Panne de la machine principale
du transporteur de marchandises diverses
Millenium Yama
sur le Fleuve Saint-Laurent
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Le 11 avril 2000, le Millenium Yama remontait le fleuve Saint-Laurent. À la hauteur de Godbout (Qc), le navire a subi une panne majeure de la machine principale. L'arrêt soudain de la machine a occasionné un début d'incendie. On a rapidement éteint le feu, mais il a été impossible de remettre la machine en marche. Au cours de la soirée, le navire a été remorqué jusqu'à Baie-Comeau (Qc) par le remorqueur Pointe Comeau. Deux jours plus tard, le navire a été remorqué jusqu'au port de Québec pour être réparé.
Renseignements de base
Nom | « MILLENIUM YAMA » |
---|---|
Numéro officiel | 720494 |
Port d'immatriculation | Nassau, Bahamas |
Pavillon | Bahamas |
Type | transporteur de marchandises diverses |
Jauge bruteNote de bas de page 1 | 14 038 |
Longueur | 164,34 m |
Tirant d'eau | av. : 7,90 m ar. : 7,95 m |
Cargaison | pierre ponce |
Équipage | 18 personnes |
Construction | 1979, Ishikawajima-Harima Heavy Industries (IHI) Co. Ltd., au Japon |
Groupe propulseur | un moteur diesel Pielstick 12PC2-5V-400 de 5 737 kW, entraînant une hélice à pas variable |
Propriétaires | Millenium Maritime Services Ltd., Grèce |
Renseignements sur le navire
Description de la machine principale
La machine principale est un moteur marin semi-rapide de marque Pielstick. Par l'intermédiaire d'un démultiplicateur, elle entraîne une hélice à pas variable et une génératrice attelée. Elle a été conçue par la Société d'étude de machines thermiques (SEMT) et elle a été fabriquée sous licence en 1977, par la IHI, au Japon. Il s'agit d'un moteur suralimenté en V à quatre temps, à simple effet et non inversible, qui est muni de pistons-fourreaux. Il produit sa puissance maximale à un régime de 520 tours par minute.
Le bâti principal de la machine est entièrement soudé. Il est construit de tôle d'acier, d'acier forgé et d'acier moulé. Les joints soudés sont concentrés dans les endroits où les contraintes sont les moins fortes. Les lignes de soudure qui supportent de grosses charges ont été conçues avec soin et peuvent être inspectées facilement. Le vilebrequin est forgé d'une seule pièce et est suspendu. Les contrepoids sont installés sur des encoches sur le bras de manivelle et sont fixés au centre par un goujon.
Déroulement du voyage
Le 25 mars 2000, le Millenium Yama appareille du port de Yali, en Grèce, à destination de Cleveland, aux États-Unis, avec une cargaison de 15 500 tonnes de pierre ponce. Dans l'océan Atlantique, il rencontre une mer assez agitée et de forts vents, mais la traversée se déroule sans incident. Dans la matinée du 11 avril, le navire fait route sur le fleuve Saint-Laurent au large de Godbout.
Avant le changement de quart vers 12 hNote de bas de page 2, au large de Pointe-des-Monts, le capitaine appelle le centre des Services de communication et de trafic maritimes (SCTM) de Les Escoumins pour signaler que le navire a dépassé le point d'appel 2A. Entre temps, le troisième mécanicien va rejoindre le quatrième mécanicien dans la salle des machines.
À 12 h 4, un bruit sourd retentit dans les emménagements. La machine principale s'arrête soudainement, et une panne de courant générale se produit peu après. Un incendie qui a éclaté au droit du bloc-cylindres no 9 de la machine principale est immédiatement éteint par une équipe d'intervention.
Après avoir évalué les avaries, le chef mécanicien avise le capitaine que la machine principale est hors service. Le capitaine signale alors au centre des SCTM de Les Escoumins et aux autres navires qui se trouvent dans les parages que le navire est à la dérive et qu'il n'est pas maître de sa manoeuvre. Par la suite, le capitaine informe sa compagnie de l'état et de la position du navire afin d'obtenir un service de remorquage.
Le remorqueur Pointe Comeau est dépêché sur les lieux et, vers 21 h 45, il prend en remorque le Millenium Yama et le remorque jusqu'au mouillage situé au large de Baie-Comeau. Le 13 avril, le remorqueur Ocean Hercules remorque le navire vers le port de Québec et, le 14 avril à 16 h 55, le Millenium Yama s'amarre au poste no 107 du port de Québec.
Victimes
Il n'y a pas eu de blessés.
Avaries au navire
L'inspection de la machine principale a révélé que la bielle s'était détachée du piston no 3Note de bas de page 3. La couronne du piston était détachée de la jupe, laquelle s'était brisée en plusieurs morceaux. Le vilebrequin était gauchi au droit du palier principal no 4 . La soupape d'échappement et les poussoirs des soupapes d'échappement et d'admission de la culasse no 3, étaient aussi gauchis. Le contrepoids no 6 et le pied de bielle no 3 étaient coincés entre le maneton de bielle et le dessous de la chemise et du bâti (figure 1).
La tête de la bielle no 3 a perforé le côté droit de la machine, causant des dommages au bâti et à la porte d'inspection du bloc-cylindres no 9. Les conduites d'huile de lubrification et d'eau de refroidissement et l'accouplement flexible ont également été endommagés (photo 2).
Des débris de la chemise, du piston, du coussinet, de la bielle, du contrepoids, du chapeau de bielle, du goujon, du coussinet et d'autres pièces étaient éparpillés dans le fond du carter près de la zone affectée par la rupture.
Afin de déterminer pourquoi et comment la tête de bielle s'est séparée du vilebrequin, les deux morceaux du chapeau de bielle, une partie de la bielle supérieure, les quatre goujons du chapeau de bielle, des morceaux du coussinet inférieur et de la jupe du piston ont été envoyés au Laboratoire technique du BST à des fins d'analyse.
Brevets et certificats
Certificats du navire
Les certificats d'inspection du navire étaient valides. Le dernier contrôle par l'État du port avait eu lieu à Vlissingen aux Pays-Bas et avait révélé deux défectuosités qui ne concernaient pas les machines de la salle des machines. Le navire a été construit en 1979 conformément aux exigences de la société de classification, l'American Bureau of Shipping, et il a été inspecté par cette société de classification depuis sa construction.
Le propriétaire avait jusqu'au 1er juillet 2002 pour rendre le navire conforme au Code international de gestion de la sécurité (ISM)Note de bas de page 4. Au début d'avril 2000, peu de temps avant l'accident, le navire avait reçu de la compagnie un rapport sur le processus d'implantation du système ISM.
Brevets du personnel
Le chef mécanicien et les officiers de quart du Millenium Yama étaient titulaires des brevets nécessaires, délivrés par l'URSS, pour la puissance de la machine principale. Les brevets de compétence des officiers étaient conformes aux dispositions de la Convention internationale sur les normes de formation des gens de mer, de délivrance des brevets et de veille (STCW).
Renseignements sur le personnel
Chef mécanicien
Le chef mécanicien était titulaire d'un certificat de mécanicien de première classe, mention moteur, délivré par le ministère de la Marine marchande de l'URSS. Il a débuté comme apprenti en 1971 et il travaillait comme chef mécanicien depuis 1984. Il s'est joint à l'équipage du navire pour la première fois le 16 septembre 1999. Au cours de sa carrière, il avait acquis beaucoup d'expérience sur les moteurs de ce type.
Mécanicien de quart
Le mécanicien de quart (8-12) était titulaire d'un certificat de mécanicien de troisième classe, mention moteur, délivré par le ministère de la Marine marchande de l'URSS. Il a débuté sa carrière en mer en 1981. En 1983, il a complété sa formation de spécialiste de systèmes automatisés. En 1998, il a obtenu son premier emploi à titre de mécanicien de quart. Il a joint le navire pour la première fois le 6 janvier 2000.
Conditions météorologiques et prévisions de marée
Dans le secteur de Baie-Comeau le 11 avril 2000, le temps était partiellement voilé, les vents étaient faibles et la mer était peu agitée.
Vers 12 h 4 le 11 avril 2000, soit à peu près quatre heures après la prévision de marée haute, le navire était en présence d'un courant de jusant. Les effets combinés des vents et de la marée ont produit une dérive portant au 110° V, à une vitesse d'environ 1,2 noeud.
Historique du navire et de la machine principale
Nom, propriétaires et pavillon du navire
Date | Propriétaire | Nom | Pavillon | Port d'immatriculation |
---|---|---|---|---|
1979 Lancement |
Seaspeed Navigation Company Ltd. | Therean Mariner | Grèce | Pirée |
1984 | Radiant Navigation Corporation | Navigator | Libéria | Monrovia |
1989 | Hansa Riga A/S, Norvège | Hansa Riga | Norvège | Oslo |
1991 | Yama Shipping Co. Ltd., Grèce | Yama | Bahamas | Nassau |
1994 | Yama Shipping Co. Ltd., Grèce | Rebaptisé Clipper Yama |
Bahamas | Nassau |
1998 | Millenium Maritime Services Ltd., Grèce | Millenium Yama | Bahamas | Nassau |
Machine principale
La machine principale a été révisée à plusieurs occasions, soit pour des travaux d'entretien préventif ou dans le cadre du système d'inspection quinquennal de la société de classification.
Depuis le lancement du navire en 1979, la machine principale a été endommagée à plusieurs reprisesNote de bas de page 5. En septembre 1989, on a découvert deux fissures dans le bâti de la machine principale, une au droit de l'amortisseur de vibration, l'autre du côté tribord, près de la porte d'inspection du bloc-cylindres no 12.
En septembre 1990, lors d'un voyage entre Taïwan et les États-Unis, une explosion de carter s'est produite dans la machine principale. L'axe de piston no 3 s'est coincé dans la bague du pied de bielle. Le tourillon de vilebrequin no 3 a aussi été endommagé et le coussinet de tête de bielle no 3 a été arraché. Deux autres fissures ont été découvertes dans le bâti.
En novembre 1992, pendant un voyage entre Taïwan et l'Australie, une autre explosion de carter s'est produite. Le piston no 1 a grippé dans sa chemise. Le tourillon de vilebrequin au droit du piston no 1 a subi une ovalisation de 0,85 mm.
En mars 1993, pendant un voyage entre l'Australie et l'Égypte, la machine principale a de nouveau été endommagée. Il y a eu rupture du vilebrequin au droit du palier no 5. Les coussinets de palier moteur nos 1 à 7 et les coussinets de palier de tête de bielle nos 1 à 12 ont été endommagés, de même que l'amortisseur de vibration; on a découvert une autre fissure dans le bâti.
En mars 1997, au cours d'un voyage entre l'Allemagne et les États-Unis, le tourillon de vilebrequin, les bielles et les coussinets de tête de bielle des blocs-cylindres nos 1 et 7 de la machine principale ont subi des avaries consécutives à une baisse de pression d'huile.
En août 1999, la machine principale a connu une autre panne en mer. Il a fallu remplacer de nombreuses pièces, et la réparation a pris plusieurs heures. Toutefois, ces réparations n'ont pas été signalées à la société de classification.
Au moment de la panne en avril 2000 (qui fait l'objet du présent rapport), la machine principale totalisait quelque 108 000 heures de fonctionnement.
Pièces de rechange
Il y avait à bord un inventaire considérable de pièces de rechange, neuves et usagées. Au nombre des pièces neuves, on trouvait notamment des coussinets, des joints toriques et d'autres petites pièces. La plupart des grosses pièces (culasses, pistons, bielles, chemises) étaient des pièces usagées qui portaient une étiquette indiquant la mention « Used but still good » (usagé mais encore utilisable). La majorité de ces pièces avaient été remises en état par le personnel de la salle des machines. Les pièces étaient inspectées visuellement et mesurées et, quand c'était possible, elles faisaient l'objet d'un essai de pression conforme aux méthodes et aux normes approuvées par le constructeur du moteur. Les résultats étaient compilés dans un rapport d'entretien.
Les pièces qu'on ne pouvait pas réparer à bord, parce que leur réparation supposait des travaux plus élaborés, étaient envoyées à un atelier de réparation. Lorsque ces pièces revenaient à bord, elles étaient vérifiées par le chef mécanicien. Les pièces réparées dans un atelier n'avaient pas toujours un certificat attestant qu'elles étaient approuvées et conformes aux normes.
L'inventaire de pièces était tenu par le chef mécanicien et comptait des pièces usagées. Cet inventaire était mis à jour périodiquement. Il n'y avait pas de registre sur la qualité des pièces de rechange. Les demandes étaient remplies par le chef mécanicien et étaient approuvées par le capitaine. Dans certains ports, il arrivait qu'on reçoive, sans que le personnel à bord s'y attende, des pièces de rechange usagées qui étaient envoyées par la compagnie et n'étaient accompagnées d'aucune documentation.
Bielles
Numérotation des blocs-cylindres
Quand on fait face au volant-moteur, en partant de l'arrière, les blocs-cylindres 1 à 6 sont sur bâbord alors que les blocs-cylindres 7 à 12 sont sur tribord. Les bielles sont numérotées et estampées de 1 à 12, correspondant à leur bloc-cylindres respectif.
Numérotation au moment de l'accident
Huit des 12 bielles portaient le numéro d'approbation A404B et avaient été fabriquées le 6 mai 1977; les quatre autres portaient des marques différentes. Les bielles nos 2, 6 et 12 étaient installées dans leurs blocs-cylindres respectifs.
Il y avait trois bielles de rechange en stock à bord du navire, dont seulement une qui portait le numéro d'approbation A404B et qui avait été fabriquée le 6 mai 1977. Toutefois, il a été impossible de déterminer si la série de bielles portant le numéro d'approbation A404B et datées du 6 mai 1977 étaient les bielles d'origine, remontant à la construction du moteur en 1977, ou si elles provenaient d'une autre source.
Position de la bielle endommagée
La bielle avait été installée le 20 août 1999 dans le bloc-cylindres no 3 avec des coussinets neufs. Elle portait le numéro 11 et le numéro d'approbation A404B. Auparavant, elle faisait partie des pièces de rechange et était entreposée dans le magasin.
Entretien des bielles recommandé par le constructeur
Après 24 000 heures de fonctionnement de la machine, le constructeur recommande que les bielles fassent l'objet du contrôle suivantNote de bas de page 6 :
- Mesurer le diamètre intérieur de la bague de pied de bielle.
- Effectuer un contrôle par ressuage de la zone dentelée de la coupe de bielle et du chapeau pour la bielle à coupe oblique. Toute fissure doit être examinée par le constructeur, lequel déterminera s'il faut mettre au rebut l'ensemble bielle-chapeau.
- Faire un examen magnétoscopique des vis ou des boulons de tête de bielle. À défaut, faire un contrôle par ressuage.
- Procéder à un contrôle dimensionnel de l'alésage de tête de bielle.
Analyse
Cause de la panne de la machine principale
La panne de la machine principale s'est produite quand la tête de bielle no 3 s'est séparée du vilebrequin. Cette séparation a entraîné la destruction en chaîne de plusieurs pièces. N'ayant plus de chapeau pour la retenir, la bielle a quitté son maneton et a percuté le contrepoids. Sous la force de l'impact, le goujon qui retenait le contrepoids a été cisaillé et le contrepoids est sorti de ses encoches. Dans son mouvement de rotation, le vilebrequin a heurté le contrepoids et la bielle, coinçant ces deux pièces sous la base de la chemise no 3. La force exercée par le pied de bielle dans l'axe du piston a fait se briser la jupe du piston en plusieurs morceaux. Sous la force de l'impact, la tête de bielle a perforé le bâti tribord, endommageant les conduites d'huile de lubrification et d'eau douce.
Dans la plupart des cas de dislocation d'une bielle, le chapeau de tête de bielle se détache de la partie supérieure de la bielle. Cette séparation est causée soit par la rupture des goujons de retenue, soit par la rupture du chapeau. Habituellement, les goujons cèdent par fatigue en raison d'une mauvaise répartition de la pression de serrage.
Le Bureau a déterminé que le chapeau de bielle s'est détaché de la bielle en raison d'une fracture et non d'une rupture des goujons. On note que la fissure s'est développée dans la section la plus mince du chapeau de bielleNote de bas de page 7. Elle a débuté sur la surface de contact avec le coussinet à partir d'un point de corrosion, et s'est propagée par fatigue mégacyclique à 95 % de la surface du chapeau. Puis, le chapeau s'est fracturé sous l'effet d'une surcharge concentrée dans la plus petite section. L'éclatement du chapeau a entraîné la fracture des quatre goujons.
En l'occurrence, le chapeau de bielle s'est brisé au centre de la pièce. Une telle rupture se produit peu fréquemment car la partie centrale subit généralement très peu de contraintes. La concentration de contraintes se situe normalement dans la partie supérieure de la bielle.
Entretien de l'équipement
Rôle du constructeur
Chaque constructeur de moteurs a des critères de fabrication qui lui sont propres, de sorte qu'il y a des différences notables entre les nombreux produits disponibles sur le marché. Tous les moteurs marins neufs sont accompagnés d'une garantie couvrant les défauts de fabrication. Pour que leurs produits conservent leur rendement d'origine, les constructeurs recommandent d'employer des pièces d'origine et de se conformer aux calendriers d'entretien et aux normes de fonctionnement qu'ils proposent.
À titre d'exemple, le constructeur SEMT Pielstick recommande que les bielles soient contrôlées périodiquementNote de bas de page 8, et il recommande qu'après 24 000 heures de fonctionnement, on procède à un essai de ressuage sur la zone dentelée, étant donné que cette partie est la plus propice à la formation de fissures. En l'occurrence, l'analyse du BST faite sur le chapeau de bielle a révélé la présence de fissures dans la zone dentelée, ce qui illustre l'importance de se conformer aux méthodes d'entretien recommandées par le constructeur.
À titre d'exemple, le constructeur SEMT Pielstick recommande que les bielles soient contrôlées périodiquement, et il recommande qu'après 24 000 heures de fonctionnement, on procède à un essai de ressuage sur la zone dentelée, étant donné que cette partie est la plus propice à la formation de fissures. En l'occurrence, l'analyse du BST faite sur le chapeau de bielle a révélé la présence de fissures dans la zone dentelée, ce qui illustre l'importance de se conformer aux méthodes d'entretien recommandées par le constructeur.
Responsabilité des propriétaires
En général, les propriétaires maintiennent leur navire en état de navigabilité en se conformant aux règlements de l'OMI que l'État du pavillon a adoptés et a mis en oeuvre dans le cadre d'une réglementation, ainsi qu'aux règles et normes de la société de classification du navire.
La plupart des machines qu'on trouve dans la salle des machines sont visées par un programme d'entretien recommandé par le constructeur. Les performances et la durée de vie d'une machine dépendent surtout de l'entretien et de la mesure dans laquelle les propriétaires suivent ces recommandations. Toutes les réparations majeures exécutées en mer devraient être signalées à la société de classification. Cela n'a pas été fait en août 1999.
Pour la machine principale du Millenium Yama, le constructeur recommandait un contrôle rigoureux après une période de fonctionnement spécifique. Pour un navire de haute mer de ce type, la machine principale peut fonctionner entre 6 000 et 8 000 heures au cours d'une année, suivant le genre et le nombre de voyages. On estime que toutes les pièces de cette machine principale ont été contrôlées à au moins quatre reprises. D'après le livret d'entretien du navire, les 12 blocs-cylindres de la machine principale ont été remis en état depuis l'achat du navire en 1998.
Rôle de la société de classification
Les sociétés de classification dictent les règles régissant la construction et l'entretien des navires. Elles procèdent à des inspections périodiques pour s'assurer que l'état des navires et de leurs machines est conforme aux règles de classification. Le contrôle du Millenium Yama était assuré par l'American Bureau of Shipping, une société de classification qui est membre de l'International Association of Classification Societies. Cette société a le statut d'observateur auprès de l'OMI, et ses principaux objectifs consistent à assurer le plus haut niveau de sécurité maritime et à prévenir la pollution des mers.
Les éléments de la salle des machines nécessaires à l'exploitation du navire sont contrôlés, et les pièces essentielles de la machine principale doivent faire l'objet d'inspections rigoureuses. Cependant, seules les pièces qui sont présentes dans la machine sont inspectées. Toutes les pièces neuves sont approuvées par la société de classification, mais les pièces usagées qui sont considérées comme étant encore bonnes ne sont pas inspectées, à moins qu'elles n'aient fait l'objet de réparations ou de modifications majeures. En général, les sociétés de classification n'ont pas de système pour identifier les pièces non réparables. Ainsi, à moins qu'une pièce ne soit détruite ou identifiée, elle peut éventuellement être réinstallée dans le moteur du navire ou dans un autre moteur.
Contrôle de la qualité des pièces
La machine principale a subi plusieurs avaries majeures depuis le lancement du navire en 1979. Ces avaries ont obligé les propriétaires à remplacer plusieurs pièces importantes, dont le vilebrequin, la culasse, des bielles, des pistons (couronne et jupe), des axes de piston, des coussinets de palier principal et des chemises.
Des pièces comme les pistons, les culasses, les bielles, les injecteurs, les soupapes d'air de lancement, les soupapes de sûreté et les soupapes d'admission /d'échappement sont souvent remplacées au moyen de pièces usagées qui satisfont aux normes du constructeur. À bord de certains navires, certaines grosses pièces comme des pistons, des bielles, des culasses et leurs éléments sont pré-assemblées, de façon à faciliter leur remplacement et à raccourcir les délais de réparation. Cette pratique donne parfois lieu à un contrôle inadéquat des pièces. Après un certain nombre de remplacements, les pièces se retrouvent un peu partout dans le moteur, et pas nécessairement à l'endroit qui correspond à leur numérotation.
Il est possible que la bielle marquée no 11 ait été à l'intérieur du moteur quand le vilebrequin a été endommagé lors d'une panne précédente. Il se peut qu'elle ait été endommagée à ce moment-là, qu'elle ait été retirée du moteur et conservée à bord comme pièce de rechange. Puis lors de la réparation d'urgence effectuée en mer, en août 1999, elle aurait été réinstallée dans le bloc-cylindres no 3.
On n'a trouvé aucune documentation attestant la validité et la conformité des pièces de rechange lors de la vente du navire en 1998. Depuis le dernier changement de propriétaire, le personnel de la salle des machines, faute d'information suffisante, a dû se fier à son expérience pour juger de la qualité des pièces de rechange installées dans la machine principale.
Documentation du navire
La règle 2 du chapitre IX de la Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (SOLAS) de 1974, adoptée en 1994, précise que les transporteurs de marchandises diverses ont jusqu'au 1er juillet 2002 pour se conformer au Code ISM.
Le propriétaire avait déjà commencé à fournir au navire la documentation de référence pertinente, en prévision de l'implantation du Code ISM. Un chapitre traite de l'entretien des machines, de l'inventaire des pièces et du contrôle de la qualité.
La machine principale et les génératrices sont des organes importants du navire. La machine principale assure la propulsion et, dans bien des cas, contribue au maintien de l'état de navigabilité du navire par mauvais temps. Les génératrices produisent l'énergie électrique nécessaire au fonctionnement de l'équipement du bord. Les machines modernes, et plus particulièrement les machines de propulsion, sont de plus en plus perfectionnées et fonctionnent parfois dans des conditions proches de leur limite de rendement. L'état des éléments mécaniques étant crucial, leur entretien doit être méticuleux. Pour que la machine ait un rendement optimal, il faut que chaque pièce fasse l'objet d'une attention particulière. Quand un élément commence à montrer des signes de faiblesse répétés ou se brise fréquemment, la personne responsable de la machine consigne ces renseignements dans un registre. Ces remarques sont utiles à tout le personnel de la salle des machines et peuvent contribuer à déterminer l'état de la machine.
La documentation de référence est propre à chaque compagnie, et son contenu peut varier d'un navire à l'autre. On a absolument besoin de cette documentation pour déterminer le rendement des machines et l'efficacité du service machines.
Étant donné que les registres du service machines appartiennent aux propriétaires du navire, on n'a pu obtenir que très peu d'information concernant la bielle défectueuse. Les seuls renseignements recueillis étaient sa numérotation (no 11), le numéro d'approbation (A404B)Note de bas de page 9, et sa date de fabrication (1977).
Tenue des dossiers et documentation
L'accident s'est produit au large, mais il aurait fort bien pu se produire dans des eaux resserrées, là où les conséquences auraient pu être plus graves.
Un des avantages du Code ISM tient au fait qu'on doit tout documenter. Dans l'industrie maritime, il est courant que l'échange d'information se fasse surtout verbalement, si bien que l'information au sujet de la machine principale et d'autres éléments est transmise de cette façon. Bien que cette forme de communication soit courante, elle n'est pas adéquate dans toutes les situations, particulièrement lorsqu'il y a des changements de personnel, car il y a alors de fortes possibilités que l'information soit déformée, mal interprétée ou perdue.
Actuellement, l'industrie maritime connaît de nombreux changements en ce qui a trait à la gestion des risques :
- En juillet 1995, l'International Association of Classification Societies a mis en vigueur l'entente appelée « Transfer of Class Agreement » (TOCA), qui vise à éliminer la possibilité que des réparations nécessaires ne soient pas effectuées au moment d'un changement de société de classification et à assurer la conformité du navire tout au long de son cycle de vie.
- En date du 1er janvier 1996, aux fins du contrôle par l'État du portNote de bas de page 10, un programme renforcé d'inspection à l'occasion des visites est en vigueur pour les vraquiers et les pétroliers de 500 tonneaux de jauge brute et plus. Ce programme porte sur l'inspection de la structure du navire et sur la documentation liée à ce programme, laquelle doit être conservée à bord jusqu'à la fin de la vie du navire.
La sécurité est accrue quand l'historique du navire et de son équipement est disponible. Le Millenium Yama a appartenu à cinq compagnies différentes. Le manque d'information sur l'historique des pièces de rechange tient au fait que les propriétaires n'ont pas transmis la documentation pertinente au nouveau propriétaire après la vente du navire. Il n'y a pas de règles qui obligent les propriétaires à conserver et à tenir à jour un registre relatif aux pièces en service et aux pièces de rechange des navires.
Faits établis
Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs
- Le chapeau de bielle s'est détaché de la bielle en raison d'une fracture qui s'est développée dans la section la plus mince de la pièce, près de son centre.
- On n'a trouvé à bord aucune documentation de référence qui aurait pu permettre au personnel de la salle des machines de déterminer l'état et la provenance de la bielle.
Faits établis quant aux risques
- Les sociétés de classification ne sont pas tenues d'identifier les pièces classées non réparables.
- Les navires ne sont pas tenus de conserver à bord et de tenir à jour en permanence des registres de pièces de rechange, et la réglementation en vigueur ne fait aucune mention de l'historique des pièces importantes ni du contrôle de la qualité qui les concerne.
Autres faits établis
- Des réparations majeures ont été effectuées en mer et, contrairement aux règles de classification, elles n'ont pas été signalées à la société de classification.
Mesures de sécurité
Mesures de sécurité prises
Le 7 août 2001, une lettre d'information sur la sécurité maritime a été adressée aux propriétaires du navire, dans laquelle on résumait les causes de la panne de la machine. La lettre précisait qu'il n'y avait aucun registre d'entretien à bord du navire et qu'on n'avait pas mis en place un système destiné à transmettre l'information d'un propriétaire au suivant. En raison de cette situation, le nouveau propriétaire n'avait pas suffisamment de données sur l'historique des machines pour pouvoir prendre des décisions éclairées en matière d'entretien et assurer la sécurité de façon continue.
Dans leur réponse, les propriétaires du navire au moment de l'accident ont convenu que le transfert des registres d'entretien aux propriétaires suivants serait avantageux aux fins de l'entretien préventif. Ils ont indiqué que dans le cas du Millenium Yama, le transfert de ces documents s'était fait très peu souvent pendant la majeure partie du cycle de vie du navire. Toutefois, les propriétaires ont eu la chance que le navire ait été inspecté par la même société de classification tout au long de son cycle de vie, de sorte que les travaux importants d'entretien et de réparation dont le navire a fait l'objet ont été consignés en continu tout au long du cycle de vie du navire.
Le fait qu'un navire fasse affaire avec la même société de classification pendant tout son cycle de vie permet d'assurer la continuité dans la tenue des registres, mais les sociétés de classification n'ont commencé que récemment à permettre aux nouveaux propriétaires d'accéder à des données historiques sur les inspections, grâce à des bases de données en ligne comme les programmes « Class Direct Online » de la Lloyd's et « Safe Ship » de l'American Bureau of Shipping. Toutefois, pendant le cycle de vie du Millenium Yama, de tels services en ligne n'existaient pas encore et les sociétés de classification ne transmettaient pas d'emblée les informations quand un navire changeait de propriétaire, à plus forte raison quand cette vente s'accompagnait d'un changement de classe.
Une copie de l'avis de sécurité maritime a été transmise à Transports Canada, lequel a répondu qu'il avait ajouté le navire à sa liste des navires d'intérêt particulier. Cette mesure fait en sorte que dès l'arrivée du navire au Canada, des inspecteurs monteront à son bord pour procéder à un contrôle par l'État du port.
Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. La publication de ce rapport a été autorisée par le Bureau le .
Annexes
Annexe A - Croquis des lieux de l'accident
Annexe B - Sigles et abréviations
- av.
- avant
- ar.
- arrière
- BST
- Bureau de la sécurité des transports du Canada
- HAE
- heure avancée de l=Est
- IHI
- Ishikawajima-Harima Heavy Industries, Co. Ltd.
- ISM
- Code international de gestion de la sécurité
- kW
- kilowatt
- m
- mètre
- mm
- millimètre
- OMI
- Organisation maritime internationale
- SCTM
- Services de communication et de trafic maritimes
- SEMT
- Société d=étude de machines thermiques
- SOLAS
- Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer
- TOCA
- Transfer of Class Agreement
- UTC
- temps universel coordonné
- °V
- degrés vrai
- %
- pour cent