Rapport d'enquête maritime M00L0043

Chute par-dessus bord
d'un passager du navire à passagers
Miss Gatineau dans la rivière des Outaouais

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    Pendant la soirée du 12 mai 2000, le navire à passagers Miss Gatineau faisait une excursion sur la rivière des Outaouais devant Ottawa (Ontario) avec 132 passagers à bord. Alors que le navire arrivait à mi-chemin entre le pont Macdonald-Cartier et le pont Alexandra, au milieu de la rivière, on a vu un passager tomber à l'eau par une fenêtre. Le navire a été maintenu en position. Malgré les recherches entreprises par l'équipage à bord du canot de sauvetage du bord et par les unités de sauvetage nautique de deux services d'incendie locaux, il a été impossible de retrouver la victime. Son corps a été repêché deux semaines plus tard.

    Renseignements de base

    Fiche technique du navire

    Nom « Miss Gatineau »
    Port d'immatriculation Ottawa (Ontario)
    Pavillon Canada
    Numéro officiel / de permis 197915
    Type de navire Navire à passagers
    Jauge brute Note de bas de page 1 52,21
    Longueur 17,98 m
    Tirant d'eau 1,15 m
    Construction 1954
    Groupe propulseur Un moteur diesel marin General Motors de 6 cylindres de 63,4 kW
    Équipage 9 personnes
    Passagers 132 passagers
    Propriétaires Croisières de L'Outaouais Inc., Rockland (Ontario)

    Renseignements sur le navire

    Figure 1. Le Miss Gatineau
    Image
    Le Miss Gatineau

    Le Miss Gatineau est un traversier converti. Sa coque à fond plat en acier est semblable à celle d'un chaland (figure 1). La passerelle de navigation se trouve à l'avant, au-dessus de l'espace passagers, et la salle des machines se trouve à l'arrière, le long de l'axe longitudinal. L'ancien pont des véhicules, converti en espace passagers, est surmonté d'une superstructure d'aluminium. Dans l'espace passagers, le kiosque du disk jockey se trouve à l'arrière, il y a un bar à bâbord et les toilettes sont à tribord. Devant le kiosque du disk jockey se trouve un plancher de danse entouré de tables pour les passagers. Un second bar est situé sur l'avant, sur l'axe longitudinal du navire. Une main courante faite d'un tube carré court le long de l'espace passagers, à une hauteur de 109 cm. L'espace passagers est entouré de fenêtres coulissantes en verre qui vont de la main courante jusqu'au plafond. Le navire est équipé de projecteurs halogènes fixes qui éclairent les environs du navire. Un canot de sauvetage en aluminium de 4,5 m, sans moteur, est fixé à l'arrière sur le côté bâbord du pont des embarcations. Le Miss Gatineau est difficile à manoeuvrer en marche arrière à cause de ses caractéristiques.

    Déroulement du voyage

    Le 12 mai 2000, un groupe d'étudiants d'une école secondaire d'Ottawa affrête le Miss Gatineau pour une excursion de trois heures pour souligner l'obtention prochaine de leur diplôme de fin d'études. Au total, 135 étudiants se présentent au quai municipal de Pointe-Gatineau (Québec) en vue de l'embarquement prévu pour 21 h 45, heure normale de l'Est, mais trois personnes se voient refuser l'accès à bord parce qu'elles ont manifestement les facultés affaiblies. Le disc jockey donne de brèves consignes de sécurité, puis le Miss Gatineau quitte le quai à 22 h 20 et descend la rivière Gatineau pour ensuite remonter la rivière des Outaouais en direction ouest. Le navire file deux noeuds au milieu de la rivière et se dirige vers la colline du Parlement à Ottawa. Vers 23 h 20, alors que le navire se trouve à mi-chemin entre le pont Alexandra et le pont Macdonald-Cartier, un passager de 19 ans s'approche de la fenêtre bâbord avant, près de la partie avant, saisit la main courante, se met en position « groupée », la tête passée par la fenêtre, puis se place à la verticale avec les pieds touchant au plafond. Il semble ensuite perdre l'équilibre et tombe à la renverse par la fenêtre ouverte.

    Un membre de l'équipage qui est tout près voit la victime tomber à l'eau et frappe immédiatement contre le plafond (plancher de la passerelle) pour prévenir le capitaine qu'il faut stopper les machines. Le capitaine arrête l'hélice, fait le 911, allume les projecteurs extérieurs du navire et maintient le navire en position sur les lieux de l'accident. Entre-temps, le propriétaire et un autre membre de l'équipage se rendent au pont des embarcations pour mettre le canot de sauvetage à l'eau. Du pont des embarcations, ils peuvent voir la victime qui gesticule dans l'eau à quelque 30 m sur l'arrière et ils l'entendent crier. Le canot de sauvetage est mis à l'eau en deux ou trois minutes. À ce moment, l'équipage estime que la victime se trouve à une distance de 75 à 100 m sur l'arrière du Miss Gatineau. On ne demande pas à un membre de l'équipage de surveiller la victime dans l'eau pour ne pas la perdre de vue, et le Miss Gatineau n'est pas équipé de projecteurs mobiles pour éclairer un objet dans l'eau. Une fois le canot à l'eau, le propriétaire et le membre de l'équipage montent à bord, mais la victime n'est plus en vue.

    Comme le canot de sauvetage n'a pas de moteur, les occupants rament vers l'endroit approximatif où la victime a été vue pour la dernière fois, mais l'équipage du canot ne descend pas plus loin vers l'aval. Les recherches se poursuivent dans les parages pendant 15 minutes, jusqu'à l'arrivée des équipes de sauvetage nautique des services d'incendie d'Ottawa et de Hull (Québec), après quoi l'équipage du canot de sauvetage se dirige vers la rive. Le Miss Gatineau maintient sa position sur les lieux de l'accident pendant 15 minutes, mais ne participe pas aux recherches. En raison de l'état émotif des autres passagers, le Miss Gatineau rentre à Pointe-Gatineau où il arrive à minuit.

    Après avoir reçu un appel d'urgence via le service 911 à 23 h 27, l'équipe de sauvetage nautique du poste no 2 du service des incendies d'Ottawa (SIO) dépêche un canot de sauvetage pneumatique semi-rigide avec un équipage de trois personnes vers la marina de Hull. Après avoir mis le canot à l'eau, l'équipe du SIO se rend du côté ontarien de la rivière pour aller prendre de l'équipement de vision nocturne pour se diriger ensuite vers l'endroit où la victime a été aperçue pour la dernière fois et arrive sur les lieux vers 23 h 36. L'équipe ne connaît pas bien la force et la direction des courants de la rivière à cet endroit. L'équipe concentre d'abord ses recherches à l'endroit où la victime a été aperçue pour la dernière fois, puis autour des piles du pont Macdonald-Cartier. L'équipe fait ensuite un quadrillage en aval du pont, en fouillant le cours principal de la rivière et les baies, jusqu'à l'île Kettle en direction est, puis les recherches sont interrompues, et l'unité rentre au poste no 2 à 1 h 32 le 13 mai.

    L'unité de sauvetage nautique du service des incendies de Hull (SIH) arrive sur les lieux à 23 h 35 et entreprend ses propres recherches entre les piles du pont Macdonald-Cartier, puis vers l'aval du côté québécois de la rivière. L'équipe essaie de rejoindre le capitaine du Miss Gatineau sur son téléphone cellulaire, mais en vain. Après des recherches vers l'aval en direction de l'île Kettle, le SIH met fin à ses recherches et rentre à la marina de Hull à 1 h 6 le 13 mai.

    Le corps du jeune homme a été retrouvé deux semaines plus tard dans la baie Governor (Ontario), à un mille marin en aval de l'endroit où il est tombé à l'eau.

    La victime

    Selon l'information recueillie, le passager semblait en pleine forme avant de monter à bord et, une fois à bord, il a commandé une boisson alcoolisée. Les analyses toxicologiques ont révélé la présence d'une petite quantité de tétrahydrocannabinol (THC, le composant actif du cannabis). Le jeune homme portait des vêtements légers (pantalon, T-shirt et chandail sans manches). Il était bon nageur et en bonne condition physique. Bien qu'il soit passé partiellement sous le navire après être tombé par-dessus bord, il n'a pas subi de blessures, et les résultats de l'autopsie révèlent qu'il s'est noyé.

    Activités d'affrêtement

    Le Miss Gatineau, un navire à passagers, offre divers types d'excursions à ses passagers. Selon l'information recueillie, le navire fait en général 185 voyages par année et accueille 100 passagers en moyenne lors de chaque excursion. Le navire ne fait pas d'excursions régulières; il est plutôt affrêté par des personnes ou des groupes qui veulent faire des réunions spéciales sur l'eau. Habituellement, le navire est affrêté pour des fêtes privées, comme des réceptions de mariage, des fêtes d'anniversaire, des réceptions organisées par des entreprises ou des fêtes de fin d'année scolaire organisées par des étudiants. Le navire possède un permis de vente d'alcool délivré par la province de Québec et est équipé de deux bars. Même si l'on vend de l'alcool à bord, il arrive souvent que des étudiants commencent à boire avant de se présenter pour l'embarquement. Selon l'information recueillie, l'équipage du navire surveille étroitement le comportement des passagers sur le quai et interdit l'accès à bord aux personnes qui ont visiblement les facultés affaiblies. Le soir de l'accident, le Miss Gatineau avait été affrêté par un groupe d'étudiants du Nepean High School d'Ottawa. L'équipage a refusé l'accès à bord à trois étudiants après avoir jugé qu'ils étaient en état d'ébriété.

    Avant le présent accident, le Miss Gatineau avait dû rentrer au quai à au moins une occasion et l'excursion avait dû être annulée en raison du comportement désordonné des participants, exacerbé par l'exubérance de la fin des cours et par la consommation d'alcool. Il était également arrivé lors d'au moins une autre soirée que des passagers sautent par-dessus bord. En juin 1997, un passager s'était noyé.Note de bas de page 2 Après ces événements, le propriétaire du Miss Gatineau avait augmenté le nombre de préposés à la sécurité (videurs) pour assurer la sécurité des passagers à bord à l'occasion des fêtes de fin d'année.

    La région d'Ottawa n'est pas le seul endroit où des gens sautent ou tombent d'un navire à passagers. Depuis 1990, il s'est produit au moins 10 accidents mettant en cause des navires à passagers immatriculés au Canada semblables au Miss Gatineau, au cours desquels des personnes sont tombées par-dessus bord. Ces accidents ont fait trois morts,Note de bas de page 3 Rocher Percé II, 9 août 1990 (dossier no 18042 du BST). et deux de ces accidents mortels mettent en cause le Miss Gatineau.

    Conditions environnementales

    Au moment de l'accident, le vent était calme et la visibilité était bonne. Les courants dans la rivière des Outaouais étaient de deux à trois noeuds, et la température de l'eau était de 5 à 8 °C. La température de l'air était de 14 °C.

    Historique et certificats du navire

    Le Miss Gatineau a été construit en 1954 et est entré en service comme traversier roulier à passagers pour assurer la navette sur la rivière des Outaouais à Thurso (Québec). Il a assuré ce service jusqu'en 1985, date à laquelle il a été converti en bateau d'excursion et a été basé à Gatineau (Québec). Il a subi de nombreux changements au fil des ans; notamment, la passerelle de navigation a été déplacée vers l'avant et une nouvelle structure de toit a été installée au-dessus de l'espace passagers.

    Figure 2. Canot de sauvetage du Miss Gatineau
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    Canot de sauvetage du Miss Gatineau

    En 1992, la Sécurité maritime de Transports Canada (TC) avait avisé le propriétaire de l'époque que le canot de sauvetage du bord devait être équipé d'un moteur (figure 2). Le propriétaire avait alors demandé que le Bureau d'inspection des navires à vapeur de TC l'exempte de l'obligation d'avoir à bord un canot de sauvetage à moteur capable de remorquer des radeaux de sauvetage, disant que la chaloupe à rames qui était à bord pouvait remplir cette fonction. Au moment de l'accident, le nouveau propriétaire (qui est le fils de l'ancien propriétaire) croyait que la Sécurité maritime de TC ne l'autoriserait pas à équiper le canot de sauvetage d'un moteur hors-bord.

    Le navire avait subi une inspection annuelle le 28 avril 2000, soit deux semaines avant l'accident. La Sécurité maritime de TC lui avait délivré par la suite un certificat pour des voyages en eaux secondaires de classe II entre Hull et Montebello (Québec). En vertu de ce certificat, le navire était autorisé à transporter 142 passagers et membres d'équipage.

    Brevets de l'équipage

    Au moment de l'accident, le capitaine, le second capitaine, le disk jockey/mécanicien et le propriétaire étaient tous titulaires de brevets de capitaine assortis de restrictions. En plus du certificat de fonctions d'urgence en mer (FUM) exigé aux fins de la sécurité des petits navires (A2), le capitaine était titulaire des certificats FUM C et D (Officiers supérieurs), qui comprennent une formation sur les procédures en cas de chute par-dessus bord et sur les procédures de recherche et sauvetage. Les deux barmans et les trois préposés à la sécurité (videurs) ne possédaient pas de certificats ni de formation maritime.

    Exercices en cas d'urgence

    Au début de chaque saison, l'équipage procédait à des exercices en cas d'incendie et à des exercices d'abandon du navire pour la Sécurité maritime de TC. Selon l'information recueillie, l'équipage tenait également des exercices de sauvetage en cas de chute par-dessus bord, mais comme on ne tenait pas de registres sur les mouvements et les activités de navigation du navire, aucun document n'est disponible sur les exercices de sauvetage. Note de bas de page 4

    Recherche et sauvetage

    La Garde côtière canadienne (GCC) estime que les affluents du Saint-Laurent ne font pas partie de son secteur de responsabilité et qu'elle n'est pas tenue d'y assurer des services de recherche et sauvetage (SAR). La GCC fournit néanmoins des services SAR maritime sur la rivière des Outaouais jusqu'au pont du Portage à Ottawa. Après l'accident, il s'est écoulé plus de 20 heures avant que les services SAR de la GCC soient informés de la situation d'urgence. Aucune embarcation primaire de recherche et sauvetage n'est stationnée dans la région d'Ottawa, mais la Garde côtière auxiliaire canadienne a deux embarcations à Hull et une à Gatineau. Aucun équipage n'est affecté à ces embarcations de façon continue. Par conséquent, les services SAR de la GCC comptent aussi sur les services d'incendie et sur les forces policières des municipalités de la région pour assurer une intervention rapide en cas d'urgence sur l'eau dans la région d'Ottawa. En mai 1999, lors d'une réunion qui a eu lieu entre les services SAR de la GCC et les services d'intervention en cas d'urgence des municipalités de la région, toutes les parties ont été informées de leurs capacités respectives.

    Le SIO et le SIH possèdent chacun une unité de sauvetage nautique qui dispose de deux embarcations de sauvetage rapides pneumatiques à fond rigide. Les deux organismes fournissent des services de sauvetage nautique et de sauvetage sur la glace dans leur secteur de responsabilité, mais il n'existe aucun protocole d'entente officiel entre la GCC et le SIO et le SIH à cet égard. Même si la rivière des Outaouais est une « zone commune » aux municipalités établies des côtés ontarien et québécois de la rivière, les équipes de sauvetage nautique du SIO et du SIH ne tiennent pas d'exercices d'entraînement communs. D'autres ressources de recherche et sauvetage, comme les embarcations de la Garde côtière auxiliaire canadienne, étaient disponibles dans le secteur, mais les équipes de sauvetage nautique des services d'incendie n'étaient pas au courant de leur existence.

    Communications

    Le SIH est équipé d'une radio très haute fréquence (VHF) de marine, mais l'unité de sauvetage nautique du SIO ne disposait pas de cet équipement ni d'une fréquence radio commune à l'usage des services d'incendie permettant de communiquer avec le SIH. Bien que ce ne soit pas prescrit par le règlement, il y avait un poste radio VHF de marine à bord du Miss Gatineau au moment de l'accident, mais il n'avait pas encore été installé. Plusieurs membres de l'équipage, dont le capitaine, le propriétaire et les videurs, avaient des téléphones cellulaires. Les deux services d'incendie communiquaient entre eux et communiquaient avec le Miss Gatineau par l'entremise des répartiteurs de leurs systèmes radio spécialisés respectifs, et au moyen des téléphones cellulaires, avec des résultats plus ou moins satisfaisants.

    Un des services offerts par les centres des Services de communications et de trafic maritimes (SCTM) de la GCC consiste à fournir des liens de communications lors des situations d'urgence sur l'eau. À cette fin, la GCC exploite à la grandeur du pays 22 centres qui, d'après leur mandat, doivent offrir une couverture radio couvrant 95 p. 100 des eaux qui relèvent de sa jurisdiction; toutefois, les centres des SCTM de la GCC estiment que le secteur compris entre Montebello et Ottawa sur la rivière des Outaouais ne fait pas partie du territoire visé par son mandat. À l'heure actuelle, on ne prévoit pas offrir la couverture radio dans la région d'Ottawa. En 1999, le service 911 de Hull a proposé à la GCC d'intégrer une station radio VHF de marine à son réseau, mais aucune autre mesure n'a été prise par le service 911 de Hull à cet égard. Entre-temps, le service de la GCC dans la région Laurentienne a permis à la marina de Papineauville (Québec) d'exploiter une station radio VHF de marine sur la voie 16 (qui est la fréquence de détresse et d'appel) afin de faciliter les communications avec ses membres. Toutefois, cette station n'est pas autorisée à assurer la couverture radio et n'est pas en mesure de fournir des services à la région d'Ottawa.

    Analyse

    Comportement de la victime

    Il n'est pas inhabituel que des étudiants qui font une sortie à bord du Miss Gatineau se montrent exubérants et aient parfois un comportement désordonné après avoir consommé de l'alcool ou de la drogue, que ce soit avant ou pendant les excursions de fin d'année. Il était déjà arrivé à au moins une occasion que des passagers du Miss Gatineau sautent par-dessus bord, ce qui avait d'ailleurs entraîné une perte de vie. Note de bas de page 5 Le propriétaire avait alors reconnu que des mesures de sécurité plus rigoureuses s'imposaient et avait institué une procédure informelle consistant à identifier sur le quai les étudiants dont l'état d'ébriété était évident, et il avait augmenté le nombre de préposés à la sécurité à bord au cours de ces excursions. Même si les résultats des analyses toxicologiques ont révélé la présence de cannabis et d'une petite quantité d'alcool, il n'a pas été possible de déterminer si ces substances peuvent avoir eu un effet sur le jugement et le comportement de la victime.

    Le soir de l'accident, trois préposés à la sécurité étaient postés dans l'espace passagers; toutefois, comme la victime ne manifestait aucun signe visible d'intoxication et n'était pas particulièrement exubérant, les préposés à la sécurité n'ont pas remarqué le passager quand il s'est approché de la fenêtre avant et a exécuté le mouvement de gymnastique. C'est pourquoi ils n'ont pas pu l'empêcher de tomber à la renverse par la fenêtre ouverte.

    Hypothermie

    Pendant le mois de mai, le ruissellement du printemps augmente à son maximum le débit de la rivière des Outaouais. Le courant varie d'un endroit à l'autre dans le bassin de la rivière. On estime que le courant était de deux à trois noeuds au milieu de la rivière au moment de l'accident. De plus, du fait que l'eau de ruissellement provient de la fonte des neiges et de la glace, l'eau était froide (de 5 à 8 °C). Quand une personne ne porte pas de gilet de sauvetage, elle perd rapidement sa capacité de rester à flot et de nager en raison de l'hypothermie. Les muscles des bras et des jambes s'engourdissent rapidement, et la personne paralyse. Une immersion soudaine dans l'eau froide peut aussi causer de l'hyperventilation; la personne peut alors être prise de panique et avoir du mal à rester à flot. Note de bas de page 6 L'accident s'est produit à au moins 250 m de la rive. Une personne immergée dans de l'eau à 8 °C et qui ne porte pas dispositif de flottaison peut rester à flot de 30 à 60 minutes, et elle a moins de 50 p. 100 des chances de nager sur une distance de 50 m avant d'être exténuée au point de ne plus pouvoir rester à flot. À cause de la basse température de l'eau, il était beaucoup plus difficile pour la victime de rester à flot par elle-même ou de rejoindre la rive à la nage.

    Recherche et sauvetage

    Comme le passager portait des vêtements légers et que l'immersion a été soudaine, il était essentiel de le repêcher rapidement avant que les symptômes de l'hypothermie apparaissent. Pour pouvoir repêcher rapidement une personne tombée à l'eau, il faut garder le contact visuel avec la victime et il faut la repêcher en utilisant le navire à passagers ou une embarcation mise à l'eau à partir du navire. Dans la confusion causée par les manoeuvres qui doivent être exécutées rapidement, il est facile de perdre la victime de vue à partir du navire. Il est également difficile de localiser une personne dans l'eau la nuit, même sur un plan d'eau très calme. Par conséquent, il est essentiel qu'un des membres de l'équipage soit chargé de surveiller la personne tombée à l'eau, quelles que soient les manoeuvres du navire. Si le navire se déplace assez lentement vers l'avant, il faudrait mettre les machines à en arrière toute dès que la victime est à l'écart des hélices, ou bien (si l'espace de manoeuvre le permet) on peut exécuter une « courbe de Boutakoff » pour ramener le navire à sa position initiale. Note de bas de page 7 Comme il est difficile de manoeuvrer le Miss Gatineau en marche arrière, le capitaine a immédiatement arrêté l'hélice quand il a été prévenu qu'un passager était tombé à l'eau, et une fois le navire immobilisé, il l'a maintenu en position. Par conséquent, le Miss Gatineau n'a pas participé activement aux recherches.

    Tout de suite après l'accident, deux membres de l'équipage se sont rendus sur le pont des embarcations et ont procédé à la mise à l'eau du canot de sauvetage sans moteur. Du pont des embarcations, ils voyaient la victime gesticuler dans l'eau et ils l'entendaient crier; toutefois, contrairement à la pratique acceptée en cas de chute par-dessus bord, on n'a pas demandé à un membre de l'équipage de garder le contact visuel avec la victime pendant la mise à l'eau du canot. De plus, quand les projecteurs extérieurs du Miss Gatineau ont été allumés, les environs immédiats du navire ont été baignés de lumière, ce qui a réduit la vision nocturne des membres de l'équipage et les a gênés quand ils ont essayé de suivre des yeux la victime qui dérivait et s'éloignait du Miss Gatineau. Par conséquent, une fois que le canot de sauvetage et ses occupants ont été à l'eau, l'équipage du canot a constaté qu'il avait perdu la victime de vue et il n'était pas certain où elle se trouvait.

    Entre le moment où la victime est tombée à l'eau et le moment où le canot de sauvetage du Miss Gatineau a été mis à l'eau, la victime s'est éloignée rapidement du Miss Gatineau. Dans les trois minutes qui se sont écoulées pendant qu'on immobilisait le navire et qu'on mettait le canot de sauvetage à l'eau, la victime doit avoir dérivé d'au moins 200 m en aval du Miss Gatineau. Il aurait donc fallu que le canot de sauvetage descende le plus vite possible vers l'aval pour localiser la victime. Toutefois, le canot de sauvetage n'avait pas de moteur et avait une vitesse-surface de deux ou trois noeuds tout au plus.

    En 1993, la personne qui était propriétaire du Miss Gatineau à l'époque avait demandé que le Bureau d'inspection des navires à vapeur l'exempte de l'obligation d'avoir un canot de sauvetage motorisé à bord. Le canot motorisé est nécessaire surtout pour faciliter le regroupement des radeaux de sauvetage et pour le sauvetage des personnes en détresse. Note de bas de page 8 Comme le Miss Gatineau naviguait dans des eaux abritées et près de la rive, le Bureau d'inspection des navires à vapeur a accordé l'exemption, considérant qu'une chaloupe d'aluminium propulsée au moyen de rames (comme celle qui se trouvait à bord et qui a servi de canot de sauvetage après l'accident), serait une solution de rechange convenable. C'est pourquoi le Miss Gatineau ne disposait pas d'un canot de sauvetage à moteur qui aurait permis à l'équipage de descendre rapidement vers l'aval dans les courants forts et de procéder à des recherches systématiques afin de localiser la victime.

    Le Miss Gatineau n'était pas équipé d'un projecteur permettant de localiser et d'éclairer une personne dans l'eau et ne possédait pas d'engin de sauvetage Jason, ni de filets de sauvetage, ni de plate-forme d'embarquement qui auraient facilité le repêchage une fois la victime repérée; les dispositions des règlements pris en vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada n'exigent d'ailleurs pas que cet équipement soit à bord.

    Pour bien planifier et exécuter une opération de recherche et sauvetage, il faut avoir une bonne compréhension des conditions environnementales existantes. Quand les unités de sauvetage nautique du SIH et du SIO sont arrivées sur les lieux 15 minutes après l'accident, elles ont commencé leurs recherches autour des piles du pont Macdonald-Cartier, puis elles ont procédé à un quadrillage vers le cours aval de la rivière. Elles ont ensuite fait des recherches dans les baies chacun de leur côté de la rivière. Ne connaissant pas bien la force des courants de la rivière, les unités de sauvetage nautique du SIH et du SIO n'ont pas évalué ou pris en compte la distance sur laquelle la victime avait pu dériver avant leur arrivée. Compte tenu d'un courant minimal de deux noeuds, la victime doit avoir dérivé d'environ 925 m vers l'aval à partir de l'endroit où elle est tombée à l'eau; si la victime était toujours à flot à ce moment-là, elle aurait déjà été dans le voisinage immédiat des chutes Rideau quand les unités de sauvetage nautique du SIH et du SIO sont arrivées sur les lieux de l'accident. Si les unités avaient été déployées plus rapidement vers l'aval après avoir analysé la dérive probable liée au courant, les équipes de sauvetage nautique du SIH et du SIO auraient peut-être eu plus de chances de repérer la victime avant qu'elle ne succombe aux effets de l'hypothermie ou de la fatigue.

    Bien que les services SAR de la GCC ne gardent pas de ressources primaires de recherche et sauvetage stationnées dans la région d'Ottawa, d'autres ressources municipales sont disponibles (constituées surtout des services d'incendie locaux et des forces policières locales). L'un des objectifs du programme SAR de la GCC consiste à « favoriser l'établissement d'ententes de collaboration en matière de recherche et sauvetage ».Note de bas de page 9 La région Laurentienne des services SAR de la GCC a une liste de personnes-ressources du secteur, mais il n'y a pas de protocole d'entente officiel.

    Des communications ouvertes et claires sont essentielles lors d'une opération de recherche et sauvetage si on veut que l'opération soit efficace. Toutefois, les unités de sauvetage nautique du SIH et du SIO fonctionnent indépendamment l'une de l'autre, et ces unités ne possèdent aucun moyen de communiquer directement entre elles et avec les embarcations et les navires qui circulent dans les parages. Même si les services SAR de la GCC assument la responsabilité relative à l'administration du programme national de recherche et sauvetage maritime, connaissent les ressources disponibles dans la région d'Ottawa-Hull et avaient participé à une séance d'information sur les ressources de recherche et sauvetage des municipalités de la région, aucun exercice d'entraînement commun n'est tenu entre les unités de recherche et sauvetage locales et les unités SAR de la GCC. C'est pourquoi les services d'incendie municipaux qui sont intervenus après l'accident n'ont pas mené une opération de recherche et sauvetage coordonnée la nuit de l'accident.

    Communications

    La mission des SCTM de la GCC consiste à fournir des services de communications et de trafic maritimes à la communauté maritime, de façon à assurer la sécurité des personnes en mer conformément aux accords internationaux.Note de bas de page 10 À cette fin, les centres des SCTM sont chargés notamment :

    • d'exercer une surveillance constante afin de repérer les navires en détresse et d'aviser les autorités responsables, notamment les autorités de recherche et sauvetage;
    • d'assurer les liens de communications pendant les situations d'urgence sur l'eau;
    • de diffuser l'information vitale comme les Avis à la navigation (avis d'obstructions, bouées manquantes, etc.) et les conditions météorologiques.

    À l'heure actuelle, au moins 21 navires à passagers commerciaux et de nombreuses embarcations de plaisance circulent sur la rivière des Outaouais entre Carillon (Québec) et Ottawa. Malgré cela, les SCTM de la GCC n'ont pris aucune disposition pour assurer la couverture du secteur par radio VHF de marine, et aucun règlement de la Sécurité maritime de TC n'exige que les navires s'équipent de moyens de communications de relève comme des téléphones cellulaires. Par conséquent, les navires qui circulent sur la rivière des Outaouais entre Carillon et la région d'Ottawa n'ont pas accès aux ressources de recherche et sauvetage coordonnées de la GCC (y compris les services d'incendie et les forces policières des municipalités de la région) par l'entremise du système de communications des SCTM.

    Faits établis

    Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

    1. Le passager a essayé d'exécuter un mouvement de gymnastique en s'appuyant sur la main courante de la partie avant du Miss Gatineau et il est passé par-dessus bord; il doit avoir eu du mal à rester à flot par ses propres moyens dans l'eau froide ou à rejoindre la rive à la nage à cause des effets de l'hypothermie.
    2. Le Miss Gatineau n'était pas équipé convenablement pour mener une opération efficace de recherche et sauvetage dans l'obsécuritéé et n'était pas équipé d'un canot de sauvetage motorisé convenable.
    3. Personne n'a été chargé de garder le contact visuel avec la victime dans l'eau, et l'équipage a perdu la victime de vue.
    4. Ni l'équipage ni les équipes de sauvetage nautique ne se sont dirigés immédiatement vers l'aval à la recherche de la victime parce qu'ils ne connaissaient pas bien les effets des courants de la rivière sur une personne dans l'eau.

    Faits établis quant aux risques

    1. Les navires qui circulent sur la rivière des Outaouais entre Carillon et Ottawa ne bénéficient pas d'une couverture radio VHF de marine, ce qui réduit les possibilités de communiquer avec le réseau de recherche et sauvetage et de compter sur une intervention de recherche et sauvetage coordonnée et efficace en cas de situation de détresse.
    2. Le fait que les différentes ressources de recherche et sauvetage qui relèvent des autorités municipales et fédérales ne font aucun exercice d'entraînement commun augmente la probabilité que les interventions d'urgence et les interventions en cas de situation de détresse sur les voies navigables de la rivière des Outaouais et de la rivière Gatineau continueront de manquer de coordination.

    Mesures de sécurité

    Mesures de sécurité prises

    Sécurité maritime de Transports Canada

    L'Avis de sécurité maritime 10/00 du BST a été envoyé à la Sécurité maritime de Transports Canada (TC) pour souligner l'importance de disposer des moyens nécessaires pour localiser et repêcher rapidement des passagers ou des membres d'équipage qui tombent par-dessus bord. L'avis proposait que la Sécurité maritime de TC envisage de prendre des mesures visant à assurer que les bateaux d'excursion comme le Miss Gatineau et d'autres navires à passagers semblables aient à leur bord de l'équipement adéquat et aient la capacité de localiser et de repêcher rapidement les personnes qui tombent par-dessus bord, quelles que soient les conditions environnementales auxquelles le navire peut être exposé pendant son service normal.

    La Sécurité maritime de TC a répondu que des modifications au Règlement de 1999 sur les stations de navires (radio) exigeront que tous les navires à passagers disposent de moyens fiables de communications avec la terre ferme. De plus, la Sécurité maritime de TC examinera l'ensemble des normes et des exigences relatives à l'équipement de sauvetage et s'intéressera notamment aux exigences relatives aux canots de sauvetage et à la possibilité d'exiger que les navires à passagers semblables au Miss Gatineau soient munis de projecteurs orientables.

    Propriétaire du navire

    Après l'accident, le propriétaire a fait installer des grillages à toutes les fenêtres coulissantes pour empêcher les passagers et les membres de l'équipage de tomber ou de sauter par-dessus bord.

    Service des incendies d'Ottawa

    L'unité de sauvetage nautique du SIO a équipé ses embarcations de sauvetage de postes radio VHF de marine.

    Préoccupation liée à la sécurité

    Même si les services SAR de la GCC assurent l'administration de l'ensemble du programme national de recherche et sauvetage maritime, le Manuel SAR national n'inclut pas la rivière des Outaouais au nombre des secteurs dont les services SAR de la GCC ont la responsabilité. Cependant, le Bureau sait que la GCC assure effectivement une présence dans la région par l'entremise de trois embarcations de la Garde côtière auxiliaire canadienne et qu'elle a participé à une réunion conjointe de coordination des ressources municipales de recherche et sauvetage maritime.

    Les services de sauvetage nautique des municipalités de la région sont intervenus rapidement après l'accident, mais les opérations de recherche et sauvetage qui ont suivi ont été mal coordonnées. Les unités de sauvetage nautique des services d'incendie locaux ne disposaient pas de moyens de communication communs (que ce soit pour communiquer entre elles ou pour communiquer avec le Miss Gatineau) et n'étaient pas au courant des ressources dont leurs vis-à-vis disposaient ni du fait que des embarcations de la Garde côtière auxiliaire canadienne étaient disponibles dans le secteur.

    Étant donné le nombre croissant de navires à passagers commerciaux qui sont exploités dans la région d'Ottawa-Hull, il est essentiel que des ressources efficaces de recherche et sauvetage maritime soient disponibles dans le secteur en cas d'urgence. Un des objectifs du programme SAR de la GCC consiste à « favoriser l'établissement d'ententes de collaboration en matière de recherche et sauvetage ». Lors de la réunion des services locaux d'intervention en cas d'urgence qui s'est tenue en mai 1999, les responsables ont réalisé des progrès dans leurs efforts visant à améliorer les communications radio maritimes et à faire mieux connaître les services SAR de la région d'Ottawa-Hull. Toutefois, le BST craint que les centres des SCTM ne soient toujours pas en mesure d'assurer l'écoute des communications sur la voie 16 VHF dans la région d'Ottawa et que les services SAR de la GCC ne sont pas à même d'organiser et de coordonner de manière efficace les communications locales et les ressources de recherche et sauvetage.

    Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .

    Annexes

    Annexe A - Croquis du secteur de l'accident

    Annexe A. Croquis du secteur de l'accident
    Image
    Croquis du secteur de l'accident