.
Le Bureau constate que certaines structures de gestion des interventions d'urgence et certains modèles de prise de décisions en fonction du risque auxquels on a recours face à des situations d'urgence en mer ne conviennent pas pour les situations reliées à la navigation. De plus, prenant acte de la complémentarité des mandats de TC et de la GCC (promouvoir la sécurité des navires et protéger le milieu marin) et conscient du rôle important que jouent les administrations de pilotage dans la fourniture de renseignements précieux pour l'exploitation des navires dans les zones de pilotage, le Bureau estime qu'une approche planifiée et coordonnée est nécessaire à la fois pour contrer les situations d'urgence reliées à la navigation dans les eaux canadiennes et pour appuyer les efforts déployés par les armateurs en vue de faire face aux accidents. Le Bureau recommande donc que :
Le ministère des Transports, le ministère des Pêches et des Océans et les administrations de pilotage du Canada, après consultation avec des compagnies maritimes, élaborent et mettent en application des plans d'intervention permettant de contrer efficacement les risques découlant des situations d'urgence reliées à la navigation, et que des exercices de rodage soient organisés.
Recommandation M03-03 du BST
E 4.3 Préoccupation reliée à la sécurité
E 4.3.1 Rendement des pilotes
Le rôle crucial des pilotes pour assurer la sécurité des traversées est bien connu. Les pilotes sont appelés à conduire une variété de navires aux caractéristiques de manoeuvre différentes et ils doivent interagir, à un stade critique du voyage, avec des équipes à la passerelle représentant des langues et des cultures très diversifiées. La difficulté, dans un environnement de travail aussi dynamique, est donc de s'assurer que les pilotes possèdent les compétences requises et peuvent compter sur l'appui nécessaire afin d'être en mesure de s'acquitter de leurs fonctions dans la vaste gamme de situations où ils sont plongés.
Plusieurs enquêtes du BST portant sur des navires placés sous la conduite de pilotes ont mis en évidence des lacunes dangereuses pour lesquelles des correctifs ont été proposésNote de bas de page 60. Les problèmes étaient reliés aux facteurs qui influencent le rendement des pilotes. Voici certains de ces facteurs :
- l'échange d'information entre le capitaine et le pilote;
- la détérioration du rendement des pilotes due à la fatigue;
- la formation et le perfectionnement des pilotes ainsi que la validation de la formation;
- la formation des pilotes en matière de gestion des ressources à la passerelle et les pratiques à cet égard; et
- l'aptitude des pilotes à exercer leurs fonctions.
Les enquêtes ont aussi révélé l'absence, dans les régimes des organisations de pilotage, de mécanismes de gestion systématique de la fatigue ainsi que de vérifications périodiques de la compétence et des habiletés des pilotes. En conséquence, en 1999, à la suite de l'enquête sur l'accident du vraquier Raven Arrow, le Bureau a recommandé que les administrations de pilotage mettent au point et en oeuvre un mécanisme d'assurance de la qualité et de gestion de la sécuritéNote de bas de page 61. Cette recommandation faisait suite à une recommandation analogue de l'OTC demandant que les administrations de pilotage élaborent et mettent sur pied un système juste et équitable pour évaluer la compétence des pilotes ainsi que la qualité des services qu'ils offrentNote de bas de page 62. En réponse à ces deux recommandations, le ministre des Transports a chargé les administrations de pilotage de « concevoir un système d'assurance de la qualité adapté aux besoins et caractéristiques de leurs régions respectives » (traduction)Note de bas de page 63. Les administrations de pilotage ont subséquemment implanté une méthodologie de prise de décisions fondée sur le risque (MGRP ou Méthode de gestion des risques de pilotage) afin d'être en mesure d'assurer l'efficacité, la viabilité et la sécurité du système de pilotage canadien ainsi que de répondre aux attentes et aux besoins légitimes de tous les utilisateurs.
Le Bureau se félicite des mesures prises, lesquelles constituent un pas en avant pour accroÎtre la sécurité des navires qui circulent dans les zones de pilotage canadiennes. Le Bureau note cependant que l'application de la MGRP est limitée, on n'y a recours que pour étayer les décisions concernant les zones de pilotage obligatoire désignées, la taille et le type des navires assujettis au pilotage obligatoire, le rejet des demandes de dispenses et l'exigence du double pilotage dans les zones de pilotage désignées. De ce fait, on ne peut compter sur une analyse systémique pour amener naturellement les autres améliorations de la sécurité de la navigation dans les zones de pilotage que pourrait entraÎner l'action sur d'autres conditions, pratiques et procédures de pilotage. Le BST est conscient que dans certaines administrations de pilotage :
- la formation destinée à préparer les pilotes à faire face à des situations d'urgence reliées à la navigation ainsi qu'à des événements exceptionnels est limitée;
- l'inscription à certains cours de formation au pilotage se fait par ordre d'ancienneté;
- il n'y a pas de vérification obligatoire de la compétence des pilotes une fois la formation achevée;
- on ne vérifie pas la validité de la formation pour s'assurer que l'enseignement théorique donné aux pilotes est effectivement mis en pratique sur le terrain;
- les heures de service des pilotes sont variables et la présence d'un second pilote n'est pas systématiquement exigée; et
- il n'existe ni lignes directrices ni consignes officielles concernant la relève des pilotes mêlés à un accident.
L'adoption d'une méthodologie fondée sur le risque pour le règlement de tous les problèmes de pilotage, qu'ils soient d'origine réglementaire, contractuelle ou opérationnelle, garantirait que l'atténuation des risques est prise en compte au premier chef dans les opérations.
En 1998, une étude intitulée Modernisation du processus de délivrance des certificats de pilotage dans la région des LaurentidesNote de bas de page 64 s'est penchée sur la modernisation du processus de délivrance des certificats de pilotage pour le personnel navigant (le mandat n'englobait pas le processus de délivrance des brevets); cette étude a cerné plusieurs enjeux liés au rendement des pilotes, notamment un programme de formation et de validation fondé sur la compétence, des tests axés sur le rendement et l'infrastructure requise pour la mise en oeuvre du programme.
Le Bureau note aussi que les mêmes constatations concernant le rendement des pilotes sont tout aussi valables pour le processus de délivrance des brevets de pilote, mais qu'elles y sont majoritairement escamotées.
Des systèmes efficaces de gestion de la sécurité permettent aux organisations de cerner les manquements sur le plan de la sécurité et d'évaluer les risques connexes afin que des mesures correctives puissent être prises ou que le risque soit atténué avant que des accidents ne se produisent. Étant donné que l'application de l'actuelle méthodologie de gestion du risque des administrations de pilotage est actuellement limitée et que des enjeux clés liés au rendement ne sont pas encore pleinement pris en compte dans le processus de délivrance des brevets de pilote, le Bureau est préoccupé par le fait que subsistent des risques résiduels qui peuvent compromettre la sécurité générale des autres activités de pilotage de même que le rendement.
Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet accident. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .
Annexes
Annexe A— Simulations de la barre
Annexe B— Rapport d'examen du système de pilotage de l'Office des transports du Canada - 1999
L'article 157 de la Loi maritime du Canada, entrée en vigueur le 1er octobre 1998, contient une disposition modifiant la Loi sur le pilotage par l'adjonction d'une clause demandant au ministre d'examiner le fonctionnement du système de pilotage. L'ajout de cette disposition découle de la Politique maritime nationale de 1995 qui reconnaÎt la nécessité d'une analyse plus poussée de certaines questions délicates du régime de pilotage.
Le but était de se livrer à un examen prospectif du système de pilotage maritime et de formuler des recommandations pour assurer que le Canada dispose d'un système efficace, viable et sûr permettant de répondre aux attentes et aux exigences de tous les usagers, à l'heure actuelle et à l'avenir.
Les paramètres établis dans la loi étaient assez précis quant à la détermination des points à examiner. Il s'agissait de cinq questions distinctes :
- les conditions d'admissibilité aux certificats de pilotage pour les capitaines et les officiers;
- les exigences concernant la formation des pilotes et l'attribution des brevets de pilote;
- les zones de pilotage obligatoire;
- les mécanismes de règlement des différends;
- les mesures prises en matière d'autonomie financière et de réduction des coûts.
Le 11 août 1998, le ministre a écrit au président de l'Office des transports du Canada pour demander que l'Office des transports du Canada procède à l'examen.
L'Office des transports du Canada a reçu des mémoires écrits, a convoqué deux conférences nationales et a organisé des consultations régionales avec les parties intéressées. Tous les secteurs de l'industrie maritime ont participé activement à ces séances. L'Office des transports du Canada a remis son rapport final au ministre le 1er septembre 1999.
Le rapport d'examen de l'Office des transports du Canada contient 21 recommandations avec lesquelles Transports Canada est d'accord en principe. Certaines de ces recommandations ne peuvent être appliquées intégralement telles que présentées, et certaines modifications proposées à la réglementation devront faire l'objet d'une analyse juridique plus complète avant leur adoption.
Annexe C— Plan d'ensemble
Annexe D— Sigles et abréviations
- APL
- Administration de pilotage des Laurentides
- av.
- avant
- AVNAV
- Avis à la navigation
- ar.
- arrière
- BST
- Bureau de la sécurité des transports du Canada
- DGPS
- Système de positionnement global différentiel
- DORS
- Décrets, ordonnances et règlements statutaires
- °G
- degré gyro
- GCC
- Garde côtière canadienne
- GRP
- Gestion des ressources à la passerelle
- h
- heure
- hand
- position manuelle
- HNE
- heure normale de l'Est
- ISM
- (code) Code international de gestion de la sécurité
- kg/cm²
- kilogramme par centimètre carré
- kW
- kilowatt
- lb/po²
- livre par pouce carré
- m
- mètre
- MFEC
- moment de flexion en eau calme
- m/h
- mètre à l'heure
- N
- nord
- NFU
- non-follow-up (non asservi)
- nm
- mille marin
- Nm
- Newton-mètre
- OFF
- arrêt
- OMI
- Organisation maritime internationale
- OQ
- officier de quart
- pH
- potentiel d'hydrogène
- p/t
- ratio profondeur de l=eau/tirant d=eau (p/t) de 1,5 ou moins
- Recueil BC
- recueil de règles pratiques pour la sécurité du transport des cargaisons solides en vrac et ses amendements applicables
- SCE
- Système de cartes électroniques
- SCTM
- Services de communications et de trafic maritimes
- SEVCM
- Système électronique de visualisation des cartes marines
- SI
- système international d'unités
- SMG
- sélecteur de mode de gouverne
- SOLAS
- Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer
- STCW
- Convention internationale sur les normes de formation des gens de mer, de délivrance des brevets et de veille
- STM
- Services du trafic maritime
- t
- tonne
- t/m
- tonne/mètre
- tr/min
- tours à la minute
- tjn
- tonneau de jauge nette
- tpl
- tonne de port en lourd
- UTC
- temps universel coordonné
- °V
- degré vrai
- VHF
- très haute fréquence
- W
- ouest
- %
- pour cent
- °
- degré
- ′
- minute
- ″
- seconde