Échouement
du chimiquier Sunny Blossom
dans le lac Saint-François
dans la Voie maritime du Saint-Laurent
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Le Sunny Blossom fait route sur le lac Saint-François à destination de Cornwall (Ontario), de jour, alors que la visibilité est réduite. Un pilote, accompagné d'un apprenti pilote, assure la conduite du navire. Après un changement de cap au large de Pointe Dupuis, le navire s'échoue en amont de la bouée D36 du côté nord du chenal à 7 h 30. L'échouement retarde la circulation des navires dans le secteur. Le Sunny Blossom est renfloué le lendemain à l'aide d'un remorqueur. L'échouement n'a pas causé d'avaries au navire et n'a pas causé de pollution. Personne n'a été blessé.
Renseignements de base
Fiche technique du navire
Nom | « SUNNY BLOSSOM » |
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Numéro officiel | 715942 |
Port d'immatriculation | Nassau, aux Bahamas |
Pavillon | Bahamas |
Type | Chimiquier |
Jauge bruteNote de bas de page 1 | 11 598 |
Longueur | 160,8 m |
Tirant d'eau | Avant : 7,86 m Arrière : 7,9 m |
Construction | 1986, Minami-Nippon, Usuki, au Japon |
Groupe propulseur | Un moteur diesel Mitsui B&W de 5146 kW |
Cargaison | 14 413 tonnes d'hydroxyde de sodium (soude caustique) |
Équipage | 21 personnes |
Armateur | Yellowfin Shipping Co. Ltd., Gibraltar |
Description du navire
Le Sunny Blossom est un chimiquier océanique de 19 995 tonnes de port en lourd dont la passerelle, les emménagements et la salle des machines se trouvent à l'arrière des citernes à cargaison. Les cargaisons de produits chimiques comme l'hydroxyde de sodium (soude caustique) sont ordinairement transportées dans cinq citernes centrales. Les citernes latérales vides et le double-fond continu servent alors de double coque aux fins de protection de l'environnement.
Le navire est muni d'un seul gouvernail et la machine principale entraîne une hélice à pas fixe, tournant à droite. Le rapport entre la surface du gouvernail et le profil latéral sous-marin du navire, lorsque celui-ci est chargé au maximum, est de l'ordre de 1:65, ce qui est conforme aux normes établies pour un navire de ce type et de cette taille.
Le bâtiment est muni d'un appareil à gouverner hydro-électrique à presses, fabriqué par la Kawasaki Heavy Industries Ltd. Après l'événement, on constate que, lorsque le navire mouille l'ancre, la course du gouvernail est de 34° sur bâbord et sur tribord. Il fallait 28 secondes à la pompe no 1 pour faire accomplir au gouvernail une course complète (34°, 0°, 34°), tandis qu'il fallait 26 secondes à la pompe no 2 pour obtenir le même résultat. Alors que les deux pompes de direction sont en marche, la course complète du gouvernail est chronométrée à 26 secondes, ce qui est en deçà du temps réglementaire prescrit. Alors que la barre au poste de gouverne sur la.passerelle est à zéro, l'indicateur d'angle de barre de la passerelle indique un angle de barre de 1° à tribord tandis que l'indicateur du compartiment de l'appareil à gouverner affiche un angle de barre légèrement supérieur à 1° à tribord.
Déroulement du voyage
Arrivé de Plaquemine (Louisiane) avec une cargaison réduite de port en lourd de 14 413 tonnes d'hydroxyde de sodium (soude caustique) en solution, le Sunny Blossom quitte Montréal (Québec) le 17 mai 2000 à 20 h 29, heure avancée de l'Est (HAE)Note de bas de page 2, pour aller décharger sa cargaison à Cornwall (Ontario).
Le navire transporte 72 % de son port en lourd utile avec un tirant d'eau réduit de 7,88 m pour naviguer dans la Voie maritime et il a une assiette légèrement positive.
Après un voyage sans histoire de Montréal jusqu'à l'écluse supérieure no 4 de Beauharnois, on procède à un changement de pilote pour la deuxième partie du trajet dans la Voie maritime du Saint-Laurent. Un apprenti pilote accompagne le pilote. L'échange entre le capitaine et le pilote comprend un survol de la fiche de pilotage ainsi qu'une discussion concernant le tirant d'eau du navire.
En quittant l'écluse no 4 de Beauharnois vers 4 h 40, le Sunny Blossom file 6 ou 7 nœuds lorsque l'apprenti pilote commande « deux zéro huit ». Le timonier exécute l'ordre, mais cela est jugé insuffisant et l'apprenti pilote donne des ordres à la barre en vue d'augmenter la vitesse angulaire de giration pour ramener le navire sur sa route. Lorsque l'apprenti pilote mentionne que le navire gouverne mal, l'officier de quart (OQ) lui répond que les deux pompes de l'appareil à gouverner sont en marche. Ni le pilote ni l'apprenti pilote n'observe le commutateur-sélecteur de pompe sur la console de commande de barre; ils se fient à l'information fournie par le personnel navigant.
À 4 h 48, l'allure du navire est augmentée et passe de demi-vitesse avant (7 noeuds)Note de bas de page 3 à la pleine vitesse de manoeuvre (11,2 noeuds). L'apprenti pilote continue de donner des ordres à la barre à l'intention du timonier et des ordres aux machines à l'intention de l'OQ. La visibilité dans le secteur est estimée à environ 3 milles marins. Au pont de Valleyfield, la pluie réduit la visibilité à 2 milles marins. À 6 h 10, la vitesse du navire est augmentée jusqu'à la pleine allure de mer (14 noeuds). Vers 6 h 27, dans l'alignement aval de Pointe aux Foins, le pilote reprend la conduite du navire. Par la suite, l'apprenti pilote aide le pilote en lui communiquant l'information radar. La pluie, qui s'intensifie, réduit la visibilité à 1,5 mille marin environ.
En aval de la bouée D17, vers 6 h 50Note de bas de page 4, le pilote ordonne de mettre la barre « à gauche 10 » pour passer en une même évolution de l'alignement de Pointe Beaudette au 242° vrai (V) à l'alignement de l'île Chrétien au 209° V. Alors que le cap est presque au 209° GNote de bas de page 5, le pilote ordonne au timonier de mettre la barre au 209° gyro (G), mais le navire continue son embardée jusqu'au 205° G. Le timonier utilise la barre pour ramener le navire sur son cap, mais le bâtiment fait une embardée jusqu'au 223° G. Le pilote donne alors au timonier une série d'ordres pour stabiliser le navire sur un cap au 210° G (l'annexe B, croquis 2). Une fois le navire stabilisé sur un cap au 210° G en amont de la bouée D17 dans l'alignement de l'île Chrétien, le pilote et l'OQ discutent du rendement du timonier. Selon l'information recueillie, c'était la deuxième fois que le timonier avait de la difficulté à maintenir le cap. L'OQ ordonne au troisième officier de remplacer le timonier. Quand le troisième officier se rend au poste de barre, le timonier de service informe le second (OQ) qu'il estime être capable de gouverner le navire. On lui permet de rester à la barre. Le changement de route suivant, à l'alignement de Pointe Dupuis, se déroule sans incident.
Le brouillard et la pluie réduisent davantage la visibilité. Les vents sont légers. À 7 h 10, en aval de la bouée D26, l'allure est réduite, passant de la pleine allure de mer à avant toute de manoeuvre. À 7 h 22, avant de doubler la bouée D31, le régime du moteur est à nouveau réduit jusqu'à demi-vitesse avant (7 noeuds). En mesurant la distance par rapport à la cible radar de la bouée D31, qui se trouve à la limite du champ de visibilité, l'apprenti pilote constate que la visibilité a diminué et n'est plus que de 0,35 mille marin.
À 7 h 26, la route suivie est ramenée du 236° G au 234° G et le navire s'engage vers le côté sud du chenal. Lorsque l'apprenti pilote informe le pilote que le navire se trouve à 0,81 mille marin de la balise aval de l'alignement de Saint-Anicet et à 0,36 mille marin de l'île Lanouette, le pilote ordonne au timonier de mettre la barre à droite 10°. On aperçoit alors les bouées D34 et D35 lorsque le navire passe entre elles. Alors que la ligne de foi approche de la cible de la bouée D37 du côté sud du chenal à 7 h 27, le pilote donne des ordres à la barre pour ralentir l'évolution du navire, puis il ordonne au timonier de gouverner au 247° G. On peut alors apercevoir, à l'avant tribord, la bouée D37. Le pilote obtient confirmation de cette indication visuelle en se rendant au radar où il voit que la bouée se trouve à une distance de 0,31 mille marin.
Vers 7 h 29, le navire fait une embardée sur bâbord et le pilote ordonne de mettre la barre « à droite toute ». Le cap se stabilise au 246° G et la barre est ramenée « à droite 20 ». Alors que la bouée D37 est visible droit devant, on constate que le navire gouverne mal, et la barre est remise à droite toute. Le navire commence à répondre et, lorsque le cap arrive au 250° G, le pilote ordonne de mettre la barre au « deux six sept ». Le troisième officier informe l'apprenti pilote que le prochain cap est au 266,5° G et qu'il est d'accord avec l'ordre du pilote. Alors que le navire double la bouée D37 du côté sud du chenal, le troisième officier mentionne que le navire est très près de la bouée. Le pilote répète l'ordre « cap deux six sept ». À ce moment, la pluie est si intense que la visibilité est presque nulle.
L'apprenti pilote observe que les lignes de foi des deux radars avoisinent les 280° G et il en fait part au pilote. Celui-ci se rend au radar, mentionne le rendement médiocre des radars et ordonne immédiatement à l'OQ de réduire l'allure pour la faire passer d'environ 7 noeuds à en avant très lente (5 noeuds). Le navire continue son embardée sur tribord en travers du chenal. L'information recueillie concernant les ordres de barre donnés est contradictoire. L'un prétend qu'il n'y aurait pas eu assez de temps pour donner des ordres, tandis que l'autre prétend qu'une série d'ordres de mettre la barre à gauche ont été donnés. À 7 h 30, le chimiquier s'échoue en amont de la bouée D36, du côté nord du chenal, sur un cap au 274° G. Le navire s'est échoué, le côté tribord contre le haut-fond, avec une gîte sur bâbord de 2,5° (l'annexe A, photo 1).
À 7 h 35, l'échouement du Sunny Blossom est signalé à Seaway Eisenhower. La circulation sur la Voie maritime est interrompue de 11 h 30 à 23 h. Le 19 mai 2000 (le lendemain), à 9 h 11, le chimiquier est renfloué à l'aide des remorqueurs Ocean Intrepid et H-9901. Le navire n'a pas subi d'avaries apparentes et à part une accumulation de glaise sur le fond, on ne relève que des éraflures mineures. L'échouement n'a pas causé d'avaries à la coque ni réduit l'état de navigabilité du navire. À 16 h, la Corporation de gestion de la Voie maritime du Saint-Laurent permet au navire de poursuivre son voyage.
Certificats du navire et brevets de l'équipage
Le Sunny Blossom fait escale dans des ports canadiens et américains de la côte atlantique et des Grands Lacs depuis plusieurs années. Il possède les certificats et l'équipement requis par la réglementation en vigueur.
Le second, qui était l'OQ du quart de 4 à 8, est titulaire d'un brevet de navigateur hauturier délivré en 1997 par la République de Lettonie.
Le troisième officier, qui était aussi de service au moment de l'événement, est titulaire d'un brevet de troisième lieutenant délivré par la République des Philippines en 1992 ainsi que d'un brevet équivalent délivré par les Bahamas en 2000.
Le timonier qui était de service au moment de l'événement est titulaire d'un certificat de capacité de matelot délivré par la République des Philippines en 1996 qui l'autorise à exercer des fonctions de quart à la passerelle.
Le pilote de service au moment de l'événement est titulaire d'un brevet de capitaine de navire à vapeur de cabotage d'une jauge brute inférieure à 350 délivré en 1962 et d'un brevet de premier lieutenant de navire à vapeur d'eaux intérieures délivré en 1974. Il est aussi titulaire d'un brevet de pilotage délivré en 1976 par l'Administration de pilotage des Grands Lacs pour le district de Cornwall.
L'apprenti pilote est titulaire d'un brevet de Navigateur océanique I (capitaine de navire à vapeur au cabotage) délivré en 1985, portant une mention selon les Normes de formation des gens de mer, de délivrance des brevets et de veille (STCW) et de maintien de compétences (2001). Il possède aussi une licence d'apprenti pilote délivrée en 1999 par l'Administration de pilotage des Grands Lacs pour le district de Cornwall.
Antécédents du personnel
Le second a environ 22 ans de service en mer à son actif. Il a commencé à agir en qualité d'officier de quart en 1979.
Le timonier de service au moment de l'événement exerce les fonctions de timonier depuis 1994. Il s'est joint à l'équipage du navire le 1er mai 2000. Il avait exercé des fonctions analogues à bord d'un chimiquier océanique.
Le pilote de service au moment de l'événement a environ 45 ans de service en mer à son actif, dont quelque 24 ans en qualité de pilote breveté. Pour assurer le maintien de ses compétences, il a notamment suivi un cours de Navigation électronique simulée (NES II) en 1990 ainsi qu'un cours sur le Système électronique de visualisation des cartes marines (SEVCM) en 1999.
L'apprenti pilote a entrepris sa formation d'apprenti au sein de l'Administration de pilotage des Grands Lacs en 1999.
Conditions météorologiques
Au moment de l'événement, la visibilité était presque nulle à cause d'une forte pluie et du brouillard, alors que des vents d'environ 3 noeuds soufflaient du sud-est. La température de l'air était de 15 °C.
Courants
Au sud-ouest du point d'appel no 7, la voie navigable s'étend en direction du 234,5° V, passant au sud des battures de Pointe Mouillée et au nord du haut-fond de Saint-Anicet. De la bouée D33 à la bouée D35, la voie navigable a environ 400 m de largeur et une profondeur moyenne de 13,5 mNote de bas de page 6. En amont de la bouée D35, la voie navigable se rétrécit, prenant la forme d'un chenal de 137 m de largeur offrant une profondeur draguée uniforme de 8,7 m. Le chenal étroit s'étend en direction du 266,5° V jusqu'à la barre Lancaster.
Vers 7 h 30 le 18 mai 2000, le marégraphe de Summerstown a enregistré une profondeur d'eau de 0,42 m au-dessus du zéro des cartes. Selon l'information recueillie, le courant au large d'Island Bank porte au nord-est à une vitesse de 1,5 noeud à 2 noeuds.
Pilotage et gestion sur la passerelle
Exception faite des aides à la navigation, comme les alignements et les bouées, il n'y a pas d'amers dominants dans le secteur de Pointe Dupuis. Le changement de cap au large de Pointe Dupuis, de l'alignement ouest de Saint-Anicet à l'alignement de Pointe Dupuis, est un virage à 32° qui a fait passer le navire à bâbord près de la bouée lumineuse D37.
À la hauteur de la bouée D33, le navire doit progressivement traverser du côté sud du chenal. L'évolution débute alors que le navire est par le travers de l'île Lanouette à partir d'un cap au 235° V, suivi d'un cap intermédiaire au 247° V pour se terminer par un cap au 267° V afin de pénétrer dans le chenal dragué. On se sert d'un effet d'amortissement sur la berge pour longer les bouées de bâbord dans le chenal dragué en amont de la bouée D37. Cette façon de manoeuvrer a été adoptée par tous les pilotes des navires remontants parce qu'elle permet de compenser la dérive causée par le courant qui porte au nord-est. Les navires descendants qui doivent croiser d'autres navires dans ce secteur passent de tribord à tribord.
Le second, qui était l'OQ, se tenait près du transmetteur d'ordres du côté tribord de la passerelle alors que le troisième officier portait la position du navire sur la carte à l'aide de l'information fournie par un des radars du côté bâbord. Le timonier s'acquittait de ses fonctions au poste de barre. Aussi bien le pilote que l'apprenti pilote surveillaient la progression du navire visuellement par les fenêtres avant de la timonerie au droit du répétiteur du gyrocompas central, de même qu'à l'aide de l'un ou l'autre des radars de bâbord.
Tout au long du voyage, le pilote a donné de la formation à l'apprenti pilote en français. Tous les ordres, comme le cap à suivre, les ordres à la barre et aux machines, ont été donnés en anglais, qui était la langue de travail des officiers et de l'équipage. Néanmoins, aux environs de la bouée D35, de l'information essentielle pour négocier le changement de route en toute sécurité n'a pas été échangée avec les autres membres de l'équipe à la passerelle.
Conscience de la situation
Le maintien de la conscience de la situation dans des eaux restreintes ou dans les zones de pilotage, surtout dans des conditions de visibilité réduite, est une tâche exigeante pour le navigateur. Cette tâche exige qu'on recueille des indices, tant visuellement qu'avec les aides à la navigation et les instruments, qu'on les intègre et qu'on s'en serve pour faire des projections permettant de déterminer les mesures à prendre.
Lorsque la visibilité est bonne, les navigateurs se fondent sur les indices visuels relevés dans le secteur immédiat et dans les environs pour déterminer le cap, l'allure et la direction du mouvement, la distance par rapport aux obstacles sur la route du navire ou à proximité, ainsi que la façon d'éviter ces obstacles. Alors que l'information fournie par la vision directe est adéquate lorsque la visibilité est bonne, on ne peut en dire autant de l'information limitée qui peut être obtenue lorsque la visibilité est réduite. Dans le cas à l'étude, la mauvaise visibilité a réduit l'aptitude des navigateurs à déchiffrer la signification des rares indices visuels dont ils disposaient.
Système de cartes éélectroniques
Le navire était muni d'un système de cartes éélectroniques (ECS). Il avait été installé sur la table à cartes, derrière le poste de barre. La timonerie du navire était aménagée de façon classique et la table à cartes se trouvait dans la partie arrière de la timonerie (l'annexe A, photo 2).
L'ECS non homologué et le SEVCM qui a reçu l'homologation de l'Organisation maritime internationale (OMI) offrent de nombreux avantages par rapport aux moyens classiques de navigation. Ces systèmes permettent notamment d'afficher et d'actualiser automatiquement la position du navire tout en superposant l'information radar. Quoique ni l'installation d'un SEVCM ou d'un ECS, ni la formation du personnel au niveau de leur utilisation ne soient obligatoires, la venue de ces systèmes automatisés est un important pas en avant pour accroître l'efficacité opérationnelle, la conscience de la situation et la sécurité de la navigation.
L'ECS installé sur le Sunny Blossom n'était pas étalonné avec le système de positionnement mondial (GPS) et n'était donc pas disponible pour naviguer en toute sécurité. Les membres de l'équipage ainsi que le pilote étaient au courant de cette lacune, et le système n'a pas été utilisé pendant le voyage.
Les officiers de navigation n'avaient pas reçu de formation et ne semblaient pas compétents pour bien utiliser l'ECS. Entre eux, ces derniers avaient mis au point un programme de formation interne informel. Des dispositions avaient été prises pour faire étalonner le système une fois le navire arrivé à Cornwall. Par conséquent, l'ECS ne servait pas de source principale d'information pour la navigation.
Analyse
Manoeuvre
Étant donné que le ratio de la surface du gouvernail correspondait aux normes établies et que les vérifications du rendement de l'appareil à gouverner du Sunny Blossom s'étaient avérées satisfaisantes, on ne peut estimer que le navire était peu manoeuvrant ou qu'il répondait mal à la barre dans des conditions d'exploitation normale. Cependant, les caractéristiques de manoeuvre du navire peuvent varier énormément selon :
- la force et la direction du vent,
- l'action des vagues,
- le courant,
- la profondeur si elle est inférieure au double du tirant d'eau du navire,
- la propreté de la coque,
- selon que le navire est à un tirant d'eau intermédiaire ou que son assiette est inhabituelle.
Le Sunny Blossom naviguait à un tirant d'eau réduit de 7,88 m pour le transit dans la Voie maritime et il avait une assiette légèrement positive. Le tirant d'eau intermédiaire représentait 86 % du tirant d'eau d'été en eau salée qui est de 9,15 m. Ce tirant d'eau est le principal paramètre de calcul pour déterminer la surface de gouvernail propre à optimiser les caractéristiques de manoeuvre. Par conséquent, le navire, à ce tirant d'eau inférieur, devait probablement mieux répondre à la barre qu'en eau profonde.
L'apprenti pilote a mentionné que le navire se gouvernait mal en quittant le chenal étroit à la sortie de l'écluse no 4 de Beauharnois à une allure de 6 ou 7 noeuds seulement. Il ne s'agit toutefois pas d'un phénomène inhabituel pour un navire qui fait route dans un chenal aussi étroit que le canal Beauharnois dont la profondeur n'est que de 8,2 m (l'annexe B, croquis 1). Ce phénomène serait aussi présent pour un navire transitant le chenal Lancaster où la profondeur de l'eau n'est que 0,5 m supérieure à celle du canal Beauharnois.
La succion des berges et l'accroupissement peuvent modifier la stabilité directionnelle du navire et faire en sorte qu'il réponde moins bien à la barre. On avait déjà noté des problèmes de gouverne en eau peu profonde à une autre occasion, le 16 juillet 1999, pendant un voyage similaire à CornwallNote de bas de page 7. De plus, le 24 avril 1999, le Sunny Blossom s'était échoué dans la section américaine de la Voie maritime, à l'entrée est du lac Ontario. À cette occasion, on avait craint pour l'environnement car on avait dû alléger le navire de sa cargaison dangereuse.
Même si le timonier n'était à bord du navire que depuis deux semaines, il avait acquis une expérience considérable comme timonier sur un chimiquier océanique. Lorsque le pilote a remis en cause son rendement après qu'il a eu des problèmes à stabiliser le navire à la suite d'un changement de cap de 33°, le navire filait sa pleine vitesse de mer qui est d'environ 14 noeuds, soit 3 noeuds de plus que la pleine vitesse de manoeuvre. Il s'agissait du plus important changement de cap accompli en une seule évolution pendant le quart du timonier. À cette vitesse maximale, le point giratoire du navire pour la manoeuvre se trouve à sa position la plus avancée, ce qui fait que le navire répond encore mieux à la barre.
Lorsque les capacités du timonier ont été remises en question par le pilote, le timonier a affirmé qu'il était toujours capable de gouverner et, probablement avec une vigilance accrue, il a exécuté les ordres donnés et a bien tenu le cap pendant la série de manoeuvres qui ont précédé l'échouement.
Hydrodynamique
Dans une courbe de chenal, la masse d'eau se déplace en général parallèlement à la limite extérieure du chenal. La direction du courant peut être variable à l'intérieur de la courbe et le courant peut être plus faible.
Lorsqu'un navire négocie un virage dans un chenal, il peut se retrouver dans une position où il est soumis à l'action de courants de différentes forces. L'avant peut être sous l'effet d'un fort courant de l'extérieur de la courbe tandis que l'arrière est dans un courant plus faible. Cela crée un moment giratoire contraire à la direction du virage projeté et un tel phénomène, s'il n'est pas prévu et contrecarré par des mouvements appropriés de la barre et de poussée de l'hélice, peut ralentir l'évolution du navire au point qu'il ne réussira pas à franchir la courbe. Lorsqu'un navire négocie une courbe dans un chenal, il est préférable qu'il demeure du côté intérieur de cette courbe afin que l'avant ne soit pas exposé au courant fort qu'on retrouve à l'extérieur.
En eau peu profonde, le problème est aggravé. L'effet Venturi de l'eau qui passe sous la coque et la résistance de l'eau devant le navire provoquent un accroupissement par l'avant pour un navire dont le coefficient de finesse est important et provoquent un accroupissement par l'arrière pour un navire aux lignes plus fluides. Lorsque l'avant du navire s'enfonce, le point giratoire théorique du navire se déplace aussi vers l'arrière.
Outre le risque d'échouement par l'avant dû à l'accroupissement, il y a aussi possibilité de perte de la stabilité directionnelle qui peut provoquer une embardée. Si le timonier laisse le navire commencer à abattre, des forces longitudinales vont s'exercer sur l'avant, ce qui va amplifier la vitesse angulaire de giration. Il est possible que le navire ne réponde que lentement aux manoeuvres contraires de la barre faites pour enrayer l'évolution parce que le levier de direction se trouve réduit.Note de bas de page 8
Lorsque le navire fait route en avant toute, le point giratoire théorique se trouve environ au quart de la longueur du navire en partant de l'avant. Si l'allure du navire est réduite, la résistance offerte par l'eau à l'avant du navire diminue et le point giratoire se déplace vers l'arrière. En eau peu profonde, le fait de ralentir l'allure d'un navire ayant un coefficient de finesse important comme le Sunny Blossom a aussi pour effet de réduire l'accroupissement par l'avant.
Événements précédant l'échouement
Les coordonnées radar prises à l'approche de la courbe entre les bouées D34 et D35 révèlent que le Sunny Blossom a manoeuvré comme prévu, vers le côté sud du chenal. Le pilote a donné des ordres adéquats à la barre, lesquels ont été exécutés par le timonier, afin de placer le navire sur le cap intermédiaire prévu, c'est-à-dire au 247°. La résistance rencontrée en poursuivant l'évolution sur tribord correspond à l'influence, sur l'avant du navire, du fort courant qu'on retrouve normalement dans la courbe extérieure d'un chenal. Cette résistance a réduit la vitesse angulaire de giration du navire sur tribord et a momentanément stoppé l'évolution. Le pilote, qui se guidait toujours sur des repères visuels pour la navigation, avait prévu l'effet de cette force et, en donnant les caps appropriés à suivre, il a pu faire compléter l'évolution au navire.
Lorsque le navire est sorti des eaux navigables pour pénétrer dans le chenal étroit conduisant à la barre Lancaster, l'avant s'approchait du haut-fond situé en aval de la bouée D37 et la profondeur de l'eau diminuait rapidement. Alors que le navire faisait cap au 250° G et se trouvait près de la bouée D37, selon l'information recueillie, le bâtiment aurait dû être sur un cap au 267° G. Compte tenu de ces 17 degrés d'écart, le pilote a alors répété l'ordre de mettre le cap au 267° G. À ce moment, le navire avançait à environ 5 noeuds ½ dans la partie la moins profonde du chenal.
Il est probable que les changements de barre pour placer le navire sur un cap au 267° G afin d'entrer dans le chenal dragué auraient dû être accomplis plus rapidement ou à l'aide d'un plus grand angle de barre et que l'avant du navire était plus proche du haut-fond qu'à l'habitude. Comme l'avant se rapprochait de cette barrière sous-marine qui l'a peut-être fait dévier de son cap, le navire a été soumis à un effet de succion de la berge. La pression positive s'exerçant sur l'avant bâbord ainsi créée par la résistance de l'eau a provoqué une embardée sur tribord. Cette embardée a été amplifiée par une réduction de régime de la machine principale et l'accroupissement qui ont provoqué le déplacement du point giratoire théorique du navire vers l'arrière. Par ailleurs, cela a amplifié le levier de rotation créé par la pression positive exercée sur l'avant du navire.
Une fois l'arrière proche du côté du chenal, la succion de la berge a créé un autre levier de rotation derrière le point giratoire. Les forces horizontales ainsi générées ont été amplifiées par le fait qu'on a mis la barre à droite pour placer le navire sur son cap final, au 267° G. Compte tenu de la perte probable de stabilité directionnelle due à l'accroupissement, le couple créé par le levier de rotation résultant a provoqué une embardée soudaine sur tribord, de sorte que le navire a dépassé son point de changement de route prévu.
Système de cartes éélectroniques
L'ECS n'a pu être utilisé pendant le voyage parce qu'il n'avait pas été étalonné avec le GPS. L'ECS n'avait pas non plus été utilisé à bord du Sunny Blossom lors de l'échouement précédent du 16 juillet 1999 (rapport du BST no M99C0027) parce que l'équipement venait apparemment d'être installé et n'était pas encore opérationnel. Peu de progrès, s'il y en a eu, avait été réalisé pendant l'année écoulée entre les deux événements pour rendre le système opérationnel ou pour que les officiers de navigation reçoivent la formation voulue.
Même si les officiers de pont organisaient une formation interne pour les utilisateurs de l'ECS et même si le système devait être étalonné de nouveau dès l'arrivée à Cornwall, les efforts déployés pour conserver l'équipement en bon état et pour fournir une bonne formation concernant son utilisation ne sont pas conformes à l'esprit des conventions de l'OMI et des recommandations connexes. Il faut absolument que les utilisateurs suivent la formation officielle recommandée par l'OMI. Les centres de formation maritimes ont accès au programme recommandé par l'OMI pour la formation SEVCM / ECS, dont le contenu peut servir à compléter les cours déjà existants sur le sujet.
Il incombe à l'armateur de s'assurer que l'équipement placé à bord est fonctionnel et bien entretenu. L'utilisation incorrecte d'un ECS par du personnel qui n'a pas reçu de formation officielle peut être néfaste pour la sécurité de la navigation.
L'utilisation de cette aide à la navigation maritime moderne n'a pas encore été approuvée par les administrations. Cependant, avec l'ECS en marche, placé dans un endroit optimal, et avec des officiers versés dans son utilisation, les membres de l'équipe à la passerelle auraient pu avoir accès à un outil leur permettant de suivre la progression du navire et auraient pu, par la même occasion, bénéficier d'un moyen offrant une meilleure conscience de la situation dans des conditions difficiles.
Conscience de la situation
Pour maintenir une bonne conscience de la situation, le navigateur doit trier ou consulter une grande quantité de données obtenues de diverses sources, à bord du navire et à l'extérieur.
Le Sunny Blossom n'était pas équipé d'une passerelle aménagée selon les normes modernes. Les personnes qui dirigeaient les mouvements du navire devaient regarder au-dessus de la fenêtre avant centrale pour voir l'indicateur d'angle de barre, se tourner vers le côté tribord de la passerelle pour vérifier la position du transmetteur d'ordres, se déplacer vers le côté bâbord de la passerelle pour consulter les radars et se rendre à la table à cartes derrière le panneau de commande central pour consulter la carte ou d'autres équipements de navigation.
Juste avant l'échouement, le pilote se tenait aux fenêtres à l'avant de la timonerie. Jusqu'à ce moment-là, il avait assuré la conduite du navire surtout en se guidant sur des repères visuels. Le pilote avait concentré son attention sur des repères visuels, sa principale source d'information. Il ne se servait du radar que comme source d'information secondaire, l'apprenti pilote lui fournissant de l'information sur le cap et la position relative du navire.
La visibilité a diminué à 0,35 mille marin tout juste huit minutes avant l'échouement, moment où elle est devenue presque nulle. Lorsque la pluie s'est intensifiée au point que la visibilité est devenue presque nulle et qu'il a perdu de vue les repères visuels extérieurs, le pilote pouvait difficilement déterminer la route à suivre pour le navire. Son évaluation spatiale et en temps réel des repères visuels était réduite. Son seul recours était de s'en remettre aux aides à la navigation et aux instruments du bord. Le temps qu'il se rende aux radars pour vérifier le cap et la vitesse angulaire du navire, il était trop tard pour qu'il puisse redresser la situation.
La désorientation spatiale peut survenir lorsque l'information fournie par les repères visuels semble incomplète ou contradictoire. La solution à ce problème pour le navigateur est d'être constamment conscient des sources d'information les plus fiables disponibles et d'avoir confiance en celles-ci, avant que la visibilité ne devienne réduite. Lorsque la visibilité est réduite, ces sources sont invariablement les aides à la navigation et les instruments de bord.
Gestion des ressources à la passerelle
Pour réussir le changement de route aux environs de la bouée D35, le navire devait être manoeuvré au sud du centre du chenal afin de contrecarrer l'effet de succion. Or, cette information n'a pas été partagée avec les autres membres de l'équipe à la passerelle. Ceci a empêché l'OQ de participer activement à la navigation du navire. Quand le troisième officier a remis en question la manoeuvre et que le pilote ne lui a pas répondu, il n'a pas insisté; par conséquent, l'avantage que peut procurer la synergie d'équipe a été perdue.
La surveillance étroite de la progression du navire est cruciale pour la sécurité de la navigation dans des eaux restreintes. Le facteur temps est capital pour amorcer et exécuter les manoeuvres. Il est donc essentiel que chaque membre de l'équipe à la passerelle comprenne parfaitement son rôle et s'assure que toute information susceptible d'influer positivement ou négativement sur la navigation est communiquée à la personne responsable du pilotage ou de la navigation.
La non-application des exigences de gestion des ressources à la passerelle (GRP), comme la communication ou l'échange d'information efficace, a été constatée dans un grand nombre d'événementsNote de bas de page 9. Préoccupé par le fait que l'absence de formation en GRP des officiers de navire augmente le risque d'accidents dans les eaux restreintes des zones de pilotage du Canada, le Bureau a émis la recommandation M99-05 demandant que le ministère des Transports et les administrations de pilotage du Canada élaborent et mettent en oeuvre un système permettant d'établir la validité de la formation en GRP dans l'espoir d'assurer que les principes de cette formation soient bel et bien mis en pratique.
Des modifications au Règlement général sur le pilotage sont entrées en vigueur le 30 mars 2000. L'article 11 de ce règlement exige qu'à compter du 1er janvier 2005, les demandeurs ou les titulaires de brevet ou de certificat de pilotage possèdent une attestation de formation en GRP reconnue par l'administration de pilotage comme étant conforme aux exigences de la partie B, chapitre VIII, de la Convention STCW.
Les quatre administrations de pilotage et l'Association des pilotes maritimes du Canada ont convenu de mettre sur pied dans chacune des régions un comité de formation qui sera chargé d'examiner toutes les exigences en matière de formation pour assurer le maintien des compétences des pilotes. Un rapport de maintien des compétences des pilotes contenant des objectifs de formation particuliers pour chaque pilote, y compris sur le plan de la GRP, sera réexaminé tous les cinq ans et on discutera avec chaque pilote d'un programme de formation.
L'application des principes de GRP à bord du Sunny Blossom aurait permis d'accroître davantage la synergie entre les membres de l'équipe à la passerelle et de mieux suivre la progression du navire. Une bonne conscience collective de la situation aurait pu permettre aux navigateurs de placer le navire plus rapidement sur le bon cap à l'entrée du chenal dragué.
Faits établis
Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs
- Le Sunny Blossom était à environ 17 degrés trop à bâbord de sa route quand il a doublé la bouée D37 à l'entrée du chenal dragué étroit.
- Le navire a été soumis aux effets d'un accroupissement par l'avant en eau peu profonde et de la succion de la berge sur l'arrière qui ont causé une perte de stabilité directionnelle.
- La pression positive de l'eau s'exerçant sur l'avant bâbord du côté sud du chenal, associée à l'effet de succion de la berge sur l'arrière et au fait que la barre a été mise à droite, expliquent que le navire a brusquement fait une embardée sur tribord.
- La réaction à corriger l'embardée a été tardive parce que l'équipe à la passerelle a eu de la difficulté à déceler l'embardée en raison de la visibilité réduite.
- L'embardée sur tribord n'a pas été corrigée à temps pour éviter que le navire ne dépasse le point de changement de route prévu et ne s'échoue.
Faits établis quant aux risques
- Le navire a mal répondu à la barre alors qu'il faisait route à demi-vitesse avant en eau peu profonde, risquant ainsi de s'échouer dans un chenal étroit.
- La trop grande dépendance aux aides visuelles alors que la visibilité diminuait constamment a causé une réduction de la conscience de la situation des navigateurs au point que ceux-ci sont devenus désorientés.
- L'absence d'une bonne gestion des ressources à la passerelle a empêché de bien suivre la progression du navire et a fait en sorte que les autres membres de l'équipe à la passerelle n'ont pas été en mesure d'aider le pilote à assurer la navigation du navire.
Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .
Annexes