Heurt violent
Remorqueur Sheena M et
Chaland de copeaux Rivtow 901
Pont ferroviaire de Mission de CP Rail
Fleuve Fraser, Mission (Colombie-Britannique)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Le 2 juin 1999 vers 00 h 45, heure locale, le chaland de copeaux chargé Rivtow 901, tiré par le remorqueur Sheena M, a heurté le pont ferroviaire du Canadien Pacifique Limitée qui permet de traverser le fleuve Fraser à Mission en Colombie-Britannique.
Le heurt violent a causé des dommages considérables à la pile de protection et à la travée pivotante du pont. Le pont a été fermé à la circulation ferroviaire jusqu'au 30 juin 1999.
La travée pivotante a été fermée au trafic maritime jusqu'à la même date, avant d'être rouverte partiellement. La réouverture complète n'a eu lieu que le 26 juillet 1999.
Renseignements de base
Fiches techniques des bâtiments
« SHEENA M" » | « RIVTOW 901 » | |||
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Numéro officiel | 800064 | 371293 | ||
Port d'attache | Vancouver (C.-B.) | Vancouver (C.-B.) | ||
Pavillon | Canada | Canada | ||
Type | Remorqueur | Chaland de copeaux | ||
Jauge brute | 9,99 t | 860 t | ||
Longueur | 10,21 mNote de bas de page 1 | 54, 86 m | ||
Tirant | Av. : 0,90 m |
Arr. : 2,60 m |
Av. : 1,65 m |
Arr. : 2,30 m |
Construction | 1981, Port Alberni (C.-B.) |
1976, Vancouver (C.-B.) |
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Propulsion | Diesel, 2 x 300 chf | Sans moyens de propulsion | ||
Cargaison | S.O. | 2 100 tonnes de copeaux de bois | ||
Équipage | 2 personnes | Aucun | ||
Propriétaires | Bayside Towing Ltd. Mission (C.-B.) |
Rivtow Marine Ltd. Vancouver (C.-B.) |
Description des bâtiments
Remorqueur Sheena M
Le Sheena M est un remorqueur en acier dont la superstructure se trouve à l'avant; juste derrière celle-ci, un treuil de remorquage est placé sur l'axe longitudinal du pont principal. Deux moteurs diesels entraînant deux hélices à pales réversibles constituent le système de propulsion, lequel est entièrement commandé de la timonerie.
Le treuil de remorquage du Sheena M est placé sur le pont arrière, au tiers environ de la longueur du navire en partant de l'arrière. Le tambour du treuil de remorquage contient environ 180 m de câble métallique de 250 mm relié à deux pattes d'oie de 220 mm de diamètre d'une longueur de 13 m environ chacune. Le treuil de remorquage est muni d'un mécanisme d'inactivation qui peut être commandé à distance de trois endroits à bord du navire.
Chaland de copeaux Rivtow 901
Le Rivtow 901 est un chaland en acier soudé conçu pour transporter en pontée des copeaux de bois en vrac. Des pavois en acier de 4,7 m de hauteur, montés des côtés bâbord et tribord du chaland, forment une boîte à cargaison découverte, aux parois unies à l'intérieur, dont les côtés sont soutenus par des montants extérieurs en acier.
Description du pont ferroviaire de Mission du Canadien Pacifique Limitée
Construit en 1909, le pont ferroviaire de Mission du Canadien Pacifique Limitée (CPR) enjambe le fleuve Fraser à Mission (C.-B.). Soutenu par 13 piles en béton, le pont a une longueur d'environ 533 mètres. La travée pivotante, qui offre un tirant d'air de 4,9 m au-dessus de la pleine mer supérieure grande marée (PMSGM) lorsqu'elle est fermée, est articulée au sommet d'une pile circulaire en béton, la 10e en partant de la berge nord du fleuve. Cette pile en béton est protégée par une estacade faite de pieux de bois traité et de rondins et lambrissée de bois qui s'allonge sur environ 46 m vers l'aval et 46 m vers l'amont à partir de la pile de béton. L'estacade de protection se termine en pointe à ses extrémités amont et aval. Les parties navigables des chenaux nord et sud ont une largeur d'environ 30 m. La nuit, un feu blanc fixe balise les piles 9 et 11 ainsi que les extrémités aval et amont de l'estacade de protection.
Les bâtiments à faible tirant d'air comme les chalands de billes et les barges de gravier chargées et non chargées passent sous la travée fixe entre les piles 5 et 6. Les chenaux nord et sud sous la travée pivotante sont utilisés principalement par les chalands à copeaux et d'autres bâtiments incapables de passer sous le pont-rail entre les piles 5 et 6.
Un pontier qui occupe un bureau sur la berge à l'extrémité nord du pont est de service 24 h sur 24. On peut le rejoindre par téléphone et il est aussi à l'écoute sur un poste VHF. Quand on lui demande d'ouvrir la travée pivotante, le pontier passe sur le chevalet pour se rendre à un poste de contrôle situé sur la travée. Il doit rester sur celle-ci tant que le pont est ouvert.
Déroulement du voyage
À 17 h 45Note de bas de page 2 dans la soirée du 1er juin 1999, un matelot et un capitaine de relève partent en bateau-taxi de Port Hammond sur le Fraser pour aller relever l'équipage du remorqueur Sheena M près de Port Coquitlam. Après de brèves formalités de transfert, l'équipage de relève prend charge du remorqueur et l'équipage relevé quitte à bord du même bateau-taxi. Ni le capitaine ni le matelot ne sont des employés à plein temps de l'armateur et ni l'un ni l'autre ne travaille pour lui sur une base régulière. Toutefois, ils ont été prévenus suffisamment à l'avance de cette affectation et ils sont apparemment bien reposés.
Le remorqueur Sheena M remonte le Fraser en tirant un chaland de copeaux vide. Le propriétaire du remorqueur a demandé au capitaine de conduire le chaland de copeaux à la papeterie de Meeker Cedar (C.-B.), d'y prendre en échange un chaland de copeaux chargé et de revenir vers l'aval pour attendre les ordres. La destination la plus probable mentionnée est l'île Annacis sur le Fraser.
À bord du Sheena M tout l'équipement est en bon ordre de marche, selon les témoignages. La lune est pleine le 30 mai, le ciel est clair et étoilé, la visibilité est bonne. Il n'y a pas de vent perceptible. Au moment de la prise en charge, le capitaine a été informé que le limnomètre de Mission indique 15,09 pi (4,6 m). Cela représente la hauteur du niveau du fleuve au-dessus du zéro des cartes.
Le trajet de 20 milles sur le fleuve se déroule sans incident. À l'aide d'un téléphone cellulaire, vers 22 h 45, le capitaine du Sheena M prévient le pontier de CP Rail des intentions du Sheena M et indique pour celui-ci une heure prévue d'arrivée (HPA) de 23 h 30 au pont. Le pontier informe le capitaine qu'il reste à l'écoute sur la voie 80 du radiotéléphone très haute fréquence (R/T VHF) et demande un préavis de 20 minutes pour ouvrir la travée. Selon les instructions du pontier, le Sheena M arrive au pont à l'heure indiquée et il le traverse en direction amont par le chenal sud sans problème avant d'arriver à la papeterie de Meeker Cedar vers 23 h 45 (voir figure 1).
La papeterie de Meeker Cedar se trouve sur la berge nord du Fraser à environ 500 m en amont du pont-rail de Mission de CP Rail. En arrivant à Mission, l'équipage du Sheena M amarre le chaland de copeaux vide à un duc d'Albe voisin de la papeterie. Il prend ensuite en remorque, sous la goulotte de chargement de la papeterie, le chaland de copeaux Rivtow 901, chargé d'environ 2 100 tonnes de copeaux de bois, pour l'amener à environ 100 m en amont sur cette même berge et l'amarrer à un duc d'Albe. Ensuite, les membres de l'équipage attellent à nouveau le Sheena M au chaland vide qu'ils amènent en position pour l'amerrir sous la goulotte de chargement. Par la suite, ils ramènent le Sheena M au Rivtow 901, et après avoir fixé la remorque et la patte d'oie, ils commencent les préparatifs du trajet vers l'aval. L'heure approximative du départ de Mission du Sheena M avec le chaland de copeaux chargé en remorque est 00 h 20 le 2 juin. Au moment du départ, le capitaine du Sheena M communique à nouveau avec le pontier du pont ferroviaire de Mission de CP Rail et lui indique une HPA de 20 minutes au pont.
Le Sheena M et le chaland se mettent en route vers l'amont et, étalant le courant, traversent le Fraser à Meeker Cedar, au point de référence, avant de virer vers l'aval en direction du pont. Ce point de référence se trouve à environ 1 000 m de navigation du point de départ (près de la papeterie) qui se trouve en amont du pont, à quelque 1 400 m.
Le capitaine fait décrire au Sheena M une évolution vers bâbord. Alors que le remorqueur et le chaland font cap vers l'aval, le capitaine réduit les gaz au minimum afin de ne conserver que l'erre minimale nécessaire pour gouverner et il longe la berge sud du fleuve en direction de la voie sud sous le pont. L'intention du capitaine est de tenir le remorqueur et le chaland à l'écart du milieu du fleuve où le courant est plus fort en restant le plus près possible de la berge sud.
Alors que le Sheena M s'approche du pont, le capitaine est seul dans la timonerie. Le matelot se tient à côté des commandes du treuil sur le pont arrière, prêt à obéir aux instructions du capitaine; la porte bâbord de la timonerie est ouverte pour faciliter les communications. Le capitaine et le matelot témoigneront plus tard que les feux du pont ferroviaire de Mission qui balisent les passages navigables n'ont qu'une faible luminosité et sont difficiles à distinguer. Le capitaine du Sheena M a témoigné que la manille reliant la remorque à la patte d'oie se trouvait à environ 3,7 m derrière l'arrière. Si l'on ajoute la longueur des pattes d'oie, cela donne une distance approximative de 15 m entre le remorqueur et le chaland. Compte tenu de cette distance réduite séparant le Rivtow 901 du Sheena M, le capitaine peut voir sans difficulté le chaland, surtout par une nuit aussi claire. Le capitaine se sert de la barre au maximum, ainsi que de brèves poussées des gaz, pour tenter de garder le Rivtow 901 dans le sillage du Sheena M.
Alors que le Sheena M se rapproche du chenal sud sous le pont, le capitaine note une augmentation de la force du courant portant vers le milieu du chenal. Cela a pour effet d'écarter davantage de la berge le chaland qui ne se trouve plus directement dans le sillage du remorqueur. Se rendant compte que la traversée du pont est imminente, le capitaine redouble d'efforts, tant au moyen de la barre que de l'accélérateur, pour tenter de passer sans encombre.
Le Sheena M ne touche pas à la structure du pont. Le capitaine a cependant l'impression, d'après le comportement du câble de remorquage, que le chaland est venu en contact avec la structure du pont. Lorsque le chaland a touché le pont, la progression des deux bâtiments a été momentanément stoppée avant de reprendre presque immédiatement. Le matelot, qui se trouve à l'arrière du Sheena M, a témoigné qu'il a entendu d'abord un bruit de bois qui se casse, suivi d'un son de frottement de métal contre métal. Il est environ 00 h 45, le matin du 2 juin.
Le capitaine utilise la voie 80 du VHF pour appeler le pontier et lui demander s'il est indemne. Recevant une réponse affirmative, il lui dit que le remorqueur va revenir le prendre. Le Sheena M, avec le Rivtow 901 en remorque, poursuit sa route dans le chenal jusqu'à un endroit situé sur la berge nord, à environ 1 000 m en aval du pont, connu sous le nom d'Herman Grounds, pour y amarrer le chaland. Vers 00 h 50, le capitaine du Sheena M appelle le propriétaire du remorqueur sur son cellulaire pour l'informer des événements.
Le pont a subi des dommages importants. Comme le pontier doit rester sur la travée pivotante pour l'ouvrir, il est désormais prisonnier sur cette travée, qui risque à tout moment de basculer dans le fleuve. Ne voulant pas attendre le retour du Sheena M, le pontier communique avec le service de bateau-taxi basé à Mission, non loin du pont, pour demander qu'on vienne immédiatement l'y chercher.
Après avoir amarré le Rivtow 901 à une allingue à Herman Grounds vers 1 h, le Sheena M peut revenir au pont chercher le pontier. Lorsque celui-ci informe le Sheena M qu'il attend l'arrivée d'un bateau-taxi, le remorqueur remonte le chenal nord avant de redescendre par le chenal sud. Pendant la descente par le chenal sud, le mât accroche une ligne aérienne et, quelques instants plus tard, est arraché. Cette ligne aérienne basse-tension offre une hauteur libre officielle de 21 m au-dessus du zéro des cartes, mais lors du heurt contre le pont, la hauteur libre était réduite parce que les appuis du pont avaient été déplacés. Le Sheena M poursuit sa route vers l'aval et se sert de son projecteur pour éclairer la scène lorsque le pontier est recueilli par le bateau-taxi.
Une fois le pontier tiré d'affaires, le Sheena M retourne au Rivtow 901 afin d'évaluer les avaries. Le chaland flotte sans différence, il semble encore étanche et sans avarie apparente à la coque. À 1 h 30, après s'être assuré que l'étanchéité du Rivtow 901 n'était pas diminuée, le capitaine du Sheena M décide de reprendre le remorquage du chaland vers le poste d'amarrage de l'île Annacis en aval. Le chaland est amarré à ce poste d'amarrage périphérique de l'île Annacis à 5 h 30 en attendant d'être conduit à son poste de déchargement sur l'île de Vancouver.
Blessés
Il n'y a pas eu de blessés.
Avaries
Avaries au navire
Les avaries du remorqueur étaient minimes. La ligne aérienne basse-tension traversant le chenal était censée offrir un tirant d'air de 21 m au-dessus du zéro des cartes. À cause du déplacement des appuis causé par le heurt contre le pont, cette hauteur était considérablement réduite. Le mât principal du remorqueur, qui porte les feux de navigation et l'antenne radio, s'est accroché au câble après l'accident et a été arraché.
Avaries au chaland
Les dommages les plus importants étaient localisés sur la bordure supérieure de la paroi métallique de la boîte à cargaison du côté tribord, laquelle était fendue et enfoncée sur une longueur d'environ 6 m juste en avant du milieu du chaland. Des dommages plus mineurs ont été relevés sur les raidisseurs verticaux soudés sur la façade externe des parois de la boîte à cargaison. Ces dommages étaient de gravité variable, allant de simples éraflures de la peinture à une déformation suffisante pour nécessiter le remplacement d'un raidisseur. La coque du chaland était intacte. Une petite quantité seulement de la cargaison de copeaux de bois a été renversée sur le pont ou dans le fleuve.
Dommages au pont
La partie amont de l'estacade de protection du pont a été endommagée de façon importante. Lors de l'impact du chaland, le nez de l'estacade (partie supérieure avant en bois équarri) a été repoussé vers le nord. N'étant plus protégée, la travée pivotante a été délogée de son socle par le choc du chaland et a été déplacée d'environ 4 m vers l'ouest.
Dommages à l'environnement
L'accident n'a pas causé de dommages à l'environnement.
Brevets et certificats
Bâtiments
Le Sheena M
Le remorqueur à deux hélices, construit en 1981 en C.-B., a une puissance nominale de 600 chf. Sa jauge brute de 9,99 tjb le situe sous le seuil de 10 tonneaux à partir duquel il serait assujetti à des inspections réglementaires et à la délivrance de certificats par Transports Canada. Cependant, le remorqueur doit quand même être exploité en conformité de tous les règlements applicables aux bâtiments de son type.
Le Sheena M est conforme aux normes de taille et de puissance en vigueur dans l'industrie sur le fleuve Fraser. Selon les témoignages, tout l'équipement était en bon état de marche au moment de l'accident. Le navire avait été acquis par son propriétaire actuel en 1998 pour être exploité principalement sur le fleuve Fraser.
Le Rivtow 901
Le Rivtow 901, chaland sans équipage construit avant le 1er septembre 1977 et ne transportant pas de polluants, n'est pas assujetti à des inspections de la Sécurité maritime de Transports Canada.
Personnel
Le capitaine du Sheena M est titulaire d'un brevet de capitaine au cabotage valide pour navires de 350 tonneaux délivré par Transports Canada en 1970 et renouvelé avec visa de la STCWNote de bas de page 3 en février 1992. Ce brevet était valide au moment de l'accident.
Le matelot ne possédait ni brevet ni certificat et n'était pas tenu d'en avoir.
Antécédents du personnel
Le capitaine travaille dans le secteur du remorquage depuis 1958, toujours sur la côte ouest et sur le Fraser. Son premier commandement remonte à 1964. Entre 1958 et 1968, il a navigué presque exclusivement sur ce tronçon du Fraser et, au cours de cette période, il estime avoir traversé le pont ferroviaire de Mission de CP Rail plusieurs centaines de fois. Plus récemment, il s'était occupé du remorquage de bâtiments transportant des matériaux de construction sur la côte. Sa plus récente traversée du pont ferroviaire de Mission de CP Rail remontait à 1990, mais ce n'était pas pendant une crue nivaleNote de bas de page 4 (Voir les Renseignements sur les courants).
Communications
Un dispositif des Services du trafic maritime (STM) comportant des points d'appel (PA) obligatoires est en place près de l'embouchure du Fraser. Le tronçon du fleuve à proximité de Mission (C.-B.) se trouve en dehors de cette zone. Afin de coordonner les ouvertures du pont, les navigateurs doivent d'abord prévenir le pontier par téléphone, puis se servir du radiotéléphone VHF pour le tenir au courant de la progression de leur navire.
Conditions météorologiques et courants
Conditions météorologiques
Le temps était beau et clair avec un vent faible et des eaux calmes dans cette partie abritée du fleuve Fraser.
Renseignements sur les courants
Le fleuve Fraser à Mission (C.-B.)
Vers la fin du printemps chaque année, il y a une crue nivale sur le Fraser. Pendant cette crue nivale, le débit dans l'estuaire est décuplé par rapport à l'étiage hivernal. Avec l'élévation du niveau du fleuve, le volume d'eau s'écoulant au-delà d'un point donné augmente de façon importante. Au printemps de 1999, un apport nival continental accru combiné avec des températures au-dessus de la moyenne, a provoqué une crue nivale bien supérieure à la normale.
Pendant une journée donnée, les niveaux d'eau réels peuvent varier pour une foule de raisons, notamment l'effet des marées diurnes, la température de l'air et le taux de fonte des neiges qui en résulte. Au moment de l'accident, le niveau d'eau à Mission atteignait près de 4,5 m au-dessus du zéro des cartes. Cela équivaut à un débit approximatif de 7 950 mètres cubes à la seconde (m3/s). On peut calculer que ce débit correspond à une vitesse moyenne en surface, de berge à berge, de 1,3 m à la seconde (m/s) ou environ 2,5 nœuds. Les hydrologues d'Environnement Canada préviennent que ces chiffres sont une moyenne et que cette vitesse en surface peut atteindre 1,7 m/s ou 3,3 nœuds dans des tronçons dégagés du fleuve. Lorsque le cours normal d'un fleuve est gêné par un pont et que l'écoulement de l'eau est canalisé dans des chenaux, les vitesses en surface peuvent devenir bien supérieures à celles des tronçons dégagés.
Environnement Canada a un limnomètre à Mission. Les intéressés peuvent prendre connaissance des hauteurs d'eau mesurées par le limnomètre en composant un numéro de téléphone sans frais. En raison du ruissellement dû à la fonte des neiges continentales, le niveau du fleuve, bas en hiver, commence à monter en avril. Le taux de gonflement des eaux du fleuve s'accélère en mai pour atteindre son maximum en juin et le fleuve demeure haut jusqu'à la fin de juillet ou au milieu d'août. À Mission, depuis 1962, la moyenne mensuelle des niveaux d'eau en juin est de 4 m au-dessus du zéro des cartes. Le niveau d'eau maximal enregistré au cours de la même période est de 6,1 m.
La marée se fait sentir sur le Fraser jusqu'à Chilliwack.
Analyse
Sécurité sur le Fraser
Le chaland de copeaux chargé Rivtow 901, tiré par le remorqueur Sheena M, a heurté le pont ferroviaire de Mission de CP Rail la nuit par temps calme, alors que la visibilité était bonne. L'accident s'est produit pendant le trajet de 75 minutes vers l'aval consécutif à la traversée du même pont en direction amont.
Le capitaine du Sheena M possède 40 ans d'expérience dans le secteur du remorquage en Colombie-Britannique, dont 10 ans passés exclusivement sur ce tronçon du Fraser. Toutefois, depuis une décennie, il ne travaillait pas sur des chalands à copeaux ni sur ce tronçon du fleuve. Même s'il était familiarisé avec la crue nivale annuelle du Fraser, son expérience directe la plus récente sur ce tronçon du fleuve datait de plus de 10 ans.
L'activité maritime est plus intense sur le cours inférieur du Fraser en aval de Mission. Les ponts qui enjambent le cours inférieur du fleuve ont été plus souvent endommagés que les autres par des heurts violents. Au cours des 25 dernières années, on a signalé au BST plus de 50 contacts de navires ou de chalands contre des ponts. En conséquence, l'administration portuaire du fleuve Fraser (Fraser Port), de concert avec la collectivité maritime environnante, a élaboré des Instructions permanentes d'exploitation (IPE) à l'intention des navires qui franchissent les ponts qui relèvent d'elle, afin de prévenir les dommages. Le pont ferroviaire de Mission de CP Rail se trouve à environ 13 milles en haut de la limite est de Fraser Port et ne relève donc pas de cette administration. Au moment de l'accident, les navires franchissant ce pont étaient régis par les dispositions générales de la Loi sur la protection des eaux navigables et n'étaient assujettis à aucune IPE spécifique.
Même si les feux de navigation du pont ferroviaire de Mission de CP Rail étaient allumés au moment de l'accident, cela ne s'est pas avéré à proprement parler un facteur contributif. Toutefois, l'enquête a fait ressortir un manque d'uniformité du balisage des ponts et des ouvrages du Fraser. Même si le Règlement sur les ponts des eaux navigables et le Règlement sur les ouvrages construits dans les eaux navigables, tous deux adoptés en vertu de la Loi sur la protection des eaux navigables, régissent la couleur et l'emplacement des feux de navigation sur les ponts et les ouvrages autorisés dans les eaux navigables, ils ne contiennent pas de dispositions concernant l'intensité de ces feux.
Le Centre des Services de communications et de trafic maritimes (SCTM) de Victoria fournit des services de régulation maritime pour le cours intérieur du Fraser seulement. Le point d'appel (trafic) le plus proche du port ferroviaire de Mission de CP Rail se trouve à New Westminster, soit à 28 milles en aval.
Exploitation d'ensembles remorqueur-chaland au printemps
Lorsqu'il étale le courant, un navire peut souvent rester stationnaire dans une voie de navigation et demeurer maître de sa direction grâce à une utilisation judicieuse du gouvernail, et en réglant le régime de la machine au niveau requis pour contrecarrer l'action du courant.
Lorsque le navire voyage dans le sens du courant, la pression de l'eau sur le gouvernail doit être suffisante pour permettre de garder la maîtrise de la direction. C'est pourquoi, afin d'obtenir un niveau de maîtrise suffisant, le navire doit maintenir une vitesse-fond plus grande qu'en eau calme.
Le capitaine du Sheena M, très expérimenté, le savait bien. Il a conduit son navire 1 400 mètres en haut du pont avant de faire demi-tour afin de disposer d'un espace suffisant pour aligner le remorqueur et le chaland de manière à franchir le pont sans encombre. Son attention était accaparée par la tâche de garder les deux bâtiments aussi près de la berge que la profondeur d'eau le permettait, dans une zone où le courant était moins fort. De son poste de conduite, le capitaine voyait que le courant éloignait davantage le chaland que le remorqueur de la berge. Compte tenu de cela, il a couru le risque d'augmenter sa vitesse-fond au-delà du minimum souhaitable pour franchir le pont en toute sécurité.
La planification constitue un élément essentiel d'une traversée réussie. Toutefois, il n'est pas usuel dans l'industrie maritime locale du Fraser d'intégrer généralement les quatre étapes de la planification des traversées, à savoir l'évaluation, la planification, l'exécution et la surveillance, dans un processus structuré. C'est ce qui explique qu'aucun point de non-retour, à savoir le dernier point où la traversée pourrait être abandonnée en toute sécurité, n'avait été établi à l'avance.
La paroi avant élevée de la boîte à cargaison du Rivtow 901 masquait le reste du chaland et rendait difficile d'évaluer son aspect par rapport au remorqueur. L'adjonction d'un courant arrière important dans l'équation a accéléré le déroulement des événements qui se sont succédé bien plus vite que pendant le trajet vers l'amont. Comme le capitaine du Sheena M n'était pas familiarisé avec les feux du pont ferroviaire de Mission de CP Rail, ceux-ci ne constituaient pas pour lui un bon point de repère alors que le remorqueur approchait du pont à une allure accélérée par l'action du courant.
Même si le capitaine savait bien que le Rivtow 901 se trouvait en eaux plus profondes que le remorqueur, l'obsécuritéé et la paroi avant élevée de la boîte à cargaison du chaland masquaient son aspect relatif. Compte tenu de cela, et du fait que son attention était concentrée la plupart du temps sur le pont devant lui, le capitaine a dû se rendre à l'évidence que les événements ne se déroulaient pas comme il l'avait prévu.
Même si cela n'a jamais été formellement établi, le capitaine a dû croire que le point de non-retour avait été franchi. Une fois le navire engagé dans le franchissement du pont, il ne restait plus d'autres options.
Si le remorqueur et le chaland n'avaient pas franchi le chenal, le capitaine aurait dû se fier à l'estacade de protection du pont pour absorber l'impact du chaland, puis pour guider celui-ci en toute sécurité. Les dimensions de l'estacade de protection excèdent celles de la travée ouverte du pont qu'elle est censée protéger.
Séquence des dommages
À cause de la hauteur du fleuve (4,6 m au-dessus du zéro des cartes) au moment de l'accident, environ 2 m de la partie supérieure en bois équarri de l'estacade de protection étaient visibles au-dessus de la surface du fleuve. Lorsque la partie aval du quai de protection a été heurtée par le chaland, des bandes métalliques et des boulons des piles en bois ont été déformés ou cisaillés. D'autres boulons sont restés intacts mais ont été déplacés hors position. La partie supérieure de l'estacade de protection s'est séparée des piles et a été repoussée vers le nord, ce qui a permis à la paroi de la boîte à cargaison du chaland de copeaux de toucher la travée pivotante du pont. Le chaland a heurté la travée pivotante avec une force suffisante pour déplacer la travée d'environ 4 m sur son socle. Même si celle-ci a été stabilisée plusieurs jours après l'accident, on a craint à un certain moment qu'elle ne bascule dans le fleuve.
Faits établis
Faits établis quant aux causes et facteurs contributifs
- Le capitaine a mal jugé les effets de la forte crue nivale en descendant le courant.
- Le capitaine n'a pas décelé le début de la perte de maîtrise du chaland parce qu'il connaissait mal les feux balisant le passage navigable sous le pont de même que la configuration du chaland.
- Même si le capitaine du remorqueur avait de l'expérience dans d'autres zones géographiques, il n'avait pas depuis longtemps traversé ce tronçon du fleuve pendant une crue nivale.
- Aucun plan de route n'avait été préparé et aucun point de non-retour n'avait été formellement déterminé.
Faits établis quant au risque
- À la différence d'autres ponts similaires du cours inférieur du Fraser, le trafic maritime n'était pas régi par des Instructions permanentes d'exploitation afin d'assurer le franchissement sécuritaire du pont.
- À cause de l'emplacement des commandes du pont ferroviaire, le pontier doit rester sur la travée pivotante pour l'ouvrir, ce qui lui fait courir un risque considérable si un navire heurte et endommage le pont.
Autres faits établis
- Le capitaine savait que le fleuve Fraser, même s'il n'avait pas atteint son débit maximal annuel en termes de hauteur au-dessus du zéro des cartes ou d'écoulement, était néanmoins beaucoup plus haut que la moyenne annuelle et qu'une crue nivale inhabituellement importante gonflait ses eaux.
Mesures de sécurité
Mesures prises
Après l'accident, le pont a été réparé et les portions amont de l'estacade de protection ont été réparées et améliorées. Dans la section endommagée, des piles de bois ont été remplacées par une combinaison de tuyaux métalliques et de poutres en «H». Le nez de l'estacade de protection a été allongé d'environ 10 mètres vers l'amont grâce à l'adjonction d'une structure métallique triangulaire faite de tuyaux de 915 mm de diamètre enfoncés dans le lit du fleuve, sur laquelle on a ajouté un revêtement de bois. CP Rail, dans son programme quadriennal d'immobilisations, a prévu des améliorations analogues aux parties aval de l'estacade de protection.
Le Règlement sur les ponts construits dans les eaux navigables adopté en vertu de la Loi sur la protection des eaux navigables régit l'éclairage des ponts. Il ne contient cependant aucune disposition concernant la couleur et la portée nominales des feux prescrits. Après la réouverture du pont ferroviaire de Mission de CP Rail, des enquêteurs du Bureau de la sécurité des transports (BST) ont inspecté après la tombée de la nuit les ponts enjambant le fleuve Fraser afin d'en vérifier l'éclairage. Ils ont constaté que la portée nominale des feux des ponts du fleuve Fraser n'était pas uniforme. Même si l'éclairage du pont ferroviaire de Mission est considéré comme approprié, le BST a envoyé un Avis de sécurité maritime à la Division de la protection des eaux navigables de la Garde côtière canadienne pour l'informer de cette anomalie.
La figure 1 du présent rapport contient une partie de la carte du Service hydrographique du Canada (SHC) représentant ce tronçon du fleuve Fraser (carte 3488). La carte indique que le pont ferroviaire de Mission de CP Rail est supporté par 10 piles alors qu'en fait le pont a 13 points d'appui. Depuis sa reconstruction, l'estacade de protection s'étend 10 mètres plus loin vers l'amont. La carte indique aussi que le pont est balisé par 2 feux blancs et 2 feux jaunes. Or, on y retrouve désormais 10 feux blancs et 4 feux rouges. Le BST a signalé ces changements à l'intention du Service hydrographique du Canada. Après confirmation, celui-ci publiera un Avis aux navigateurs pour prévenir le milieu maritime de ces changements.
Les récentes tendances du trafic ferroviaire dans le canyon Fraser ont provoqué une augmentation en flèche des passages de trains sur le pont ferroviaire de Mission de CP Rail. Par suite de cet accident et en réponse à des inquiétudes exprimées concernant d'éventuels conflits entre le trafic maritime et le trafic ferroviaire, la Division de la protection des eaux navigables de la Garde côtière canadienne a préparé, en avril 2000, en consultation avec les parties intéressées, des Instructions permanentes d'exploitation (IPE) à l'intention des navires franchissant le pont ferroviaire de Mission de CP Rail. Ces IPE, ainsi que les points d'appel réglementaires, contiennent des consignes à l'intention du pontier pour les franchissements du pont dans chaque direction qui nécessitent l'ouverture de la travée pivotante.
En outre, afin d'améliorer la sécurité du personnel, CP Rail a étudié des méthodes qui lui permettraient d'ouvrir le pont sans que le pontier ne soit obligé d'être présent sur la partie mobile de la travée. On n'a pas encore trouvé de solution économiquement réalisable.
Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. La publication de ce rapport a été autorisée par le Bureau le .
Annexes
Annexe A— Lexique
- chf
- chevaux-vapeur au frein
- PA
- point(s) d'appel
- m3/s
- mètre(s) cube(s) à la seconde
- CP
- Rail Canadien Pacifique limitée
- HPA
- heure prévue d'arrivée
- PMSGM
- pleine mer supérieure grande marée
- OMI
- Organisation maritime internationale
- m
- mètre(s)
- SCTM
- Services de communications et de trafic maritimes
- mm
- millimètre(s)
- m/s
- mètre(s) à la seconde
- HAP
- Heure avancée du Pacifique
- SI
- Système international (d'unités)
- IPE
- Instructions permanentes d'exploitation
- STCW
- Convention internationale de 1978 sur les normes de formation des vents de mer, de délivrance des brevets et de veille
- UTC
- temps universel coordonné
- R/T
- VHF radiotéléphone très haute fréquence
- STM
- Services du trafic maritime