Talonnage
Vraquier Cape Acacia
Île West Kinahan, port de Prince Rupert
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Le Cape Acacia avait quitté le quai charbonnier de l'île Ridley à Prince Rupert en Colombie-Britannique, le 9 avril 1999, et se dirigeait vers la haute mer sous la conduite d'un pilote lorsqu'il a talonné un haut-fond au sud de l'île West Kinahan. Le bordé de fond a subi d'importantes avaries à l'avant. L'accident n'a pas fait de pollution; personne n'a été blessé. Des réparations temporaires ont été faites au mouillage et le navire a reçu un certificat de navigabilité temporaire l'autorisant à se rendre au Japon pour être réparé.
Renseignements de base
Fiche technique du navire
Nom | « CAPE ACACIA » |
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Numéro officiel | 22743 - 96 |
Port d'immatriculation | Panama |
Pavillon | République du Panama |
Type | Vraquier |
Jauge brute | 87 803Note de bas de page 1 |
Longueur | 289 m |
Tirant d'eau | Av. : 15,98 m Ar. : 16,36 m |
Construction | 1996, Kawasaki Kisen Kaisha Ltd. Sakaide, Japon |
Groupe propulseur | 1 diesel Kawasaki-Man-B&W fournissant 15 390 kW |
Cargaison | 151 179 tonnes de charbon |
Équipage | 22 personnes |
Passagers | Aucun |
Propriétaires | YSK Shipholding S.A. |
Description du bâtiment
Le Cape Acacia est un grand vraquier muni d'une partie avant à bulbe. Il possède neuf cales à cargaison, cinq blocs de citernes de double-fond et cinq blocs de citernes latérales. Les logements de l'équipage, la passerelle et la salle des machines se trouvent à l'arrière.
La passerelle de navigation, flanquée d'ailerons ouverts, se trouve à 250 m de l'avant et à 39 m de l'arrière. Une affiche dans la timonerie du navire spécifie les vitesses suivantes pour le navire chargé : 14 noeuds en route libre; allures de manoeuvre, 12 noeuds en avant toute, 6,9 noeuds en avant lentement et 5,1 noeuds en avant très lentement.
Selon cette affiche, le diamètre tactique du Cape Acacia est d'environ 1 milleNote de bas de page 2, quand on place la barre à droite toute quand il file 12 noeuds en eau peu profonde, et l'avance est est d'environ 8 encablures.Note de bas de page 3
Déroulement du voyage
Un peu avant minuit le 8 avril, le Cape Acacia achève d'embarquer une pleine charge de charbon (151 179 tonnes). Une vérification en vue de l'appareillage révèle que l'équipement de la timonerie et de la salle des machines fonctionne bien.
À 0 h 5, heure avancée du Pacifique (HAP)Note de bas de page 4 le 9 avril, le pilote monte à bord. À 1 h 5, le Cape Acacia, avec l'aide de deux remorqueurs, quitte son mouillage à destination du Japon. La machine est commandée à partir de la timonerie, à l'aide du transmetteur d'ordres. Le navire est en mode manuel, et les deux servomoteurs de gouvernail sont en marche.Note de bas de page 5
Le capitaine et le chef mécanicien sont Japonais. Le reste de l'équipage est composé de Philippins. La langue d'usage à bord est l'anglais qui est une langue seconde pour tous les membres de l'équipage.
Au moment de l'appareillage, il fait beau, le ciel est dégagé et des vents du sud-est soufflent à 20 noeuds. La mer est relativement calme dans les eaux abritées adjacentes à l'île Ridley. La marée descend.
À 1 h 20, une fois éloigné du quai, le navire met le cap au 205 ° V afin de parer la bouée D40 du haut-fond Bacon Rock et on renvoie les remorqueurs; on donne l'ordre de mettre la machine à en avant toute à l'aide du transmetteur d'ordres. Le pilote signale l'appareillage du navire aux services de communications et de trafic maritimes (SCTM) de Prince Rupert sur la voie 71 du radiotéléphone VHF.
Dans la timonerie, on retrouve le pilote, qui assure la conduite du navire, le capitaine, le troisième officier qui est l'officier de quart (OQ) et le timonier. Vers 1 h 30, le deuxième officier prend le quart. Le troisième officier descend à ce moment-là.
Vers 1 h 27, après avoir paré le haut-fond de Bacon Rock, le navire met le cap au 185° V.
Vers 1 h 34, alors que la bouée D27 se trouve à proximité sur tribord, le pilote ordonne de mettre la barre de 20° à droite pour venir sur un cap au 270° V. Dès que l'abattée est amorcée, la barre est ramenée à 10° , et vers 1 h 37, le navire se stabilise doucement sur un cap au 270° V.
À 1 h 38, une alarme sonore se déclenche dans la salle des machines indiquant une température élevée des gaz d'échappement de la machine principale no 5. Le système automatique de commande des machines se substitue à la commande de la passerelle et réduit immédiatement le régime à en avant très lentement. Les mécaniciens notent alors qu'une tige de soupape d'échappement du cylindre no 5 est grippée.
À peu près au même moment, le pilote et le timonier remarquent que le navire est devenu silencieux et notent une absence marquée de vibrations qui est ordinairement associée à une forte baisse de régime.
L'alarme sonore du transmetteur d'ordres de la timonerie se déclenche et le tachymètre indique une chute de régime des machines, même si le transmetteur d'ordres est toujours à en avant toute.
À 1 h 40, le chef mécanicien appelle la timonerie depuis la salle de commande des machines. L'OQ prend l'appel et passe le téléphone au capitaine. La conversation se déroule en japonais. Le chef mécanicien signale le problème au capitaine et l'informe que la machine principale ne fonctionne qu'à en avant très lentement et qu'il faudra environ deux heures de travail au mouillage pour régler le problème.
Le capitaine retransmet cette information au pilote. Selon le pilote cependant, c'est le capitaine qui aurait appelé la salle des machines pour connaître la nature du problème et, étant donné que le capitaine maîtrisait mal l'anglais, le pilote aurait compris que le navire ne pourrait être maintenu à en avant lentement que pendant 30 minutes.
Le capitaine et le pilote discutent alors pour décider de la meilleure zone de mouillage. Les échanges sont toutefois longs et gênés par le fait que le capitaine maîtrise mal l'anglais. On essaie de trouver des profondeurs d'eau adaptées à la longueur de chaîne d'ancre disponible. Le navire dispose de 14 maillons de chaîne à l'ancre de bâbord et de 13 maillons à l'ancre de tribordNote de bas de page 6. Le capitaine croit qu'il vaut mieux chercher un mouillage vers l'extérieur, à l'ouest, tandis que le pilote préférerait se rendre au mouillage «Y». Toutefois, le pilote décide de revenir à proximité du mouillage «X», au sud-est des îles Kinahan. Ce choix lui permettra aussi de demander l'aide de remorqueurs au besoin. Le pilote prend cette décision car il pense que le navire perdra ses moyens de propulsion dans 30 minutes.
La distance de 1,1 mille, entre les positions de 1 h 39 et 1 h 49 qui ont été portées sur la carte par l'OQ, indique que le navire filait environ 6,6 noeuds à ce moment-là.
Le premier lieutenant reçoit l'ordre de se tenir prêt à l'avant avec son équipe de mouillage. Le maître d'équipage est déjà à son poste à l'avant du gaillard car les ancres n'ont pas encore été saisies pour le voyage.
À 1 h 44, les mécaniciens transfèrent la commande des machines à la salle de commande des machines et réarment le système de commande de la machine principale. Le comportement de la machine principale s'améliore ensuite peu à peu.
Vers 1 h 49, on met la barre à droite toute dans l'intention de revenir sur un cap à l'est pour regagner le mouillage «X». À 1 h 49, l'OQ relève la position du navire au GPS (système de positionnement global) et au radar et note que le navire se trouve alors par 54° 11,32′ N et 130° 22,22′ W, à 5,8 encablures de la pointe sud de l'île South Kinahan.
Le pilote déclarera par la suite qu'il ne savait pas que l'OQ portait le point sur la carte à intervalles réguliers pendant le voyage.
Le pilote se sert du radar de tribord en mode d'aide au pointage radar automatique (APRA) avec présentation en mouvement stabilisé au gyrocompas nord en haut, et il alterne entre les échelles de trois milles et de six milles. Il se déplace entre le radar, la table des cartes et le poste de barre tandis que le capitaine fait la navette entre la table des cartes et le radar de bâbord.
Pendant le voyage, l'OQ porte le point sur la carte à intervalles réguliers et s'acquitte d'autres tâches, comme répondre au téléphone et essuyer la buée sur les vitres de la timonerie.
À 1 h 49 également, le chef mécanicien appelle la timonerie pour prévenir le capitaine qu'il serait possible de porter l'allure à en avant demie et qu'il ne sera pas nécessaire de mouiller. La soupape d'échappement défectueuse pourra être remplacée en haute mer.
À 1 h 49 min 30 s, on donne l'ordre en avant très lentement à l'aide du transmetteur d'ordres de la timonerie.
Le capitaine signale au pilote les nouvelles données qui lui ont été transmises par le chef mécanicien, et vers 1 h 52, alors que le navire fait route au 357° V, le pilote ordonne de mettre la barre à zéro puis à gauche toute.
Le navire interrompt son évolution vers tribord et commence à abattre lentement vers bâbord, se rapprochant des îles Kinahan. Les machines sont placées à en avant lentement à 1 h 58 et à en avant demie à 1 h 58 min 30 s dans l'espoir d'accroître la vitesse angulaire de giration. Vers 2 h, le navire vibre d'un bout à l'autre pendant environ cinq secondes lorsqu'il talonne le fond rocheux. On met aussitôt le transmetteur d'ordres de la salle des machines à stop. Le navire se trouve alors par 54° 12,1′ N et 130° 24,7′ W, immédiatement au sud de l'île West Kinahan, juste à l'intérieur de la courbe de niveau de 20 m. Le navire abat rapidement sur bâbord et fait cap au 315° V environ; la vitesse du navire au moment du talonnage est estimée à 2 ou 3 noeuds.
Le premier lieutenant. qui se trouve sur l'avant du gaillard, signale que de l'air s'échappe par l'orifice de ventilation du peak avant. Des membres de l'équipage sont chargés de sonder les citernes et d'évaluer les avaries.
Le navire continue son évolution sur bâbord et pare d'autres récifs. Le pilote informe le capitaine qu'il se dirige vers le mouillage « Y ». Il signale ses intentions au centre des SCTM, et des mesures sont prises pour que des remorqueurs viennent lui prêter assistance au mouillage.
Le Cape Acacia contourne l'îlot Greentop et mouille l'ancre dans le mouillage « Y », au sud de Holland Rock, à 3 h 27 .
Une inspection de la carène révèle que le navire a subi des avaries au droit du peak avant et du ballast de double-fond de tribord no 1. Le 10 avril, le navire est transféré au mouillage «B» dans le port de Prince Rupert. Après des réparations temporaires, la société de classification lui délivre un certificat de navigabilité temporaire, assujetti à certaines conditions, pour lui permettre de se rendre à Chiba au Japon. Le 17 avril, le navire appareille de Prince Rupert.
Avaries au navire
Les avaries se limitent à la partie avant des oeuvres vives du navire. Le bordé de fond au droit du peak avant est percé et déchiré à plusieurs endroits (superficie maximale d'environ 5 m x 2 m). Le bordé de fond au droit du ballast de double-fond no 1 présente trois perforations d'une superficie maximale de 700 mm x 150 mm. La cloison d'abordage séparant le peak avant du ballast de double-fond de tribord no 1 est fissurée au point de jonction avec la virure de fond. La partie avant présente d'autres bosselures et rayures.
Certificats du navire
Le navire possédait les certificats, l'armement en personnel et l'équipement exigés par la réglementation. Le navire répondait aux exigences du Code international de gestion pour la sécurité de l'exploitation des navires et la prévention de la pollution (Code ISM). L'attestation de conformité avait été délivrée par la société Det Norske Veritas le 2 avril 1998; il était valide jusqu'au 29 août 2000.
Brevets du personnel
Le capitaine, le chef mécanicien et l'OQ possédaient les qualifications requises pour le navire sur lequel ils travaillaient et pour le voyage qu'ils effectuaient. Le capitaine n'avait pas suivi de formation officielle en gestion des ressources à la passerelle (GRP).
Le pilote répondait aux conditions exigées par l'Administration de pilotage du Pacifique de ses pilotes de catégorie I. Il était titulaire d'un brevet de capitaine de remorqueur de cabotage, assorti d'un visa de maintien des compétences en vertu des dispositions de la Convention internationale sur les normes de formation des gens de mer, de délivrance des brevets et de veille (STCW). Il avait suivi une formation à la GRP.
Renseignements sur le personnel
Le capitaine possédait 33 années d'expérience en mer, dont 10 ans comme capitaine (dont 7 sur de grands vraquiers). Il était venu une fois à Prince Rupert à bord d'un autre navire. Il avait rejoint le Cape Acacia en février 1999.
L'OQ avait commencé sa carrière de marin comme élève-officier en 1981. Navigateur chevronné, il avait servi à bord de trois autres navires du même armateur. Il servait sur le Cape Acacia depuis décembre 1998; il s'agissait de son premier voyage à destination de Prince Rupert.
Le chef mécanicien possédait 20 années d'expérience de la mer. Il était chef mécanicien depuis deux ans pour la même compagnie; il avait rejoint le Cape Acacia en février 1999.
Le pilote travaillait depuis 11 ans pour l'Administration de pilotage du Pacifique. Pilote chevronné, il avait déjà assuré la conduite de nombreux navires en partance et à destination de Prince Rupert, dont quelque 32 charbonniers de taille et de tonnage similaires au Cape Acacia. Il avait déjà assuré la conduite du Cape Acacia au départ de Prince Rupert en 1998.
Les pilotes de l'Administration de pilotage du Pacifique font 20 jours de travail suivis de 10 jours de repos. Le pilote avait terminé sa période de repos de 10 jours le 1er avril et il était arrivé à Prince Rupert le 5 avril. Le 6 avril, il avait assuré la conduite de deux navires, dont le Cape Acacia à l'arrivée, jusqu'au quai charbonnier de l'île Ridley. Dans l'après-midi du 8 avril, il avait assuré la conduite d'un navire de son poste de mouillage à son poste à quai. Le pilotage du Cape Acacia en partance était sa quatrième mission pour cette période de travail à Prince Rupert.
Courants
Le 8 avril, la haute mer à Prince Rupert était prévue pour 20 h 10 et elle devait atteindre une hauteur de 4,7 m au-dessus du zéro des cartes. La basse mer suivante était prévue pour 1 h 45 le 9 avril, avec une hauteur de 3,3 m au-dessus du zéro des cartes.
Les courants de marée au sud des îles Kinahan atteignent 0,5 noeud et portent au 100° à la marée montante et ils portent au 265° à une vitesse d'environ 1,5 noeud à la marée descendante. L'accident est survenu une quinzaine de minutes après la basse mer à Prince Rupert, moment où le courant devait être négligeable au sud des îles Kinahan.
Équipement de navigation
Le Cape Acacia est muni des aides à la navigation suivantes : deux radars (un avec APRA et un autre avec dispositif de pointage électronique); un compas de route/de relèvement magnétique; un maître-gyrocompas, placé au poste de barre, assorti d'un pilote automatique; des répétiteurs de gyrocompas sont placés près de la fenêtre centrale de la timonerie ainsi que dans les ailerons de bâbord et tribord. Un enregistreur de cap est relié au maître-gyrocompas. Il est équipé d'un GPS, d'un radiogoniomètre, de deux postes VHF fixes et de huit postes radios portatifs. Un axiomètre et un indicateur de la vitesse de rotation de l'arbre sont placés au-dessus de la fenêtre centrale de la timonerie ainsi que dans les ailerons de la passerelle. Le navire transporte un assortiment complet de cartes marines et de publications connexes pour le secteur. La carte utilisée au moment de l'accident était la carte no 2433 de l'Amirauté britannique (à jour).
Tout l'équipement de navigation était utilisable au moment du talonnage.
L'enregistreur de cap a enregistré les caps suivis et l'angle de gouvernail. L'angle de gouvernail était normal. Au moment de l'appareillage du quai, on a affiché 1 h 5 sur l'enregistreur de cap; toutefois, le papier n'a pas été remis en place pour assurer la coïncidence avec les lignes horaires et demi-horaires sur le graphique.
Salle des machines
À 1 h 38, une alarme sonore s'est déclenchée dans la salle des machines indiquant que la température des gaz d'échappement de la machine principale no 5 était élevée. Le système automatique de commande des machines s'est substitué à la commande de la passerelle et a immédiatement réduit le régime. En regardant le cylindre, on a constaté que la tige de soupape d'échappement était grippée. L'indicateur de course de la soupape d'échappement était à 20 mm (contre 80 mm normalement). À cause de cela, le piston était incapable de comprimer l'air dans le cylindre et la combustion du carburant n'était pas optimale.
Lorsque la cause de l'alarme a été connue et qu'il est devenu évident que les réparations pourraient être faites en haute mer, le capitaine, qui se trouvait dans la timonerie, en a été informé. Les mécaniciens ont transféré les commandes de la passerelle à la salle de commande des machines, la machine principale a été réarmée et le régime a graduellement augmenté, jusqu'à en avant demie.
Centre de trafic maritime
Le centre des SCTM de Prince Rupert n'a pas l'équipement radar qui lui permettrait de suivre les déplacements des navires qui arrivent au port et en repartent.
Pilotage à Prince Rupert
Prince Rupert est situé dans la zone de pilotage obligatoire 4 de l'Administration de pilotage du Pacifique. Les pilotes sont assignés par roulement au port de Prince Rupert et y travaillent environ une fois par année pendant une semaine. Les pilotes qui arrivent dans la zone en provenance du sud sont également disponibles et on a recours à leurs services au besoin.
Planification du voyage
Le Cape Acacia est un navire à fort tirant d'eau et il suivait la route recommandée au sud des îles Kinahan. Le pilote avait emprunté cette route maintes fois.
Navigation avec un pilote à bord
La Convention STCW et le Code des méthodes et pratiques nautiques de l'Organisation maritime internationale (OMI) stipulent dans la partie I intitulée «Principes fondamentaux à observer lors du quart à la passerelle» :
10. Navigation avec un pilote à bord
Nonobstant les tâches et obligations qui incombent au pilote, sa présence à bord ne décharge pas le capitaine ou l'officier chargé du quart des tâches et obligations qui leur incombent sur le plan de la sécurité du navire. Le capitaine et le pilote doivent échanger des renseignements sur la conduite du navire, les conditions locales et les caractéristiques du navire. Le capitaine et l'officier de quart doivent coopérer étroitement avec le pilote et vérifier soigneusement en permanence la position et les mouvements du navire.
Le pilote avait assuré la conduite de ce navire dans le port trois jours avant l'accident et il connaissait raisonnablement bien les commandes de la machine principale. Il avait également assuré la conduite du navire en 1998. Une fiche de pilotage contenant des renseignements sur les particularités du navire ainsi que de l'information relative à la navigation avait été remplie par l'OQ après l'essai de l'équipement avant l'appareillage, et elle était à la disposition du pilote. Une affiche sur la cloison arrière de la timonerie indiquait les particularités du groupe propulseur et les caractéristiques de manoeuvre du navire. Quand il est monté à bord au quai charbonnier de l'île Ridley, le pilote a seulement demandé le tirant d'eau du navire. Le capitaine et le pilote n'ont pas échangé d'autres renseignements quant à la route du navire, etc. Cependant, le pilote savait que les routes à suivre pour l'arrivée au port et le départ étaient tracées sur la carte.
Gestion des ressource à la passerelle (GRP)
Le but de la GRP est de privilégier le travail d'équipe afin de faire une utilisation optimale des ressources disponibles, de l'équipement, de l'information écrite, des consignes et du personnel. La GRP favorise la prise de décisions pendant les phases critiques de la traversée et elle permet aux personnes concernées d'avoir constamment une bonne idée de la situation.
Lignes directrices de l'OMI touchant la GRP
Même s'il n'existe à l'heure actuelle aucune formation obligatoire à la GRP, l'OMI (par l'intermédiaire de la Convention STCW) offre désormais des lignes directrices concernant la façon d'assurer un quart à la passerelle et conseille aux entreprises de transport maritime d'implanter de leur propre chef la GRP à bord de leurs navires.Note de bas de page 7
GRP et planification de la traversée
Le 2 décembre 1993, le vraquier «TRANS ASPIRATION» s'est échoué sur le rocher Kestrel dans le port de Prince Rupert. Dans son rapport d'enquête sur cet accident (rapport M93W0011), le BST note que l'une des causes de l'échouement est que le pilote n'a pas déterminé la position du navire avant un changement de cap crucial. L'absence d'échange de renseignements entre l'équipe à la passerelle et le pilote a contribué à l'accident.
Deux enquêtes du BST sur des accidents survenus en 1991 (rapports M91L3015 et M91L3012) ont révélé que les navires en cause avaient quitté le chenal navigable parce que les pilotes ont amorcé prématurément le changement de cap habituel. Ni le pilote ni l'officier de quart ne s'étaient aperçus que le navire ne suivait pas la route prévue avant le changement de cap. Ces erreurs de navigation auraient pu être décelées si la traversée avait été préparée et si l'équipe à.la passerelle avait suivi la progression du navire. À cet égard, le Bureau avait recommandé que :
Le ministère des Transports exige que les administrations de pilotage publient des plans de pilotage en bonne et due forme pour les eaux où le pilotage est obligatoire et mettent ces plans à la disposition des capitaines pour faciliter la surveillance du travail du pilote par l'équipe à la passerelle du navire.
Recommandation M94-34 du BST
Le ministère des Transports a répondu que la Loi sur le pilotage ne lui permettait pas d'obliger les administrations de pilotage à prendre des mesures comme celles que le Bureau recommande. De plus, l'Administration de pilotage du Pacifique n'est pas d'accord avec l'idée d'avoir des plans de pilotage; elle s'inquiète des répercussions sur le plan de la responsabilité, tant pour le pilote que pour l'Administration, si un navire qui suit un tel plan était impliqué dans un accident.
Toutefois, conforté dans cette opinion par les circonstances de l'accident à l'étude, le Bureau demeure convaincu qu'une étroite surveillance de la progression du navire en fonction d'un plan de pilotage préétabli améliorerait la sécurité du navire. Dans son Étude de sécurité portant sur les rapports de travail entre les capitaines et officiers de quarts, et les pilotes de navire, le Bureau a recommandé que :
Le ministère des Transports exige que les pilotes, au moment de l'échange de renseignements lors de la relève à la conduite du navire :
- obtiennent l'approbation du capitaine au sujet du plan de pilotage prévu;
- incitent les membres de l'équipe à la passerelle à participer à la navigation du navire en demandant à l'officier de quart de reporter, à des intervalles réguliers, la position du navire sur la carte et de les informer de la position du navire par rapport à celle prévue dans le plan de pilotage convenu.
Le ministre des Transports a indiqué qu'il était d'accord avec l'objet de cette recommandation et que :
Le ministère des Transports et les administrations de pilotage développeront des méthodes visant à favoriser l'entente entre le pilote et les officiers de navire pour ce qui est du plan de pilotage à suivre et à préciser leur obligation respective quant à la bonne exécution de ce plan.
Les quatre administrations de pilotage canadiennes ont mis sur pied une formation à la GRP obligatoire pour leurs pilotes. La majorité des pilotes de l'Administration de pilotage du Pacifique a reçu cette formation.
Analyse
Gestion des ressources à la passerelle (GRP)
Si le capitaine avait reçu de la formation en GRP, il est probable qu'il aurait été plus conscient de l'importance du travail d'équipe, travail qui met l'accent sur la communication. Au moment où une bonne communication était essentielle, la maîtrise limitée de l'anglais du capitaine a compliqué les échanges avec le pilote. Si le pilote a décidé de revenir au mouillage «X», c'est parce qu'il croyait que le capitaine lui avait dit qu'il ne lui restait qu'une demi-heure pour mouiller le navire en toute sécurité.
Les échanges ont été très limités entre le capitaine, l'OQ et le pilote pendant la traversée. Le capitaine faisait la navette entre la table des cartes et le radar de bâbord tandis que l'OQ essuyait les fenêtres de la timonerie et s'acquittait d'autres tâches. Le pilote était donc laissé à lui-même.
Le pilote aurait dû savoir que l'OQ portait le point sur la carte à intervalles réguliers, et lui-même ainsi que le capitaine auraient dû mieux évaluer les options possibles lorsque le chef mécanicien les a informés à 1 h 40 des problèmes avec la machine. En examinant de près la position à 1 h 39 portée par l'OQ sur la carte, on aurait vu qu'il fallait réagir immédiatement si on voulait manoeuvrer le navire pour le conduire au mouillage «X», qui se trouvait à environ 4,5 encablures au nord-est. Si la communication avait été meilleure, le pilote n'aurait pas pensé à tort que la machine du navire allait tomber en panne dans 30 minutes, ce qui aurait élargi le choix des mouillages possibles. Au lieu de cela, le capitaine et le pilote ont discuté du meilleur mouillage possible alors que le navire continuait d'avancer sur son erre à une vitesse d'environ 6,6 noeuds.
Il n'y a pas eu d'échange complet de renseignements sur les caractéristiques de manoeuvre du navire avant l'appareillage du poste d'accostage. Le capitaine et le pilote ont su qu'il serait impossible de faire fonctionner la machine principale à fond à 1 h 49, soit 10 minutes après que le problème eut été décelé; le navire avait eu le temps de parcourir 1,1 mille sur sa route prévue. Compte tenu de la puissance motrice réduite disponible et du fait que le navire était chargé, il aurait dû être évident qu'il n'était pas possible de faire demi-tour sur tribord en toute sécurité pour revenir au mouillage «X» surtout que l'allure avait été réduite d'en avant demie à en avant très lentement à 1 h 49 min 30 s. L'affiche dans la timonerie indiquait qu' à une allure de 12 noeuds en eau peu profonde quand la barre est à gauche toute, l'avance est d'environ 8 encablures et le diamètre tactique est d'à peu près un mille, et ces distances sont plus importantes à vitesse réduite.
La décision prise à 1 h 52 (après avoir appris que le navire n'avait pas besoin de mouiller) de venir sur bâbord sur un cap au 357° V environ, afin de se diriger vers la mer, ainsi que les manoeuvres de la barre et de la machine qui ont suivi, sont d'autres signes qui révèlent que le pilote n'avait plus une bonne idée de la situation. Lors des événements qui ont conduit à l'accident, les facteurs suivants ont empêché le pilote d'avoir une bonne idée de la situation :
- le manque de communication claire entre le capitaine et le pilote concernant le temps dont l'on disposait avant qu'il soit nécessaire de mouiller le navire;
- le temps précieux gaspillé pendant la discussion à décider du choix du mouillage;
- le partage inadéquat de l'information concernant les caractéristiques de manoeuvre du navire;
- le manque de connaissance de la position du navire portée par l'OQ sur la carte.
Un bon travail d'équipe sur la passerelle aurait permis de suivre de près la progression du navire et de prendre de meilleures décisions.
Faits établis
- Le Cape Acacia a talonné le fond rocheux au sud de l'île West Kinahan, juste à l'intérieur de la courbe de niveau de 20 m, dans l'obsécuritéé, par beau temps et ciel dégagé. Les oeuvres vives du navire ont subi d'importantes avaries dans la partie tribord à l'avant.
- La machine du navire a dû être maintenue à régime réduit à cause de problèmes liés à la tige de soupage d'échappement du cylindre no 5.
- Le capitaine ne maîtrisait pas bien l'anglais, et le pilote a mal interprété la description du problème de moteur faite par le capitaine; le pilote a cru que le navire serait privé de moyens de propulsion au bout de 30 minutes.
- Croyant que le navire perdrait ses moyens de propulsion dans les 30 minutes, le pilote a consulté le capitaine sur le choix d'un mouillage convenable et il a été convenu de revenir au mouillage « X ».
- Les 10 minutes prises pour décider de revenir au mouillage « X » a placé le navire dans une situation où il devenait dangereux d'amorcer le virage à droite.
- Le pilote a indiqué qu'il ne savait pas que l'officier de quart portait la position du navire à intervalles réguliers sur la carte.
- Les manoeuvres de la barre et de la machine pour tenter de faire demi-tour en vue de regagner le mouillage « X » n'étaient pas appropriées dans les circonstances. La décision subséquente d'interrompre l'évolution pour mettre le cap vers la mer laisse à désirer.
- Vu qu'on connaissait les élément suivants (la position du navire, son fort tirant d'eau et ses capacités de manoeuvre limitées avec une pleine charge et la machine qui fonctionnait à puissance réduite), on aurait dû conclure que le bâtiment ne disposait pas d'un espace suffisant pour les manoeuvres envisagées.
Causes et facteurs contributifs
Le Cape Acacia a talonné au sud de l'île West Kinahan parce qu'on a décidé tardivement de ce qu'il fallait faire après avoir rencontré des problèmes de moteur. Facteurs contributifs : la mauvaise communication entre le capitaine et le pilote a conduit à une mauvaise évaluation de la situation; l'échange insuffisant de renseignements entre les membres de l'équipe à la passerelle; et la mauvaise évaluation des caractéristiques de manoeuvre du navire.
Mesures de sécurité
Mesures de sécurité prises
Les quatre administrations de pilotage canadiennes ont mis sur pied un programme de formation en gestion des ressources à la passerelle (GRP) obligatoire pour les pilotes.
Transports Canada a modifié le Règlement général sur le pilotage afin d'obliger les pilotes à suivre une formation à la GRP. Ces modifications, qui sont entrées en vigueur le 30 mars 2000, exigent que les titulaires d'un brevet ou d'un certificat de pilotage, ainsi que les aspirants à ce brevet ou à ce certificat soient tenus, à compter du 1er janvier 2000, de produire un certificat attestant qu'ils ont suivi un programme de formation en gestion des ressources à la passerelle (GRP) reconnu par l'Administration comme satisfaisant aux exigences de la partie B du chapitre VIII de la Convention internationale de 1978 sur les normes de formation des gens de mer, de délivrance des brevets et de veille (STCW), ainsi que des mises à jour ultérieures.
Après cet accident, les propriétaires du Cape Acacia ont décidé que tous les officiers de pont de la compagnie devraient suivre une formation reconnue en GRP. Ce programme de formation a débuté en juin 1999.
Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .
Annexes
Annexe A— Croquis du secteur de l'accident
Annexe B— Photos
Appendix B— Photographs